diff --git "a/C014/Y01382.json" "b/C014/Y01382.json" new file mode 100644--- /dev/null +++ "b/C014/Y01382.json" @@ -0,0 +1,3 @@ +[ +{"source_document": "", "creation_year": 1382, "culture": " French\n", "content": "TOUR LANDRY POUR L'ENSEIGNEMENT DE SES FILLES ***\n LE LIVRE\n DU CHEVALIER\n DE LA TOUR LANDRY\n Pour l\u2019enseignement de ses filles\n Publi\u00e9 d\u2019apr\u00e8s les manuscrits de Paris et de Londres\n PAR\n M. ANATOLE DE MONTAIGLON\n Ancien \u00e9l\u00e8ve de l\u2019Ecole des Chartes\n Membre r\u00e9sidant de la Soci\u00e9t\u00e9 des Antiquaires de France\n A PARIS\n Chez P. Jannet, Libraire\n MDCCCLIV\nParis.--Impr. Guiraudet et Jouaust, 338, rue Saint-Honor\u00e9.\nPR\u00c9FACE.\nLe livre du chevalier de La Tour a joui d\u2019une grande vogue au moyen \u00e2ge.\nSouvent transcrit par les copistes, il obtint de bonne heure les\nhonneurs de l\u2019impression. Publi\u00e9 d\u2019abord par le p\u00e8re de la typographie\nangloise, le c\u00e9l\u00e8bre Caxton, qui l\u2019avoit traduit lui-m\u00eame, il fut, neuf\nans apr\u00e8s, traduit et imprim\u00e9 en Allemagne, o\u00f9 il est rest\u00e9 au nombre\ndes livres populaires. Moins heureux en France, le livre du chevalier de\nLa Tour n\u2019y eut que deux \u00e9ditions, de la premi\u00e8re moiti\u00e9 du seizi\u00e8me\nsi\u00e8cle, connues seulement des rares amateurs assez heureux pour en\nrencontrer un exemplaire, assez riches pour le payer un prix exorbitant.\nEn publiant une nouvelle \u00e9dition de ce livre, nous n\u2019avons pas en vue\nson utilit\u00e9 pratique. Nous voulons seulement mettre dans les mains des\nhommes curieux des choses du pass\u00e9 un monument litt\u00e9raire remarquable,\nun document pr\u00e9cieux pour l\u2019histoire des m\u0153urs. Il est piquant et\ninstructif, en se rappelant comme contraste les lettres de F\u00e9nelon sur\nce sujet, de voir ce qu\u2019\u00e9toit au xive si\u00e8cle un livre sur l\u2019\u00e9ducation\ndes filles.\nI.\n_La famille du chevalier de La Tour Landry._\nMais, avant de parler de l\u2019\u0153uvre, il convient de parler de l\u2019auteur, et\nde rassembler les dates et les faits, si petits et si \u00e9pars qu\u2019ils\nsoient, qui se rapportent \u00e0 sa biographie, \u00e0 celle de ses anc\u00eatres et de\nses fils: car, si son nom existe encore, l\u2019on verra que sa descendance\ndirecte s\u2019est bient\u00f4t \u00e9teinte, circonstance qui, en nous fixant une\nlimite rapproch\u00e9e de lui, nous obligeoit par l\u00e0 m\u00eame d\u2019aller jusqu\u2019\u00e0\nelle, pour ne rien laisser en dehors de notre sujet. Cette partie\ng\u00e9n\u00e9alogique sera la premi\u00e8re de cette pr\u00e9face; nous aurons \u00e0 parler\nensuite de l\u2019ouvrage lui-m\u00eame, des manuscrits que l\u2019on en conno\u00eet, et\nenfin des \u00e9ditions et des traductions qui en ont \u00e9t\u00e9 faites: ce seront\nles objets tout naturels et aussi n\u00e9cessaires de trois autres divisions.\nPour la premi\u00e8re, deux g\u00e9n\u00e9alogies manuscrites, conserv\u00e9es aux\nManuscrits de la Biblioth\u00e8que imp\u00e9riale[1], et qui nous ont \u00e9t\u00e9\ncommuniqu\u00e9es par M. Lacabane; le fr\u00e8re Augustin du Paz, dans son\nHistoire g\u00e9n\u00e9alogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, Paris,\nNic. Buon, 1621, in-f\u00ba; Jean le Laboureur, dans son Histoire\ng\u00e9n\u00e9alogique de la maison des Budes, Paris, 1656, in-f\u00ba, \u00e0 la suite de\nl\u2019histoire du mar\u00e9chal de Gu\u00e9briant; le P\u00e8re Anselme; Dom Lobineau et\nDom Morice, dans les preuves de leurs deux Histoires de Bretagne,\ncontiennent des renseignements pr\u00e9cieux; mais il ne suffiroit pas d\u2019y\nrenvoyer, il est n\u00e9cessaire de les classer et de les rapprocher.\n [1] Toutes deux portent en t\u00eate une mention de forme un peu\n diff\u00e9rente, mais de laquelle il r\u00e9sulte qu\u2019elles ont \u00e9t\u00e9 copi\u00e9es sur\n la notice manuscrite, dress\u00e9e par feu messire Ren\u00e9 de Quatrebarbes,\n seigneur de la Rong\u00e8re, et communiqu\u00e9e au mois de may 1692 par M. le\n marquis de la Rong\u00e8re, son fils. Dans l\u2019une, cette mention est de la\n main de d\u2019Hozier, qui l\u2019a sign\u00e9e, et qui a fait d\u2019\u00e9videntes\n am\u00e9liorations; elle est pagin\u00e9e 129 \u00e0 156. Comme chacune de ces\n copies contient des renseignements particuliers, nous d\u00e9signerons la\n copie du cabinet d\u2019Hozier, comme \u00e9tant la plus compl\u00e8te, par\n _G\u00e9n\u00e9al. ms._ 1; et l\u2019autre, qui n\u2019est pas copi\u00e9e jusqu\u2019au bout, par\n _G\u00e9n\u00e9al. ms._ 2. Quand nous citerons sans num\u00e9ros, c\u2019est que le fait\n se trouve dans les deux.\nEt d\u2019abord, le lieu de Latour-Landry,--si\u00e9ge de la famille, et qui,\napr\u00e8s avoir d\u00fb recevoir son nom de son ch\u00e2teau seigneurial et du nom\nd\u2019un de ses membres, en est devenu \u00e0 son tour l\u2019appellation\npatronymique,--existe encore sous ce nom dans la partie de l\u2019ancien\nAnjou, limitrophe du Poitou et de la Bretagne, qui forme maintenant le\nd\u00e9partement de Maine-et-Loire. Il se trouve dans le canton de Chemill\u00e9,\n\u00e0 27 kil. de Beaupr\u00e9au, entre Chollet, qui est \u00e0 20 kil. de Beaupr\u00e9au,\net Vezins, \u00e9loign\u00e9 de 26 kil. du m\u00eame endroit. Autrefois, le fief de\nLatour-Landry \u00e9toit \u00absis et s\u2019\u00e9tendant sur la paroisse de Saint-Julien\nde Concelles[2]\u00bb, qui est \u00e0 15 kil. de Nantes, canton de Loroux, dans la\npartie bretonne du d\u00e9partement de la Loire-Inf\u00e9rieure. Les restes du\ndonjon des seigneurs subsistent encore maintenant, me dit-on, \u00e0\nLatour-Landry, notamment une grosse tour tr\u00e8s ancienne, dont on fait,\ndans le pays, remonter la construction au xiie si\u00e8cle, et je regrette de\nne pouvoir en donner de description[3].\n [3] On voit encore aussi \u00e0 Vezins les restes d\u2019un h\u00f4pital fond\u00e9 par un\n Latour Landry, et aujourd\u2019hui en ruines.\nLes g\u00e9n\u00e9alogies manuscrites commencent par le Latour-Landry du roman du\nroi Ponthus, roman sur lequel nous aurons \u00e0 revenir plus tard, et comme,\nse fondant sur Bourdign\u00e9, elles mettent en 495 la descente fabuleuse en\nBretagne des Sarrazins, contre lesquels ce Latour imaginaire se\ndistingua \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du non moins imaginaire Ponthus, le g\u00e9n\u00e9alogiste\ncontinue fort na\u00efvement en disant que \u00abla chronologie, qui souvent sert\nde preuve pour conno\u00eetre le degr\u00e9 de filiation, fait juger que ce Landry\npeut avoir \u00e9t\u00e9 le p\u00e8re de Landry _de Latour_! vivant en 577, et maire du\npalais sous Chilp\u00e9ric Ier.\u00bb La copie de d\u2019Hozier ne va pas si loin; elle\nse contente de le croire son grand p\u00e8re. Il n\u2019est pas difficile\nmaintenant de dire quelque chose de plus historique.\nAinsi, je croirois membre de la famille de Latour l\u2019Etienne de La Tour,\n_Stefanus de Turre_, qui figure comme t\u00e9moin dans une pi\u00e8ce de 1166[4],\net dans une pi\u00e8ce de 1182[5], dans ce dernier cas avec le titre,\nconcluant pour notre supposition, de s\u00e9n\u00e9chal d\u2019Anjou. En 1200, un\nLandry de La Tour, sire dudit lieu, de l\u2019Isle de Bouin, de Bourmont, de\nla Cornouaille, etc., eut proc\u00e8s \u00e0 raison du tiersage de Mortaigne, \u00e0\ncause de l\u2019Isle de Bouin[6]. Vingt ans apr\u00e8s, on trouve un personnage de\nce nom, et d\u00e9j\u00e0 avec le pr\u00e9nom de Geoffroy; au mois de mai 1220, le jour\nde la Trinit\u00e9, un Geoffroy de La Tour est entendu \u00e0 Nantes \u00e0 propos du\nban du sel, que se disputoient le duc de Bretagne et l\u2019\u00e9v\u00eaque de\nNantes[7]. Trente ans apr\u00e8s, un autre Landry de Latour \u00e9changea cette\nterre, d\u00e9j\u00e0 nomm\u00e9e, de l\u2019Isle de Bouin, avec le sieur de Machecou,\ncontre celle de Loroux-Bottereau[8]; et, vers la fin de ce m\u00eame si\u00e8cle,\nnous retrouvons un autre Latour, encore avec le pr\u00e9nom de Geoffroy; car\n\u00abGeuffrey de la Tor, escuier\u00bb, figure avec Olivier de Rog\u00e9, Bernabes,\nseigneur de Derval, Guillaume de Derval et autres, dans une convention\npass\u00e9e entre le duc de Bretagne Jean II et les nobles, par laquelle il\nconsent \u00e0 changer le bail et garde-noble en rachat; la pi\u00e8ce est dat\u00e9e\nde Nantes \u00able jour du samedi avant la feste Saint-Ylaire, en l\u2019an de\nl\u2019incarnation mil deus cent sessante et quinze (1276), o meis de\njanvier[9].\u00bb\n [4] Dom Lobineau, _Preuves_, in-f\u00ba, 1707, col. 271; et Dom Morice,\n _M\u00e9moires pour servir de preuves \u00e0 l\u2019histoire de Bretagne_, in-fol.,\n [5] Dom Lobineau, _Preuves_, col. 316; et Dom Morice, _Preuves_, I,\n [7] Dom Lobineau, _Histoire_, I, 215; _Preuves_, col. 377; et Dom\n Morice, _Histoire_, I. 1750, p. 150; et _Preuves_, I, col. 847.\n [9] Dom Lobineau, _Histoire_, I, 272; _Preuves_, col. 426;--et Dom\n Morice, _Histoire_, I, p. 206; et _Preuves_, I, col. 1039.\nC\u2019est ici seulement que nous arrivons \u00e0 une filiation reconnue; les deux\ng\u00e9n\u00e9alogies manuscrites donnant pour p\u00e8re \u00e0 notre auteur un Geoffroy, il\nfaut croire que c\u2019est lui dont il s\u2019agit dans une reconnoissance du\nnombre des chevaliers, \u00e9cuyers et archers que les seigneurs de Bretagne\ndoivent \u00e0 l\u2019ost du duc, faite par eux \u00e0 Ploermel le jeudi apr\u00e8s la\nmi-ao\u00fbt 1294, o\u00f9 l\u2019on trouve cet article parmi ceux compris sous le chef\nde _la Baillie de Nantes_: \u00abMonseur Geuffroy de La Tour e Guillaume\nBotereau e Math\u00e9 de la Celle recongneurent qu\u2019ils devoient un chevalier\nd\u2019ost, c\u2019est assavoir le tiers d\u2019un chevalier, par la raison de leur\nfiez dou Lorous Botereau.[10]\u00bb Ce Geoffroy est donn\u00e9 comme seigneur de\nLa Tour Landry, de Bourmont, de la Galoni\u00e8re, du Loroux-Bottereau, de la\nCornouaille, et comme ayant \u00e9t\u00e9 pr\u00e9sent en 1302, \u00able jeudy apr\u00e8s la\nSaint-Nicolas d\u2019est\u00e9\u00bb, au mariage de Jean de Savonni\u00e8res. C\u2019est \u00e0 lui\naussi que se doit rapporter ce fait, consign\u00e9 dans Bourdign\u00e9[11], qu\u2019en\n1336, un Geoffroy de La Tour Landry \u00e9toit au nombre de ceux qui\nsuivirent le comte d\u2019Anjou dans sa guerre avec les Anglois et s\u2019y\nconduisirent avec le plus de courage. Notre auteur parle deux fois de\nson p\u00e8re[12], mais malheureusement sans autrement le d\u00e9nommer, et par\ncons\u00e9quent sans apporter \u00e0 l\u2019assertion, tr\u00e8s acceptable d\u2019ailleurs, des\ng\u00e9n\u00e9alogies, l\u2019autorit\u00e9 irr\u00e9cusable de son t\u00e9moignage de fils. On a vu\nque je n\u2019ai pas os\u00e9 attribuer \u00e0 ce Geoffroy la mention d\u2019un Geoffroy en\n1276. C\u2019est par la consid\u00e9ration que de 1276 \u00e0 1336 il y a soixante ans,\net qu\u2019en ajoutant les ann\u00e9es n\u00e9cessaires pour \u00eatre partie dans un acte\naussi important que celui de la premi\u00e8re date, on auroit un \u00e2ge de bien\nplus de 80 ans, acceptable en soi, mais dans lequel il est peu ordinaire\nde se distinguer par des exploits guerriers. Il faudroit, de plus, qu\u2019il\ne\u00fbt eu tout \u00e0 fait dans sa vieillesse notre auteur, qui, comme on le\nverra, n\u2019\u00e9toit pas le dernier de ses enfants, et n\u2019est pas mort avant la\nfin du quatorzi\u00e8me si\u00e8cle.\n [10] Dom Lobineau. _Hist._, I, p. 282; _Preuves_, col. 438;--et Dom\n Morice, _Preuves_, col. 1112.\n [11] _Hystoire agr\u00e9gative des annales et croniques d\u2019Anjou_, par Jehan\n de Bourdign\u00e9, 1529, in-fol., goth., f. cviij r\u00ba.\n [12] Pages 27 et 227 de cette \u00e9dition.\nJe ne puis donner le nom de la femme du p\u00e8re de notre auteur; mais je\ndois au moins faire ici un rapprochement. Dans son livre, il parle, \u00e0 un\nendroit[13], de sa tante, Mme de Languillier, \u00abdont le seigneur avoit\nbien mil v.c livres de rente\u00bb; puisqu\u2019elle \u00e9toit sa tante, elle pouvoit\n\u00eatre la s\u0153ur de sa m\u00e8re, ce qui ne nous paro\u00eet pas donner son nom. Il\nfaudroit pour cela que M. de Languillier f\u00fbt son fr\u00e8re; mais, \u00e0 voir la\nfa\u00e7on dont notre chevalier loue la douceur de la femme et parle du mari\ncomme \u00e9tant \u00ab\u00e0 merveille luxurieux\u00bb, j\u2019avoue avoir peine \u00e0 croire qu\u2019il\ne\u00fbt cit\u00e9 cet exemple, si celui qu\u2019il bl\u00e2me e\u00fbt \u00e9t\u00e9, non pas le\nbeau-fr\u00e8re, c\u2019est-\u00e0-dire un \u00e9tranger, mais le propre fr\u00e8re de sa m\u00e8re;\nsi, au contraire, celle-ci est la s\u0153ur de la femme si digne d\u2019\u00eatre un\nmod\u00e8le d\u2019affection et de bon sens, le choix est tr\u00e8s naturel[14]. Mais,\nje le r\u00e9p\u00e8te, cette conclusion, que je crois la plus probable, ne nous\ndonne pas le nom de la m\u00e8re de notre Geoffroy.\n [14] J\u2019ajouterai que ce nom de Languillier est encore un nom de ces\n provinces: car je trouve dans le P\u00e8re Anselme, II, 453 A, au\n commencement du xvie si\u00e8cle, il est vrai, mais je ne prends le nom\n qu\u2019au point de vue topographique, un Guy de Sainte-Flaive, seigneur\n de Sainte-Flaive en Poitou et des baronies de Cigournay, Chatonay,\n le Puy-Billiard et Languillier.\nEn tout cas, celui-ci ne fut pas le seul enfant: car la g\u00e9n\u00e9alogie\nmanuscrite place comme second fils un Arquade de Roug\u00e9, en nous\napprenant, de plus, qu\u2019il \u00e9pousa Anne de la Haye Passavant[15], fille de\nBriand de la Haye et de Mahaud de Roug\u00e9, s\u0153ur a\u00een\u00e9e de Jeanne de Roug\u00e9,\net toutes deux filles de Bonnabes de Roug\u00e9. Ceci est pour nous tr\u00e8s\ncurieux; car,--comme on verra que notre Geoffroy \u00e9pousa cette Jeanne de\nRoug\u00e9, s\u0153ur cadette de Mahaud,--Anne de la Haye, fille de Mahaud de\nRoug\u00e9, s\u0153ur a\u00een\u00e9e de Jeanne, se trouvoit, en \u00e9pousant Arquade, avoir sa\ntante pour belle-s\u0153ur. On pourroit en inf\u00e9rer aussi que, les deux\nbelles-s\u0153urs \u00e9tant sans doute \u00e0 la distance d\u2019une g\u00e9n\u00e9ration, Arquade\n\u00e9toit beaucoup plus jeune que Geoffroy, son fr\u00e8re a\u00een\u00e9.\n [15] Elle portoit d\u2019or, \u00e0 deux fasces de gueules, \u00e0 l\u2019orle de\n merlettes, pos\u00e9es 4 en chef, 2 en fasce et 3 en pointe.--_G\u00e9n\u00e9al.\nLa mention la plus ancienne que nous trouvions de notre auteur nous est\ndonn\u00e9e par lui-m\u00eame. Il raconte dans son livre la conduite des seigneurs\nqui se trouvoient avec le duc de Normandie, depuis le roi Jean, au si\u00e9ge\nd\u2019Aguillon, petite ville d\u2019Agenois, situ\u00e9e au confluent du Lot et de la\nGaronne. Comme Froissart[16] a parl\u00e9 longuement de ce si\u00e9ge, qui,\ncommenc\u00e9 apr\u00e8s P\u00e2ques de l\u2019ann\u00e9e 1346, cette ann\u00e9e le 16 avril, fut lev\u00e9\nau plus tard le 22 ao\u00fbt[17], il en faut conclure que notre Geoffroy, qui\nen parle comme un t\u00e9moin, \u00e9toit d\u00e9j\u00e0 en \u00e9tat de porter les armes. Nous\nsommes apr\u00e8s cela long-temps sans le rencontrer. Au premier abord, on\nseroit dispos\u00e9 \u00e0 le retrouver en 1356 dans le sire de La Tour que\nFroissart[18], et que le prince Noir dans sa lettre \u00e0 l\u2019\u00e9v\u00eaque de\nWorcester sur la bataille de Poitiers[19], mettent au nombre des\nprisonniers faits par les Anglois; mais comme Froissart, dans son\n\u00e9num\u00e9ration des seigneurs pr\u00e9sents \u00e0 la bataille, qu\u2019il donne un peu\navant[20], met un sire de La Tour parmi les nobles d\u2019Auvergne, il est\nprobable que c\u2019est de celui-l\u00e0 qu\u2019il s\u2019agit[21], et non pas du n\u00f4tre,\nqu\u2019il auroit certainement mis parmi les nobles de Poitou. Mais c\u2019est\nbien lui qui figure le 13 juin 1363 dans \u00abla monstre de M. Mauvinet,\nchevalier, et des gens de sa compagnie, sous le gouvernement Monsieur\nAmaury, comte de Craon, lieutenant du roy \u00e8s pays de Touraine, Anjou et\nPoitou.\u00bb On y trouve le nom: \u00abMonsieur Gieffroy de La Tour\u00bb, suivi de la\nmention relative \u00e0 l\u2019objet de la montre: \u00abcheval brun; ix escus[22]\u00bb.\n [16] Ed. Buchon, t. I, liv. i, part. Ire, p. 212-63.\n [17] _Histoire du Languedoc_ de Dom Vic et de Dom Vaissette, livre\n [18] Froissart, \u00e9d. Buchon, liv. i, part. ij, chap. xlij, tome I, p.\n [19] _Arch\u00e6ologia Britannica_, in-4\u00ba, I, p. 213; et Buchon, I, 355, \u00e0\n la note.--Le prince de Galles le met parmi les bannerets; et c\u2019\u00e9toit\n aussi le titre du n\u00f4tre, ce qui rendroit l\u2019erreur encore plus\n facile.\n [20] Froissart, _Ibid._, ch. xl, p. 350.\n [21] C\u2019est de lui encore qu\u2019il est question dans le grand po\u00e8me de\n Bertrand Du Guesclin, par Cuveliers, comme \u00e9tant l\u2019un de ceux qui se\n joignent au duc de Berry (1372) pour aller faire le si\u00e9ge de\n Sainte-Sev\u00e8re,\n _Le signeur de La Tour en Auvergne fiv\u00e9._\n Plus loin on l\u2019appelle\n _Le signeur de La Tour qu\u2019en Auvergne fut n\u00e9._\n (_Collect. des docum. in\u00e9dits_, Chronique de Du Guesclin, publi\u00e9e\n par M. Charri\u00e8re, II, p. 214 et 221, vers 19,604 et 19,788.) Il est\n encore nomm\u00e9 page 224, dans la variante mise en note.\n [22] Dom Morice, _Preuves_, I, col. 1558.\nC\u2019est, comme on le verra, en 1371 et 1372 qu\u2019il a compos\u00e9 son livre; \u00e0\ncette \u00e9poque, il \u00e9toit d\u00e9j\u00e0 mari\u00e9 depuis assez long-temps pour avoir des\nfils et des filles dont l\u2019\u00e2ge demandoit qu\u2019il e\u00fbt \u00e0 \u00e9crire pour eux des\nlivres d\u2019\u00e9ducation. L\u2019\u00e9poque de son mariage est inconnue; mais on sait\ntr\u00e8s bien le nom de sa femme. C\u2019\u00e9toit[23] Jeanne de Roug\u00e9[24], dame de\nCornouaille, fille puin\u00e9e de Bonabes de Roug\u00e9, seigneur d\u2019Erval[25],\nvicomte de la Guerche, conseiller et chambellan du roi[26], et de Jeanne\nde Maill\u00e9, dame de Clervaux, fille elle-m\u00eame de Jean de Maill\u00e9, seigneur\nde Clervaux, et de Thomasse de Dou\u00e9; la s\u0153ur a\u00een\u00e9e de Jeanne,\nc\u2019est-\u00e0-dire Mahaut de Roug\u00e9, eut, comme on l\u2019a vu, une fille, ni\u00e8ce de\nJeanne, qui \u00e9pousa Arquade de La Tour Landry, beau-fr\u00e8re de celle-ci.\nNous aurons encore quelques mentions \u00e0 faire de Jeanne de Roug\u00e9, mais\nnous pr\u00e9f\u00e9rons les laisser \u00e0 leur ordre chronologique.\n [23] Son p\u00e8re avoit d\u00e9j\u00e0 voulu le marier, mais le mariage avoit\n manqu\u00e9. Voy. les _Enseignements_, chap. 13, p. 28-9 de cette\n \u00e9dition.\n [24] _Gen\u00e9al. mss._; Du Paz, p. 85; Le Laboureur, p. 80.\n [25] Voy., sur la terre de Derval, Du Paz, p. 166.\n [26] Le Laboureur, p. 80.\nEn 1378, Geoffroy envoya des hommes au si\u00e9ge de Cherbourg; mais il n\u2019y\nfut pas lui-m\u00eame, car, dans l\u2019acte du \u00abpr\u00eat fait \u00e0 des hommes d\u2019armes de\nla compagnie du conn\u00e9table, par deux lettres du roi du 8 et 13 octobre\n1378, pour le fait du si\u00e9ge de Chierbour\u00bb, on lit \u00e0 la suite de\nl\u2019article M. Raoul de Montfort: \u00abPour M. de La Tour, banneret, un autre\nchevalier bachelier et onze escuiers, receus en croissance dudit\nMontfort, \u00e0 Valoignes, le 18 nov.; \u00e0 lui, dccxiv liv.[27]\u00bb\n [27] Dom Morice, _Preuves_, II, col. 391.\nIl est probable qu\u2019en 1379, Jeanne de Roug\u00e9, femme de Geoffroy, a \u00e9t\u00e9\ngravement malade, car, le 20 octobre de cette ann\u00e9e[28], elle fit son\ntestament, institua ses deux ex\u00e9cutrices testamentaires Jeanne de\nMaill\u00e9, sa m\u00e8re, et dame Huette de Roug\u00e9, sa s\u0153ur, dame de Roaille, et\nchoisit sa s\u00e9pulture dans l\u2019\u00e9glise Notre-Dame-de-Meleray, au dioc\u00e8se de\nNantes, aupr\u00e8s de la s\u00e9pulture de son p\u00e8re[29].\n [28] Du Paz, 167, qui appelle Jeanne de l\u2019Isle la m\u00e8re de Jeanne de\n Roug\u00e9.\n [29] Mort deux ans apr\u00e8s, en 1377 (Du Paz, p. 656). Un autre Messire\n Bonnabet de Roug\u00e9 est indiqu\u00e9 par Bouchet (_Annales d\u2019Aquitaine_,\n quarte partie, folio xiv) comme tu\u00e9 \u00e0 la bataille de Poitiers le 19\n novembre 1356, et enterr\u00e9 chez les fr\u00e8res mineurs de Poitiers. Les\n armes de Roug\u00e9 sont de gueules, \u00e0 une croix patt\u00e9e d\u2019argent; elles\n se trouvent dans l\u2019armorial de Jean de Bonnier, _dit_ Berry, h\u00e9raut\n d\u2019armes de Charles vij. (Fonds Colbert, n\u00ba 9653.5.5.)\nEn 1380, il r\u00e9sulte de la pi\u00e8ce suivante que Geoffroy prit part \u00e0 la\nguerre de Bretagne: \u00abNous, Jean de Bueil, certifions \u00e0 tous par nostre\nserment que les personnes ci-dessous nommez ont servy le roy nostre dit\nseigneur en ses guerres du pays de Bretagne, en nostre compaignie et\nsoubs le gouvernement de M. le conn\u00e9table de France, par tout le mois de\nf\u00e9vrier pass\u00e9... M. Geuffroy, sire de La Tour, banneret... Donn\u00e9 \u00e0\nParis, le 30 avril, aprez Pasques 1380[30].\u00bb Trois ans apr\u00e8s, nous\ntrouvons aussi le nom de Geoffroy dans \u00abla monstre de Monsieur l\u2019evesque\nd\u2019Angiers, banneret, d\u2019un autre chevalier banneret, huyt autres\nchevaliers bacheliers et de trente et cinq escuiers de sa compagnie,\nre\u00e7eus ou val de Carsell le ije jour de septembre, l\u2019an 1383.\u00bb Elle\ncommence: \u00abLedit Monsr l\u2019evesque, banneret. Mess. Geuffroy de La Tour,\nbanneret, etc.[31]\u00bb\n [30] Dom Morice, _Preuves_, t. I, col. 244.\n [31] Collection Decamps; Mss. B. I. Cette mention nous a \u00e9t\u00e9 donn\u00e9e\n par M. J\u00e9r\u00f4me Pichon, qui, dans une note de son excellent _M\u00e9nagier\n de Paris_, avoit annonc\u00e9 l\u2019intention de publier une \u00e9dition des\n _Enseignements_; c\u2019est \u00e0 lui aussi que nous devons l\u2019indication\n d\u2019Augustin Du Paz, \u00e0 qui nous aurions pu ne pas songer.\nEn 1383, la femme de Geoffroy de La Tour Landry vivoit encore: car, dans\ncette ann\u00e9e m\u00eame, son mari acquit avec elle le droit que Huet de Coesme,\n\u00e9cuyer, avoit au moulin de Brifont ou de Brefoul, assis \u00e0 Saint-Denis de\nCand\u00e9[32]; mais elle mourut avant lui, car il \u00e9pousa en secondes noces\nMarguerite des Roches[33], dame de la Mothe de Pendu, qui avoit \u00e9pous\u00e9\nen premi\u00e8res noces, le 28 mars 1370, Jean de Clerembaut, chevalier[34];\ncomme on verra que les enfants des premiers mariages de Geoffroy et de\nMarguerite des Roches se mari\u00e8rent entre eux, il n\u2019est pas sans\nprobabilit\u00e9 de penser que ce mariage tardif eut pour raison le d\u00e9sir de\nm\u00ealer compl\u00e9tement les biens des deux familles, et qu\u2019il pr\u00e9c\u00e9da les\nmariages de leurs enfants, ce qui le reporteroit avant l\u2019ann\u00e9e 1389.\n [32] _G\u00e9n\u00e9al. ms._\n [33] _G\u00e9n\u00e9al. ms._\n [34] Anselme, VII, 583 D.--Clerembaut portoit burel\u00e9 d\u2019argent et de\n sable, de dix pi\u00e8ces. _G\u00e9n\u00e9al. mss._\nEn prenant cette date comme la derni\u00e8re o\u00f9 nous trouvions Geoffroy,--et\nil est probable que les mariages de ses enfants avec ceux de sa seconde\nfemme, qui sont post\u00e9rieurs, se firent de son vivant,--il seroit\ntoujours certain qu\u2019il a v\u00e9cu sous les r\u00e8gnes de Philippe vi de Valois,\nde Jean ij, de Charles v et de Charles vi; mais je ne puis dire en\nquelle ann\u00e9e il est mort, car je ne crois pas qu\u2019il faille lui rapporter\nla mention du \u00abGeoffroy de La Tour, esc., avec dix-neuf autres\u00bb,\ncit\u00e9[35] parmi les capitaines ayant assist\u00e9 au si\u00e9ge de Parthenay, qui\nfut fini au mois d\u2019ao\u00fbt 1419. Outre la qualit\u00e9 d\u2019\u00e9cuyer, tandis que\ndepuis longtemps Geoffroy est toujours qualifi\u00e9 de chevalier banneret,\nles dates seroient \u00e0 elles seules une assez forte raison d\u2019en douter; en\neffet, les ann\u00e9es comprises entre 1416 et 1346, premi\u00e8re ann\u00e9e o\u00f9 il\nsoit question de Geoffroy, forment un total de 73 ans, et, comme au\nsi\u00e9ge d\u2019Aiguillon, en 1346, on ne peut pas lui supposer moins de vingt\nans, il faudroit admettre qu\u2019il se battoit encore \u00e0 93 ans, ce qui est \u00e0\npeu pr\u00e8s inadmissible. Il faut croire que c\u2019est un de ses fils. On n\u2019en\nindique partout qu\u2019un seul; mais il est certain qu\u2019il en a eu au moins\ndeux, puisque, dans son livre, nous le verrons mentionner plusieurs fois\n_ses fils_. Pour terminer ce qui le concerne, j\u2019ajouterai que la\ng\u00e9n\u00e9alogie manuscrite le qualifie de seigneur de Bourmont, de Bremont et\nde Clervaux en Bas-Poitou, et que Le Laboureur[36] le qualifie de baron\nde La Tour Landry, de seigneur de Bourmont, Clermont et Frign\u00e9, et de\nfondateur de Notre-Dame-de-Saint-Sauveur, pr\u00e8s de Cand\u00e9, ordre de\nSaint-Augustin. La Croix du Maine, I, 277, le qualifie de sieur de\nNotre-Dame de Beaulieu, ce qui est vrai, tirant sans doute ce titre du\npropre livre de notre auteur[37]. Nous ne doutons pas qu\u2019il ne se trouve\nplus tard d\u2019autres mentions relatives \u00e0 Geoffroy. Dans d\u2019autres\nhistoires g\u00e9n\u00e9alogiques, mais surtout dans des pi\u00e8ces conserv\u00e9es aux\nArchives de l\u2019Empire et aussi dans celles d\u2019Angers, il est impossible\nqu\u2019il ne s\u2019en trouve pas incidemment de nouvelles mentions; mais il\nauroit fallu trop attendre pour avoir tout ce qui peut exister, et ce\npremier essai pourra m\u00eame servir \u00e0 faire retrouver le reste.\n [35] Dom Morice, _Preuves_, II, col. 991.\n [36] Il l\u2019appelle Georges; mais il ne s\u2019agit pas d\u2019un autre, puisqu\u2019il\n lui donne Jeanne de Roug\u00e9 pour femme et Charles pour fils.\n [37] Cf. notre \u00e9dition, p. 79.\nNous pourrions arr\u00eater ici ces d\u00e9tails g\u00e9n\u00e9alogiques; mais il est\ndifficile de ne pas dire quelques mots de ceux-l\u00e0 m\u00eames pour lesquels\nGeoffroy avoit \u00e9crit, et, comme sa descendance m\u00e2le s\u2019est \u00e9teinte au\nbout d\u2019un si\u00e8cle, de l\u2019indiquer jusqu\u2019au moment o\u00f9 le nom, encore\nexistant, de La Tour Landry, a \u00e9t\u00e9 transport\u00e9 dans une autre famille par\nun mariage. Sur toute cette descendance, M. Pichon a trouv\u00e9 dans des\npi\u00e8ces manuscrites les plus curieux et les plus abondants d\u00e9tails,\nnotamment toute la proc\u00e9dure de l\u2019enl\u00e8vement d\u2019une La Tour Landry; il a\ntous les \u00e9l\u00e9ments d\u2019une \u00e9tude de m\u0153urs historiques tr\u00e8s int\u00e9ressante et\nqu\u2019il seroit malheureux de ne pas lui voir ex\u00e9cuter. Pour notre sujet,\nqui se rapporte plus particuli\u00e8rement \u00e0 Geoffroy et \u00e0 son \u0153uvre,\nquelques indications suffiront.\nCharles de La Tour Landry se maria deux fois, d\u2019abord \u00e0 Jeanne de\nSoud\u00e9[38], ensuite, le 24 janvier 1389[39], \u00e0 Jeanne Clerembault, fille\nde Marguerite des Roches, seconde femme de Geoffroy, cette fois avec la\nclause que, si Jeanne Clerembault demeuroit h\u00e9riti\u00e8re de sa maison,\nCharles et ses hoirs, issus de ce mariage, porteroient \u00e9cartel\u00e9 de La\nTour et de Clerembault, ce qui n\u2019arriva pas, parceque Gilles\nClerembault, fr\u00e8re de Jeanne, devenu beau-fr\u00e8re de Charles de La Tour,\ncontinua la post\u00e9rit\u00e9. La g\u00e9n\u00e9alogie manuscrite fait mourir Charles de\nLa Tour au mois d\u2019octobre 1415, \u00e0 la bataille d\u2019Azincourt, et, en effet,\nnous trouvons \u00abLe seigneur de La Tour\u00bb dans \u00ables noms des princes, grans\nma\u00eetres, seigneurs et chevaliers franchois qui moururent \u00e0 la bataille\nd\u2019Azincourt\u00bb, donn\u00e9s par Jean Lefebvre de Saint-Remy \u00e0 la suite de son\nr\u00e9cit[40]. Nous avons d\u00e9j\u00e0 parl\u00e9[41] d\u2019un Geoffroy de La Tour, figurant\nau si\u00e9ge de Parthenay en 1419, et probablement fils de l\u2019auteur des\n_Enseignements_. Peut-\u00eatre faut-il encore regarder comme un autre de ses\nfils un Herv\u00e9 de La Tour, qui servoit comme gendarme en novembre 1415\ndans la compagnie d\u2019Olivier Duch\u00e2tel, en d\u00e9cembre de la m\u00eame ann\u00e9e dans\ncelle de Jehan du Buch; en juin 1416 dans celle de Jehan Papot[42].\nCependant nous trouvons \u00e0 la fin de la traduction de Caxton, dont nous\ndirons plus tard la scrupuleuse exactitude, cette phrase: _as hit is\nreherced in the booke of my two sonnes_, absente de nos manuscrits, mais\nqui devoit se trouver dans celui suivi par Caxton, et \u00e9tabliroit qu\u2019en\n1371 notre auteur n\u2019avoit que deux fils.\n [39] _G\u00e9n\u00e9al. ms._ 2. La _G\u00e9n._ 1. ne parle pas du nom de sa premi\u00e8re\n femme.--Anselme, VII, 583 D.\n [40] Ed. Buchon, dans le _Panth\u00e9on_, ch. lxiv, p. 402.--Monstrelet le\n cite aussi; Paris, 1603, in-fol. I, 230 v\u00ba.\n [41] Voy. p. xvij.\nQuant aux filles, elles doivent avoir \u00e9t\u00e9 au nombre de trois; en effet,\nsi aucun des manuscrits que nous avons vus ne paro\u00eet avoir appartenu \u00e0\nGeoffroy,--et il seroit difficile d\u2019en \u00eatre s\u00fbr, \u00e0 moins d\u2019y trouver ses\narmes et celles de Jeanne de Roug\u00e9, ou m\u00eame de Marguerite\nDesroches,--toutes les fois qu\u2019il y a une miniature initiale, on y voit\ntoujours trois filles, et il n\u2019est pas \u00e0 croire que cette ressemblance\nne soit pas originairement produite par une premi\u00e8re source authentique.\nMalheureusement je n\u2019en puis nommer qu\u2019une, Marie de La Tour Landry, qui\n\u00e9pousa en 1391[43], le 1er novembre[44], Gilles Clerembault, fils de la\nseconde femme de Geoffroy et fr\u00e8re de la femme de Charles, fils de\nGeoffroy. Gilles Clerembault \u00e9toit chevalier, seigneur de la Plesse, et\nn\u2019eut pas d\u2019enfants[45] de Marie de La Tour, morte \u00e9videmment avant\n1400, puisque, le 15 octobre 1400, il \u00e9pousa Jeanne Sauvage, qui lui\nsurv\u00e9cut[46].\n [43] _G\u00e9n\u00e9al. mss._\n [44] Anselme, _ut supra_.\n [45] _G\u00e9n\u00e9al. mss._\n [46] Anselme, _ut supra_.\nCharles de La Tour Landry eut pour fils, N..., que les g\u00e9n\u00e9alogies\nmanuscrites font figurer, comme son p\u00e8re, \u00e0 la bataille d\u2019Azincourt, en\ndisant qu\u2019il mourut peu apr\u00e8s de ses blessures, sans laisser d\u2019enfants;\nPonthus, qui resta le chef de la famille; et trois autres fils[47],\nThibaud, Raoulet et Louis, morts tous trois sans laisser d\u2019enfants.\nCharles eut aussi au moins une fille, nomm\u00e9e Jeanne, peut-\u00eatre l\u2019a\u00een\u00e9e\nde tous, puisqu\u2019on la cite la premi\u00e8re[48]. Il se peut qu\u2019elle ait \u00e9t\u00e9\nmari\u00e9e deux fois, car c\u2019est peut-\u00eatre elle qu\u2019il faut reconno\u00eetre dans\nla Jeanne de La Tour Landry, dame de Clervaux, qui fut femme de Jean ou\nLouis de Rochechouart[49]. Ce qu\u2019il y a de s\u00fbr, c\u2019est qu\u2019elle fut la\npremi\u00e8re femme de Bertrand de Beauvau[50], seigneur de Pr\u00e9cigny,\nSilli-le-Guillaume et Brian\u00e7on, qui devint conseiller et chambellan du\nroi, pr\u00e9sident en sa chambre des comptes \u00e0 Paris, grand-ma\u00eetre de Sicile\net s\u00e9n\u00e9chal d\u2019Anjou. Il sortit de ce mariage trois fils et trois\nfilles[51], et Jeanne \u00e9toit morte vers 1436, puisque ce fut par contrat\ndu 2 f\u00e9vrier 1437[52] que Bertrand se remaria \u00e0 Fran\u00e7oise de Brez\u00e9; non\nseulement il surv\u00e9cut encore \u00e0 celle-ci, mais, apr\u00e8s avoir \u00e9pous\u00e9 en\ntroisi\u00e8mes noces Ide du Ch\u00e2telet, il \u00e9pousa en quatri\u00e8mes noces Blanche\nd\u2019Anjou, fille naturelle du roi Ren\u00e9, et \u00ables armes de toutes ces\nalliances sont remarqu\u00e9es dans les \u00e9glises des Augustins, Cordeli\u00e8res,\nCarmes et Jacobins d\u2019Angers, o\u00f9 le corps de ladite Jeanne receut\nsepulture, ce qui est justifi\u00e9 par son tombeau[53].\u00bb\n [48] _G\u00e9n\u00e9al. mss._--Le Laboureur, p. 80.\n [49] Anselme, IV, 564 B et 653 B, C.--Leur fille Isabeau \u00e9pousa Renaud\n Chabot, qui eut un grand proc\u00e8s contre le seigneur de La Tour Landry\n au sujet de la justice de Clervaux, obtint, le 20 juin 1464, pour\n lui et son fils a\u00een\u00e9, r\u00e9mission d\u2019un meurtre commis \u00e0 cette\n occasion, et mourut vers 1476.--Anselme, _ibid._\n [50] D\u2019argent, \u00e0 quatre lions de gueules, cantonnez, armez et\n lampassez d\u2019or, \u00e0 une \u00e9toile d\u2019azur en c\u0153ur.--Sur un beau manuscrit\n des Ethiques en fran\u00e7ois, qui lui a appartenu, cf. M. Paulin Paris,\n _Manuscrits fran\u00e7ois_, t. IV, 330-2.\n [51] Voir le d\u00e9tail dans la Chesnaye des Bois, in-4\u00ba, II, 318.\n [52] Anselme, VIII, 270 E.\nPour Ponthus, nous savons qu\u2019il fut chevalier, seigneur de La Tour\nLandry, de Bourmont, du Loroux-Bottereau et baron de Bouloir en\nVendomois[54]; il donna en 1424 aux prieur et couvent de Saint-Jean\nl\u2019Evang\u00e9liste d\u2019Angers la dixme des grains de sa terre de\nCornoailles[55], par acte sign\u00e9 de Jean de Lah\u00e8ve \u00abainsi qu\u2019il est\nremarqu\u00e9 au tr\u00e9sor des tiltres de Chasteaubriant[56]\u00bb, et il poss\u00e9doit\naussi une terre que le duc de Bretagne lui confisqua, parcequ\u2019il tenoit\nle parti d\u2019Olivier de Chatillon[57]. Ce doit \u00eatre lui qui se rendit\notage \u00e0 Nantes pour r\u00e9pondre de l\u2019ex\u00e9cution du mariage (21 mars 1431)\nentre le comte de Montfort et Yoland, fille de la reine de Sicile[58],\net qui re\u00e7ut ensuite une coupe dor\u00e9e, en m\u00eame temps que sa femme et sa\nfille recevoient d\u2019autres pr\u00e9sents[59]. C\u2019est aussi probablement lui que\ncite l\u2019auteur de l\u2019histoire d\u2019Artus, duc de Bretaigne, dans\nl\u2019\u00e9num\u00e9ration de ceux qui se sont trouv\u00e9s \u00e0 la bataille de Formigny[60],\nle 15 avril 1450.\n [58] _Histoire de Bretagne_, par Dom Lobineau, Paris, in fol., I,\n [59] Dom Lobineau, _Preuves_, col. 1018; Dom Morice, _Preuves_, II,\n [60] Collection Michaud et Poujoulat, 1re s\u00e9rie, III, 226.\nIl est aussi bien \u00e0 croire que c\u2019est lui qui a fait \u00e9crire par quelque\nclerc le roman de chevalerie de Ponthus, fils du roi de Galice, et de la\nbelle Sidoine, fille du roy de Bretaigne, souvent r\u00e9imprim\u00e9; c\u2019\u00e9toit un\nmoyen de populariser l\u2019illustration de la famille et d\u2019en faire reculer\ntr\u00e8s loin l\u2019anciennet\u00e9,--Bourdign\u00e9, comme on l\u2019a vu, s\u2019y est laiss\u00e9\nprendre,--que de la mettre au milieu d\u2019une action \u00e0 la fois romanesque\net \u00e0 demi historique. Les La Tour Landry ont voulu avoir aussi leur\nroman, comme les Lusignan avoient M\u00e9lusine. Nous n\u2019avons pas \u00e0 entrer\ndans le d\u00e9tail de ce tr\u00e8s pauvre roman, qui se passe en Galice, en\nBretagne et en Angleterre, ni \u00e0 suivre les p\u00e9rip\u00e9ties des amours de\nPonthus et de Sidoine, travers\u00e9es par les fourberies du tra\u00eetre\nGuennelet et enfin couronn\u00e9es par un mariage. Ce qu\u2019il nous importe de\nsignaler c\u2019est la certitude de l\u2019origine de ce roman. Le h\u00e9ros de\nl\u2019histoire porte le nom fort particulier d\u2019un des membres de la famille,\net, parmi ses compagnons, se voit toujours au premier rang Landry de La\nTour. Tous les noms propres sont de ce c\u00f4t\u00e9 de la France; ce sont:\nGeoffroy de Lusignan, le sire de Laval, d\u2019Oucelles et de Silli\u00e9,\nGuillaume et Benard de la Roche, le sire de Do\u00e9, Girard de\nChasteau-Gaultier, Jean Molevrier. Les quelques noms de localit\u00e9s\nfran\u00e7oises concourent aussi \u00e0 la m\u00eame preuve: c\u2019est \u00e0 Vannes que se fait\nle grand tournois, et, quand l\u2019arm\u00e9e se r\u00e9unit, c\u2019est \u00e0 la tour\nd\u2019Orbondelle, pr\u00e8s de Tallemont; or Talmont est un bourg de Vend\u00e9e\n(Poitou) situ\u00e9 \u00e0 13 kil. des Sables. Un passage donneroit peut-\u00eatre la\ndate exacte de la composition du roman, c\u2019est lorsque, pour r\u00e9unir une\narm\u00e9e contre les Sarrasins, on \u00e9crit \u00e0 la comtesse d\u2019Anjou: car, dit le\nromancier, le comte \u00e9toit mort et son fils n\u2019avoit que dix ans. Mais\nc\u2019est trop long-temps m\u2019arr\u00eater \u00e0 ce livre, qu\u2019il \u00e9toit pourtant\nn\u00e9cessaire de signaler[61].\n [61] Pour les nombreuses \u00e9ditions, et les traductions en anglois et en\n allemand du roman de Ponthus, voyez l\u2019excellent article de M.\nL\u2019on ne conno\u00eet que deux enfants de Ponthus, Blanche et Louis Ier du\nnom. Blanche \u00e9pousa Guillaume d\u2019Avaugour, seigneur de La Roche Mabile,\nde Grefneuville et de Mesnil Raoulet, bailly de Touraine, veuf de Marie\nde Coullietes, femme en premi\u00e8res noces de Gilles Quatrebarbes[62]. On\ndonne ordinairement cette Blanche comme fille de Louis 2e du nom[63];\nmais la remarque de d\u2019Hozier[64] est formelle sur ce point: \u00abBien que\nles m\u00e9moires de la maison de La Tour Landry remarquent icelle Blanche de\nLa Tour estre issue de Louis et de Jeanne Quatrebarbes; n\u00e9anmoins tous\nles tiltres que j\u2019ay me persuadent le contraire, et particuli\u00e8rement\nl\u2019arrest, sur requeste, du Parlement de Paris, que ladite Jeanne\nQuatrebarbes, demeur\u00e9e veufve, obtint, le dernier jour de d\u00e9cembre 1453,\ncontre Blanche de La Tour, aussy veufve, o\u00f9 il est port\u00e9 en termes\nexpr\u00e8s qu\u2019elle estoit s\u0153ur de feu Louis de La Tour, mary de Jeanne\nQuatrebarbes.\u00bb Quant \u00e0 Louis de La Tour, chevalier, baron dudit lieu et\ndu Boulloir, seigneur de Bourmont, la Gallonn\u00e8re, de la Cornouaille, de\nClervaux, Rue d\u2019Indre et Dreux le Pallateau, il \u00e9pousa en 1430 Jeanne\nQuatrebarbes, dame de La Touche Quatrebarbes, etc., fille de Gilles\nQuatrebarbes et de Marie de Coullietes[65]. Louis \u00e9toit mort avant 1453,\net, le 22 juin 1455, sa veuve, en pr\u00e9sence de son fils Christophe,\nratifie un acte fait le 6 juin pr\u00e9c\u00e9dent par son procureur et le\nprocureur de Blanche de la Tour, veuve de Guillaume d\u2019Avaugour[66]. En\n1458 elle fit son testament, et nomma pour ses ex\u00e9cuteurs testamentaires\nRen\u00e9, Christophe et Louis, ses enfants[67].\n [62] _G\u00e9n\u00e9al. ms._ 1.--Avaugour, d\u2019argent au chef de gueules.\n [63] _G\u00e9n\u00e9al. ms._ 2.--Le Laboureur, p. 80.\n [65] _G\u00e9n\u00e9al. ms._ 1, qui donne tous les titres de Jeanne\n Quatrebarbes.\n [67] Des extraits de ce testament et de quelques autres pi\u00e8ces\n post\u00e9rieures sont joints \u00e0 la _G\u00e9n\u00e9al. ms._ 1.\nOn vient de voir les noms des trois fils de Louis; un quatri\u00e8me,\nGeoffroy[68], paro\u00eet \u00eatre mort de bonne heure, puisqu\u2019il n\u2019a pas laiss\u00e9\nde traces. Pour Ren\u00e9, il se d\u00e9mit en 1438 de ses biens, sauf les\nseigneuries de la Gallonn\u00e8re et de Cornouaille, en faveur de Christophe,\nson fr\u00e8re pu\u00een\u00e9, ainsi qu\u2019il est verifi\u00e9 dans le tr\u00e9sor des titres de\nCh\u00e2teaubriant[69], se fit pr\u00eatre et mourut le 4 mai 1498[70]. Pour\nChristophe, Bourdign\u00e9[71] nous apprend qu\u2019en 1449 il se trouva au si\u00e9ge\nde Rouen avec le duc de Calabre, fils du roi Ren\u00e9, qui \u00e9toit all\u00e9\nsecourir son p\u00e8re. En 1460, il transigea pour des terres avec Pierre\nd\u2019Avaugour, fils de Guillaume et de Blanche de la Tour; en 1463, il\ndonna procuration audit Pierre de recevoir les foi et hommage dus \u00e0 ses\nterres; en 1469, il rend adveu de la terre du Genest au comte de\nMonfort, et, la m\u00eame ann\u00e9e, fonde dans l\u2019\u00e9glise du Genest des pri\u00e8res \u00e0\ndire le jour de la Toussaint, avant la grand\u2019messe, pour les \u00e2mes de ses\npr\u00e9d\u00e9cesseurs[72]. Il mourut sans enfants, puisque ce fut Louis, 2e du\nnom, qui resta chef de la famille. Il avoit \u00e9pous\u00e9 Catherine Gaudin,\nfille d\u2019Anceau, sieur de Pas\u00e9e ou Bas\u00e9e, et de Marguerite D\u2019Espinay\nLauderoude, maison alli\u00e9e \u00e0 celle de Laval[73].\n [68] Le Laboureur (page 80), qui le cite avant ses fr\u00e8res.\n [70] _G\u00e9n\u00e9al. ms._; Le Laboureur, p. 80.\n [71] _Hystoire agr\u00e9gative d\u2019Anjou_, f. cxlix. v\u00ba.\nC\u2019est en lui que s\u2019\u00e9teignit la descendance m\u00e2le de notre Geoffroy, car\nLouis n\u2019eut que des filles. On a vu que Blanche, dont on le faisoit le\np\u00e8re, n\u2019\u00e9toit pas sa fille, mais sa tante; ses filles furent Fran\u00e7oise\net Marguerite, \u00abfemme de Ren\u00e9 Bourr\u00e9[74], seigneur de Jarz\u00e9, dont la\npost\u00e9rit\u00e9 est tomb\u00e9e dans la maison Du Plessis des Roches Pichemel, de\nlaquelle est M. le marquis de Jarz\u00e9[75].\u00bb Quant \u00e0 Fran\u00e7oise, fille a\u00een\u00e9e\net principale h\u00e9riti\u00e8re de son p\u00e8re Louis, elle \u00e9pousa, le 30 juillet\n1494, Hardouin de Maill\u00e9, 10e du nom, n\u00e9 en 1462. Il s\u2019obligea de\nprendre le nom et les armes de La Tour, sous peine de 50,000 \u00e9cus; mais,\napr\u00e8s la mort de ses fr\u00e8res sans hoirs m\u00e2les, il se d\u00e9clara a\u00een\u00e9 de sa\nmaison, et Fran\u00e7ois Ier releva ses descendants de cette obligation, leur\npermettant de reprendre le nom et les armes de Maill\u00e9, en y ajoutant le\nnom de La Tour Landry[76].\u00bb Les armes de Maill\u00e9 sont bien connues, d\u2019or\n\u00e0 trois fasces ond\u00e9es de gueules; mais celles de La Tour Landry le sont\nbien moins, pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e0 cause de l\u2019abandon qui en fut fait. Le\nLaboureur (p. 80) dit qu\u2019elles sont d\u2019or \u00e0 une fasce crenel\u00e9e de 3\npi\u00e8ces et massonn\u00e9e de sable; Gaigni\u00e8res, qui les a dessin\u00e9es et\nblasonn\u00e9es de sa main sur un feuillet de papier, pass\u00e9, comme toute la\npartie h\u00e9raldique de sa collection, dans les dossiers du Cabinet des\ntitres, nous donne de plus l\u2019\u00e9mail de la fasce, qui \u00e9toit de gueules. La\ndescription qui s\u2019en trouve en t\u00eate des g\u00e9n\u00e9alogies manuscrites a un\nd\u00e9tail diff\u00e9rent: elle indique la fasce comme bretess\u00e9e, c\u2019est-\u00e0-dire\ncr\u00e9nel\u00e9e, de trois pi\u00e8ces _et demie_. Il n\u2019est pas rare de trouver une\nfasce cr\u00e9nel\u00e9e de deux pi\u00e8ces et deux demi-pi\u00e8ces; dans le cas de trois\npi\u00e8ces et demie, il faudroit, sa place n\u2019\u00e9tant pas indiqu\u00e9e, mettre la\ndemi-pi\u00e8ce \u00e0 dextre; mais nous pr\u00e9f\u00e9rons nous tenir \u00e0 la premi\u00e8re\narmoirie, qui est la plus probable, puisqu\u2019elle ne sort pas des\nconditions ordinaires.\n [74] D\u2019argent \u00e0 la bande fusel\u00e9e de gueules.--_G\u00e9n\u00e9al. ms._ 1.\n [75] Le Laboureur, p. 80.\n [76] Anselme, VII, 502; et La Chesnaye des Bois, IX, 314.\nII.\n_Du livre des Enseignements._\nD\u00e8s les premiers mots de son ouvrage, Geoffroy de La Tour Landry a pris\nsoin de nous apprendre la date de sa composition, par la fa\u00e7on dont il\nentre en mati\u00e8re: \u00abL\u2019an mil trois cens soixante et onze.\u00bb Si la mention\ndu printemps n\u2019est pas, comme il est possible, tant elle est dans le\ngo\u00fbt des \u00e9crivains de l\u2019\u00e9poque, une pure forme litt\u00e9raire, ce seroit\nm\u00eame au commencement de l\u2019ann\u00e9e, puisqu\u2019il parle de _l\u2019issue\nd\u2019avril_[77]. Le livre ne fut fini qu\u2019en 1372, car nous y trouvons cette\ndate mentionn\u00e9e formellement[78], et nous n\u2019aurions pas m\u00eame besoin de\ncela pour en \u00eatre s\u00fbr, puisqu\u2019\u00e0 un autre endroit il est parl\u00e9 de la\nbataille de Cr\u00e9cy comme ayant eu lieu \u00abil y a xxvj ans\u00bb; comme elle\ns\u2019est donn\u00e9e, ainsi qu\u2019on sait, le 26 ao\u00fbt 1346, les vingt-six ans nous\nauroient toujours donn\u00e9 cette m\u00eame date de 1372.\n [77] P\u00e2ques \u00e9tant cette ann\u00e9e-l\u00e0 le 6 avril, il n\u2019y a pas lieu de\n changer la date de 1371 en celle de 1370.\n [78] \u00abJe vous en diray une merveille que une bonne dame me compta en\n cest an, qui est l\u2019an mil trois cens lxxij.\u00bb (Ch. xlix p. 103.)\nIl y a aussi une remarque curieuse \u00e0 faire sur cette pr\u00e9face, c\u2019est\nqu\u2019elle a \u00e9t\u00e9 \u00e9crite en vers, et Geoffroy, sans le vouloir, a pris soin\nde nous le faire toucher du doigt, quand il dit (v. p. 4) qu\u2019il ne veut\npoint mettre ce livre en rime, mais en prose, afin de l\u2019abr\u00e9ger,\nc\u2019est-\u00e0-dire de le faire plus court et plus rapidement. C\u2019est la preuve\nla plus compl\u00e8te qu\u2019il a voulu d\u2019abord l\u2019\u00e9crire en vers, puisqu\u2019on\nretrouve dans tout ce qui pr\u00e9c\u00e8de cette remarque, non seulement une\nmesure r\u00e9guli\u00e8re, mais presque toutes les rimes, tant il l\u2019a peu chang\u00e9\nen le transcrivant en prose. Pour le montrer, il suffit d\u2019en imprimer\nune partie de cette fa\u00e7on; avec des changements absolument\ninsignifiants, on retrouve toute la phrase po\u00e9tique:\n L\u2019an mil trois cens soixante et onze,\n En un jardin estoys sous l\u2019ombre,\n Comme \u00e0 l\u2019issue du mois d\u2019avril,\n Tout morne, dolent et pensif;\n Mais un peu je me resjouy\n Du son et du chant que je ouy\n De ces gents oysillons sauvaiges\n Qui chantoient dans leurs langaiges,\n Le merle, mauvis et mesange,\n Qui au printemps rendoient louange,\n Qui estoient gais et envoisiez.\n Ce doulx chant me fist envoisier\n Et tout mon cueur sy esjoir\n Que lors il me va souvenir\n Du temps pass\u00e9 de ma jeunesce\n Comment Amours en grant destresce\n M\u2019avoient en celluy temps tenu\n En son service, o\u00f9 je fu\n Mainte heure liez, autre dolant,\n Si comme fait \u00e0 maint amant.\n M\u00e8s tous mes maulx guerredonna\n Pour ce que belle me donna, etc.\nOn pourroit encore continuer pendant plus d\u2019une page; mais ceci suffit\npleinement \u00e0 la d\u00e9monstration. Du reste, nous savons de Geoffroy\nlui-m\u00eame qu\u2019il avoit \u00e9crit en vers: car, quelques lignes apr\u00e8s ce que\nnous venons de citer, il continue--je r\u00e9tablis encore la forme des vers\nprimitifs:\n En elle tout me delitoye,\n Car en celluy temps je faisoye\n Chan\u00e7ons, ballades et rondeaux,\n Laiz, virelayz et chans nouveaux\n De tout le mieulx que je savoye.\n Mais la mort, qui trestous guerroye,\n La prist, dont mainte tristeur\n Ay receu et mainte douleur.\nSans chercher d\u2019exemples plus anciens, ceux de Qu\u00e8nes de B\u00e9thune, de\nThibault de Champagne et de tant d\u2019autres, il est moins rare qu\u2019on ne\npenseroit de trouver \u00e0 cette \u00e9poque des grands seigneurs ayant \u00e9crit en\nvers. Ainsi, l\u2019historien du grand mar\u00e9chal de Boucicaut, n\u00e9 en 1368, et\nfils de celui que connut notre Geoffroy, parle ainsi de lui: \u00abSi preint\n\u00e0 devenir joyeux, joly, chantant, et gracieux plus que oncques mais, et\nse preint \u00e0 faire balade, rondeaux, virelays, lais et complaintes\nd\u2019amoureux sentiment, desquelles choses faire gayement et doulcement\nAmour le feist en peu d\u2019heures un si bon maistre que nul ne l\u2019en\npassoit; si comme il appert par le livre des cent ballades, duquel faire\nluy et le seneschal d\u2019Eu feurent compaignons au voyage d\u2019oultre mer...\nJ\u00e0 avoit choisy dame... et, quand \u00e0 danse ou \u00e0 feste s\u2019esbatoit o\u00f9 elle\nfeut, l\u00e0... chantoit chansons et rondeaux, dont luy mesme avoit fait le\ndit, et les disoit gracieusement pour donner secr\u00e8tement \u00e0 entendre \u00e0 sa\ndame en se complaignant en ses rondeaux et chansons comment l\u2019amour\nd\u2019elle le destraignoit[79].\u00bb Nous ne connaissons aucune pi\u00e8ce de notre\nGeoffroy; mais il est possible qu\u2019il y en ait dans les recueils faits au\nxve si\u00e8cle, et, s\u2019il s\u2019en trouvoit portant comme suscription le nom de\nmessire Geoffroy, on pourroit les lui attribuer.\n [79] Le livre des faicts du bon messire Jean le Maingre, dit\n Boucicaut, mar\u00e9chal de France et gouverneur de Gennes, 1re partie,\n ch. ix.--Collect. Michaud et Poujoulat, 1re s\u00e9rie, t. II, p. 221.\nNon seulement il n\u2019\u00e9crivit pas ses Enseignements en vers, mais il ne\nparo\u00eet pas les avoir \u00e9crits tout entiers lui-m\u00eame: car dans ce m\u00eame\nprologue il nous dit (p. 4) qu\u2019il emploie deux pr\u00eatres et deux clercs\nqu\u2019il avoit \u00e0 extraire de ses livres, \u00abcomme la Bible, Gestes des Roys\net croniques de France et de Gr\u00e8ce et d\u2019Angleterre et de maintes autres\nestranges terres\u00bb, les exemples qu\u2019il trouve bons \u00e0 prendre pour faire\nson ouvrage. Dans tous les cas, l\u2019esprit du temps \u00e9toit trop port\u00e9 \u00e0 se\nservir \u00e9ternellement des faits de la Bible, de l\u2019\u00c9vangile et de la Vie\ndes Saints, pour que Geoffroy, n\u2019e\u00fbt-il employ\u00e9 personne, e\u00fbt \u00e9chapp\u00e9 \u00e0\ncette condition de son \u00e9poque; mais c\u2019est \u00e0 l\u2019inspiration toute\nreligieuse de ces aides que nous devons la pr\u00e9dominance, excellente\nd\u2019intention, mais litt\u00e9rairement regrettable, des histoires tir\u00e9es de la\nBible, qui ne nous apprennent rien. La division en neuf fautes du p\u00e9ch\u00e9\nde notre premi\u00e8re m\u00e8re doit \u00eatre aussi de leur fait, et je verrois\nencore une trace de leur collaboration dans la mani\u00e8re dont le plan\nannonc\u00e9 n\u2019est pas suivi d\u2019une fa\u00e7on r\u00e9guli\u00e8re: car, en plus d\u2019un\nendroit, l\u2019on trouve qu\u2019il sera parl\u00e9 d\u2019abord de telle nature d\u2019exemples\net ensuite de telle autre, et, quand cela est fini, le livre revient sur\nses pas pour reprendre une partie qui avoit paru compl\u00e8te. Quoi qu\u2019il en\nsoit, que la quantit\u00e9 de ces exemples pieux et leur phras\u00e9ologie lente,\net tout \u00e0 fait analogue \u00e0 celle des sermons du m\u00eame temps, soient ou non\ndu fait des aides du chevalier ou du sien, la valeur et l\u2019int\u00e9r\u00eat du\nlivre ne sont pas l\u00e0. Si tout en \u00e9toit de cette sorte, il ne serviroit \u00e0\nrien de le remettre en lumi\u00e8re, car ces histoires pieuses n\u2019ont en elles\naucune utilit\u00e9, pas m\u00eame celle de donner l\u2019esprit du temps; celui-ci est\nassez bien connu pour qu\u2019on n\u2019ait sur ce point nul besoin d\u2019un nouvel\nexemple, et le livre n\u2019est pas assez ancien pour \u00eatre important comme\nmonument de la langue, en dehors de sa valeur particuli\u00e8re. Ce par quoi\nil est curieux, c\u2019est par les histoires contemporaines qu\u2019il raconte;\nc\u2019est en nous montrant dans le monde, si l\u2019on peut se servir de cette\nexpression toute moderne, des personnages historiques et guerriers,\ncomme Boucicaut et Beaumanoir, en les faisant agir et parler; c\u2019est en\nnous entretenant des femmes et des modes de son temps, et, toutes les\nfois qu\u2019il parle dans ce sens, soit que ces parties soient les seules\n\u00e9crites par le chevalier m\u00eame, soit qu\u2019elles lui fussent plus heureuses,\nson style s\u2019all\u00e9git et prend r\u00e9ellement de la forme et du mouvement; si\nm\u00eame tout en \u00e9toit de cette sorte, son int\u00e9r\u00eat et son importance en\nseroient singuli\u00e8rement augment\u00e9s.\nIl a, du reste, eu peu de bonheur aupr\u00e8s de quelques uns de ses juges.\nL\u2019auteur de _la Lecture des Livres fran\u00e7ois au xive si\u00e8cle_[80], Gudin\ndans son histoire des contes[81], et Legrand d\u2019Aussy dans une notice\nsp\u00e9ciale[82], qui, par l\u00e0 m\u00eame, auroit d\u00fb \u00eatre plus \u00e9tudi\u00e9e et plus\njuste, en portent un jugement \u00e0 peu pr\u00e8s aussi peu intelligent. Pour\neux, le livre n\u2019est compos\u00e9 que de _capucinades_ ou d\u2019obsc\u00e9nit\u00e9s. Sans y\nvoir de capucinades, je conviendrai que tout le monde gagneroit \u00e0 ce que\nla Bible e\u00fbt \u00e9t\u00e9 moins largement mise \u00e0 contribution; mais il n\u2019est pas\npossible de trouver le livre obsc\u00e8ne, non seulement d\u2019intention, mais de\nfait. Ils se fondent sur les deux histoires de ceux qui firent\nfornication en l\u2019\u00e9glise, sur quelques r\u00e9flexions et sur quelques\nconclusions peut-\u00eatre un peu simples et m\u00eame maladroites; mais il y a\nloin de l\u00e0 \u00e0 ce qu\u2019ils disent. Il seroit d\u2019abord difficile d\u2019admettre\nqu\u2019un homme \u00e9videmment bien \u00e9lev\u00e9 et des meilleures fa\u00e7ons de son temps,\nvers\u00e9 \u00e0 la fois dans le monde et dans les livres, et qui, de plus, est\nle p\u00e8re de celles \u00e0 qui il s\u2019adresse, e\u00fbt \u00e9t\u00e9 moins r\u00e9serv\u00e9 qu\u2019on ne\nl\u2019\u00e9toit autour de lui. De plus, en dehors de quelques passages, plut\u00f4t\nna\u00effs que grossiers, il fait preuve, au contraire, d\u2019une d\u00e9licatesse\nsinguli\u00e8re: ainsi il seroit difficile de trouver \u00e0 cette \u00e9poque une\nanalyse et une appr\u00e9ciation plus fines et en m\u00eame temps plus honn\u00eates\ndes sentiments que les raisons mises par lui dans la bouche de sa femme,\nlorsqu\u2019il a avec elle cette conversation qui forme un des plus longs et\ndes meilleurs chapitres. Mais, pour dire qu\u2019il y a dans ce livre m\u00eame\ndes grossi\u00e8ret\u00e9s, il faut ne pas penser \u00e0 ce qu\u2019\u00e9toit la chaire \u00e0 cette\n\u00e9poque, ne pas penser \u00e0 ce qu\u2019\u00e9toient les fabliaux; or les femmes\nentendoient les sermons \u00e0 l\u2019\u00e9glise, les fabliaux dans leurs ch\u00e2teaux ou\ndans leurs maisons, o\u00f9 l\u2019on faisoit venir les jongleurs. Dans ces\nsi\u00e8cles, les femmes, pour ainsi dire \u00e0 aucune \u00e9poque de leur vie,\nn\u2019ignoroient la chose ni les mots; l\u2019honn\u00eatet\u00e9 \u00e9toit dans la conduite et\nn\u2019\u00e9toit pas encore arriv\u00e9e jusqu\u2019aux formes du langage. Il seroit plus\nvrai de dire, en consid\u00e9rant la question en connoissance de cause, que\nle livre du chevalier t\u00e9moigne, au contraire, d\u2019un sentiment de r\u00e9serve\nqu\u2019il ne seroit, \u00e0 cette \u00e9poque, pas \u00e9tonnant d\u2019en trouver absent.\n [80] M\u00e9langes tir\u00e9s d\u2019une grande biblioth\u00e8que, in-8, vol. D, 1780, p.\n [81] Elle forme le 1er vol. de ses Contes. Paris, Dabin, 1804, 2 vol.\n [82] Notice des manuscrits de la Biblioth\u00e8que, in-4\u00ba, t. V, an 7, p.\nIl y auroit encore bien d\u2019autres choses \u00e0 dire sur le livre m\u00eame; \u00e0\nmontrer, comme Caxton et le traducteur allemand l\u2019ont d\u00e9j\u00e0 dit, que\nGeoffroy n\u2019a pas seulement fait un livre pour de jeunes filles, mais un\nlivre g\u00e9n\u00e9ral qui s\u2019applique \u00e0 toute la vie des femmes. Il y auroit \u00e0\nexaminer surtout les id\u00e9es d\u2019\u00e9ducation et de morale qui en ressortent,\net la forme sous laquelle elles sont pr\u00e9sent\u00e9es; mais il seroit\nn\u00e9cessaire de beaucoup citer, et, comme les conclusions \u00e0 tirer\nressortent naturellement de la lecture elle-m\u00eame, il vaut d\u2019autant mieux\nles laisser faire au lecteur, que le but d\u2019une pr\u00e9face doit \u00eatre\nbeaucoup moins de juger compl\u00e9tement l\u2019ouvrage, et d\u2019en rendre la\nlecture inutile, que de donner les renseignements et de r\u00e9soudre les\nquestions de fait que le livre ne peut donner lui-m\u00eame et que le lecteur\nne doit pas avoir \u00e0 chercher. Je dirai seulement que l\u2019ouvrage doit\nmoins rester dans la classe des livres si nombreux \u00e9crits pour des\n\u00e9ducations sp\u00e9ciales--il y seroit par trop loin du Discours sur\nl\u2019Histoire universelle et du T\u00e9l\u00e9maque--qu\u2019\u00eatre joint aux livres si\ncurieux qui sont consacr\u00e9s durant tout le moyen-\u00e2ge \u00e0 la d\u00e9fense ou \u00e0\nl\u2019attaque des femmes. Il y tiendra sa place, du c\u00f4t\u00e9 honn\u00eate et juste,\naupr\u00e8s du livre de Christine de Pisan, du _M\u00e9nagier de Paris_,--plus\npiquant peut-\u00eatre parcequ\u2019il est plus vari\u00e9 et s\u2019occupe de la vie\nmat\u00e9rielle, mais plus bourgeois et moins \u00e9lev\u00e9 de ton et\nd\u2019id\u00e9es,--aupr\u00e8s d\u2019autres livres encore qu\u2019il est inutile d\u2019\u00e9num\u00e9rer\nici. Tous ceux qui s\u2019occuperont de l\u2019histoire des sentiments ou de celle\nde l\u2019\u00e9ducation ne pourront pas ne point en tenir compte et ne pas le\ntraiter avec la justice qu\u2019il m\u00e9rite.\nEnfin, il est encore n\u00e9cessaire d\u2019ajouter que nous savons \u00e0 n\u2019en pouvoir\ndouter, car nous l\u2019apprenons de notre Geoffroy, qu\u2019il avoit \u00e9crit un\nlivre semblable pour ses fils. Il le dit positivement au commencement:\n\u00abEt pour ce... ay-je fait deux livres, _l\u2019un pour mes fils_, et l\u2019autre\npour mes filles, pour apprendre \u00e0 roumancier[83]...\u00bb Dans deux autres\npassages[84] il y fait de nouveau allusion: \u00abPar celluy vice l\u2019en entre\nen trestous les autres vij vices mortels, comme vous le trouverez plus \u00e0\nplain ou livre de voz fr\u00e8res, l\u00e0 o\u00f9 il parle comment un hermite qui\neslut celluy p\u00e9chi\u00e9 de gloutonie et le fist et s\u2019enyvra, et par celluy\nil cheist en tous les vij pechiez mortels, et avoit cuidi\u00e9 eslire le\nplus petit des vij\u00bb; et plus loin, quand il parle du Christ portant sa\ncroix, qui se retourne vers les saintes femmes, \u00abet leur monstra le mal\nqui puis avint au pays, si comme vous le trouverez ou livre que j\u2019ai\nfait \u00e0 voz fr\u00e8res\u00bb. Le meilleur manuscrit de Paris avoit remarqu\u00e9 ce\nfait, car il met ici en marge cette remarque: \u00abNotez qu\u2019il fist ung\nlivre pour ses filz.\u00bb Il falloit aussi que dans un manuscrit,\nprobablement plus exact ou plus voisin du premier original, il y en e\u00fbt\nune autre mention, pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e0 la fin; car nous trouvons dans la\nfid\u00e8le traduction de Caxton cette phrase, que nous avons d\u00e9j\u00e0 eu\noccasion de citer dans la partie g\u00e9n\u00e9alogique: \u00abas it is reherced in the\nbooke of my two sonnes and also in an evvangill.\u00bb\n [83] Page 4 de cette \u00e9dition.\nMalheureusement nous ne savons ce qu\u2019est devenu ce second livre du\nchevalier, \u00e9crit sans doute dans le m\u00eame go\u00fbt que ses Enseignements \u00e0\nses filles, qui devoit \u00eatre aussi compos\u00e9 de r\u00e9cits pris dans les\nhistoires et les chroniques et d\u2019aventures contemporaines. Peut-\u00eatre\ndevons-nous sa perte et le peu de succ\u00e8s qu\u2019il paro\u00eet avoir eu--car nous\nn\u2019en avons trouv\u00e9 de mention nulle part--\u00e0 ce que le bon chevalier y\naura trop laiss\u00e9 faire \u00e0 ses chapelains, et que le livre, ainsi presque\nuniquement rempli par de trop r\u00e9elles r\u00e9p\u00e9titions, n\u2019a pas eu assez\nd\u2019int\u00e9r\u00eat pour sortir du cercle pour lequel il avoit \u00e9t\u00e9 fait. Il est\nvrai de dire aussi que, son point de vue \u00e9tant g\u00e9n\u00e9ral,--des histoires\nmasculines sont des histoires de toutes sortes--il se trouvoit avoir \u00e0\nlutter, pour faire son chemin, contre tous les recueils de contes,\ntandis qu\u2019une r\u00e9union d\u2019histoires uniquement f\u00e9minines, \u00e9tant quelque\nchose de plus rare et de plus nouveau, a eu plus de chances pour sortir\nde la foule et pour demeurer en lumi\u00e8re.\nQuoi qu\u2019il en soit, il existe peut-\u00eatre encore en manuscrit, mais sans\nle nom de son auteur, au moins d\u2019une mani\u00e8re formelle, soit sur le\ntitre, soit dans l\u2019introduction; et le chevalier, qui, comme on l\u2019a vu,\nne r\u00e9visoit pas le travail de ses aides avec assez de soin pour lui\ndonner une disposition et une forme g\u00e9n\u00e9rale bien assises, et n\u2019a pas\nmis de fin au livre de ses filles, a bien pu ne pas \u00e9crire de prologue\npour le livre de ses fils. Mais l\u2019on auroit deux points de rep\u00e8re qui\nferoient reconno\u00eetre \u00e0 peu pr\u00e8s \u00e0 coup s\u00fbr le second ouvrage: ce sont\nles deux histoires cit\u00e9es, celle de l\u2019hermite qui tomba dans tous les\np\u00e9ch\u00e9s pour s\u2019\u00eatre abandonn\u00e9 \u00e0 la gourmandise comme au plus petit, et\ncelle du Sauveur portant sa croix, pr\u00e9disant aux saintes femmes le mal\nqui devoit arriver au pays, c\u2019est-\u00e0-dire la ruine du Temple et la\ndispersion des Juifs. J\u2019ai parcouru, sans rien trouver qui me satisf\u00eet,\nquelques uns des recueils anonymes d\u2019histoires qui ont \u00e9t\u00e9 \u00e9crits en\ngrand nombre vers cette \u00e9poque; d\u2019autres seront plus heureux que moi.\nIII.\n_Manuscrits._\nLa Biblioth\u00e8que imp\u00e9riale poss\u00e8de, \u00e0 ma connoissance, sept manuscrits du\nlivre du chevalier de La Tour. Je vais les d\u00e9crire bri\u00e8vement, en les\nrangeant, non dans l\u2019ordre de leurs num\u00e9ros, mais selon l\u2019\u00e9poque de leur\ntranscription et selon leur valeur relative.\nLe plus ancien est le n\u00ba 7403 du fonds fran\u00e7ois. Il est en parchemin, de\nformat in-folio mediocri, et \u00e9crit sur deux colonnes de trente lignes.\nIl a 140 feuillets, dont les trois premiers sont occup\u00e9s par la table,\nles feuillets 5 \u00e0 128 par le texte, et les feuillets 128 \u00e0 140 par\nl\u2019histoire de Griselidis. Le premier feuillet est tout encadr\u00e9\nd\u2019ornements courants; dans la miniature, le chevalier, assis sur un banc\nde gazon, est v\u00eatu d\u2019une jaquette tr\u00e8s courte et coiff\u00e9 d\u2019un bonnet\nlilas, d\u00e9coup\u00e9 de la fa\u00e7on la plus extravagante et la moins analogue aux\nconseils du livre sur la simplicit\u00e9 \u00e0 avoir dans sa toilette. Les trois\nfilles, en robes \u00e0 longues manches, sont toutes trois debout; l\u2019a\u00een\u00e9e a\nseule une ceinture, et la troisi\u00e8me a la t\u00eate nue. Les lettres capitales\nsont bleues \u00e0 dessins rouges. Quoique le plus ancien, et certainement du\ncommencement du xve si\u00e8cle, l\u2019adjonction, toute convenable d\u2019ailleurs,\nde Griselidis, prouveroit que le manuscrit n\u2019est qu\u2019une copie et n\u2019a pas\n\u00e9t\u00e9 fait pour l\u2019auteur lui-m\u00eame; malgr\u00e9 cela--et maintenant pour\nreconno\u00eetre s\u00fbrement un manuscrit fait pour l\u2019auteur, il faudroit y\ntrouver ses armes et celles de l\u2019une de ses deux femmes--celui-ci est\nexcellent et le meilleur de tous, avec celui de Londres, dont nous\nparlerons plus loin.\nLe manuscrit qui vient apr\u00e8s celui-l\u00e0, et que j\u2019ai connu le dernier,\nporte le n\u00ba 1009 du fonds de Gaigni\u00e8res. Il est in-folio mediocri sur\nparchemin, \u00e0 deux colonnes de trente-six lignes, et a 91 feuillets, dont\n82 de texte, 2 de table et 7 pour l\u2019histoire de Griselidis. La miniature\nest tr\u00e8s grossi\u00e8re et peut m\u00eame avoir \u00e9t\u00e9 ajout\u00e9e post\u00e9rieurement.\nDans le n\u00ba 7073\u00b9 du fonds fran\u00e7ois, le livre du chevalier de La Tour\nn\u2019est qu\u2019une partie; on peut voir, pour l\u2019indication des ouvrages qui\nl\u2019accompagnent, la description que M. Paulin Paris en a faite dans ses\n_Manuscrits fran\u00e7ois_ (V, 1842, p. 71-86). Qu\u2019il suffise ici de dire que\ndans ce volume notre texte et la table des chapitres occupent, sur deux\ncolonnes de 35 lignes en moyenne, les feuillets 55 \u00e0 122[85]. La copie\nen est tr\u00e8s inexacte, et le scribe n\u2019a pas d\u00fb \u00eatre pay\u00e9 \u00e0 la page, mais\n\u00e0 forfait, car pour avoir plus t\u00f4t fini, il ne s\u2019est pas fait faute de\nsauter des parties de phrase, dont l\u2019absence n\u2019ajoute pas \u00e0 la clart\u00e9.\nIl doit m\u00eame avoir tourn\u00e9 des feuillets de son original; car, sans que\nses cahiers soient incomplets, on trouve deux fois dans sa copie une\nlacune qui correspond \u00e0 celle d\u2019un feuillet, et qui, la seconde fois,\nporte sur une des histoires les plus int\u00e9ressantes, celle de Mme de\nBelleville, dont il n\u2019a transcrit que la fin. La langue commence d\u00e9j\u00e0 \u00e0\ns\u2019y modifier. Une mention \u00e9crite sur la derni\u00e8re feuille de garde porte\nqu\u2019il a appartenu \u00e0 Guillaume du Chemin, de Saint-Maclou de Rouen; sur\nla premi\u00e8re feuille de garde est coll\u00e9 l\u2019\u00e9cu des Bigot, d\u2019argent \u00e0 un\nchevron de sable, charg\u00e9 en chef d\u2019un croissant d\u2019argent et accompagn\u00e9\nde trois roses, pos\u00e9es deux en chef et une en pointe; on y lit aussi le\nnom de Thomas Bigot, p\u00e8re d\u2019Emeric, et l\u2019\u00e9cu est r\u00e9p\u00e9t\u00e9 sur le dos de la\nreliure; ce volume portoit dans leur biblioth\u00e8que le n\u00ba 148[86].\nJ\u2019oubliois de dire qu\u2019il y a une miniature initiale en cama\u00efeu, mais\nsans importance.\n [85] En marge du feuillet 86 on lit les deux noms: \u00abMaistre Robert le\n Moyne\u00bb et \u00abGuillaume Saro, escuyer, dem. \u00e0 Sainct...\u00bb\n [86] Bibliot. Bigotiana, 1710, in-12, pars quinta, p. 10-11.\nLe manuscrit de Saint-Victor, n\u00ba 853, reli\u00e9 en 1852, en maroquin rouge,\navec le R. F. de la derni\u00e8re R\u00e9publique, est sur parchemin, de format\npetit in-f\u00ba carr\u00e9, \u00e0 39 longues lignes par page et d\u2019une grosse \u00e9criture\nde la fin du xve si\u00e8cle. Les deux premiers feuillets sont occup\u00e9s par\nune table divis\u00e9e en 89 chapitres; le premier feuillet du texte, qui\nporte en haut la signature _Dubouchet_, 1642, a une d\u00e9testable\nminiature, et, sur la marge, deux \u00e9cussons en losange, partis, \u00e0 dextre,\nd\u2019or \u00e0 la croix contre-hermin\u00e9e, et, \u00e0 senestre, de gueules \u00e0 trois\nfasces de vair \u00e0 la bordure d\u2019or. Nous ne savons \u00e0 qui appartiennent ces\narmes; nous ferons remarquer seulement que les maisons de Merc\u0153ur en\nAuvergne et de Roy\u00e8re en Limousin portent de gueules \u00e0 trois fasces de\nvair[87]. Les douze derniers feuillets sont occup\u00e9s par l\u2019histoire de\nGriselidis, et c\u2019est pour cela que le relieur a mis sur le dos: _Miroir\ndes femmes mari\u00e9es_.\n [87] Grandmaison, _Dictionnaire h\u00e9raldique_, 1852, in-4\u00ba, col. 355.\nLe n\u00ba 7673\u00b9, qui porte dans le fonds Delamarre le n\u00ba 233, est sur\nparchemin et petit in-4\u00ba \u00e0 deux colonnes tr\u00e8s \u00e9troites et de 30 lignes.\nIl est incomplet en t\u00eate de quelques feuillets, et commence au conte de\ncelle qui mangea l\u2019anguille: \u00ab[Un exemple vous vueil dire sur] le fait\ndes femmes qui mangeoient les bons morceaux en l\u2019absence de leurs\nmaris.\u00bb Les derniers feuillets du ms. sont tr\u00e8s mutil\u00e9s; il est m\u00eame\nincomplet de la fin, car le recto du dernier feuillet--le verso est\ncoll\u00e9 sur une feuille de papier qui en soutient les morceaux--s\u2019arr\u00eate\ndans la fin de l\u2019histoire de Catonnet. Les fers de la reliure, qui est\ndu dernier si\u00e8cle et sans titre sur le dos, paroissent allemands.\nLe n\u00ba 7568 est sur parchemin, de format petit in-4\u00ba, et dans sa reliure\noriginale de bois couvert de velours vert et garni autrefois de\nfermoirs. Il est \u00e9crit \u00e0 longues lignes d\u2019une \u00e9criture tr\u00e8s cursive et\nn\u00e9glig\u00e9e, de la fin du xve si\u00e8cle; les feuillets 1 \u00e0 125 sont occup\u00e9s\npar notre roman, 126 \u00e0 134 par la patience de Griselidis, 135 \u00e0 139\nrecto par l\u2019histoire du chevalier Placidas et de son martyre, apr\u00e8s\nlequel il fut nomm\u00e9 saint Eustache, enfin 139 verso \u00e0 144 par le D\u00e9bat\nen vers du corps et de l\u2019\u00e2me, le m\u00eame dont on trouve une \u00e9dition dans le\nrecueil que j\u2019ai copi\u00e9 au British Museum et dont la r\u00e9impression forme\nles trois premiers volumes de l\u2019_Ancien Th\u00e9\u00e2tre fran\u00e7ois_. A la fin du\nD\u00e9bat se trouve la signature _Ledru_, \u00e9videmment celle du copiste. Le\nvolume a fait partie de la biblioth\u00e8que royale du ch\u00e2teau de Blois, car\non lit sur le feuillet de garde: _Bloys_, et au dessous: \u00abDes hystoires\net livres en fran\u00e7oys. Pul\u00ba 1\u00ba (pulpito primo).--Contre la muraille de\ndevers la court.\u00bb Au xviie si\u00e8cle, on mit sur le premier feuillet le n\u00ba\nMCCLIIII, et plus tard les n\u00bas 1052 et 7568, qui est le num\u00e9ro actuel.\nAu commencement, le chevalier, seul dans son jardin, est peint dans la\ngrande lettre, et l\u2019encadrement assez d\u00e9licat de la page, form\u00e9 de\nrinceaux, de fleurs et de fraises, offre deux M, l\u2019un rose, l\u2019autre\nbleu, et la place, malheureusement gratt\u00e9e, d\u2019un \u00e9cu d\u2019armoiries.\nLe n\u00ba 3189 du Suppl\u00e9ment fran\u00e7ois est un petit in folio sur papier,\nd\u2019une tr\u00e8s mauvaise \u00e9criture de la fin du xve si\u00e8cle. Apr\u00e8s un trait\u00e9 en\nfran\u00e7ois sur les p\u00e9ch\u00e9s et les commandements de Dieu, se trouve notre\nroman, incomplet d\u2019un ou deux feuillets, car il ne commence que dans la\npremi\u00e8re histoire, celle des deux filles de l\u2019empereur de\nConstantinople, par ces mots: \u00ab... toutes foiz qu\u2019elle s\u2019esveilla, et\npria devotement plus pour les mors que devant et ne demoura guerres que\nung grant roy de Gr\u00e8ce la feist demander, etc.\u00bb\nDans les autres biblioth\u00e8ques de Paris, je n\u2019en connois qu\u2019un manuscrit\nsur v\u00e9lin, de la fin du xve si\u00e8cle et sans importance, \u00e0 la biblioth\u00e8que\nde l\u2019Arsenal; il a \u00e9t\u00e9 indiqu\u00e9 par H\u00e6nel dans son catalogue des\nbiblioth\u00e8ques d\u2019Europe (Lipsi\u00e6, 1830, in-4\u00ba, col. 340).\nMais il n\u2019y en a pas de manuscrits qu\u2019en France, car, pendant mon s\u00e9jour\n\u00e0 Londres, j\u2019en ai pu voir et collationner un excellent, aussi bon,\nsinon m\u00eame meilleur que notre manuscrit 7403. C\u2019est sur leur\ncomparaison, et en me servant des deux, que j\u2019ai \u00e9tabli le texte que je\npublie; ils sont les deux plus anciens, contemporains l\u2019un de l\u2019autre,\net ne sont pas \u00e9crits dans un autre dialecte, ni m\u00eame avec une\northographe sensiblement diff\u00e9rente, ce qui m\u2019a permis de prendre\ntoujours la meilleure le\u00e7on donn\u00e9e par l\u2019un ou par l\u2019autre, sans\ncraindre d\u2019encourir le reproche d\u2019avoir m\u00e9lang\u00e9 des formes contraires et\nmis ensemble des choses oppos\u00e9es. Il se trouve au British Museum, dans\nla collection du roi[88], o\u00f9 il porte comme num\u00e9ro la marque: 19 c viii.\nCe manuscrit, sur parchemin, est compos\u00e9 de cahiers de huit feuillets\navec r\u00e9clames, \u00e0 33 longues lignes \u00e0 la page, offre 164 feuillets,\nchiffr\u00e9s en lettres du temps de son ex\u00e9cution. Le livre de La Tour\nLandry y occupe les feuillets 1-121; le livre de Melib\u00e9e, par Christine\nde Pisan, les feuillets 122-146, et l\u2019histoire de Griselidis les\nfeuillets 147-162. Sur deux derniers feuillets, d\u2019abord rest\u00e9s blancs,\nune main post\u00e9rieure a ajout\u00e9 _Le codicille Me Jehan de Meung_. En t\u00eate\ndu texte se trouve une miniature; le chevalier, v\u00eatu d\u2019une robe bleue \u00e0\nlongues manches et tenant un rouleau de papier sur ses genoux, est assis\nsur un banc de verdure qui fait le tour du pied d\u2019un arbre; la partie du\njardin o\u00f9 il se trouve est entour\u00e9e d\u2019une haie carr\u00e9e soigneusement\ncoup\u00e9e, et le fond n\u2019est pas un paysage, mais un treillis; quant aux\ntrois filles, toujours debout, l\u2019a\u00een\u00e9e a une robe rouge avec un col\nouvert en fraise et de tr\u00e8s longues manches ouvertes; les robes des deux\nautres sont rouges pour l\u2019une, couleur de chair pour l\u2019autre, et leurs\nmanches tr\u00e8s justes leur recouvrent presque toute la main. Le manuscrit\na d\u00fb appartenir ensuite \u00e0 quelque artiste du temps, car les feuillets\nblancs et les gardes sont couverts de tr\u00e8s l\u00e9gers croquis au crayon roux\nd\u2019hommes arm\u00e9s ou d\u2019hommes et de femmes \u00e0 cheval.\n [88] Cf. Catalogue of the manuscripts of the King\u2019s library, an\n appendix to the catalogue of the Cottonian library, by David Casey,\n deputy librarian, 1734, in-4\u00ba, p. 298.\nLa biblioth\u00e8que de Bourgogne \u00e0 Bruxelles en poss\u00e8de[89] deux manuscrits\nsur parchemin (n\u00bas 9308 et 9542); l\u2019un d\u2019eux a \u00e9t\u00e9, sous l\u2019empire, \u00e0 la\nBiblioth\u00e8que du roi (Belg. n\u00ba 115), o\u00f9 l\u2019a vu Legrand d\u2019Aussy, qui le\ncite en t\u00eate de sa notice sur le Livre des Enseignements ins\u00e9r\u00e9e dans le\n5e volume des Notices des Manuscrits; depuis il a fait retour \u00e0 la\nBiblioth\u00e8que de Bourgogne. Nous ne les connoissons pas; mais le\nmanuscrit 7403 et celui de Londres sont trop bons, et en m\u00eame temps trop\nconformes, pour qu\u2019il nous e\u00fbt \u00e9t\u00e9 n\u00e9cessaire d\u2019en consulter encore\nd\u2019autres.\n [89] Catalogue des manuscrits de la Bibl. royale des ducs de\n Bourgogne. Bruxelles, in f\u00ba, I, 1842; Extrait de l\u2019Inventaire\n g\u00e9n\u00e9ral, pages 187 et 191.\nEnfin La Croix du Maine[90] nous apprend qu\u2019il avoit aussi par devers\nlui le livre \u00e9crit \u00e0 la main, et le duc de La Valli\u00e8re en poss\u00e9doit\naussi un ms., qui forme le n\u00ba 1338 du catalogue en trois volumes (1783,\nI, p. 106): \u00ab_Le chevalier de La Tour_, in-fol., mar. rouge. Beau\nmanuscrit sur v\u00e9lin du xve si\u00e8cle, contenant 98 feuillets \u00e9crits en\nancienne b\u00e2tarde, \u00e0 longues lignes. Il est d\u00e9cor\u00e9 d\u2019une miniature, de\ntourneures et d\u2019ornements peints en or et en couleurs.\u00bb Il ne fut vendu\nque 60 livres, bien qu\u2019il f\u00fbt certainement tr\u00e8s sup\u00e9rieur comme texte\naux \u00e9ditions de Guillaume Eustace, qui se vendoient pourtant bien plus\ncher, comme on le verra tout \u00e0 l\u2019heure, car nous n\u2019avons plus \u00e0 parler\nque des \u00e9ditions et des traductions de notre auteur.\nIV.\n_Traductions et \u00e9ditions._\nJ\u2019ai dit en commen\u00e7ant qu\u2019il avoit \u00e9t\u00e9 fait deux traductions angloises\ndu livre des Enseignements. L\u2019une, la plus ancienne, qui remonte au\nr\u00e8gne de Henri VI, est in\u00e9dite et est conserv\u00e9e en manuscrit au British\nMuseum, dans le fonds Harl\u00e9ien (n\u00ba 1764. 67, C.[91]). C\u2019est un manuscrit\n\u00e0 2 colonnes de 41 lignes, d\u2019une excellente et tr\u00e8s correcte \u00e9criture,\nmalheureusement incomplet de la fin et qui a beaucoup souffert. Le\npremier feuillet a une lettre orn\u00e9e et un entourage courant, et tous les\nchapitres ont une lettre peinte. Au deuxi\u00e8me feuillet, on lit les\nsignatures de deux de ses anciens propri\u00e9taires, _Paulus Durant_ et\n_David Kellie_, \u00e9crites \u00e0 la fin du xvie si\u00e8cle et au commencement du\nsi\u00e8cle suivant; on trouve m\u00eame au feuillet 37 cette mention, de la main\nde Kellie: \u00abJames by the grace of God King of England, France and\nIreland and of Scotland and defender of the faith.\u00bb Dans son \u00e9tat\nactuel, le manuscrit a 54 feuillets et commence: \u00abIn the yere of the\nincarnacion of our lord m ccc lxxi as y was in a garden all hevi and\nfull of thought...\u00bb, et se termine dans l\u2019histoire des deux s\u0153urs (p.\n238 de notre texte), par les mots: \u00abwithoute ani wisete y clothed myself\nin warme\u00bb, suivi du mot _clothes_ comme r\u00e9clame. La traduction est\nexacte, la langue excellente et certainement bien moins tra\u00eenante et\nembarrass\u00e9e que celle de Caxton. Du reste, ceux qui voudroient avoir de\nplus complets d\u00e9tails sur cette traduction anonyme pourront en voir\nd\u2019amples fragments transcrits dans un excellent article de la premi\u00e8re\n_Retrospective Review_, publi\u00e9e \u00e0 Londres il y a une vingtaine\nd\u2019ann\u00e9es[92]. La s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 angloise paro\u00eet avoir emp\u00each\u00e9 l\u2019auteur de\nciter les histoires les plus curieuses pr\u00e9f\u00e9rablement \u00e0 celles dont\nl\u2019honn\u00eatet\u00e9 est la trop unique valeur; mais ces extraits suffisent\npleinement pour faire juger du m\u00e9rite de la traduction, et c\u2019est pour\nnous la plus utile partie de leur travail.\n [91] Nares, Catalogue of the mss. of the Harleian library, 4 vol.\n [92] Voici le titre exact de cette excellente collection, interrompue\n malheureusement peu de temps apr\u00e8s le volume o\u00f9 se trouve l\u2019article\n sur le livre des _Counsels_: The retrospective review, an historical\n and antiquarian magazine, edited by Henry Southern esq., M. A. of\n Trinity college, Cambridge, and Nicholas Harris esq., F. S. A., of\n the Inner Temple, barrister at law in-8\u00ba. New series, vol. I, 1827,\n part. II, p. 177-94.--L\u2019article a \u00e9t\u00e9 analys\u00e9 dans notre _Revue\n britannique_, 2e s\u00e9rie, t. V, 1831, p. 343-61.\nLa seconde traduction est de Caxton, le plus ancien imprimeur de\nl\u2019Angleterre, et il est curieux de voir le livre de notre auteur \u00eatre\nune des premi\u00e8res productions de la presse dans un pays \u00e9tranger. On\nsait quel nombre Caxton a publi\u00e9 de traductions du fran\u00e7ois, et il nous\nsuffit de le rappeler, car une \u00e9num\u00e9ration nous m\u00e8neroit beaucoup trop\nloin. Le livre est un in-4\u00ba, dont les cahiers, de huit feuillets chacun,\nsont sign\u00e9s aii-niiij. Il commence par une pr\u00e9face du traducteur, qui\ndit avoir entrepris cet ouvrage sur la pri\u00e8re d\u2019une grande dame qui\navoit des filles; aucun bibliographe anglois n\u2019ayant fait m\u00eame une\nsupposition sur le nom de cette protectrice du travail de Caxton, nous\nne pouvons qu\u2019imiter leur silence; nous aurions donn\u00e9 cette pr\u00e9face en\nappendice, si on ne pouvoit la voir reproduite dans l\u2019\u00e9dition des\n_Typographical antiquities_ de Jos. Ames, donn\u00e9e par Dibdin[93]. Les\ncaract\u00e8res employ\u00e9s par Caxton sont ceux dont on peut voir dans Ames le\nfacsimile d\u2019apr\u00e8s les chroniques d\u2019Angleterre[94]. C\u2019est ce caract\u00e8re\nirr\u00e9gulier, plein de lettres li\u00e9es entre elles et de m\u00eames lettres de\nformes diff\u00e9rentes, qui apporte plut\u00f4t l\u2019id\u00e9e d\u2019une \u00e9criture assez\nincorrecte que d\u2019une impression; elle est tr\u00e8s analogue \u00e0 un facsimile\ndonn\u00e9 dans Ames (p. 88) d\u2019une copie manuscrite d\u2019Ovide qu\u2019on attribue \u00e0\nCaxton. Apr\u00e8s la pr\u00e9face, qui tient le premier feuillet, et la table qui\nen tient trois, vient le texte, qui commence: \u00abHere begynneth the book\nwhiche the knyght of the toure[95] made and speketh of many fayre\nensamples and thenseygnements and techyng of his doughters.\u00bb Il se\ntermine par la mention suivante: \u00abHere fynysshed the booke which the\nknyght of the Toure made to the enseygnement and techyng of his\ndoughters translated oute of frenssh in to our maternall Englysshe\ntongue by me William Caxton, which book was ended and fynysshed the\nfirst day of Juyn the yere of oure lord m.cccc lxxx iij And emprynted at\nWestmynstre the last day of Janyuer, the first yere of the regne of\nkynge Rychard the thyrd.\u00bb On a quelquefois mis \u00e0 tort ce livre sous la\ndate de 1484; l\u2019ann\u00e9e 1483 ayant \u00e9t\u00e9 comprise entre le 30 mars et le 18\navril, et Edouard IV \u00e9tant mort le 9 avril 1483, c\u2019est bien cette ann\u00e9e\n1483 qui est la premi\u00e8re ann\u00e9e du r\u00e8gne de Richard III[96].\n [94] N\u00ba 4 de la planche de Basire portant le n\u00ba 8, et plac\u00e9e en face\n de la page 88.\n [95] Caxton ne sait pas le nom de Landry.\n [96] Dibdin, _Bibliotheca Spenceriana_, n\u00ba 857, t. IV, 1815, p. 267-8,\n avoit fait remarquer qu\u2019il falloit s\u2019en tenir \u00e0 la date de 1483;\n mais sa preuve en \u00e9toit que le commencement de l\u2019ann\u00e9e suivante\n n\u2019arriva pas avant le 25 mars, ce qui ne s\u2019accorde pas avec les\n tables chronologiques des B\u00e9n\u00e9dictins.\nLes exemplaires complets en sont, du reste, assez rares. Ames (1810) ne\ncite que trois exemplaires, celui de lord Spencer, du marquis de\nBlandford et de Sa Majest\u00e9; ce dernier est sans doute l\u2019exemplaire\ncomplet que nous avons vu au British Museum. Il y en auroit encore un\ndans la Biblioth\u00e8que publique de Cambridge et deux \u00e0 la Bodl\u00e9ienne, mais\nimparfaits tous deux d\u2019une feuille. Un exemplaire sur v\u00e9lin, marqu\u00e9 5 l.\n5 sh., chez M. Edwards, cat. de 1794, n\u00ba 1267, \u00e9toit en 1810 chez M.\nDouce; mais ce fut un prix bien vite d\u00e9pass\u00e9; ainsi l\u2019exemplaire de la\nvente de White Knights fut pay\u00e9 85 livres 1 shilling, et celui de la\nvente de Brandt, en 1807, fut achet\u00e9 111 livres 6 shillings pour lord\nSpencer[97].\n [97] Cf. _Bibl. Spenceriana._\nQuant \u00e0 la traduction m\u00eame, elle est d\u2019une incroyable fid\u00e9lit\u00e9 et d\u2019une\nsi na\u00efve exactitude, que, par ses m\u00e9prises, et il y en a, on pourroit\nreconno\u00eetre \u00e0 coup s\u00fbr le manuscrit m\u00eame suivi par Caxton, et, si on le\nrencontroit, il ne pourroit pas y avoir de doutes sur ce point, tant sa\nphrase est calqu\u00e9e sur son texte, avec un mot \u00e0 mot si fid\u00e8le que la\npuret\u00e9 de son anglois en souffre le plus souvent. Du reste, on en pourra\nbient\u00f4t juger, car M. Thomas Wright, aux publications de qui notre\nancienne litt\u00e9rature doit autant que l\u2019ancienne litt\u00e9rature de son pays,\nen va publier une r\u00e9impression exacte pour le _Warton Club_, dont il est\nun des fondateurs. Si la traduction in\u00e9dite du British Museum \u00e9toit\ncompl\u00e8te, il faudroit incontestablement la suivre, \u00e0 cause de sa\nsup\u00e9riorit\u00e9 sur celle de Caxton. On pourroit prendre le parti de\ncomposer l\u2019\u00e9dition pour les trois quarts avec la traduction in\u00e9dite et\npour la fin avec Caxton. Cependant la langue des deux traducteurs est si\ndiff\u00e9rente, qu\u2019en mettant une partie de l\u2019\u0153uvre de l\u2019un \u00e0 la suite de\nl\u2019\u0153uvre de l\u2019autre, on auroit \u00e0 craindre d\u2019arriver \u00e0 un effet trop\ndisparate, et, comme le Caxton est introuvable, les bibliophiles\npr\u00e9f\u00e9reront peut-\u00eatre en avoir la reproduction enti\u00e8re.\nEnfin j\u2019ajouterai, \u00e0 propos de l\u2019\u00e9dition de Caxton, que, si rare qu\u2019elle\nsoit maintenant, c\u2019\u00e9toit au xvie si\u00e8cle, en Angleterre, un livre qui\n\u00e9toit tout \u00e0 fait en circulation. J\u2019en donnerai pour preuve ce curieux\npassage du _Book of Husbandry_, publi\u00e9 en 1534 par Sir Anthony\nFitz-Herbert, qui avoit la charge importante de _lord chief\njustice_[98]. L\u2019appr\u00e9ciation est trop curieuse pour que je ne la\nreproduise pas en entier; parlant de la fid\u00e9lit\u00e9 qu\u2019une femme et un mari\ndoivent avoir dans les achats qu\u2019ils font au march\u00e9, il continue: \u00abJe\npourrois peut-\u00eatre montrer aux maris diverses fa\u00e7ons dont leurs femmes\nles trompent, et indiquer de m\u00eame comment les maris trompent leurs\nfemmes. Mais si je le faisois, j\u2019indiquerois de plus subtiles fa\u00e7ons de\ntromperies que l\u2019un ou l\u2019autre n\u2019en savoit auparavant. A cause de cela,\nil me semble meilleur de me taire, de peur de faire comme le chevalier\nde La Tour, qui avoit plusieurs filles, et, par l\u2019affection paternelle\nqu\u2019il leur portoit, \u00e9crivit un livre dans une bonne intention, pour les\nmettre \u00e0 m\u00eame d\u2019\u00e9viter et de fuir les vices et de suivre les vertus. Il\nleur enseigne dans ce livre comment, si elles \u00e9toient courtis\u00e9es et\ntent\u00e9es par un homme, elles devroient s\u2019en d\u00e9fendre. Et, dans ce livre,\nil montre tant de fa\u00e7ons si naturelles dont un homme peut arriver \u00e0 son\ndessein d\u2019amener une femme \u00e0 mal, et ces fa\u00e7ons pour en venir \u00e0 leur but\nsont si subtiles, si compliqu\u00e9es, imagin\u00e9es avec tant d\u2019art, qu\u2019il\nseroit difficile \u00e0 aucune de r\u00e9sister et de s\u2019opposer au desir des\nhommes. Par cedit livre, il a fait que les hommes et les femmes\nconnoissent plus de vices, de subtilit\u00e9s, de tromperies, qu\u2019ils n\u2019en\nauroient jamais connu si le livre n\u2019e\u00fbt pas \u00e9t\u00e9 fait, et dans ce livre\nil se nomme lui-m\u00eame le chevalier de La Tour. Aussi, pour moi, je laisse\nles femmes faire leurs affaires avec leur jugement.\u00bb\n [98] Je tire le passage, non du livre, n\u00e9cessairement inconnu \u00e0 un\n \u00e9tranger, mais de l\u2019article qui lui est consacr\u00e9 dans la nouvelle\n _Retrospective Review_, London, Russell-Smith, in-8\u00ba. N\u00ba 3, May\nLe jugement de lord Fitz-Herbert suffiroit \u00e0 prouver que Dibdin, pour\navoir d\u00e9crit le livre, ne l\u2019avoit pas autrement lu; car, renvoyant, dans\nles additions de Ames (I, 372), \u00e0 la notice de Legrand d\u2019Aussy, et\nfaisant allusion aux passages purement na\u00effs dont celui-ci fait des\nobsc\u00e9nit\u00e9s, Dibdin ajoutoit qu\u2019il falloit _esp\u00e9rer_ que Caxton avoit\nsaut\u00e9 de pareils passages. Je n\u2019ai pas eu le temps de v\u00e9rifier le\nCaxton, nous n\u2019en avons pas d\u2019exemplaires en France; mais je r\u00e9pondrois\n\u00e0 l\u2019avance de son honn\u00eatet\u00e9 de traducteur, qui n\u2019a pas d\u00fb se permettre\nle moindre retranchement. Seulement Dibdin, qui avoit le volume \u00e0 sa\ndisposition, auroit pu s\u2019assurer du fait et ne pas en rester \u00e0 cette\nsinguli\u00e8re esp\u00e9rance.\nLe livre eut la m\u00eame fortune en Allemagne qu\u2019en Angleterre: car il en\nparut en 1493 une traduction allemande faite par le chevalier Marquard\nvom Stein. Comme Caxton, il fut plus exact que ne le furent plus tard\nles \u00e9diteurs fran\u00e7ois, et n\u2019ajouta rien au livre des Enseignements;\nmais, plus heureuse que celle de Caxton, sa traduction fut souvent\nr\u00e9imprim\u00e9e. La premi\u00e8re \u00e9dition, in-folio, parut \u00e0 B\u00e2le, chez Michel\nFurter, sous ce titre: \u00ab_Der Ritter vom Turn, von den Exempeln der\nGotsforcht v\u00f1 erberkeit_\u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire Le Chevalier de La Tour, des\nexemples de la pi\u00e9t\u00e9 et de l\u2019honneur. En t\u00eate se trouve une pr\u00e9face du\ntraducteur, mais qui ne contient que des g\u00e9n\u00e9ralit\u00e9s de morale; nous\nferons remarquer seulement que, peut-\u00eatre par suite d\u2019une faute\nd\u2019impression ou d\u2019une diff\u00e9rence dans un manuscrit, la date de la\ncomposition du livre n\u2019est plus 1371, mais 1370. Le volume, d\u2019une\nsuperbe ex\u00e9cution, et dont le British Museum poss\u00e8de un tr\u00e8s bel\nexemplaire, a 73 feuillets et est orn\u00e9 de 45 gravures sur bois,\nr\u00e9ellement faites pour l\u2019ouvrage, bien dessin\u00e9es et bien grav\u00e9es. Le\nchevalier y est toujours repr\u00e9sent\u00e9 arm\u00e9 de pied en cap, m\u00eame dans la\ngravure initiale, o\u00f9 il est, id\u00e9e assez bizarre, repr\u00e9sent\u00e9 endormi au\npied d\u2019un arbre, pendant que ses deux filles sont debout \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de lui;\nmais, \u00e0 part cette singularit\u00e9, cette suite d\u2019_illustrations_ est tout \u00e0\nfait remarquable. Apr\u00e8s cette \u00e9dition, nous citerons les suivantes,\nd\u2019apr\u00e8s Ebert[99]: une \u00e0 Augsbourg, chez Sch\u00f6nsperger, 1498, in-folio;\nune \u00e0 B\u00e2le, chez Furter, en 1513;--Ebert disant aussi qu\u2019elle a 73\nfeuillets et des gravures sur bois, il est possible que ce soit la\npremi\u00e8re \u00e9dition avec une nouvelle date chang\u00e9e, et, dans tous les cas,\nla nouvelle en est une r\u00e9impression, o\u00f9 l\u2019on doit retrouver les m\u00eames\nbois; une \u00e0 Strasbourg, chez Knoblouch, en 1519, in-4\u00ba; enfin une autre\n\u00e0 Strasbourg, chez Cammerl\u00e4nder, en 1538, in-folio, avec des gravures\nsur bois. Il y en a sans doute eu d\u2019autres \u00e9ditions; toujours est-il que\ntout r\u00e9cemment, en 1849, le professeur allemand O.-L.-B. Wolff en a fait\nle 8e volume[100] de sa collection de romans populaires qu\u2019il a publi\u00e9e\n\u00e0 Leipzig chez Otto Wigand. Le prologue y est plus court, et l\u2019on y\nvoit, bien qu\u2019en tr\u00e8s petit nombre, quelques histoires nouvelles, celles\nde P\u00e9n\u00e9lope et de Lucr\u00e8ce, absentes de l\u2019ouvrage original, mais qui\nprouvent que, dans ses \u00e9ditions successives, la traduction de Marquard\nvom Stein a subi quelques remaniements. Le titre y est devenu: \u00abUn\nmiroir de la vertu et de l\u2019honneur des femmes et demoiselles, \u00e9crit pour\nl\u2019instruction de ses filles par le tr\u00e8s renomm\u00e9 chevalier de La Tour,\navec de belles et utiles histoires sacr\u00e9es et profanes.\u00bb\n [99] Allgemeines bibliographisches Lexikon von Friedrich Adolf Ebert.\nCe ne fut qu\u2019en 1514 que parut la premi\u00e8re \u00e9dition fran\u00e7oise, \u00e0 Paris,\nchez Guillaume Eustace[101]. C\u2019est un in-folio gothique, \u00e0 deux\ncolonnes, de xcv feuillets chiffr\u00e9s, pr\u00e9c\u00e9d\u00e9s de 3 feuillets pour le\ntitre et la table et suivis d\u2019un feuillet s\u00e9par\u00e9, au recto duquel une\ngravure en bois repr\u00e9sentant le pape, l\u2019empereur et le roi de France, et\nau verso la marque de Guillaume Eustace. Cette gravure se trouvoit d\u00e9j\u00e0\nau verso et la marque sur le recto du titre, qui est celui-ci: \u00abLe\nchevalier de la tour et le guidon des guerres, Nouvellement imprim\u00e9 \u00e0\nParis pour Guillaume Eustace, libraire du roy, Cum puillegio Regis\u00bb, et\nau bas: \u00abIlz se vendent en la rue neufue nostre Dame, \u00e0 lenseigne De\nagnus dei, ou au palais, au troisiesme pilier. Et en la rue\nsaint-iacques, \u00e0 l\u2019enseigne du crescent.\u00bb A la fin se trouve cette\nmention: \u00abCy fine ce pr\u00e9sent volume intitul\u00e9 le chevalier de la tour et\nle guidon des guerres, Imprim\u00e9 \u00e0 Paris en mil cinq cens et quatorze, le\nneufiesme iour de novembre. Pour Guillaume Eustace, libraire du roy et\njur\u00e9 de luniversit\u00e9, demourant en la rue neufve nostre-dame, \u00e0 lenseigne\nde agnus dei, ou au palais, en la grant salle du troisiesme pillier,\npr\u00e8s de la chappelle o\u00f9 len chante la messe de mes seigneurs les\npresidens. Et a le Roy, nostre sire, donn\u00e9 audit Guillaume lettres de\nprivilege et terme de deux ans pour vendre et distribuer cedit livre\naffin destre rembours\u00e9 de ses fraiz et mises. Et deffend ledit seigneur\n\u00e0 tous libraires, imprimeurs et autres du royaulme de non limprimer sus\npainne de confiscation desditz livres et damende arbitraire jusques\napr\u00e8s deux ans passez et acomplis \u00e0 compter du iour et date cy dessus\nmis que ledit livre a est\u00e9 acheu\u00e9 d\u2019imprimer.\u00bb\n [101] La Croix du Maine (_Biblioth\u00e8que fran\u00e7oise_, \u00e9dit. de 1772, I,\n 161 et 277) ne parle que de cette \u00e9dition, sur la foi de laquelle il\n a dit que le _Guidon des guerres_ \u00e9toit de notre auteur.\nLe texte des Enseignements, dans cette \u00e9dition de Guillaume Eustace,\noccupe les feuillets i \u00e0 lxxii; les feuillets lxxiii \u00e0 lxxxv sont\noccup\u00e9s par le livre de Melib\u00e9e et de Prudence, que l\u2019\u00e9diteur a trouv\u00e9,\ncomme on le voit dans le manuscrit de Londres et celui de Paris (7073\u00b9),\n\u00e0 la suite de celui dont il s\u2019est servi; mais, avec peu de scrupule et\npour bien donner au chevalier de La Tour le livre de M\u00e9lib\u00e9e, sur lequel\nnous n\u2019avons rien \u00e0 dire ici, tant il est maintenant connu, il a \u00e9crit\nun raccordement par lequel il met M\u00e9lib\u00e9e dans la bouche du chevalier.\nEnfin, les feuillets lxxxv \u00e0 xcv offrent le Guidon des guerres \u00abfait par\nle chevalier de La Tour\u00bb, ouvrage de strat\u00e9gie qu\u2019un autre\nraccordement[102] de Guillaume Eustace met aussi dans la bouche du\nchevalier. Il formoit probablement la troisi\u00e8me partie du manuscrit\nsuivi par Guillaume Eustace, et n\u2019est nullement du chevalier de la\nTour[103].\n [102] Le raccordement est d\u2019autant mieux fait qu\u2019on le fait parler de\n ses fils: \u00abAffin que tous nobles hommes et mesmement vos fr\u00e8res,\n quand ils se trouveront entre vous, en voyant cestuy livre y\n puissent aussi bien que vous prendre quelque doctrine... J\u2019ay,\n touchant le fait des armes, cy en la fin mis ung petit traict\u00e9\n appell\u00e9 le _Guidon des guerres_, lequel jadis je redigeai par\n l\u2019ordonnance de mon souverain seigneur le tr\u00e8s chr\u00e9tien roy de\n France...\u00bb\n [103] Comme le dit M. P. Paris (_Man. fran\u00e7ois_, V, 85-6), il est\n \u00e9tonnant que les bibliographes n\u2019aient pas remarqu\u00e9 la fausset\u00e9\n d\u2019attribution de ces deux ouvrages. Debure (Catal. La Valli\u00e8re, I,\n 406), cataloguant l\u2019imprim\u00e9 \u00e0 la suite d\u2019un ms., avoit, sans nier\n l\u2019attribution, fait remarquer que le _Guidon_ ne se trouvoit pas\n dans celui-ci.\nLe texte est orn\u00e9 de gravures sur bois, mais, moins soigneux que\nl\u2019\u00e9diteur allemand, Eustace a employ\u00e9 bon nombre de bois tout faits,\ndont quelques uns se rapportent tr\u00e8s peu au sujet qu\u2019ils sont destin\u00e9s \u00e0\npr\u00e9senter aux yeux. Dans les exemplaires sur papier le format est tr\u00e8s\npetit in-folio; dans ceux sur v\u00e9lin, la justification a \u00e9t\u00e9 r\u00e9impos\u00e9e,\net le volume est plus grand. La Biblioth\u00e8que en poss\u00e8de un superbe\nexemplaire, avec 27 miniatures, que M. Van Pra\u00ebt[104] dit avoir pass\u00e9\ndans les ventes de Pajot, comte d\u2019Onsembray (n\u00ba 527, 240 l. 19 s.), de\nGirardot de Pr\u00e9fond (n\u00ba 890, 193 l.), de Gaignat (n\u00ba 2253, 200 l.), de\nLa Valli\u00e8re (n\u00ba 1339, 300 l.), de Mac Carthy (n\u00ba 1549, 615 l.). M.\nBrunet (I, 649) paro\u00eet traiter comme le m\u00eame celui qu\u2019il indique comme\nvendu chez Morel Vind\u00e9 631 fr., et chez Hibbert, 33 livres, 12 shilings.\n [104] Van Pra\u00ebt, Livres sur v\u00e9lin de la biblioth\u00e8que du roi, t. IV, n\u00ba\n 388, p. 263-4. Ebert nous apprend qu\u2019il y en avoit aussi un\n exemplaire sur v\u00e9lin dans l\u2019ancienne biblioth\u00e8que d\u2019Augsbourg. Ce\n doit \u00eatre celui que M. Van Pra\u00ebt indique comme vu par Gercken\n (Reisen, I, 262) et par Hirsching (Reisen, II, 180) chez les fr\u00e8res\n Veith, \u00e0 Augsbourg. Un troisi\u00e8me exemplaire devroit s\u2019en trouver\n dans la biblioth\u00e8que de Gen\u00e8ve (Van Pra\u00ebt, 264).\nComme texte, il faut reconno\u00eetre, \u00e0 la louange de Guillaume Eustace,\nque, pour un \u00e9diteur du seizi\u00e8me si\u00e8cle, il pourroit avoir fait bien\nplus de modifications. Le prologue est beaucoup moins en vers,\nl\u2019orthographe est modernis\u00e9e; mais le texte a certainement \u00e9t\u00e9 plus\nrespect\u00e9 qu\u2019il ne l\u2019\u00e9toit d\u2019ordinaire \u00e0 cette \u00e9poque. La seconde\nimpression, qui doit cependant avoir \u00e9t\u00e9 faite sur celle-ci, est au\ncontraire pleine de fautes grossi\u00e8res, \u00e0 ce que me dit un juge tr\u00e8s\ncomp\u00e9tent, qui l\u2019a eue entre les mains. Elle est in-4\u00ba de 208 pages, y\ncompris 6 pages de table. Elle a un frontispice repr\u00e9sentant un\nchevalier arm\u00e9, un genou en terre, et a pour titre: \u00abS\u2019ensuit le\nchevalier de La Tour et le Guidon des guerres, avec plusieurs autres\nbelles exemples, imprim\u00e9s nouvellement par la veuve Jehan\nTrepperel[105].\u00bb M. Brunet, qui la dit gothique et nous apprend qu\u2019elle\na \u00e9t\u00e9 vendue, chez Heber, 6 livres 15 shillings, ajoute \u00abet Jehan\nJehannot\u00bb, apr\u00e8s le nom de la veuve Trepperel. M. Bertin en poss\u00e9doit un\nexemplaire qui, \u00e0 sa vente (1853, n\u00ba 123), a \u00e9t\u00e9 adjug\u00e9 au prix de 780\nfr.\n [105] _Bulletin du Bibliophile_, 1re s\u00e9rie, n\u00ba 14, f\u00e9vrier 1835, p.\nApr\u00e8s avoir examin\u00e9 successivement, comme je l\u2019avois promis, la\nbiographie et l\u2019\u0153uvre du chevalier, ainsi que les manuscrits et les\n\u00e9ditions de son livre, je lui laisse enfin la parole, en m\u2019excusant de\nla longueur \u00e0 laquelle ces d\u00e9veloppements sont arriv\u00e9s. Mais si, dans un\ntravail d\u2019ensemble sur notre ancienne litt\u00e9rature, l\u2019ouvrage du\nchevalier de La Tour peut n\u2019\u00eatre cit\u00e9 qu\u2019en passant, tous les\nrenseignements qui s\u2019y rapportent devoient \u00eatre r\u00e9unis dans un essai qui\nlui est sp\u00e9cialement consacr\u00e9 et qui se trouve en t\u00eate de son livre.\nCy commence la table du livre intitul\u00e9 du chevalier de la Tour, qui fut\nfait pour l\u2019enseignement des femmes mari\u00e9es et \u00e0 marier.\n Le premier chappitre contient le prologue. 1\n Le second chappitre parle de ce que on doit faire quant on\n Le tiers chappitre parle de deux chevaliers qui amoient deux\n Le quart chappitre parle d\u2019une damoiselle que un seigneur vouloit\n Le quint, que on doit faire quant on est lev\u00e9. 10\n Le VIe, de deux filles d\u2019un chevalier, dont l\u2019une estoit devotte et\n Le VIIe, comment les femmes et les filles doivent jeuner. 14\n Le VIIIe, d\u2019une folle femme qui ch\u00e9y en un puis. 16\n Le IXe, d\u2019une bourgeoise qui mouru et n\u2019avoit os\u00e9 confessi\u00e9 son\n Le Xe, comment toutes femmes doivent \u00eatre courtoises. 22\n Le XIe, comment elles se doyvent contenir sans virer la teste \u00e7\u00e0 ne\n Le XIIe, de la fille du roy de Dannemarche, qui perdit le roy\n d\u2019Angleterre par sa folle contenance. 25\n Le XIIIe, de celle que le chevalier de la Tour refusa pour sa legi\u00e8re\n Le XIIIIe chappitre parle comment la fille du roy d\u2019Arragon par sa\n folle mani\u00e8re perdy le roi d\u2019Espaigne. 30\n Le XVe, de celles qui estrivent les unes aux autres. 32\n Le XVIe, de celle qui menga l\u2019anguille. 35\n Le XVIIe, comment nulle femme ne doit estre jalouse. 36\n Le XVIIIe, de la bourgeoise qui se fist ferir par son oultraige. 40\n Le XIXe, de celle qui sailly sus la table. 41\n Le XXe, de celle qui donna la chair aux chiens. 44\n Le XXIe, du debat qui fut entre le sire de Beaumanoir et une\n Le XXIIe, comment il fait perilleux \u00e0 estriver \u00e0 gens s\u00e7avans, et\n parle de la dame qui prist ten\u00e7on au mareschal de Clermont. 50\n Le XXIIIe, de Bouciquaut et des trois dames. 51\n Le XXIIIIe, de trois autres dames qui vouldrent tuer un\n Le XXVe, de celles qui vont voulentiers aux joustes et aux\n Le XXVIe chappitre parle de celles qui ne veullent vestir leurs bonnes\n Le XXVIIe parle de la suer saint Bernart. 61\n Le XXVIIIe, de celles qui ne font que gengler \u00e0 l\u2019eglise. 63\n Le XXIXe, de saint Martin de Tours et de saint Brice et du\n Le XXXe, de celle qui perdy \u00e0 ouir la messe. 66\n Le XXXIe, d\u2019une dame qui employoit le quart du jour pour soy\n Le XXXIIe de celles qui oyent voulentiers la messe. 71\n Le XXXIIIe, de la bonne contesse qui tous les jours vouloit ouir trois\n Le XXXIIIIe chappitre parle de celles qui vont en pelerinaiges sans\n Le XXXVe, de ceulx qui firent fornication en l\u2019eglise. 80\n Le XXXVIe, du moine qui fist fornication en l\u2019eglise. 81\n Le XXXVIIe, des mauvais exemplaires et des malices de ce monde. 82\n Le XXXVIIIe, des bons exemplaires du monde. 83\n Le XXXIXe, de Eve notre premi\u00e8re m\u00e8re et de ses folies. 85\n Le XLe chapitre contient la tierce folie de Eve. 88\n Le XLIe fait mention de la quarte folie de Eve. 89\n Le XLVIIe, d\u2019un saint preudomme evesque qui prescha sur les\n Le XLVIIIe, de celles qui cheyrent en la boue. 100\n Le XLIXe, d\u2019une damoyselle qui portoit haulx cuevre chiefs. 102\n Le Le parle d\u2019un chevalier qui eut trois femmes et comment sa premi\u00e8re\n Le LIe, de la seconde femme du chevalier et comment elle fut\n Le LIIe, de la tierce femme du chevalier et des tourmens qu\u2019elle\n Le LIIIe, d\u2019une grant baronnesse et des tourmens que l\u2019ennemy lui\n Le LVe chappitre parle des filles Loth. 115\n Le LVIIIe, de la femme du prince Pharaon. 120\n Le LXIe, de Thomar, la fille du roy David. 125\n Le LXIIe, d\u2019un bon homme qui estoit cordier. 126\n Le LXIIIe parle du pechi\u00e9 d\u2019orgueil et de Apemena la royne de\n Le LXIIIIe chappitre parle de la royne Vastis. 134\n Le LXVIe chappitre parle de la royne Gesabel. 138\n Le LXVIIe, de Athalia, la royne de Jherusalem, et de Bruneheust, la\n Le LXVIIIe chapitre parle d\u2019envie, et de Marie, la suer Moyse. 142\n Le LXIXe parle des femmes Archaria. 143\n Le LXXe parle de convoitise et de Dalida, la femme Sampson. 144\n Le LXXIe chappitre parle de courroux et d\u2019une damoyselle de\n Le LXXIIe chappitre parle d\u2019une dame qui ne vouloit venir au mandement\n Le LXXIIIe chappitre parle de flatterie. 149\n Le LXXIIIIe chappitre parle de descouvrir le conseil de son\n Le LXXVe chappitre parle de desdaing, et de Michol, la femme\n Le LXXVIe chappitre parle de soy pignier devant les gens. 154\n Le LXXVIIe chappitre parle de fole requeste et puis de la m\u00e8re David,\n Le LXXVIIIe chappitre parle de trayson. 156\n Le LXXIXe chapitre parle de rappine. 157\n Le IIIIxxe chappitre parle de patience, et de Anna, la femme Thobie,\n Le IIIIxx et Ie chappitre parle de laissier son seigneur et de\n Herodias que le roy Herodes fortray \u00e0 son fr\u00e8re. 161\n Le IIIIxxIIe chappitre. Cy laisse \u00e0 parler des mauvaises femmes, et\n parlera des bonnes et de leur bon gouvernement, et comment\n l\u2019escripture les loue; et premi\u00e8rement de Sarra, la femme de\n Le IIIIxxIIIe chappitre parle de Rebecca. 163\n Le IIIIxxIIIIe chappitre parle de Lia, la femme Jacob. 165\n Le IIIIxxVe chappitre parle de Rachel. 167\n Le IIIIxxVIe chappitre parle de la royne de Chippre. 168\n Le IIIIxxVIIe chappitre parle de la vertu de charit\u00e9 et de la fille du\n Le IIIIxxVIIIe chappitre parle d\u2019une bonne femme de Jherico, appell\u00e9e\n Raab, et puis de saincte Anataise, et puis de saincte\n Le IIIIxxIXe chappitre parle d\u2019abstinence et parle du p\u00e8re et de la\n Le IIIIxxXe chappitre parle de aprendre sagesce et clergie. 176\n Le IIIIxxXIe chappitre parle de Ruth. 179\n Le IIIIxxXIIe chappitre parle de soustenir son seigneur. 180\n Le IIIIxxXIIIe chappitre parle de adoulcir l\u2019ire de son\n Le IIIIxxXIIIIe chappitre parle de querre conseil. 183\n Le IIIIxxXVe chappitre parle d\u2019une preude femme. 185\n Le IIIIxxXVIe chappitre parle de Sarra, la femme Thobie. 187\n Le IIIIxxXVIIe chappitre parle de la royne Hester. 189\n Le IIIIxxXVIIIe chappitre parle de Susanne, la femme Joachim. 191\n Le IIIIxxXIXe chappitre. Cy commence \u00e0 parler des femmes du nouvel\n testament, et premierement de saincte Helizabeth, m\u00e8re de saint\n Le centiesme chappitre parle de saincte Marie Magdaleine. 194\n Le CIe chappitre parle de deux bonnes dames, femmes \u00e0\n Le CIIe chappitre parle de saincte Marthe, suer \u00e0 la\n Le CIIIe chappitre parle des bonnes dames qui plouroyent apr\u00e8s nostre\n seigneur quant il portoit la croix. 199\n Le CIIIIe chappitre parle de pechi\u00e9 d\u2019yre et puis d\u2019une bourgoyse qui\n ne vouloit pardonner ce que une femme luy avoit meffait. 201\n Le CVe chappitre parle comment les dames doyvent venir \u00e0 l\u2019encontre de\n leurs amis quant ilz les viennent veoir \u00e0 leur hostel. 204\n Le CVIe chappitre parle de l\u2019exemple de piti\u00e9 et comment un chevalier\n fist champ de bataille, pour une pucelle delivrer de mort. 206\n Le CVIIe chappitre parle des trois Maries. 208\n Le CVIIIe chappitre parle du saige. 210\n Le CIXe chappitre parle de Nostre-Dame. 212\n Le CXe chappitre parle de l\u2019umilit\u00e9 Nostre-Dame. 214\n Le CXIe chappitre parle de la piti\u00e9 Nostre-Dame. 216\n Le CXIIe chappitre parle de la charit\u00e9 Nostre-Dame. 218\n Le CXIIIe chappitre parle de la royne Jehanne de France. 220\n Le CXIIIIe chappitre parle de plusieurs dames vefves. 221\n Le CXVe chappitre parle d\u2019un simple chevalier qui espousa une grant\n Le CXVIe chappitre parle de bonne renomm\u00e9e. 225\n Le CXVIIe chappitre parle comment on doit croire les anciens. 227\n Le CXVIIIe chappitre parle des anciennes coustumes. 229\n Le CXIXe chappitre parle comment nostre Seigneur loue les bonnes\n Le VIxx chappitre parle de la fille d\u2019un chevalier qui perdy \u00e0 estre\n Le VIxxIe chappitre parle de messire Fouques de Laval qui alla veoir\n Le VIxxIIe chappitre parle des Gallois et des Galloises. 241\n Le VIxxIIIe chappitre parle comment on ne doit pas croyre trop\n Le VIxxIIIIe chappitre parle du debat qui fut entre le chevalier de\n Latour et sa femme sur le fait de amer par amour. 246\n Le VIxxVe chappitre parle de la dame qui esprouva l\u2019hermite. 266\n Le VIxxVIe chappitre parle d\u2019une dame qui estoit riche\n Le VIxxVIIe chappitre parle d\u2019une dame honnourable. 274\n Le VIxxVIIIe chappitre parle des trois enseignements que Cathon dist \u00e0\n Cathonnet, son filz, et comment Cathon essaya sa femme. 277\nCy fine la table du livre compos\u00e9 par le chevalier de la Tour.\nLE LIVRE\nDU\nCHEVALIER DE LA TOUR\nCy commence le livre du chevalier de La Tour pour l\u2019enseignement de ses\nfilles.\nEt premierement le Prologue.\nL\u2019an mil trois cens soixante et onze, en un jardin estoye sous l\u2019ombre,\ncomme \u00e0 l\u2019issue d\u2019avril, tout morne et tout pensiz: mais un pou me\nresjouy du son et du chant que je ouy de ces oysillons sauvaiges qui\nchantoyent en leurz langaiges, le merle, la mauvis et la mesange, qui au\nprintemps rendoient louanges, qui estoient gaiz et envoisiez. Ce doulz\nchant me fit envoisier et mon cuer sy esjoir que lors il me va souvenir\ndu temps pass\u00e9 de ma jeunesce, comment amours en grant destresce\nm\u2019avoient en ycellui temps tenu en son service, o\u00f9 je fu mainte heure\nliez et autre dolant, si comme elle fait \u00e0 maint amant. M\u00e8s tous mes\nmaulx me guerredonna pour ce que belle et bonne me donna, qui de honneur\net de tout bien s\u00e7avoit et de bel maintien et de bonnes m\u0153urs, et des\nbonnes estoit la meillour, se me sembloit, et la fleur. En elle tout me\ndelitoye; car en cellui temps je faisoye chan\u00e7ons, laiz et rondeaux,\nbalades et virelayz, et chans nouveaux, le mieulx que je savoye. Mais la\nmort qui tous guerroye, la prist, dont mainte douleur en ay receu et\nmainte tristour. Si a plus de xx ans que j\u2019en ay est\u00e9 triste et doulent.\nCar le vray cuer de loyal amour, jamais \u00e0 nul temps ne \u00e0 nul jour, bonne\namour ne oubliera et tous diz lui en souviendra.\nEt ainsi, comme en cellui temps je pensoye, je regarday emmy la voye, et\nvy mes filles venir, desquelles je avoye grant desir que \u00e0 bien et \u00e0\nhonneur tournassent sur toutes riens; car elles estoyent jeunes et\npetites et de sens desgarnies. Si les devoit l\u2019en tout au commencement\nprendre \u00e0 chastier courtoisement par bonnes exemples et par doctrines,\nsi comme faisoit la Royne Prines, qui fu royne de Hongrie, qui bel et\ndoulcement s\u00e7avoit chastier ses filles et les endoctriner, comme contenu\nest en son livre. Et pour ce, quant je les vy vers moy venir, il me va\nlors souvenir du temps que jeune estoye et que avecques les compaignons\nchevauchoie en Poitou et en autres lieux. Et il me souvenoit des faiz et\ndes diz que ilz me recordoient que ilz trouvoient avecques les dames et\ndamoyselles que ilz prioient d\u2019amours; car il n\u2019estoit nulz jours que\ndame ou damoiselle peussent trouver que le plus ne voulsissent prier,\net, sy l\u2019une n\u2019y voulsist entendre, l\u2019autre priassent sans attendre. Et\nse ilz eussent ou bonne ou male responce, de tout ce ne faisoyent-ilz\ncompte; car paour ne honte n\u2019en avoient, tant en estoient duiz et\naccoustumez, tant estoyent beaux langagiers et emparlez. Car maintes\nfoiz vouloient partout desduit avoir, et ainsi ne faisoient que decevoir\nles bonnes dames et demoiselles, et compter partout les nouvelles, les\nunes vraies, les aultres men\u00e7onges, dont il en advint mainte honte et\nmaint villain diffame sanz cause et sanz raison. Et il n\u2019est ou monde\nplus grant trayson que de decevoir aucunes gentilz femmes, ne leur\naccroistre aucun villain blasme; car maintes en sont deceues par les\ngrans seremens dont ilz usent. Dont je me d\u00e9baty maintes foys \u00e0 eulx et\nleur disoie: \u00abComment estes-vous telz qui ainsi souvent vous parjurez?\ncar \u00e0 nulle, forz \u00e0 une, tendre ne devez.\u00bb Mais nulz n\u2019y mettroit arroy,\ntant sont plains de desarroy. Et, pour ce que je vis celuy temps dont je\ndoubte que encore soit courant, je me pensay que je feroye un livret, o\u00f9\nje escrire feroye les bonnes meurs des bonnes dames et leurs biens faiz,\n\u00e0 la fin de y prendre bon exemple et belle contenance et bonne mani\u00e8re,\net comment pour leurs bont\u00e9s furent honnour\u00e9es et lou\u00e9es et seront aussi\n\u00e0 tousjoursmaiz pour leurs bont\u00e9s et leurs biens faiz, et aussi par\ncelle mani\u00e8re feray-je escrire, poindre, et mettre en ce livre le\nmehaing des maulvaises deshonnestes femmes, qui de mal us\u00e8rent et eurent\nblasmes, \u00e0 fin de s\u2019en garder du mal o\u00f9 l\u2019en pourroit errer comme celles\nqui encore en sont blasm\u00e9es, et honteuses et diffam\u00e9es. Et pour cestes\ncauses que j\u2019ay dessus dictes, je pensay que \u00e0 mes filles, que je v\u00e9oie\npetites, je leur feroye un livret pour aprendre \u00e0 roumancer, affin que\nelles peussent aprendre et estudier, et veoir et le bien et le mal qui\npass\u00e9 est, pour elles garder de cellui temps qui \u00e0 venir est. Car le\nmonde est moult dangereux et moult envyeulx et merveilleux; car tel vous\nrit et vous fait bel devant qui par derri\u00e8re s\u2019en va bourdant. Pour ce\nforte chose est \u00e0 congnoistre le monde qui \u00e0 present est, et pour cestes\nraysons que dict vous ay, du vergier je m\u2019en alay et trouvay enmy ma\nvoye deux prestres et deux clers que je avoye, et leur diz que je\nvouloye faire un livre et un exemplaire pour mes filles aprandre \u00e0\nroumancier et entendre comment elles se doyvent gouverner et le bien du\nmal dessevrer. Si leur fiz mettre avant et traire des livres que je\navoye, comme la Bible, Gestes des Roys et croniques de France, et de\nGr\u00e8ce, et d\u2019Angleterre, et de maintes autres estranges terres; et\nchascun livre je fis lire, et l\u00e0 o\u00f9 je trouvay bon exemple pour\nextraire, je le fis prendre pour faire ce livre, que je ne veulx point\nmettre en rime, ain\u00e7oys le veulz mettre en prose, pour l\u2019abr\u00e9gier et\nmieulx entendre, et aussi pour la grant amour que je ay \u00e0 mes enfans,\nlesquelz je ayme comme p\u00e8re les doit aimer, et dont mon cuer auroit si\nparfaite joye se ils tournoyent \u00e0 bien et \u00e0 honnour en Dieu servir et\namer, et avoir l\u2019amour et la grace de leurs voysins et du monde. Et pour\nce que tout p\u00e8re et m\u00e8re selon Dieu et nature doit enseignier ses enfans\net les destourner de male voye et leur monstrer le vray et droit chemin,\ntant pour le sauvement de l\u2019ame et l\u2019onnour du corps terrien, ay-je fait\ndeux livres, l\u2019un pour mes filz et l\u2019autre pour mes filles, pour\naprendre \u00e0 rommancier, et en aprenant ne sera pas que il ne retiengnent\naucune bonne exemplaire, ou pour fouir au mal ou pour retenir le bien;\ncar il sera mie que aucunes foiz il ne leur en souviengne d\u2019aucun bon\nexemple ou d\u2019aucun bon enseignement, selonc ce qu\u2019ilz cherront en taille\nd\u2019aucuns parlans sur celles mati\u00e8res.\nLe premier Chappitre.\nEt c\u2019est moult belle chose et moult noble que de soy mirer ou mirouoir\ndes anciens et des anciennes histoires qui ont \u00e9t\u00e9 escriptes de nos\nancesseurs pour nous monstrer bons exemples et pour nous advertir comme\nnous v\u00e9ons le bien fait que ilz firent, ou de eschever le mal comme l\u2019en\npuet veoir que ilz eschev\u00e8rent. Sy parlay ainsy et leur diz: Mes chi\u00e8res\nfilles, pour ce que je suiz bien vieulx et que j\u2019ay veu le monde plus\nlonguement que vous, vous veuil-je monstrer une partie du si\u00e8cle, selon\nma science qui n\u2019est pas grant; mais la grant amour que j\u2019ay \u00e0 vous, et\nle grant desir que j\u2019ay que vous tournez vos cuers et vos pens\u00e9es \u00e0 Dieu\ncraindre et servir, pour avoir bien et honneur en ce monde et en\nl\u2019autre, car pour certain tout le vray bien et honneur, garde et\nhonestet\u00e9 de homme et de femme vient de luy et de la grace de son saint\nesperit, et si donne longue vie et courte \u00e8s choses mondaines et\nterriennes, telles comme il luy plaist, car du tout chiet \u00e0 son plaisir\net \u00e0 son ordonnance, et aussy guerredonne tout le bien et le service que\non luy a fait \u00e0 cent doubles, et pour ce, mes chi\u00e8res filles, fait-il\nbon servir tel seigneur, qui \u00e0 cent doubles rent et guerredonne.\nCy parle de ce qu\u2019on doit faire quand on est lev\u00e9.\nLe second Chappitre.\nEt pour ce la premi\u00e8re \u0153uvre et labeur que homme ne femme doit faire, si\nest entrer et dire son service; c\u2019est \u00e0 entendre que, d\u00e8s ce que on\ns\u2019esveille, alors le recongnoistre \u00e0 seigneur et \u00e0 createur, c\u2019est\nassavoir dire ses heures et oroysons, et, se ilz sont clers, luy rendre\ngraces et louenges, comme de dire: Laudate Dominum, omnes gentes,\nbenedicamus patrem et filium, et dire choses qui rendent graces et\nmercis \u00e0 Dieu; car plus haulte et saincte chose est de gracier et\nmercier Dieu que le requerre, car requerre demande don ou guerredon, et\nrendre graces et louenges est service et le mestier des anges, qui\ntouzjours rendent graces \u00e0 Dieu, honneur et louanges; car Dieu fait\nmieulx \u00e0 gracier et mercier que \u00e0 requerre, pour ce que il scet mieulx\nqu\u2019il fault \u00e0 homme et \u00e0 femme que ils ne scevent eulx meismes. Apr\u00e8s le\ndoit l\u2019en prier pour les mors avant que l\u2019en s\u2019endorme, et aussi les\nmors prient Dieu pour ceulx qui prient pour eulx, et non oublier la\ndoulce vierge Marie, qui jour et nuit prie pour nous, et soy recommander\n\u00e0 ses sains et \u00e0 ses sainctes, et ce fait, l\u2019on se puet bien endormir;\ncar ainsi l\u2019en le doit faire, toutes foys que l\u2019en s\u2019esveille, et ne\ndoit l\u2019en pas oublier les mors. Je vous en diray un exemple comment il\nest bon de prier Dieu et gracier pour les morts toutes les foiz que l\u2019on\ns\u2019esveille.\nDe deux chevaliers qui amoient deux suers.\nChappitre IIIe.\nComme il est contenu \u00e8s histoires de Constantinnoble que un empereur\navoit deux filles, dont la plus juenne estoit de bonnes meurs, et amoit\nDieu et le adouroit, toutes foiz qu\u2019elle s\u2019esveilloit, et prioit pour\nles mors. Si couchoient en un lict elle et sa suer ainsn\u00e9e, et quant\nl\u2019ainsn\u00e9e s\u2019esveilloit, et elle ouoit \u00e0 sa suer dire ses heures, elle\ns\u2019en mocquoit et l\u2019en bourdoit, lui disoit que elle ne la laissoit\ndormir. Dont il advint que jonnesse et la grant aaise o\u00f9 elles estoient\nnourries leur fist amer deux chevalliers fr\u00e8res, moult beaux et moult\ngens, et tant dur\u00e8rent leurs plaisirs et leurs amours qu\u2019elles se\ndescouvrirent l\u2019une \u00e0 l\u2019autre de leurs amourettes, et tant qu\u2019elles\nmistrent aux deux chevalliers certaines heures pour venir \u00e0 elles par\nnuit priv\u00e9ement. Et quant celui qui devoit venir \u00e0 la plus juenne cuida\nentrer entre les courtines, il lui sembla qu\u2019il veist plus de mille\nhommes en suaires qui estoient environ la demoiselle. Si en eut si grant\nhideur et si grant paour qu\u2019il en fut tous effrayez, dont la fi\u00e8vre le\nprist et fut malades au lit. Maiz \u00e0 l\u2019autre chevalier ne avint pas\nainsi, car il entra entre les courtines et en\u00e7ainta la fille ainsn\u00e9e de\nl\u2019Empereur. Et quant l\u2019Empereur sceut quelle fut grosse, il la fist\nnoyer par nuit et le chevalier fist escorchier. Et ainsi par celui faulx\ndelit morurent tous deux. Maiz l\u2019autre fille fut sauv\u00e9e par ainsi comme\nje vous ay dit et diray. Quant vint \u00e0 lendemain l\u2019en disoit par tout que\nle chevalier estoit malade au lit; celle par qui le mal lui fust prins\nle vint veoir et lui demanda comment le mal lui estoit prins. Si luy en\ndist la verit\u00e9, comment il se cuida bouter \u00e8s courtines, et il vit \u00e0\nmerveille grant nombre de gens en suaires environ elle, dont, ce\ndist-il, si grant paour et hideur me print que a pou que je n\u2019enraigay,\net encores en suis-je tout effray\u00e9. Et quant la damoiselle oyst la\nverit\u00e9, si en fust toute esmerveill\u00e9e, et mercia Dieu moult humblement,\nqui sauv\u00e9e l\u2019avoit d\u2019estre p\u00e9rie et deshonour\u00e9e, et d\u00e8s l\u00e0 en avant elle\naoura et loua Dieu toutes foiz qu\u2019elle s\u2019esveilla et pria moult\ndoucement pour les mors plus que devant, et se tint chastement et\nnettement, et ne demeura gaires que un grant roy de Gr\u00e8ce la fist\ndemander \u00e0 son p\u00e8re, et il luy donna, et fust depuis bonne dame et de\nnotte, et de moult grant renomm\u00e9e. Et ainsi fut sauv\u00e9e pour aourer et\ngracier Dieu et pour prier pour les deffuncts. Et sa suer ainsn\u00e9e, qui\nse mocquoit et se bourdoit, elle fut morte et deshounor\u00e9e, et pour ce,\nmes chi\u00e8res filles, souviengne vous de cest exemple, toutes foiz que\nvous esveillerez, et ne vous endormez jusques \u00e0 ce que vous ayez pri\u00e9\npour les deffuns comme faisoit la fille l\u2019empereur.\nEt encores vouldroye-je que vous sceussiez l\u2019exemple d\u2019une damoiselle\nque un grant seigneur vouloit avoir, par beau ou par laist, \u00e0 faire sa\nvoulent\u00e9 et son fol plaisir.\nCy parle d\u2019une damoiselle que un grant seigneur vouloit violer.\nChappitre IIIIe.\nDont il advint que cellui seigneur la fist espier en un jardin o\u00f9 elle\nestoit reposte et muc\u00e9e pour la paour de lui. Si estoit en un fort\nbuisson et disoit vigilles des mors, et le grant seigneur par ses espies\nentra ou jardin et la vist. Si cuida tantost accomplir son fol delit;\nmais, quant il cuida touchier \u00e0 elle, il lui sambla qu\u2019il veist plus de\nx mil hommes ensepveliz qui la gardoyent. Si eut paour et s\u2019en tourna en\nfuyant et lui manda que, pour certain, jamaiz il ne la poursuivroit de\ntel fait, et qu\u2019elle avoit trop grant compaignie \u00e0 la garder. Et depuis\nparla avecques elle et lui demanda qui estoit la grant compaignie qui\nestoit avec elle de gens ensepveliz; et elle lui dist qu\u2019elle ne savoit,\nfors que \u00e0 ceste heure que il vint elle disoit vigille des mors. Sy\npensa bien que ce furent ceulx qui la gardoient. Et pour ce est bel\nexemple de prier pour eulx \u00e0 toutes heures.\nCy parle de ce que on doit faire quand on se li\u00e8ve.\nChappitre Ve.\nBelles filles, quant vous prendr\u00e9s \u00e0 vous lever, si entrez au service du\nhault seigneur et commanci\u00e9s vos heures. Ce doit estre vostre premier\nlabeur et vostre premier fait, et, quant vous les dir\u00e9s, dictes-les de\nbon cuer et ne pensez point ailleurs que vous puissiez; car vous ne\npourriez aler deux chemins \u00e0 un coup, ou vous yrez l\u2019un, ou vous yrez\nl\u2019autre. Ainsi est-il du service de Dieu. Car, si comme dit le saige en\nsa sapience, autant vault celui qui oit et riens n\u2019entent comme celluy\nqui chasce et riens ne prent; et, pour tant, cellui qui pense \u00e8s choses\nterriennes, et dit paternostres et oroisons qui touchent choses\ncelestielles, c\u2019est un fait contraire et une chose qui riens ne\nprouffite; ce n\u2019est fors que \u00e0 mocquer Dieu, et pour ce dit la Saincte\nEscripture que la briefve oroison perce le ciel. Mais c\u2019est \u00e0 entendre\nque plus vault une briefve oraison courte dicte de bon cuer et\ndevotement que unes grandes heures et longues et penser ailleurs, ou que\nautres qui parlent d\u2019aucunes choses leurs heures disant. Mais toutes\nvoyes qui plus en dist devottement et plus vault et en a l\u2019en plus de\nmerittes. Et encores dist la Saincte Escripture que, tout ainsi comme la\ndoulce rous\u00e9e d\u2019avril et de may plaist \u00e0 la terre et l\u2019adoulcist, et la\nfait germer et fructifier, tout ainsi plaisent les heures et les\noroisons \u00e0 Dieu, dont vous trouverez, en plusieurs lieux et legendes des\nsains confesseurs, des vierges et des saintes dames, qu\u2019ilz faisoient\nleurs litz de sermens de vigne et se couchoient dessus pour moins dormir\net avoir moins de repos, pour plus souvent et menu eulx esveillier pour\nentrer en oroisons, et ou service de Dieu ilz estoient jour et nuit, et\npour cellui service et labeur acqui\u00e8rent la gloire de Dieu, dont il\nmonstre au monde appertement que ilz sont avecques luy en sa sainte\njoye, pour ce que il fait pour eulx grans miracles et evidens; car ainsi\nguerredonne Dieu le service que l\u2019en lui fait \u00e0 cent doubles comme j\u2019ay\ndit dessus, et pour ce, belles filles, dictes vos heures de bon cuer et\ndevotement sans penser ailleurs, et gard\u00e9s que vous ne desjeun\u00e9s jusques\n\u00e0 ce que vous ay\u00e9s dictes vos heures de bon cuer; car cuer saoul ne sera\nj\u00e0 humble ne devot. Apr\u00e8s gardez que vous oyez toutes les messes que\nvous pourrez ouir, car grant bien de Dieu vous avenra, et sy est bonne\net saincte chose et contenance, dont je vous diray un exemple sur celle\nmati\u00e8re.\nCy parle de deux filles d\u2019un chevalier, dont l\u2019une estoit devotte et\nl\u2019autre gourmandoit.\nChappitre VIe.\nUn chevalier estoit qui avoit deux filles. L\u2019une estoit de sa premi\u00e8re\nfemme, et l\u2019autre de la seconde. Celle de la premi\u00e8re \u00e9toit \u00e0 merveilles\ndevote, ne jamais ne mangast jusques \u00e0 tant qu\u2019elle eust dictes ses\nheures toutes et ouyes toutes les messes qu\u2019elle pouvoit o\u00efr. Et l\u2019autre\nfille estoit sy chiere tenue et sy couv\u00e9e que l\u2019on lui laissoit faire le\nplus de sa voulent\u00e9, que, d\u00e8s si tost qu\u2019elle avoit ouye une petite\nmesse et dictes deux paternostres ou trois, elle s\u2019en venoit en la garde\nrobe et l\u00e0 mengoit la souppe au matin ou aucune lescherie, et disoit que\nla teste lui faisoit mal \u00e0 jeuner. Mais ce n\u2019estoit que mauvaise\namorson, et aussy quant son p\u00e8re et sa m\u00e8re estoient couchiez, il\nconvenoit qu\u2019elle mangast aucun bon morsel d\u2019aucune bonne viande. Si\nmena ceste vie tant, qu\u2019elle fust mari\u00e9e \u00e0 un chevalier saige et\nmalicieux. Dont il advint que au fort son seigneur sceust sa mani\u00e8re,\nqui estoit mauvayse pour le corps et pour l\u2019ame; si luy montra moult\ndoulcement et par plusieurs foiz que elle faisoit mal de telle vie\nmener. Mais oncques ne s\u2019en voult chastier, pour beau parler que l\u2019en\nluy sceust faire. Dont il advint une fois qu\u2019il avoit dormy un sompne,\nsi tasta delez lui et ne la trouva pas; si en fut yri\u00e9s, et se leva de\nson lit en un mantel fourr\u00e9 de gris et entra en une garde robe, o\u00f9 sa\nfemme estoit, le clavier et deux varlez; et mangoient et rigoloient\ntellement que l\u2019en n\u2019ouyst pas Dieu tonner, tant demenoient et jouoient\nhommes et femmes ensemble. Et le seigneur, qui regarda tout celluy\narroy, en fut durement yr\u00e9s; si tenoit un baston pour ferir un de ses\nvarlez, qui tenoit rebrass\u00e9e une des femmes de chambre, et fery sur le\nvarlet de ce baston qui fust sec, duquel en sailli une esclice en l\u2019ueil\nde sa femme, qui estoit delez luy, en telle mani\u00e8re qu\u2019elle eut l\u2019ueil\ncrev\u00e9 par celle mesaventure et par celle mescheance. Si luy mess\u00e9oit\ntrop \u00e0 estre borgne, et la prist le seigneur en telle hayne qu\u2019il se\navilla et mist son cuer ailleurs, en telle mani\u00e8re que leur mesnage alla\n\u00e0 perdicion du tout. Cest fait leur advint pour la mauvaise ordenance de\nsa femme, qui accoustum\u00e9e s\u2019estoit \u00e0 vivre dissoluement et\ndesordonn\u00e9ement le matin et le soir. Dont le plus de mal sy vint devers\nelle, comme en perdre son oeil et l\u2019amour de son seigneur, dont elle en\nfust en mauvais mesnaige. Et pour ce fait-il bon dire toutes ses heures\net oyr toutes les messes \u00e0 jeun, et soy acoustumer \u00e0 vivre sobrement et\nhonestement, car tout ne chiet que par accoutumance et \u00e0 l\u2019usaigier,\ncomme le prouverbe du saige dit:\n Mettez poulain en ambl\u00e9ure,\n Il la tendra tant comme il dure.\nSi comme il advint \u00e0 sa sueur. Elle se acoustuma en sa jonnesse \u00e0 servir\nDieu et l\u2019\u00c9glise, comme dire ses heures devottement et ouyr toutes les\nmesses \u00e0 jeun, et pour ce il advint que Dieu l\u2019en guerredonna et lui\ndonna un bon chevalier riche et puissant, et vesqui avecques luy ayse et\nhonnorablement. Sy avint que leur p\u00e8re, qui moult estoit proudomme, les\nala veoir toutes deux; si trouva chiez l\u2019une grans honneurs et grans\nrichesses et y fut receu moult honnorablement, et chiez l\u2019autre, qui\navoit l\u2019eueil trait, il y trouva l\u2019arroy et le gouvernement nice et\nmalostru. Dont, quant il fu revenuz \u00e0 son hostel, il compta tout \u00e0 sa\nfemme et lui reproucha qu\u2019elle avoit perdue sa fille, tant l\u2019avoit\ncouv\u00e9e et nourrie chierement, et lui avoit laissi\u00e9 la resne trop longue\nen lui laissant faire toute sa voulent\u00e9, par quoy elle estoit en dure\npartie. Et par cest exemple est bon de servir Dieu et ouir toutes les\nmesses que l\u2019on puet oyr \u00e0 jeun, et prendre en soy honneste vie, de\nboire et de mangier \u00e8s droictes heures d\u2019entour prime et tierce, et de\nsouper \u00e0 heure convenable, selon le temps; car telle vie, comme vous\nvoudrez tenir et user en vostre jonnesce, tenir et user la vouldrez en\nvostre vieillesce.\nCy parle comment toutes les femmes doivent juner.\nChappitre VIIe.\nApr\u00e8s, mes chi\u00e8res filles, vous devrez jeuner, tant comme vous serez \u00e0\nmarier, trois jours en la sepmaine pour mieux donter votre chair, que\nelle ne s\u2019esgaye trop, pour vous tenir plus nettement et saintement en\nservice de Dieu, qui vous gardera et guerredonnera au double, et, se\nvous ne pouvez jeuner les trois jours, au moins jeunez au vendredi en\nl\u2019onneur du pr\u00e9cieux sanc et de la passion Jhesucrist que il souffry\npour nous, et, se vous ne le jeunez en pain et en yaue, au moins n\u2019y\nmengiez point de chose qui preingne mort, car c\u2019est moult noble chose,\ncomme j\u2019ay ouy racompter \u00e0 un chevalier qui ala en une bataille de\nCrestiens et des Sarrasins. Il advint que uns crestiens ot la teste\ncoup\u00e9e d\u2019une gisarme toute dessevr\u00e9e du corps; mais la teste sy crioit\net demandoit confession, tant que le prestre vint, qui la confessa et\nlui demanda par quelle m\u00e9rite c\u2019estoit que elle pouvoit parler sans le\ncorps, et la teste lui repondit que nul bien n\u2019estoit fait \u00e0 Dieu qu\u2019il\nn\u2019emp\u00e9trast grace, et qu\u2019il s\u2019estoit gard\u00e9 le mercredi de mengier char\nen l\u2019onneur du filz de Dieu qui y fut vendu, et le vendredy il ne\nmengoit de chose qui prensist mort, et pour ce service Dieu ne vouloit\npas qu\u2019il feust dampn\u00e9 ne que il morust en un pechi\u00e9 mortel, dont il ne\ns\u2019estoit pas confess\u00e9. Si est bon exemple qu\u2019il se fait bon garder de\nmengier chose qui prengne mort au vendredi. Et apr\u00e8s, belles filles,\nfait bon jeuner le samedy en l\u2019onneur de Notre-Dame et de sainte\nvirginit\u00e9 qu\u2019elle vous veuille emp\u00e9trer grace \u00e0 garder nettement vostre\nvirginit\u00e9 et vostre chastet\u00e9 \u00e0 la gloire de Dieu et \u00e0 l\u2019onneur de voz\names, et que mauvaise temptacion ne vous maistroye. Et si est moult\nbonne chose et moult noble de jeuner l\u2019un des deux jours en pain et en\nyaue, qui est grant victoire contre la chair et moult sainte chose. Et\nsi vous dy pour v\u00e9rit\u00e9 que il ne chiet que \u00e0 vostre voulent\u00e9 et de vous\ny accoustumer; car tout ne chiet que par accoutumance de dire ses\nheures, d\u2019oir la messe et le service de Dieu, de jeuner et de faire\nsaintes \u0153uvres comme firent les saintes femmes, selon qu\u2019il est contenu\n\u00e8s l\u00e9gendes et \u00e8s vies des sains et des saintes de paradis.\nCy parle d\u2019une femme qui ch\u00e9y en un puis.\nChappitre VIIIe.\nDont je vouldroye que vous eussiez ouy et retenu l\u2019exemple de la fole\nfemme qui jeunoit le vendredy et le samedy. Si vous compteray d\u2019une\nfolle femme qui estoit en la ville de Romme, qui tousjours jeunoit le\nvendredy en l\u2019onneur de la passion du doulx Jhesucrist, et le samedi en\nl\u2019onneur de la virginit\u00e9 Nostre-Dame, et aussy ces ij jours elle se\ntenoit nettement. Si advint que par une nuit elle ala \u00e0 son amy en\nfolye, si estoit la nuit obscure, et va arriver en un puis de vint\ntoises de parfont, ou quel elle va cheoir, et ainsi comme elle cheoit,\nelle s\u2019escria: _Nostre-Dame!_ Si ch\u00e9y sur l\u2019yaue et se trouva \u00e0 dur\ncomme sur une place, et luy vint une voix qui lui dit: \u00abPour ce que tu\njeunes le vendredy et le samedy en l\u2019onneur de la vierge Marie et de son\nfilz, et que tu gardes ta char nettement, tu es sauv\u00e9e de ce peril.\u00bb Sy\nvindrent lendemain les gens pour puisier de l\u2019eaue, et trouv\u00e8rent celle\nfemme en ce puis, duquel elle fust tantost traite et mise hors. Sy se\nesmerveill\u00e8rent moult comment elle estoit sauv\u00e9e, et elle leur dit que\nune voix lui avoit dit que c\u2019estoit pour les jeunes du vendredy et du\nsamedy, comme ouy avez. Et, pour la grace que Dieu luy avoit faite, elle\nleur voua que elle se tendroit nettement et chastement, et useroit sa\nvie au service de Dieu et de son Eglise. Si le fist tousjours ainsi,\ncomme celle qui ala jour et nuit servir \u00e0 l\u2019\u00e9glise pour alumer les\ntorches, les cierges et les lampes, et balayer et tenir nettement\nl\u2019\u00e9glise. Si luy advint une nuit une vision que elle traioit d\u2019un fumier\nung vaissel comme un plat d\u2019argent. Sy le regardoit et y v\u00e9oit plusieurs\ntaiches noires, sy lui disoit une voix: \u00abFrotte et nectoye cest plat, et\nostes ces taiches noires tant qu\u2019il soit cler et blanc, comme il estoit\nquand il parti des mains du maistre.\u00bb Et ceste advision si lui advint\npar trois fois. Si s\u2019esveilla et recorda son advision \u00e0 Dieu, et quant\nil fust hault jour sy s\u2019en ala confesser \u00e0 un saint homme et lui deit\nson advision, et quant le preudomme eut ouy son advision, si lui dit:\n\u00abBelle fille, vous estes moult tenue \u00e0 Dieu servir, car il vuelt vostre\nsalvacion, et vous a monstr\u00e9 comment vous vous devez laver et nectoyer\npar confession vos p\u00e9chiez. Si vous diray comment il le vous demonstra\npar vostre avision. Car le vaissel d\u2019argent trait du fumier, signifie\nl\u2019ame qui est ou corps; car l\u2019ame est blanche et nette, et se le corps\nne se consentist \u00e0 faire pechi\u00e9, elle feust touzjours blanche, comme le\nvaissel d\u2019argent qui vient de l\u2019orf\u00e8vre blanc et net; et aussi est l\u2019ame\nquant elle vient des fons de baptesme. Et ainsi comme le vaissel que\nvous veistes qui estoit au fumier, aussi est l\u2019ame ou corps, qui n\u2019est\nque fumier, boue et vers. Et quant le chetif corps a pechi\u00e9 par ses\nfaulx delits, pour chacun pechi\u00e9 il avient une tache noire \u00e0 l\u2019ame, et\nse tient jusques \u00e0 tant ce que le corps, qui a fait le delit et le\npechi\u00e9, l\u2019ait confess\u00e9 et regehi aussi laidement et en la mani\u00e8re comme\nil a fait, et faitte satisfacion. Et pour ce, belle fille, la voix de\nl\u2019avision vous dist que vous la cur\u00e9s et netoyez les taches d\u2019icellui\nvaissel, ce sont les taches de vos pechiez, et le faictes blanc comme il\nvint de l\u2019orf\u00e8vre, c\u2019est comme vous venistes des fons de bapteme. Apr\u00e8s\nvous dist que vous le meissi\u00e9s en lieu o\u00f9 il feust tenu net et que vous\nle gardissiez d\u2019ordure, c\u2019est-\u00e0-dire que vous vous gardissiez d\u2019aler en\nlieu o\u00f9 l\u2019on vous attraye \u00e0 faire pechi\u00e9, et vous gard\u00e9s de plus\npechier. Car bon est de soy confesser; mais mieulx est, depuis la\nconfession, de soy garder de y recheoir arri\u00e8re, car le recheoir est\npire que le premier, et quant l\u2019on se confesse, l\u2019on doit tout dire sans\nriens retenir, et le dire en la mani\u00e8re que on l\u2019a fait. Donc, ma belle\nfille, dist le preudomme, je vous en diray un exemple d\u2019une bourgoyse\nmoult puissant.\nCy parle de la bourgoyse qui mourut sans oser confesser son pechi\u00e9.\nChappitre IXe.\nUne bourgoise etoit qui avoit bonne renomm\u00e9e d\u2019estre preude femme et\ncharitable, car elle jeunoit trois jours de la sepmaine, dont les ij\nestoient en pain et en eaue; apr\u00e8s elle donnoit moult de grans aumosnes,\net visitoit les malades, et nourrissoit les orphelins, et estoit aux\nmesses jusques au midi, et disoit merveilles de heures, et faisoit toute\nla saincte vie que bonne femme peust faire. Si advint que elle\ntrespassa. Si luy voult Nostre Seigneur monstrer pour exemple comment\nelle estoit perdue par un seul pechi\u00e9 mortel; car la fosse o\u00f9 elle fut\nmise se prist \u00e0 fumer et la terre \u00e0 ardoir, et avoit-on veu de nuit trop\nde tourment sur la fosse. Si s\u2019en esmerveillirent moult les gens du pa\u00efs\nque c\u2019estoit \u00e0 dire; car ilz pensoient qu\u2019elle feust sauv\u00e9e sur toutes.\nSi eut un saint homme en la cit\u00e9, qui print la croix, l\u2019estolle et\nl\u2019eaue benoiste, et vint l\u00e0; si la conjura de par Dieu et en fit\nrequeste \u00e0 Dieu qu\u2019il lui pleust leur demonstrer pourquoy celle pueur et\nce tourment estoit; lors s\u2019escria une voix qui disoit: \u00abOyez tous, je\nsuis telle, la povre pecheresse dampn\u00e9e ou feu pardurablement, car Dieu\ndemonstre que mon chetif corps rend fum\u00e9e et tourment pour exemple. Si\ndiray comment. Il m\u2019avint que par la gayet\u00e9 de ma char je me couchay\navec un moyne. Si ne l\u2019osay oncques regehir ne confesser, pour doubte\nd\u2019estre accus\u00e9e et pour la honte du monde, et craignoie plus le bobant\ndu monde que la vengeance espirituelle, et pour cuidier effacier mon\npechi\u00e9 je jeunoie et donnoye le mien pour Dieu, je ouoye les messes, et\ndisoye moult de heures, et me sembloit que les grans biens et\nabstinances que je faisoye estaindroient bien le peschi\u00e9 que je n\u2019osoie\nregehir ne confesser au prestre, et pour ce j\u2019en suis deceue et perdue.\nCar je vous dis \u00e0 tous que qui meurt en pechi\u00e9 mortel et ne le vuelt\nregehir, il est dampn\u00e9 perp\u00e9tuellement, ain\u00e7ois doit dire son pechi\u00e9\naussi villainnement comme il fut fait et par la mani\u00e8re.\u00bb Et quant elle\neut tout ce dit, tous ceulx qui l\u00e0 estoient furent moult esbahis; car il\nn\u2019y avoit nul qui ne pensast qu\u2019elle feust sauv\u00e9e. Et ainsi dist li\npreudons cest exemple \u00e0 celle femme qu\u2019elle confessast et qu\u2019elle deist\ntous ses pechi\u00e9s ainsi comme elle les avoit fait, et elle osteroit les\ntaiches du vaissel d\u2019argent, ce sont les taiches de son ame, et sy\nconfessa celle femme, et fut depuis de sainte vie, et ainsi son\ncomancement de sauvement ne fut que par les jeunes comme le vendredy\npour la sainte passion, et le samedi pour la virginit\u00e9 de Nostre-Dame,\ndont elle fut sauv\u00e9e du p\u00e9ril du puis, car il n\u2019est nul bien qui ne soit\nmery. Sy est une moult sainte chose; et, de tant comme le jeuner fait\nplus de mal \u00e0 la teste et au corps, de tant est la jeune de plus grant\nmerite et de plus grant valeur; car, se la jeune ne faisoit mal \u00e0\njeuner, l\u2019on n\u2019y auroit point de merites. Et encore, pour monstrer\nexemple comment jeune est de grant merite, li rois de Ninyve et luy et\nsa cit\u00e9 en fut sauvez, si comme il est contenu ou grant livre de la\nBible. Car Dieu avoit fait fondre plusieurs villes pour les grans\npechi\u00e9s en quoy ilz se delictoient. Sy manda Dieu par le proph\u00e8te \u00e0\nicelluy roy et \u00e0 celle cit\u00e9 qu\u2019ils seroyent aussi perilz se ils ne\ns\u2019amendoient. Lors le roy et le peuple de la cit\u00e9 eurent moult grant\npaour, et, pour appaisier l\u2019ire de Dieu, tous ceulx qui avoient aage de\njeuner jeun\u00e8rent xl jours et xl nuis, et se mistrent \u00e0 genoulz, sacs sur\nleurs testes, et sur leurs sacs mirent cendre en humilict\u00e9, et, quant\nDieu vit leur abaissement et leur humilit\u00e9, il eut mercy d\u2019eulx; sy\nfurent sauv\u00e9s et rappeliez de celle pestilence. Et ainsi par leur\nhumilit\u00e9 et par leurs jeunes ils furent garentiz. Et pour ce, mes belles\nfilles, jeune est une abstinence et vertu moult convenable et qui\nadoulcist et reffranist la char des mauvaises voulent\u00e9z, et humilie le\ncuer et emp\u00e8tre grace vers Dieu, dont toutes jeunes femmes, et\nespeciaulment les pucelles et les veuves, doivent jeuner, comme dit vous\nay cy dessus par plusieurs exemples, lesquels, se Dieu plaist, vous\nretendrez bien.\nCy parle comment toutes femmes doivent \u00eatre courtoises.\nChappitre Xe.\nApr\u00e8s, mes belles filles, gardez que vous soiez courtoises et humbles,\ncar il n\u2019est nulle plus belle vertu, ne qui tant attraite \u00e0 avoir la\ngrace de Dieu et l\u2019amour de toutes gens, que estre humbles et\ncourtoises; car courtoisie vaint les felons orguilleux cuers, et \u00e0\nl\u2019exemple de l\u2019espervier sauvage, par courtoisie vous le ferez franc, si\nque de l\u2019arbre il vendra sur vostre poing, et se vous lui estiez en\nriens rudes ne cruelz, jamais ne vendroit. Et donc, puisque courtoisie\nvaint oisel sauvaige, qui n\u2019a nulle rayson en soy, doit courtoisie mater\net refraindre tout cuer de homme et de femme, j\u00e0 tant n\u2019aient le cuer\norgueilleux, fier ne felon; courtoisie est le premier chemin et l\u2019entr\u00e9e\nde toute amisti\u00e9 et amour mondaine, et qui vaint les haulz couraiges et\nadoulcist l\u2019ire et tout le couroux de toute amisti\u00e9, et pour tant est\nbelle chose d\u2019estre courtoise. Je congnois un grant seigneur en ce pa\u00efs\nqui a plus conquis chevaliers et escuiers et autres gens \u00e0 le servir ou\nfaire son plaisir par sa grant courtoisie, au temps qu\u2019il se povoit\narmer, que autres ne faisoient pour argent ne pour autres choses. C\u2019est\nmessire Pierre de Craon, qui bien fait \u00e0 louer de honneur et de\ncourtoisies sur tous les autres chevaliers que je congnoys. Apr\u00e8s je\ncongnoys des grans dames et autres qui sont moult courtoises et qui en\nont moult de belles graces acquises de l\u2019amour des grans et de petits;\nse vous monstr\u00e9s vostre courtoisie aux petits et aux petites, c\u2019est de\nleur faire honneur et parler bel et doulcement avec eux et leurs estre\nde humbles responses; ceulx vous porteront plus grant louange et plus\ngrant renomm\u00e9e et plus grant bien que les grans. Car l\u2019honneur et la\ncourtoisie qui est port\u00e9e aux grans n\u2019est faicte que de leurs droiz, et\nque l\u2019on leur doit faire. Mais celle qui est faite aux petits gentilz\nhommes et aux petites gentils femmes et autres maindrez, telles honneurs\net courtoisies viennent de franc et de doulx cuer, et li petiz \u00e0 qui on\nla fait s\u2019en tient pour honnour\u00e9, et lors il l\u2019essauce par tout, en\ndonne loz et gloire \u00e0 cellui ou \u00e0 celle qui lui a fait honneur, et ainsi\ndes petis \u00e0 qui l\u2019on fait courtoisie et honneur vient le grant loz et la\nbonne renomm\u00e9e, et se croist de jour en jour. Dont il avint que je\nestoye en une bien grant compaignie de chevaliers et de grans dames, si\nosta une grant dame son chapperon et se humilia encontre un taillandier.\nSi y avoit un chevalier qui dist: \u00abMadame, vous avez ost\u00e9 vostre\nchapperon contre un taillandier\u00bb, et la dame respondit que amoit mieux \u00e0\nl\u2019avoir ost\u00e9 contre luy que \u00e0 l\u2019avoir laissi\u00e9 contre un gentil homme. Si\nfut tenu \u00e0 grant bien de tous pour la bonne dame.\nComment elles se doivent contenir sans virer la teste \u00e7\u00e0 et l\u00e0.\nChappitre XIe.\nApr\u00e8s, en disant voz heures \u00e0 la messe ou ailleurs, ne sambl\u00e9s pas \u00e0\ntortue ne \u00e0 grue; celles semblent \u00e0 la grue et \u00e0 la tortue qui tournent\nle visaige et la teste par dessus et qui vertillent de la teste comme\nune belette. Aiez regart et mani\u00e8re ferme comme le liniere, qui est une\nbeste qui regarde devant soy sans tourner la teste ne \u00e7\u00e0 ne l\u00e0. Soiez\nferme comme de resgarder devant vous tout droit plainement, et, si vous\nvoulez regarder de cost\u00e9, virez visaige et corps ensemble; si en tendra\nl\u2019en vostre estat plus seur et plus ferme, car l\u2019on se bourde de celles\nqui se ligierement brandellent et virent le visaige \u00e7\u00e0 et l\u00e0.\nCy parle de celle qui perdit le roy d\u2019Angleterre par sa fole contenance.\nChappitre XIIe.\nDont je vourroye que vous eussiez bien retenu l\u2019exemple des filles du\nroy de Dannemarche. Si vous en compteray. Ilz sont quatre roys de \u00e7\u00e0 la\nmer qui anciennement se mari\u00e8rent par honnour, sans convoitise de terre,\ncomme des filles de roys ou de haulx lieux, qui soient bien n\u00e9es ou qui\naient renomm\u00e9e de bonnes meurs, de bel maintien, et fermes, et de bonnes\nmani\u00e8res, et les convient veoir se elles ont ce que femmes doivent avoir\net se elles sont tailli\u00e9es de porter ligni\u00e9e. Ces iiij sont li roys de\nFrance, qui est le plus grans et le plus nobles; l\u2019autre est le roy\nd\u2019Espaigne; le tiers le roys d\u2019Angleterre; le quart est le roy de\nHongrie, qui est de son droict mareschal des crestiens \u00e8s guerres contre\nles mescr\u00e9ans. Si avint que le roy d\u2019Engleterre estoit \u00e0 marier, et oyt\ndire que le roy de Dannemarche avoit iiij moult belles filles et moult\nbien n\u00e9es, et, pour ce que icellui roy estoit preude et la royne moult\npreude femme et de bonne vie, il envoya certains chevaliers et dames des\nplus souffisans du royaume \u00e0 son povoir, pour veoir icelles filles; si\npass\u00e8rent la mer et vindrent \u00e0 Dannemarche. Et, quant le roy et la royne\nvirent les messagiers, si en eurent moult grant joye, et les\nhonnour\u00e8rent et festoy\u00e8rent iiij jours, et nulz ne savoit la verit\u00e9,\nlaquelle ilz esliroient. Si ce cointirent les filles et s\u2019affait\u00e8rent au\nmieulx qu\u2019elles porent. Si avoit en la compaignie un chevalier et une\ndame, moult congnoissant et moult soubtilz, et qui bien mectoient\nl\u2019eueil et l\u2019entente de veoir leurs mani\u00e8res et contenances, et aucunez\nfoiz les mettoient en parolles. Si leur sembla que, combien que\nl\u2019ainsn\u00e9e feust bien la plus belle, elle n\u2019avoit mie le plus seur estat,\ncar elle regardoit menu et souvent \u00e7\u00e0 et l\u00e0 et tournoit la teste sur\nl\u2019espaule et avoit le resgart bien vertilleux. Et la ije fille, avoit \u00e0\nmerveilles de plait et de parolles, et respondoit souvent et menu avant\nqu\u2019elle peust tout entendre ce dont on luy parloit; la tierce n\u2019estoit\npas la plus belle \u00e0 deviser, mais elle estoit bien la plus aggr\u00e9able et\nsi avoit la mani\u00e8re et le maintien seur et ferme, et paroloit assez pou\net bien meurement, et son resgart estoit humble et ferme, plus que de\nnulle des iiij. Si eurent conseil et avis les ambassadeurs et messagiers\nque ilz retourneroient au roy leur seigneur pour dire ce que trouv\u00e9\navoyent, et lors il prendroit laquelle qui lui plairoit. Et lors\nvindrent au roy et \u00e0 la royne pour congi\u00e9 prandre de eulx et les\nmerci\u00e8rent de leur bonne compaignie et de l\u2019onnour que ilz leur avoient\nfaite, et qu\u2019ilz raporteroient \u00e0 leur seigneur ce qu\u2019il leur sembloit de\nleurs filles, et sur ce il feroit \u00e0 son plaisir. Li rois leur donna de\nbeaux dons. Si s\u2019en partirent et vindrent en Angleterre, et racont\u00e8rent\n\u00e0 leur seigneur l\u2019onneur que le roy et la royne leur avoient faite.\nApr\u00e8s rapport\u00e8rent les beautez des filles et leurs mani\u00e8res et leurs\nmaintiens, et y fut assez parl\u00e9 de chascune d\u2019elles, et y eut ass\u00e9s qui\nsoustenoient \u00e0 prandre l\u2019ainsn\u00e9e ou la seconde par honneur, et que ce\nseroit plus belle chose d\u2019avoir l\u2019ainsn\u00e9e, et, quant ilz eurent d\u00e9batu\nassez, li roys, qui estoit sages homs et de bon sens naturel, parla\nderrenier, et dit ainsi: \u00abMes ancesseurs ne se mari\u00e8rent oncques par\nconvoitise, fors \u00e0 honnour et \u00e0 bont\u00e9 de femme, ou par plaisance. Mais\nj\u2019ay ouy plus souvent et menu m\u00e9savenir de prendre femme par beaut\u00e9 et\nplaisance, que de celle qui est de meure mani\u00e8re et de ferme estat, et\nqui a bel maintieng; car nulle beaut\u00e9 ne noblesce ne s\u2019apareille, ne\npasse bonnes meurs, et n\u2019est ou monde grant aaise comme de avoir femme\nseure et ferme d\u2019estat et de bonne mani\u00e8re, ne n\u2019est plus belle\nnoblesce. Et pour ce je esliz la tierce fille, ne n\u2019auray j\u00e0 autre.\u00bb\nLors si l\u2019envoya querre, dont les deux ainsn\u00e9es furent en grant despit\net grant desdaing. Et ainsi celle qui avoit la meilleure et la plus\nseure mani\u00e8re, fut royne d\u2019Angleterre, et l\u2019ainsn\u00e9e fut refus\u00e9e pour le\nvertillement et legieret\u00e9 de son visaige et pour son resgard qui estoit\nun peu vertilleux, et l\u2019autre seur apr\u00e8s le perdit pour ce qu\u2019elle avoit\ntrop \u00e0 faire et estoit trop emparl\u00e9e; si pren\u00e9s, belles filles, bons\nexemples en ces filles du roy de Dannemarche, et n\u2019ai\u00e9s pas trop l\u2019ueil\nau veoir ne vertillous, ne ne tourn\u00e9s le visaige ne \u00e7\u00e0 ne l\u00e0; quant vous\nvouldrez resgarder quelle part que ce soit, vir\u00e9s visaige et corps\nensemble, et ne soi\u00e9s pas trop emparliers, car qui parle trop ne puet\ntousjours dire que saige. Et doit-on bien \u00e0 loisir entendre avant que\nrespondre; mais, si vous y faictes un peu de pause entre deulx, vous en\nrespondrez mieulx et plus saigement; car que le proverbe dit: autant\nvault cellui qui oit et riens n\u2019entant comme cellui qui chasse et riens\nne prent, comme dessus est dit.\nCy parle de celle que le chevalier de La Tour laissa pour sa legi\u00e8re\nmani\u00e8re.\nChappitre XIIIe.\nEncores, mes belles filles, vous diray-je pour exemple d\u2019un fait qui\nm\u2019en avint sur ceste mati\u00e8re. Il avint que une foiz que l\u2019en me parloit\nde me marier avecques une belle noble femme qui avoit p\u00e8re et m\u00e8re, et\nsi me mena mon seigneur de p\u00e8re la veoir; et quant nous fumes l\u00e0, l\u2019en\nnous fist grant chi\u00e8re et li\u00e9e. Si resgarday celle dont l\u2019on me parloit,\net la mis en parolles de tout plain de choses, pour savoir de son estre.\nSi cheismes en paroles de prisonniers. Dont je lui dis: \u00abMa damoiselle,\nil vaudroit mieulx cheoir a estre vostre prisonnier que \u00e0 tout plain\nd\u2019autres, et pense que vostre prison ne seroit pas si dure comme celle\ndes Angloys\u00bb. Si me respondit qu\u2019elle avoyt veu nagaires cel qu\u2019elle\nvouldroit bien qu\u2019il feust son prisonnier. Et lors je luy demanday se\nelle luy feroit male prison, et elle me dit que nennil et qu\u2019elle le\ntandroit ainsi chier comme son propre corps, et je lui dis que celui\nestoit bien eureux d\u2019avoir si doulce et si noble prison. Que vous\ndirai-je? Elle avoit assez de langaige et lui sambloit bien, selon ses\nparolles, qu\u2019elle savoit assez, et si avoit l\u2019ueil bien vif et legier.\nEt moult y ot de paroles, et, toutes voies, quant vint au departir elle\nfust bien apperte; car elle me pria ij foiz ou iij, que je ne\ndemouraisse point \u00e0 elle venir veoir, comment que ce fust; si me tins\nmoult acointes d\u2019elle, qui en si pou de heure fu si son accointe que\noncques mais ne l\u2019avoye veue, et si savoit bien que l\u2019en parloit de\nmariage d\u2019elle et de moy. Et quant nous fumes partis, mon seigneur de\np\u00e8re me dist: Que te samble de celle que tu as veue. Dy m\u2019en ton avis.\nSi lui dis et respondis: Mon seigneur, elle me samble belle et bonne,\nmaiz je ne luy seray j\u00e0 plus de pr\u00e8s que je suis, si vous plaist; si luy\ndis ce qu\u2019il me sambloit d\u2019elle et de son estre. Et ainsi je ne l\u2019eus\npas, et pour la tr\u00e8s grant legi\u00e8re mani\u00e8re et la trop grant appertise\nqui me sembloit \u00e0 veoir en elle; dont je en merciay depuis Dieu moult de\nfoiz; car ne demoura pas an et demi qu\u2019elle fust blasm\u00e9e, mais je ne\ns\u00e7ay se ce fut \u00e0 tort ou \u00e0 droit; et depuis mourust. Et pour tant, mes\nchi\u00e8res filles et nobles pucelles, toutes gentilz femmes de bon lieu\nvenues doivent estre de doulces mani\u00e8res, humbles et fermes d\u2019estat et\nde mani\u00e8res, poy emparl\u00e9es, et respondre courtoisement et n\u2019estre pas\ntrop enresn\u00e9es, ne surseillies, ne regarder trop legierement. Car, pour\nen faire moins, n\u2019en vient se bien non; car maintes en ont perdu leur\nmariage pour trop grans semblans, dont par maintes foiz l\u2019en esperoit en\nelles autres choses qu\u2019elles ne pensoient.\nComment la fille au roy d\u2019Arragon perdit le roy d\u2019Espaigne par sa fole\nmani\u00e8re.\nChappitre XIIIIe.\nJe vouldroye que vous s\u00e7ussiez l\u2019exemple comment la fille ainsn\u00e9e au roy\nd\u2019Arragon perdit le roy d\u2019Espaigne par sa follie. Il est contenu es\ngestes d\u2019Espaigne que le roy d\u2019Arragon avoit deux filles. Sy en voult le\nroy d\u2019Espaigne avoir une, et, pour mieulx eslire celle qui li plairoit\nmieulx, il se contrefist en guise d\u2019un servant et ala avec les\nambassadeurs, c\u2019est-\u00e0-dire ses messagiers, et ala avec luy un evesque et\ndeux barons. Et ne demand\u00e9s pas si le roy leur fist grant honneur et\ngrant joye. Les filles du roy se appareill\u00e8rent et atourn\u00e8rent au mieulx\nqu\u2019elles peurent, et par especial l\u2019ainsn\u00e9e, qui pensoit que les\nparolles feussent pour elle. Si furent leans trois jours pour veoir et\nresgarder leurs contenances, dont il advint que, au matin, le roy\nd\u2019Espaigne, qui estoit desguisi\u00e9, resgardoit la contenance d\u2019elles. Si\nresgarda que quant l\u2019en salua l\u2019ainsn\u00e9e, que elle ne leur respondist\nriens que entre ses dens, et estoit fi\u00e8re et de grant port; maiz sa suer\nestoit humble et de grant courtoisie plaine, et saluoit humblement le\ngrant et le petit. Apr\u00e8s il resgarda une fois que les deux suers\njouoient ensemble aux tables \u00e0 deux chevaliers; maiz l\u2019ainsn\u00e9e tensa \u00e0\nl\u2019un des chevaliers et mena forte fin; maiz sa suer puisn\u00e9e, qui aussy\navoit perdu, ne faisoit semblant de sa perte, ains faisoit aussy bonne\nchi\u00e8re comme se elle eust tout gaingn\u00e9. Le roy d\u2019Espaigne resgarda tout\nce; si se retraist \u00e0 c\u00f4t\u00e9 et appela ses gens et ses barons, et leur dit:\n\u00abVous sav\u00e9s que les roys d\u2019Espaigne ne les roys de France ne se doivent\npas marier par convoitise, fors noblement et \u00e0 femmes de bonnes meurs,\nbien n\u00e9es et bien tailli\u00e9es de venir \u00e0 bien et \u00e0 honneur, et \u00e0 porter\nfruit, et pour ce j\u2019ay veues ces deux filles et leurs mani\u00e8res, et me\nsembla que la plus jonne est la plus humble et plus courtoise que n\u2019est\nl\u2019autre, et n\u2019est pas de si haultain couraige ni de si haulte mani\u00e8re\ncomme l\u2019ainsn\u00e9e, comme j\u2019ay peu appercevoir, et pour ce pren\u00e9s la plus\njeune, car je l\u2019eslis.\u00bb Si lui respondirent: \u00abSire, l\u2019ainsn\u00e9e est la\nplus belle, et sera plus grant honneur de avoir l\u2019ainsn\u00e9e que la plus\njuenne.\u00bb Si respondit que il n\u2019estoit nul honneur ne nul bien terrien\nqui s\u2019acomparaige \u00e0 bont\u00e9 et \u00e0 bonnes meurs, et par especial \u00e0 l\u2019umilit\u00e9\net \u00e0 humblesce, et pour ce que je l\u2019ay veue la plus courtoise et la plus\nhumble, si la vueil avoir. Et ainsi l\u2019esleut. Et adoncques l\u2019evesque et\nles barons vindrent au roy d\u2019Arragon et luy demand\u00e8rent sa fille plus\njuenne, dont le roy et tous ses gens en furent moult esmerveillez qu\u2019ilz\nne prenoient l\u2019ainsn\u00e9e, qui estoit la plus belle de moult. Maiz ainsi\navint que la plus jeune fut royne d\u2019Espaigne, pour estre humble et de\ndoulces parolles au grant et au petit, et par sa courtoisie fut esleue.\nDont l\u2019ainsn\u00e9e eust grant desdaing et grant despit, et en fut toute\nforcenn\u00e9e, et pour ce a cy bon exemple comment par courtoisie et par\nhumilit\u00e9 l\u2019on accroist en l\u2019amour du monde: car il n\u2019est riens si\nplaisans comme estre humble et courtoise et saluer le grant et le petit,\net non pas faire chi\u00e8re de perte ne de gaain, car nulles gentilz femmes\nne doivent avoir nul effroy en elles; elles doivent avoir gentilz cuers\net de doulces responces et estre humbles, comme Dieu dist en\nl\u2019Euvangille, que qui plus vault et scet plus se humilie, car qui plus\nse umilie plus s\u2019essaulce, comme fist ceste mainsn\u00e9e fille du roy\nd\u2019Arragon, qui, par sa courtoisie et son humilit\u00e9, conquist \u00e0 estre\nroyne d\u2019Espaigne et l\u2019osta \u00e0 sa suer l\u2019ainsn\u00e9e.\nCy parle de celles qui estrivent les unes aux autres.\nChappitre XVe.\nBelles filles, gardez que vous ne prengniez estrif \u00e0 fol, ne \u00e0 folle, ne\n\u00e0 gens folz qui ayent male teste: car c\u2019est grant peril. Je vous en\ndirai un exemple que j\u2019en vi. Il avint en un chastel, o\u00f9 plusieurs dames\net damoiselles demeuroient. Si y avoit une damoiselle, fille d\u2019un\nchevalier bien gentilz; si se va courrouscier \u00e0 jeu de tables, elle et\nun gentil homme, qui bien avoit male teste et rioteuse, et n\u2019estoit pas\ntrop saige. Si fut le debat sur un dit qu\u2019elle disoit qu\u2019il n\u2019estoit pas\ndroit; tant avint que les parolles se haulc\u00e8rent et qu\u2019elle dit qu\u2019il\nestoit cornart et sot. Ilz laiss\u00e8rent le jeu par tenson. Si dis \u00e0 la\ndamoiselle: \u00abMa chi\u00e8re cousine, ne vous marrissiez de riens qu\u2019il die,\ncar vous savez qu\u2019il est de haultes paroles et de sottes responces. Si\nvous prie pour vostre honneur que vous ne preignez point de debat\navecques luy, et le dis f\u00e9ablement, comme je voulsisse dire \u00e0 ma suer.\u00bb\nMaiz elle ne m\u2019en voult croire, ains ten\u00e7a encore plus fort que devant,\net lui dist qu\u2019il ne valoit riens, et moult d\u2019autres parolles. Et il\nrespondist, comme fol, qu\u2019il valoit mieux pour homme qu\u2019elle ne faisoit\npour femme. Et elle lui dist qu\u2019il ne disoit mie voir, et creurent leurs\nparoles et surmont\u00e8rent tant que il deist que, s\u2019elle feust saige, elle\nne venist pas par nuit \u00e8s chambres aux hommes les baisier et accoler en\nleurs liz sans chandoille, et elle s\u2019en cuida bien venger, et lui dist\nqu\u2019il mentoit, et il luy dist que non faisoit et que tel et tel lui\navoient veue. Si avoit l\u00e0 moult de genz, qui furent esmerveillez, qui\nriens ne s\u00e7avoient de ce, et si y ot pluisseurs qui dirent que ung bon\ntaire lui vaulsist mieulx, et qu\u2019elle s\u2019estoit batue par son baston\nmesmes, c\u2019est-\u00e0-dire par sa langue et son hatif parler. Et apr\u00e8s celles\nparolles, elle ploura et dist qu\u2019il l\u2019avoit diffam\u00e9e, et il ne demoura\npas ainsi, car il l\u2019assaillit arri\u00e8re devant tous et estriva et ten\u00e7a\ntant que il luy dist encores qu\u2019il y avoit veu pis, et dist paroles\nencore plus ordes et plus honteuses au deshonnour d\u2019elle, que jamais ne\nluy chierroit pour secourre qu\u2019elle face, et ainsy se ahontaga par son\nfol couraige et par sa haultesce de cuer. Et pour ce ainsy a cy bon\nexemple comment nulle femme ne doit tencier ne estriver \u00e0 fol, ne \u00e0\nfolle, ne avecques gens qu\u2019elle sache qui aient haultain couraige; ainsi\nles doit l\u2019en eschever, et, se l\u2019en voit qu\u2019ilz vueillent parler\nhaultement ou grossement, l\u2019en les doit laissier tous piqui\u00e9s, leur\ndire: \u00abBeaulx amis, je vois bien que vous voul\u00e9s parler hault ou rioter;\nje vous lairay le champ et m\u2019en yray\u00bb, et puis soy en aler et departir,\nsi come fist un chevalier que je congnoys bien, \u00e0 une dame qui avoit\nmale teste et envyeuse, et disoit moult d\u2019oultraiges au chevallier\ndevant tous. Si dit le chevallier: \u00abDame, il vous plaist \u00e0 dire tant de\nmerveilles; se je vous escoute, je ne vous fais nul tort. Je voy bien\nque vous estes marrie, dont me desplaist.\u00bb Mais pour tant celle ne se\nvoult oncques taire, maiz ten\u00e7a plus fort, et quand le chevallier vit\nqu\u2019elle ne se vouloit souffrir ne taire pour riens, si prist un petit\nbouchon de paille que il trouva et le mist devant elle, et lui dist:\n\u00abDame se vous voulez plus tencier, si tencez \u00e0 ceste paille, car je la\nlaisse pour moy et m\u2019en iray.\u00bb Et il s\u2019en ala et la laissa. Si fut tenu\npour bien fait au chevallier qui ainsi l\u2019escheva, et elle fut fole et\nseulle et ne trouva \u00e0 qui plus tencer, et s\u2019enffrenaisist se elle voult.\nEt ainsi le doit l\u2019en faire, car l\u2019en ne doit mie estriver \u00e0 fol, ne \u00e0\ngens tenseurs, ne qui ayent male teste. Ains les doit-en eschever, comme\nfist le chevallier \u00e0 la dame, comme oy avez.\nDe celle qui menga l\u2019enguille.\nChappitre XVIe.\nUn exemple vous vueil dire sur le fait des femmes qui manguent les bons\nmorceaulx en l\u2019absence de leurs seigneurs. Si fut une damoiselle qui\navoit une pye en caige, qui parloit de tout ce qu\u2019elle v\u00e9oit faire. Si\navint que le seigneur de l\u2019ostel faisoit garder une grosse anguille\ndedans un vaissel ou un vivier, et la gardoit moult chierement pour la\ndonner \u00e0 aucuns de ses seigneurs ou de ses amis, si ilz le venissent\nveoir. Si avint que la dame dist \u00e0 sa clavi\u00e8re que il seroit bon de\nmenger la grosse anguille, et au fait ilz la meng\u00e8rent et distrent que\nilz diroient \u00e0 leur seigneur que le loerre l\u2019avoit mang\u00e9e. Et quant le\nseigneur fut venu, la pye lui commen\u00e7a \u00e0 dire: \u00abMon seigneur, ma dame a\nmangi\u00e9 l\u2019anguille.\u00bb Lors le seigneur ala \u00e0 son vivier et ne trouva point\nde son anguille. Si vint \u00e0 son hostel et demanda \u00e0 sa femme que estoit\ndevenue l\u2019anguille, et elle se cuida bien excuser, maiz il dit qu\u2019il\nestoit tout certain et que la pie le lui avoit dit. Sy ot ceans assez\ngrand noise et grant tourment. Maiz quand le seigneur s\u2019en fut alez, la\ndame et la clavi\u00e8re si vindrent \u00e0 la pye et lui plum\u00e8rent toute la teste\nen lui disant: \u00abVous nous avez descouvertez de l\u2019anguille.\u00bb Et ainsi fut\nla povre pie toute plum\u00e9e. Maiz de l\u00e0 en avant, quant il venoit nulles\ngens qui feussent pelez ne qui eussent grant front, la pie leur disoit:\n\u00abVous en parlates de l\u2019anguille.\u00bb Et pour ce a cy bon exemple comment\nnulle femme ne doit mengier nul bon morsel par sa lescherie sans le sceu\nde son seigneur, se elle ne l\u2019employe avec gens d\u2019onnour. Car celle\ndamoiselle en fu depuis mocqu\u00e9e et rigol\u00e9e pour celle anguille, \u00e0 cause\nde la pie qui s\u2019en plaignoit.\nComment nulle femme ne doit estre jalouse.\nChappitre XVIIe.\nUn exemple vous diray comment c\u2019est male chose que jalousie. Une\ndamoiselle, qui estoit mari\u00e9e \u00e0 un escuier, si amoit tant son seigneur,\nqu\u2019elle en estoit jalouse de toutes celles \u00e0 qui il parloit. Si l\u2019en\nblasmoit son seigneur mainteffoiz par bel; mais riens n\u2019y valoit, et\nentre les autres elle estoit jalouse d\u2019une damoiselle du pa\u00efs, laquelle\nestoit de haultain couraige. Si advint une foiz qu\u2019elle ten\u00e7a \u00e0 celle\ndamoiselle, et lui reprouchoit son mary, et l\u2019autre lui dyt que par sa\nfoy elle disoit ne bien ne voir, et l\u2019autre disoit qu\u2019elle mentoit. Si\ns\u2019entreprindrent et destress\u00e8rent malement, et celle qui estoit accus\u00e9e\ntenoit un baston et en fiert l\u2019autre par le nez tel coup que elle lui\nrompit l\u2019os et eut toute sa vie le nez tort, qui est le plus bel et le\nplus s\u00e9ant membre que homme ne femme ait, comme cellui qui siet au\nmilieu du visaige. Si en fut celle damoiselle toute sa vie deffaite et\nhonteuse, et son mary lui reprouchoit bien souvent qu\u2019il lui eust mieulx\nvalu de non estre si jalouse que de avoir fait deffaire son visage. Et\nainsi par celle laideur et mescheance, il ne la peut depuis si\nparfaictement amer comme il souloit devant, et ala au change. Et ainsi\nperdit l\u2019amour et l\u2019onnour de son seigneur par sa jalousie et par sa\nfollie. Et pour ce a cy bon exemple \u00e0 toute bonne femme et \u00e0 bonne dame\ncomment elles ne doivent faire semblant de telz choses, et doivent\nsouffrir bel et courtoisement leur doulour, se point en ont, si comme\nsouffrit une mienne tante, qui le me compta plusieurs fois. Celle bonne\ndame fut dame de Languillier, et avoit un seigneur qui tenoit bien mil\net v.c livres de rente, et tenoit moult noble estat. Et estoit le\nchevallier \u00e0 merveille luxurieux, tant qu\u2019il en avoit tousjours une ou\ndeux \u00e0 son hostel, et bien souvent il se levoit de del\u00e8z sa femme et\naloit \u00e0 ses folles femmes. Et, quant il venoit de folie, il trouvoit la\nchandoille alum\u00e9e et l\u2019eaue et le toaillon \u00e0 laver ses mains. Et quant\nil estoit revenuz, elle ne ly disoit rien, fors qu\u2019elle luy prioit qu\u2019il\nlavast ses mains, et il disoit que il venoyt de ses chambres ais\u00e9es: \u00abEt\npour tant, mon seigneur, que vous ven\u00e9s des chambres, avez vous plus\ngrant mestier de vous laver.\u00bb Ne autre ne lui reprouchoit, maiz que\naucune foiz elle luy disoit priv\u00e9ement, \u00e0 eulx tous deulx seulz: \u00abMon\nseigneur, je s\u00e7ay bien vostre fait de telle et telle. Maiz j\u00e0 par ma\nfoy, se Dieu plaist, puisque c\u2019est vostre plaisir et que je n\u2019y puis\nmettre autre rem\u00e8de, je n\u2019en feray ne \u00e0 vous ne \u00e0 elles pire chi\u00e8re ne\nsemblant. Car je seroys bien folle de tuer ma teste pour l\u2019esbat de voz\ndenr\u00e9es, puisque autrement ne peut estre. Maiz, je vous prie, mon\nseigneur, que au mains vous ne m\u2019en faciez point pire chi\u00e8re, et que je\nne perde vostre amour ne vostre bon semblant; car du seurplus je me\ndeporteray bien et en soufreray bien tout ce qu\u2019il vous en plaira\ncommander.\u00bb Et aucunes fois, par ces doulces parolles, le cuer lui en\npit\u00e9oit et s\u2019en gardoit une grant pi\u00e8ce. Et ainsi toute sa vie, par\ngrant ob\u00e9issance et par grant courtoisie le vainquoit; car par autre\nvoie jamaiz ne l\u2019eust vaincu, et tant que au derrenier il s\u2019en repentist\net se chastia. Cy a bon exemple comment, par courtoisie et par\nob\u00e9issance, l\u2019on puet mieulx chastier et desvoyer son seigneur de celluy\nfaict que par rudesse. Car il en est le plus de telz couraiges que,\nquant elles leur courent sus, ilz se appunaisissent et en font pis. Pour\ntant, \u00e0 droit resgarder, ne doit pas savoir le mary trop mal gr\u00e9 \u00e0 sa\nfemme se elle est jalouse de luy. Car li saige dit que la jalousie est\ngrant aspresse d\u2019amour, et je pense que il die voir; car il ne me\nchauldroit se aucun, qui riens ne me seroit ne que j\u00e0 cause n\u2019auroye\nd\u2019amer, se il faisoit bien ou mal; maiz de mon prouchain, ou de mon amy,\nje en auroye doulour et dueil au cuer se il avoit fait aucun grant mal;\net pour ce jalousie n\u2019est point sans grant amour. Maiz il en est de deux\nmani\u00e8res, dont l\u2019une est pire que l\u2019autre; car il n\u2019en est aucune o\u00f9 il\nn\u2019a nulle bonne raison, et que il vault trop mieux s\u2019en souffrir pour\nleur honneur et pour leur estat. Et aussi l\u2019omme ne doit pas trop mal\ngr\u00e9 savoir \u00e0 sa femme se elle est un pou jalouse de luy; car elle\nmonstre comment le cuer lui duelt. Ainsi comme elle a grant paour que\naultre ait l\u2019amour qu\u2019elle doit avoir de son droict, selon Dieu et\nsaincte Eglisse. Maiz la plus saige en fait le mains de semblant, et se\ndoit reffraindre bel et courtoisement et couvertement porter son mal, et\ntout ainsi doit faire l\u2019omme, et soy refraindre saigement au moins de\nsamblant que il pourra; car c\u2019est grant sens qui s\u2019en peut garder. Maiz\ntoutesfoiz la femme qui voit que son seigneur est un petit jalous\nd\u2019elle, se il s\u2019appar\u00e7oyt d\u2019aucunes follies plaisantes qui ne lui\nplaisent pas, la bonne femme le doit porter saigement sanz en faire\nsemblant devant nul. Sy elle luy en parle par nulle voye, elle le doit\ndire \u00e0 eulx deulx le plus doulcement que elle pourra, en disant qu\u2019elle\nscet bien que la grant amour qu\u2019il a avecques elle lui fait avoir paour\net doubte qu\u2019elle tourne s\u2019amour ailleurs et lui dire qu\u2019il n\u2019en ait j\u00e0\npaour, car, se Dieu plaist, elle gardera l\u2019onneur de eulx deulx. Et\nainsi, par belles et doulces parolles, le doit desmouvoir et oster de sa\nfolle merencolie; car, se elle le prent par yre ne par haultes paroles,\nelle alumera le feu et luy fera encores penser pis et avoir plus grant\ndoubte que devant. Car plusieurs femmes sont plus fi\u00e8res en leurs\nmens\u00e7onges que en parolles de v\u00e9rit\u00e9, et pour ce maintes foiz font plus\nde doubte. Et aussy vous dis-je que la bonne dame, combien que elle ait\nun pou de riote et d\u2019ennuy, elle n\u2019en doit pas moins avoir chier son\nseigneur pour un pou de jalousie, car elle doit penser que c\u2019est la tr\u00e8s\ngrant amour qu\u2019il a \u00e0 elle, et comment il a grant doubte et grant soussy\nen son cuer que autre ait l\u2019amour que il doit avoir de son droit, selon\nl\u2019\u00c9glise et Dieu, et penser et regarder se aultre lui fortrait l\u2019amour\nque il doit avoir, et que jamaiz ne l\u2019aymera, et que la joie de leur\nmariage seroit perdue, et leur mariage tourn\u00e9 \u00e0 declin et tournera de\njour en jour. Et une chose, dont maintes se donnent mal, est jalousie et\nfait grant soussi et estroit penser, et pour ce a cy bon exemple comme\nl\u2019en doit amesurer son couraige et son penser.\nCy parle de la bourgoise qui se fist ferir par son oultraige.\nChappitre XVIIIe.\nApr\u00e8s ne doit l\u2019en point \u00e0 son seigneur estriver ne luy respondre son\ndesplaisir, comme la bourgoise qui respondoit \u00e0 chascune parolle que son\nseigneur luy disoit tant anvieusement, que son seigneur fut fel et\ncourrousci\u00e9 de soy veoir ainsi ramposner devant la gent; si en ot honte,\net lui dist une foiz ou deux qu\u2019elle se teust, et elle n\u2019en voulsist\nriens faire. Et son seigneur, qui fut yri\u00e9, haul\u00e7a le poing et l\u2019abbati\n\u00e0 terre, et oultre la fery du pi\u00e9 au visaige et luy rompit le nez. Si en\nfu toute sa vie deffaite, et ainsy par son ennuy et par sa riote elle ot\nle nez tort, qui moult luy mesadvint. Il luy eust mieux valu qu\u2019elle se\nfeust teue et soufferte; car il est raison et droit que le seigneur ait\nles haultes parolles, et n\u2019est que honneur \u00e0 la bonne femme de\nl\u2019escouter et de soy tenir en paix et laissier le hault parler \u00e0 son\nseigneur, et aussy du contraire, car c\u2019est grant honte de o\u00efr femme\nestriver \u00e0 son seigneur, soit droit, soit tort, et par especial devant\nles gens. Je ne dis mie que, quant elle trouvera espace seul \u00e0 seul, que\npar bel et par courtoisie, elle le puet bien aprendre et luy monstrer\ncourtoisement qu\u2019il avoit tort, et s\u2019il est homme de Dieu il luy en\nsaura bon gr\u00e9, et s\u2019il est autre, se n\u2019aura elle fait que son droit. Car\ntout ainsy le doit faire preude femme \u00e0 l\u2019exemple de la sage dame la\nroyne Hester, femme du roy de Surie, qui moult estoit colorique et\nhatif; maiz sa bonne dame ne lui respondoit riens en son yre; maiz\napr\u00e8s, quant elle v\u00e9oit son lieu, elle faisoit tout ce qu\u2019elle vouloit,\net c\u2019estoit grant senz de dames, et ainsi le doivent faire les bonnes\ndames \u00e0 ceste exemple. Cestes femmes, qui sont foles et remponeuses, ne\nsont pas de l\u2019obeyssance comme fut la femme d\u2019un marchant, dont je vous\nen diray l\u2019exemple.\nDe celle qui saillit sur la table.\nChappitre XIXe.\nUne fois avint que trois marchans venoient de l\u2019emplette de querre draps\nde Rouen. Si dist l\u2019un: C\u2019est trop bonne chose que femme, quand elle\nobeist voulontiers \u00e0 son seigneur.--Par foy, fist l\u2019autre, la moye\nm\u2019obeist bien.--Vrayement, dist l\u2019autre, la moye, si comme je pense, me\nobeist plus.--Voire, dist le tiers, mectons une fermaille, laquelle\nobeyra mieulx et qui mieulx fera au commandement de son mary.--Je le\nvueil, firent les autres. Sy fut mise la fermaille, et jur\u00e8rent tous\ntrois que nul ne advertiroit sa femme, fors dire: Ce que je commanderay\nsoit fait, comment que ce soit. Si vindrent premierement chez l\u2019une. Sy\ndist le seigneur: Ce que je commenderay soit fait, comment que ce soit.\nApr\u00e8s cela le seigneur dist \u00e0 sa femme: Sailliez en ce bassin.--Et elle\nrespondit: A quoy, ne \u00e0 quelle besoingne?--Pour ce, dist-il, que je le\nvueil.--Vrayement, dit-elle, je sauray avant pourquoy je saille. Si n\u2019en\nfist rien; si fut le mary moult fel, si luy donna une buffe. Apr\u00e8s ilz\nvindrent chi\u00e9s le second marchant et dist, ainsi comme dist l\u2019autre, que\nson commandement feust fait, et puis d\u2019illec ne demoura gu\u00e8res apr\u00e8s\nqu\u2019il la commanda \u00e0 saillir ou bacin. Et elle dist: Pourquoy? Et au fort\nelle n\u2019en voult riens faire, et en fut batue comme l\u2019autre. Si vindrent\nchez le tiers marchant. Si estoit la table mise et la viande dessus. Si\ndist aux autres en l\u2019oreille que apr\u00e8s mengier il lui commanderoit \u00e0\nsaillir ou bacin. Et se misrent \u00e0 table, et le seigneur dit devant tous\nque ce que il commanderoit feust fait, comment qu\u2019il feust. Sa femme,\nqui le amoit et craignoit, oyt bien la parolle; sy ne s\u00e7eut que penser.\nSi advint que il meng\u00e8rent oeufs mol\u00e8s, et n\u2019y avoit point de sel fin\nsur la table. Sy va dire le mary: Femme, saul sur table; et la bonne\nfemme, qui ot paour de luy d\u00e9sob\u00e9ir, saillit sur table et abati table et\nviandes, et vin et voirres, et escuelles, tant que tout ala par la\nplace. Comment, dist le seigneur, est-ce la mani\u00e8re? vous ne s\u00e7av\u00e9s\nautre jeu f\u00e8re; estes-vous desv\u00e9e?--Sire, dist-elle, j\u2019ay fait vostre\ncommandement; ne aviez vous pas dit que vostre commandement feust fait,\ncombien qu\u2019il feust? je l\u2019ay faict \u00e0 mon pouvoir, combien que ce feust\nvostre dommaige et le mien: car vous m\u2019aviez dit que je saillisse sur la\ntable.--Quoy, dist-il, je disoye: Sel sur table.--En bonne foy,\ndist-elle, je entendoye y saillir. Lors y ot ass\u00e9s ris et tout prins \u00e0\nbourde, dont les aultres deux marchans vont dire qu\u2019il ne falloit j\u00e0\ncommander qu\u2019elle saillist ou bacin, et qu\u2019elle en avoit assez fait, et\nque son seigneur avoit gaaingni\u00e9 la fermaille, et fut la plus lo\u00e9e de\nobeir \u00e0 son seigneur, et ne fut mie batue comme les autres, qui ne\nvouloient faire le commandement de leurs seigneurs; car gens voitturiers\nsy chastient leurs femmes par signes de cops; et aussy toute gentil\nfemme de son droit mesmes doit l\u2019en chastier et par bel et par\ncourtoisie, car autrement ne leur doit l\u2019en faire. Et, pour ce, toute\ngentil femme monstre se elle a franc et gentil cuer ou non, c\u2019est\nassavoir qui lui monstre par bel et par courtoisie, de tant comme elle\naura plus gentil et franc cuer, de tant se chastie elle mieulx, et\nobeist et fait plus debonnairement le commandement de son seigneur, et a\nplus grant doubte et paour de luy desobeir. Car les bonnes craignent\ncomme fist la bonne femme au tiers marchant, qui, pour doubte de\ndesobeir \u00e0 son seigneur, elle sailly sus la table et abaty tout, et\nainsi doit toute bonne femme f\u00e8re, craindre et ob\u00e9ir \u00e0 son seigneur, et\nfaire son commandement, soit tort, soit droit, se le commandement n\u2019est\ntrop oultrageux, et, se il y a vice, elle en est desblasm\u00e9e, et demeure\nle blasme, se blasme y a, \u00e0 son seigneur. Or vous ay un peu traitti\u00e9 de\nl\u2019obeissance et de la crainte que l\u2019on doit avoir \u00e0 son seigneur, et\ncomment l\u2019en ne doit pas respondre \u00e0 chascune parolle de son seigneur ne\nd\u2019autre, et quel p\u00e9ril il y a et comment la fille d\u2019un chevalier en mist\nson honnour et son estat en grant balence, pour estriver et respondre au\nfol escuier, qui pour ce dist que fol et que nice et sot. Maiz il est\nmaintes gens qui sont de sy haultaines paroles et de sy mauvaiz couraige\nqu\u2019ilz dient en hastivet\u00e9 tout ce qu\u2019ils scevent, et que \u00e0 la bouche\nleur vient. Pour ce est-ce grant p\u00e9ril de prendre tenson \u00e0 telles gens.\nCar qui l\u2019y prent, il met son honneur en grant adventure; car maintes\ngens en leur yre dient plus que ilz ne scevent pour eulx mieulx vengier.\nSi vous laisseray de ceste mati\u00e8re et vous parleray de celles qui\ndonnent la char aux petiz chiens.\nDe celle qui donnoit la char aux chiens.\nChappitre XXe.\nJe vous parleray de celle qui donnoit la chair et les bons morseaulx \u00e0\nses petiz chiens. Une dame estoit qui avoit deux petis chiens. Si les\navoit sy chiers qu\u2019elle y prenoit moult grant plaisance et leur faisoit\nfaire leur escuielle de souppes, et puis leur donnoit de la char. Sy y\not une fois un fr\u00e8re mendiant qui lui dist que ce n\u2019estoit pas bien fait\nque les chiens fussent gros et gras l\u00e0 o\u00f9 les povres de Dieu estoient\npovres et maigres de faing. Si lui en sceut moult mal gr\u00e9 la dame, et\npour ce ne se voult chastier. Sy advint que la dame acoucha au lit\nmalade de la mort, et y avint telles merveilles que l\u2019en vit tout\nappertement sur son lit deux petiz chiens noirs, et, quant elle transit,\nilz estoient entour sa bouche et lui lechoient le bec, et, quand elle\nfut transie, l\u2019on lui vit la bouche toute noire, que ilz avoient l\u00e9ch\u00e9e,\ncomme charbons, dont je l\u2019ouy compter \u00e0 une demoiselle qui disoit\nqu\u2019elle l\u2019avoit veue, et me nomma la dame. Pourquoy a cy bonne exemple \u00e0\ntoute bonne dame comment elle ne doit point avoir si grant plaisance en\ntelle chose, ne donner la char aux chiens ne les lescheries, dont les\npovres de Dieu meurent de faing l\u00e0 hors, qui sont creatures de Dieu et\nfais \u00e0 sa semblance, et sont ses serfz et ses sergens, et cestes femmes\nont pou ouy la parolle que Dieu dist en la sainte euvangille, que qui\nfait bien \u00e0 son povre il le faist \u00e0 luy meismes. Cestes femmes ne\nresemblent pas \u00e0 la bonne royne Blanche, qui fut m\u00e8re saint Loys, qui ne\nprenoit point desplaisir ains faisoit donner la viande de devant elle\naux plus mesaisi\u00e9z. Et apr\u00e8s, saint Loys, son filz, le faisoit ainsy;\ncar il visitoit les povres et les paissoit de sa propre main. Le plaisir\nde toute bonne femme doit estre \u00e0 v\u00e9oir les orphelins et povres et petiz\nenfanz par piti\u00e9, et les nourrir et les vestir comme faisoit la sainte\ndame qui estoit comtesse du Mans, laquelle nourissoit bien xxx\norphelins, et disoit que c\u2019estoit son esbat, et pour ce fut amie de\nDieu, et ot bonne vie et bonne fin, et vit l\u2019en plus grant clart\u00e9 et\nplant\u00e9 de petiz enfanz en sa mort; ce ne furent pas les petiz chiens que\nl\u2019on vit \u00e0 la mort de l\u2019autre, comme ouy avez.\nDu debat qui fut entre le sire de Beaumanoir et une dame.\nChappitre XXIe.\nMes belles filles, je vous prye que vous ne soyez mie des premi\u00e8res \u00e0\nprendre les estas nouveaulx, et que en cestui cas vous soiez les plus\ntardives et les derreni\u00e8res, et par especial de prandre estat de femmes\nd\u2019estrange pa\u00efs, sy comme je vous diray d\u2019un d\u00e9bat qui fut d\u2019une\nbaronnesse qui demouroit en Guienne et du sire de Beaumanoir, p\u00e8re de\ncestuicy qui \u00e0 present est, qui fut malicieux et saige chevallier. La\ndame le arraysonnoit de sa femme et lui dist: \u00abBeau cousin, je vien de\nBretaigne, et ay veu belle cousine vostre femme, qui n\u2019est pas ainsi\natourn\u00e9e, ne sa robe estoff\u00e9e comme les dames de Guienne et de plusieurs\nautres lieux; car les pourfiz de ses cours\u00e8s et de ses chapperons ne\nsont pas assez grans ne de la guise qui queurt \u00e0 present.\u00bb Le chevalier\nluy respondi: \u00abMa dame, puisqu\u2019elle n\u2019est pas array\u00e9e \u00e0 vostre guise et\ncomme vous, et que ses pourfiz vous semblent petiz et que vous m\u2019en\nblasm\u00e9s, sachiez que vous ne m\u2019en blasmer\u00e9s plus; ains la feray plus\ncointe et aussy nouvellement array\u00e9e de nobles cointises comme vous ne\nnulles des autres; car vous et elles n\u2019avez que la moiti\u00e9 de vos cors\u00e8s\net de vos chapperons rebuffez de vair et d\u2019ermines; et je feray encores\nmieulx, car je lui feray ses cors\u00e8s et ses chapperons vestir en\nl\u2019envers, le poil dehors. Ainsi sera mieulx pourfill\u00e9e et rebuff\u00e9e que\nvous ne les autres.\u00bb Apr\u00e8s luy dit: \u00abMa dame, pens\u00e9s-vous que je ne\nvueille qu\u2019elle soit bien array\u00e9e selon les bonnes dames du pa\u00efx? mais\nje ne veul pas qu\u2019elle mue l\u2019estat des preudes femmes et des bonnes\ndames de honneur de France et de ce pa\u00efs qui n\u2019ont pas prins l\u2019estat des\namies et des meschines aux Angloys et aux gens des compaignes; car ce\nfurent celles qui premi\u00e8rement admen\u00e9rent cest estat en Bretaingne des\ngrans pourfilz et des cors\u00e8s fendus \u00e8s costez et l\u00e8s floutans; car je\nsuy du temps et le vy. Sy que, \u00e0 prendre l\u2019estat de telles femmes le\npremier, je tiens \u00e0 petitement conseillies celles qui le prennent,\ncombien que la princesse et autres dames d\u2019Angleterre sont apr\u00e8s long\ntemps venus qui bien le pevent avoir. Mais j\u2019ay tousjours oy dire aux\nsaiges que toutes bonnes dames doivent tenir l\u2019estat de bonnes dames du\nroyaulme dont elles sont, et que les plus saiges sont celles qui\nderreni\u00e8rement prennent telles nouveaultez. Et aussy par renomm\u00e9e l\u2019on\ntient les dames de France et de cestes basses marches les meilleurs\ndames qui soient et les moins blasm\u00e9es. Mais en Angleterre en a moult de\nblasm\u00e9es, si comme l\u2019on dist; si ne s\u00e7ay se s\u2019est \u00e0 tort ou \u00e0 droit. Et\npour ce est-il mieulx de tenir le fait aux dames qui ont meilleur\nrenomm\u00e9e.\u00bb Si furent cestes paroles dictes devant plusieurs, dont la\ndame se tint pour nice et ne s\u00e7eut que elle luy deust respondre, dont\nplusieurs se prindrent \u00e0 rire et dirent entre eux qu\u2019il lui vaulsist\nmieulx un bon taire. Et pour ce, belles filles, a cy bonne exemple de\nprendre et tenir l\u2019estat moyen et l\u2019estat des bonnes dames de son pays\net du commun du royaulme dont l\u2019en est, c\u2019est assavoir dont les plus des\nbonnes dames usent commun\u00e9ment, et especiaulment les preudes dames,\nselon ce que chascune le doit faire; car \u00e0 prandre nouvel estat venu\nd\u2019estranges femmes ne d\u2019autruy pays, l\u2019en est plus tost moqu\u00e9e et\nrigol\u00e9e que de tenir l\u2019estat de son pays, si comme vous avez ouy dire\nque le bon chevalier, qui saiges estoit et de grant gouvernement, en\nreprint la dame. Et saichiez de certain que celles qui premiers les\nprennent donnent assez \u00e0 jangler et \u00e0 rigoler sur elles. Mais, Dieu\nmercy, aujourduy, d\u00e8s ce que une a ouy dire que aucune a une nouveault\u00e9\nde robe ou de atour, aucunes de celles qui oyent les nouvelles ne\nfiniront jamais jusques \u00e0 tant qu\u2019elles en aient la copie, et dient \u00e0\nleurs seigneurs chascun jour: \u00abTelle a telle chose qui trop a bien lui\navient, et c\u2019est trop belle chose; je vous prie, mon seigneur, que j\u2019en\naye.\u00bb Et se son seigneur lui dist: \u00abM\u2019amie, se celle en a, les autres,\nqui sont femmes aussi sages comme elles, n\u2019en ont point.--Quoy! sire, se\nelles ne se scevent arrayer, qu\u2019en ay-je \u00e0 faire? puisque telle en a,\nj\u2019en puis bien avoir et porter aussy bien comme elle.\u00bb Si vous dy\nqu\u2019elles trouveront tant de si bonnes raisons \u00e0 leur dit, qu\u2019il\nconviendra que elles aient leur part de celle nouveaut\u00e9 et cointise.\nMaiz cestes mani\u00e8res de femmes ne sont mie voulentiers tenues les plus\nsaiges ne les plus s\u00e7avans, fors qu\u2019elles ont plus le cuer au si\u00e8cle et\n\u00e0 la playsance du monde. Dont je vous en diray d\u2019une mani\u00e8re qui est\nvenue, de quoy les femmes servantes et femmes de chambres, clavi\u00e8res et\naultres de mendre estat, se sont prinses communement, c\u2019est-\u00e0-dire\nqu\u2019elles fourrent leurs doz et leurs talons, autant penne comme drap,\ndont vous verrez leurs pennes derri\u00e8re que ilz ont crott\u00e9es de boue \u00e0\nleurs talons, tout aussy comme le treu d\u2019une brebis soilli\u00e9e derri\u00e8re.\nSi ne priseri\u00e9s riens celle cointise en est\u00e9 ne en yver; car, en yver,\nquant il fait grant froit, elles meurent de froit \u00e0 leurs ventres et \u00e0\nleurs tetines, qui ont plus grant mestier d\u2019estre tenues chaudement que\nles talons, et en est\u00e9 les puces s\u2019y mucent, et pour ce je ne prise\nriens la nouveault\u00e9 ne telle cointise. Je ne parle point sur les dames\nne sur les damoiselles atourn\u00e9es, qui bien le pevent faire \u00e0 leur\nplaisir et \u00e0 leur guise; car sur leur estat je ne pense mie \u00e0 parler\nchose qui leur doye desplaire, que je le puisse s\u00e7avoir; car \u00e0 moy ne\naffiert ne appartient fors les servir et honorer et les obeir \u00e0 mon\npovoir, ne je ne pense sur nulles en parler par cest livre, fors que \u00e0\nmes propres filles et \u00e0 mes femmes servantes, \u00e0 qui je puis dire et\nmonstrer ce que je vueil et il me plaist.\nComment il fait perilleux estriver \u00e0 gens s\u00e7avans du si\u00e8cle, et parle de\nla dame qui print tensson au mareschal de Clermont.\nChappitre XXIIe.\nBelles filles, je vous diray un exemple comment il fait p\u00e9rilleux parler\nne tenir estrif \u00e0 gens qui ont le si\u00e8cle \u00e0 main et ont mani\u00e8re et sens\nde parler. Car voulentiers l\u2019en gaaingne pou \u00e0 leur tenir estrif de\nbourdes ne de jangles, qui bien ne leur plaisent. Dont il advint \u00e0 une\ngrand feste, o\u00f9 il avoit moult de grans dames et seigneurs, et l\u00e0 fut le\nmareschal de Clermont, qui \u00e0 merveilles avoit le si\u00e8cle \u00e0 main, comme de\nbeau parler et beau maintient, et de s\u00e7avoir bien son estre entre tous\nchevaliers et dames. Si y avoit une grant dame qui lui dist devant tous:\n\u00abClermont, en bonne foy, vous devez grant guerredon \u00e0 Dieu, car vous\nestes tenu pour bon chevalier et assez beau, et savez merveilles. Se\nfeussiez assez parfaiz, se ne fust vostre jangle et vostre mauvaise\nlangue qui par foiz ne se puet taire.--Or, ma dame, dist-il, est-ce donc\nla pire tache que j\u2019aye?--Je pense que ouil, dist-elle.--Or veons,\ndist-il, en ce fait: il me semble, \u00e0 droit jugier, que je ne l\u2019ay pas si\npire comme vous avez, et vous diray pourquoy; vous m\u2019avez dit et\nreprouchi\u00e9 la pire tache que j\u2019aye selon vostre advis, et, se je me tais\nde dire la pire que vous aiez, quel tort vous fais-je? Madame, je ne\nsuis pas si legier en parler comme vous estes.\u00bb La dame escouta et ama\nmieux ne avoir j\u00e0 parl\u00e9, ne estriv\u00e9 \u00e0 lui, pour plusieurs raisons que je\nne dy pas, lesquelles j\u2019ay ouy compter qu\u2019il en fust assez parl\u00e9, et\ndistrent plusieurs que trop grant appertise n\u2019a mestier, et il luy\nvaulsist mieux \u00e0 soy estre teue. Et pour ce a cy bon exemple: car il\nvault mieulx aucunes foys soy taire et soy tenir plus humblement que\nestre trop apperte ne commancier parolles \u00e0 telz gens qui ont parolles \u00e0\nmain et qui n\u2019ont nulle honte de dire parolles doubles \u00e0 plusieurs\nentendemens. Et pour ce regardez bien \u00e0 qui vous emprendrez \u00e0 parler, et\nne leurs dittes point de leur desplaisir, car l\u2019estrif d\u2019eulx est moult\np\u00e9rilleux.\nCy parle de Bouciquaut et de iij dames, comment il s\u2019en chevit.\nChappitre XXIIIe.\nEncores vous parleray de ceste mati\u00e8re, comment il avint \u00e0 Bouciquaut\nque trois dames lui cuidoient faire honte, et comment il s\u2019en chevit.\nBouciquaut estoit saige et beaul parlier sur tous les chevaliers, et si\navoit grant si\u00e8cle et grant senz entre grans seigneurs et dames. Sy\nadvint \u00e0 une feste que trois grans dames se seoient sur un comptouer et\nparloient de leurs bonnes adventures, et tant que l\u2019une dist aux autres:\n\u00abBelles cousines, honnie soit elle qui ne dira verit\u00e9 par bonne\ncompaignie, se il y a nulle de vous qui en ceste ann\u00e9e feust pri\u00e9e\nd\u2019amours.--Vrayement, dist l\u2019une, je l\u2019ay est\u00e9 depuis un an.--Par ma\nfoy, dist l\u2019autre, si ay-je moy.--Et moy aussi, se dist la tierce.--Et\ndist la plus apperte: Honnie soit elle qui ne dira le nom de celluy qui\nderenierement nous pria. Par foy, se vous dictes, je vous diray. Sy se\nvont accorder \u00e0 dire voir.--Vrayement, dist la premi\u00e8re, le derrenier\nqui me pria fust Bouciquaut.--Vraiement, dist l\u2019autre, et moy\naussi.--Et, dist la tierce, si fist-il moy.--Vrayement, distrent les\naultres, il n\u2019est pas si loyal chevalier comme nous cuidions. Ce n\u2019est\nque un bourdeur et un trompeur de dames. Il est c\u00e9ans; envoyons le\nquerre pour luy mettre au nez ce fait.\u00bb Sy l\u2019envoy\u00e8rent querre, et il\nvint; si leur demanda: \u00abMes dames, que vous plaist?--Nous avons \u00e0 parler\n\u00e0 vous; seez vous cy.\u00bb Sy le vouloient faire seoir \u00e0 leurs piez, mais il\nleur dist: \u00abPuis que je suis venus \u00e0 vostre mandement, faictes-moy\nmettre des quarreaulx ou un siege \u00e0 moy seoir; car, se je me seoie bas,\nje pourroye rompre mes estaches, et vous me pourriez mettre sus que ce\nseroit aultre chose.\u00bb Si convint que il eust son siege, et quant il fust\nassis, icelles, qui bien furent yr\u00e9es, sy vont dire: \u00abComment,\nBouciquaut, nous avons est\u00e9 de\u00e7eues du temps pass\u00e9, car nous cuidions\nque vous fussiez voir disant et loyal; et vous n\u2019estes que un trompeur\net un moqueur de dames; c\u2019est vostre tache.--Comment, ma dame,\nsavez-vous que j\u2019ay fait?--Que vous avez fait? Vous avez pri\u00e9 d\u2019amours\nbelles cousines qui cy sont, et sy av\u00e9s vous moy, et si aviez jur\u00e9 \u00e0\nchascune de nous que vous l\u2019ami\u00e9s sur toutes autres. Ce n\u2019est pas voir,\nains est mensconge; car vous n\u2019estes pas trois en vault, et ne povez\navoir trois cuers pour en amer trois, et pour ce estes faulx et\ndecevable, et ne devez pas estre mis ou compte des bons ne des loyaulx\nchevaliers.--Or, mes dames, avez-vous tout dit? vous avez grand tort, et\nvous diray pourquoy; car \u00e0 l\u2019eure que je le dis \u00e0 chacune de vous, je y\navoye ma plaisance et le pensoie ainsy, et pour ce avez tort de moy\ntenir pour jengleur; maiz \u00e0 souffrir me convient de vous, car vous avez\nvos parlers sus moy.\u00bb Et quant elles virent qu\u2019il ne s\u2019esbahissoit\npoint, si va dire l\u2019une: \u00abJe vous diray que nous ferons. Nous en\njouerons au court festu \u00e0 laquelle il demourra.--Vrayement, dist\nl\u2019autre, d\u2019endroit moy je n\u2019y pense point \u00e0 jouer, car j\u2019en quitte ma\npart.--Vrayement, fist l\u2019aultre, sy fais-je moy.--Lors respondit: Mes\ndames, par le sabre Dieu, je ne suis point ainsi \u00e0 departir ne \u00e0\nlaissier; car il n\u2019y a cy \u00e0 qui je demeure.\u00bb Si se leva et s\u2019en ala, et\nelles demour\u00e8rent plus esbahies que luy, et pour ce est grant chose de\nprandre estrif \u00e0 gens qui scevent du si\u00e8cle ne qui ont si leur mani\u00e8re\net leur maintieng. Et pour ce a cy bon exemple comment l\u2019on ne doit\npoint entreprendre parolle ne estriver avecques celles gens; car il y a\nbien mani\u00e8re. Car celles qui aucunesfois cuident plus savoir en sont par\nfois les plus deceues, dont je vouldroye que vous sceussiez l\u2019exemple\nsemblable \u00e0 ceste cy sur cette mati\u00e8re.\nDe iij aultres dames qui accus\u00e8rent un chevalier.\nChappitre XXIIIIe.\nIl fut ainsi que trois dames avoient accus\u00e9 un chevalier de tel cas et\nde telle decevance, et l\u2019avoient enferm\u00e9 dans une chambre tout seul et\nchascune dame avoit une damoiselle, et au fort le jugi\u00e8rent-elles \u00e0\nmort, et que jam\u00e8z par telle guise ne decevroit dame ne demoiselle. Et\nsy estoient sy courrouci\u00e9es et sy yr\u00e9es vers luy que chascune tenoit le\ncoustel pour le occire; ne nul deblasme ne excusation ne lui valoit\nriens. Sy leur va dire: \u00abMes dames et damoiselles, puis qu\u2019il vous\nplaist que je meure, sans rem\u00e8de ne mercy avoir, je vous pry \u00e0 toutes\nqu\u2019il vous plaise \u00e0 moy donner un don.\u00bb Et au fort elles lui\naccord\u00e8rent. \u00abS\u00e7avez-vous, dist-il, que vous m\u2019avez octroy\u00e9?\u00bb--\u00abNennil,\ndistrent-elles, se vous ne le dictes.\u00bb--Vous m\u2019avez octroy\u00e9, dist-il,\nque la plus pute de vous toutes me frappera la premi\u00e8re.\u00bb Lors si furent\nesbahies et s\u2019entreregard\u00e8rent l\u2019une l\u2019autre, et pensa chascune endroit\nsoy: Se je frappoye la premi\u00e8re, je seroye honnie et deshonnor\u00e9e. Et,\nquant il les vit ainsi esbahies et en esmay, il sailly en pi\u00e9s et court\n\u00e0 l\u2019uis, et le defferma et s\u2019en yssy et ainsi se sauva le chevalier. Et\nelles demour\u00e8rent toutes esbahies et mocqu\u00e9es. Et pour ce un poy de\npensement vault moult \u00e0 besoing, soit \u00e0 homme ou \u00e0 femme. Si vous laisse\nde ceste mati\u00e8re et revien \u00e0 celles qui ont moult le cuer au si\u00e8cle,\ncomme \u00e0 estre \u00e8s joustes et \u00e8s festes, et aler voulentiers en\npelerinaige, plus pour esbat que pour d\u00e9votion.\nDe celles qui vont voulentiers aux joustes et aux pellerinaiges.\nChappitre XXVe.\nJe vous diray une exemple d\u2019une bonne dame qui recouvra un grant blasme\nsans cause \u00e0 une grant feste d\u2019une table ronde de joustes. Celle bonne\ndame estoit jeune et avoit bien le cuer au si\u00e8cle, et chantoyt et\ndanssoyt voulentiers, dont les seigneurs et les chevaliers l\u2019avoient\nbien chi\u00e8re, et les compaignons aussi. Toutes voyes son seigneur\nn\u2019estoit pas trop liez dont elle y aloit si voulentiers. Mais elle\nvouloit bien en estre requise, et son seigneur lui en donnoit grans\neslargissemens que on la requist et priast d\u2019amer, et son seigneur le\nfaisoit pour paour d\u2019acquerre la male grace des seigneurs, et que on ne\ndeist pas qu\u2019il en feust jaloux; si la leur octroyoit-il pour aler \u00e0\nleurs festes et esbatemens, et il mectoit moult de grans mises pour\nl\u2019accointir \u00e0 celles festes pour l\u2019onneur d\u2019eulx. Mais elle povoit bien\napparcevoir que, s\u2019il eust est\u00e9 au gr\u00e9 et plaisance de son mary, elle\nn\u2019y alast pas. Et, si comme il est accoustum\u00e9 en est\u00e9, temps que l\u2019en\nveille \u00e0 dances jusques au jour, il advint, une fois entre les autres,\nque, \u00e0 une feste o\u00f9 elle fust la nuit, l\u2019en estaigny les torches et fist\nl\u2019en grans huz et grans cris, et quant vint que l\u2019en apporta la lumi\u00e8re,\nle fr\u00e8re du seigneur de celle dame vit que un chevalier tenoit celle\ndame et l\u2019avoit mise un petit \u00e0 cost\u00e9, et, en bonne foy, je pense\nfermement qu\u2019il n\u2019y eust nul mal ne nulle villenie. Mais toutes fois le\nfr\u00e8re du chevalier le dist et en parla tant que son seigneur le sceut et\nen eut si grant dueil que il l\u2019en mescrut toute sa vie, ne depuis n\u2019en\neut vers elle si grant amour ne si grant plaisance, comme il souloit;\ncar il en fut fol et elle folle et s\u2019entrerechign\u00e8rent, et en perdirent\naussi comme tout leur bien et leur bon mesnage, et par petit d\u2019achoison.\nJe s\u00e7ay bien une autre belle dame qui tr\u00e8s voulentiers estoit men\u00e9e aux\ngrans festes. Si fu blasm\u00e9e et mescreue d\u2019un grant seigneur. Dont il\nadvint qu\u2019elle fut malade de si longue maladie, qu\u2019elle fut toute\ndeffaicte et n\u2019avoit que les os, tant estoit malade. Sy cuidoit transir\nde la mort, et se fist apporter beau sire Dieux. Lors dist devant tous:\n\u00abMes seigneurs, mes amis et mes amyes, veez en quel point je suy. Je\nsouloye estre blanche, vermeille et grasse, et le monde me louoit de\nbeault\u00e9; or povez-vous veoir que je ne semble point celle qui souloit\nestre; je souloye amer festes, joustes et tournoys; mais le temps est\npass\u00e9; il me convient que je aille \u00e0 la terre dont je vins. Et aussi,\nmes chers amis et amies, l\u2019en parle moult de mal de moy et de mon\nseigneur de Craon; mais, par celuy Dieu que je doys recevoir et sur la\ndampnacion de mon \u00e2me, il ne me requist oncques, ne me fist villennie\nmais que le p\u00e8re qui me engendra; je ne dy mie qu\u2019il ne couchast en mon\nlit, maiz ce fut sans villennie et sans mal y penser.\u00bb Si en furent\nmaintes gens esbahis, qui cuidoient que aultrement feust, et pour tant\nne laissa pas \u00e0 estre blasm\u00e9e ou temps pass\u00e9 et son honnour blessi\u00e9, et\npour ce a grant peril \u00e0 toutes bonnes dames de trop avoir le cuer au\nsi\u00e8cle, ne d\u2019estre trop desirables d\u2019aler \u00e0 telles festes, qui s\u2019en\npourroit garder honnourablement; car c\u2019est un fait o\u00f9 moult de bonnes\ndames re\u00e7oivent moult de blasmes sans cause. Et si ne dis-je mie qu\u2019il\nne conviengne parfoiz ob\u00e9ir \u00e0 ses seigneurs et \u00e0 ses amis et y aler.\nMais, belles filles, se il advient que vous y ailliez et que vous ne le\npuissiez refuser bonnement, quant vendra la nuit que l\u2019en sera \u00e0 dancier\net \u00e0 chanter, que pour le peril et la parleure du monde vous faciez que\nvous ayiez tousjours de cost\u00e9 vous aucun de voz gens ou de voz parens;\ncar se il advenoit que l\u2019en estaingnist voz torches et la clart\u00e9, qu\u2019ilz\nse tenissent pr\u00e8s de vous, non pas pour nulle doubtance de nul mal, maiz\npour le peril de mauvais yeulx et de mauvaises langues, qui tousjours\nespient et disent plus de mal qu\u2019il n\u2019y a, et aussy pour plus seurement\ngarder son honneur contre les jangleurs, qui voulentiers disent le mal\net taisent le bien.\nDe celles qui ne veullent vestir leurs bonnes robes aux festes.\nChappitre XXVIe.\nUn autre exemple vous diray de celles qui ne veulent vestir leurs bonnes\nrobes aux festes et aux dymenches pour l\u2019onneur de Nostre Seigneur. Dont\nje vouldroye que vous sceussiez l\u2019exemple de la dame que sa demoiselle\nreprist. Une dame estoit qui avoit de bonnes robes et de riches; mais\nelle ne les vouloit vestir aux dimenches ne aux festes, se elle ne\ncuidast trouver nobles gens d\u2019estat. Et advint \u00e0 une feste de\nNostre-Dame, qui fut \u00e0 un dimanche, si luy va dire sa damoyselle: \u00abMa\ndame, que ne vest\u00e9s-vous une bonne robe pour l\u2019onneur de la feste? car\nil est feste de Nostre-Dame et dymenche.--Quoy! dist-elle, nous ne\nverrons nulles gens d\u2019estat.--Ha! ma dame, ce dist la damoyselle, Dieu\net sa m\u00e8re sont plus grans et les doist l\u2019en plus honnourer que nulle\nchose mondaine, car il puet donner ou tollir de toutes choses \u00e0 son\nplaisir, car tout le bien et honneur vient de lui, et pour ce doit l\u2019en\nporter honneur \u00e0 la feste de luy et de sa benoyte chi\u00e8re m\u00e8re et \u00e0 leurs\nsains jours.--Taisiez-vous, dist la dame, Dieu et le prestre et les gens\nd\u2019esglise me voyent chascun jour; mais les gens d\u2019estat ne me voyent\npas, et pour ce m\u2019est plus grant honneur de moy parer et cointoier\ncontre eulx.--Ma dame, dist la damoiselle, c\u2019est mal dit.--Non est, dist\nla dame, layssiez advenir ce que advenir pourra.\u00bb Et tantost, \u00e0 ce mot,\nun vent, chault comme feu, la ferit par telle guise qu\u2019elle ne se pot\nbouger ne remuer, ne plus que une pierre, et d\u00e8s l\u00e0 en avant la\nconvenoit porter entre les bras, et devint grosse et enfl\u00e9e comme une\npipe. Si recognut sa follour et se voua en plusieurs pelerinages et s\u2019i\nfist porter en une liti\u00e8re, et \u00e0 toutes gens d\u2019onneur elle disoit la\ncause comment le mal lui estoit prins, et que c\u2019estoit la vengence de\nDieu, et que bien estoit employ\u00e9 le mal qu\u2019elle souffroit; car toute sa\nvie elle avoit port\u00e9 plus d\u2019onneur au monde que \u00e0 Dieu, et avoit plus\ngrant joye et plus grant plaisir \u00e0 soy cointoier quant gens d\u2019estat\nvenoient en lieu o\u00f9 elle fust, pour leur plaire et pour avoir sa part\ndes regards, qu\u2019elle ne faisoit par devocion \u00e8s festes de Dieu ne de ses\nsains. Et puis disoit aux gentilz et aux juennes femmes: \u00abMes amies,\nveez cy la vengence de Dieu\u00bb et comptoit tout le fait et leur disoit:\n\u00abJe souloye avoir beau corps bel et gent, se me disoit chascun pour moy\nplaire, et, pour la louange et le bobant de la gloire que je y prenoye,\nje me vestoie de fines robes et de bonnes pennes bien par\u00e9es, et les\nfaisoie faire bien justes et estroites; et aucunesfoiz le fruit qui\nestoit en moy en avoit ahan et peril, et tout ce faisoie pour en avoir\nla gloire et le loz du monde. Car quant je ouoye dire aux compaignons\nqui me disoient pour moy plaire: \u00abVeez cy un bel corps de femme qui est\nbien tailli\u00e9 d\u2019estre am\u00e9 d\u2019un bon chevalier\u00bb, lors tout le cuer me\nresjouissoit; mais or povez veoir quelle je suis, car je suy plus grosse\net plus constrainte que une pipe, ne je ne semble point celle qui fut;\nne mes belles robes, que je avoye si chi\u00e8res que je ne vouloye vestir\naux dymenches ne aux bonnes festes pour l\u2019honneur de Dieu, ne me auront\njamais mestier. Mes belles filles et amies, amez Dieu, car il m\u2019a\nmonstr\u00e9 ma folie, qui espargnoye mes bonnes robes aux festes pour moy\ncointoier devant les gens d\u2019estat pour avoir le los et le regart des\ngens. Sy vous prye, mes amies, que vous prengniez icy bon exemple.\u00bb\nAinsy se complaignoit la dame malade, et fut bien malade et enfl\u00e9e par\nl\u2019espace de vij ans. Et apr\u00e8s, quant Dieu eut veu sa contricion et sa\nrepentance, si luy envoya sant\u00e9 et la gary toute saine, et fut d\u00e8s lors\nen avant moult humble envers Dieu, et donna le plus de ses bonnes robes\npour Dieu, et se tint simplement et ne eut pas le cuer au monde comme\nelle souloit. Et pour ce, belles filles, a cy bon exemple comment l\u2019on\ndoit plus parer et vestir sa bonne robe aux dimenches et aux festes,\npour honneur et amour de Dieu, qui tout donne, et pour l\u2019amour de sa\ndoulce m\u00e8re et de ses sains, que l\u2019on ne doit faire pour les gens\nterriens, qui ne sont que boue et terre, pour avoir leur grace et leur\nlos ne les regards d\u2019eulx; car celles qui le font par telz plaisances,\nje pense qu\u2019il desplaise \u00e0 Dieu, et que il en prendra sa vengence en\ncest si\u00e8cle ou en l\u2019autre, sy comme il fist de la dame, comme vous avez\nouy, et pour ce y a bon exemple \u00e0 toutes bonnes femmes et bonnes dames.\nDe la suer saint Bernart.\nChappitre XXVIIe.\nUn autre vous vueil dire apr\u00e8s de ceste mati\u00e8re. Il advint que saint\nBernart, qui fut moult saint homme et noble et de hault lignaige, laissa\ntoutes ses possessions et grans noblesses pour servir Dieu en abbaye; et\npour sa sainte vie il fut esleu en abb\u00e9. Si vestoit la haire et faisoit\ngrans abstinences et estoit grant aumosnier aux povres. Si avoit une\nsuer moult grant dame, qui le vint veoir \u00e0 grant foyson de gens et moult\nnoblement adourn\u00e9e de riches robes et d\u2019atour de perles et de precieuses\npierres, et vint en cest estat devant son fr\u00e8re qui preudomme estoit, et\nquant le saint homme vit en cest grant arroy sa suer, sy se seigna et\nluy tourna le dos, et la dame eut grant honte et lui envoya s\u00e7avoir\npourquoy il ne daignoyt parler \u00e0 elle, et il lui manda que elle lui\navoit fait grand piti\u00e9 de l\u2019avoir veue en tel ourgueil et desguisement\net ainsi deffaite. Et lors elle osta ses riches robes et riches atours\net se arroya moult simplement, et il lui dist: \u00abBelle suer, se je aime\nvostre corps, je doy par raison plus amer vostre ame; ne cuidiez vous\npas qu\u2019il ne desplaise \u00e0 Dieu et \u00e0 ses angelz de veoir tel bobant et tel\norgueil mettre \u00e0 parer une telle charoingne, qui, apr\u00e8s vij jours que\nl\u2019ame en sera hors, purra que cr\u00e9ature ne le pourra sentir ne veoir sans\ngrant horreur et abbominacion. Belle suer, que ne pensez-vous une fois\nde journ\u00e9e comment les povres meurent de froit et de faing l\u00e0 hors, que\ndu xe de vostre cointerie et de voz noblesces feussent plus de xl\npersonnes ressaisiz et revestus contre le froit?\u00bb Lors lui dist le saint\npreudomme tant de bien et lui desclaira sy la folie du monde et les\nbonbans, et aussi le sauvement de l\u2019ame, que la bonne dame ploura et\ndepuis fist vendre le plus de ses robes et de ses riches atours, et\nl\u2019argent donna pour Dieu, et prist simples vestemens et humbles atours,\net mena sy sainte vie que elle eut la grace de Dieu et du monde,\nc\u2019est-\u00e0-dire des saiges et des preudes gens, qui vault mieux que celles\ndes folz. Et pour ce, belles filles, a cy bon exemple comment l\u2019en ne\ndoit pas tant avoir le cuer au monde, ne mettre en ses cointises pour\nplaire aux folz et au monde, que l\u2019en ne departe \u00e0 Dieu, qui tout donne\net dont l\u2019en puet acquerre son sauvement; car il vault mieulx moins\navoir de riches robes et d\u2019atours que les povres gens n\u2019en ayent leur\npart; car qui met tout pour avoir la plaisance du monde, je suis certain\nque c\u2019est folie et temptacion d\u2019ennemy, et se doit l\u2019en mieulx parer\npour honneur et amour de Dieu, c\u2019est aux dimanches et aux festes, en\nreverance et louange de luy et de ses sains, que pour la folle plaisance\ndu monde, qui n\u2019est que umbre et vent au regart de lui qui tout puet et\ntout donne, et tous diz durera sa gloire.\nDe celles qui ne font que jengler aux esglises.\nChappitre XXVIIIe.\nUn autre exemple vous diray de celle qui loquen\u00e7oit et jengloit \u00e0\nl\u2019esglise quant elles doivent ouir le divin office. Il est contenu \u00e8s\ngestes de Ath\u00e8nes que un saint hermite estoit, preudons et de sainte\nvie. Si avoit en son hermitage une chapelle de saint Jehan. Si y\nvindrent les chevaliers, les dames et damoiselles du pa\u00efs en\npelerinaige, tant pour la feste comme pour la saintet\u00e9 du preudomme. Si\nchanta l\u2019ermite la grant messe, et, quant il se tourna apr\u00e8s\nl\u2019euvangille, si regarda les dames et damoiselles et plusieurs\nchevaliers et escuiers, qui bourdoyent et jengloyent \u00e0 la messe et\nconseilloient les uns aux autres. Si regarda leur folle contenance, et\nvit \u00e0 chascune oreille de homme et de femme un ennemy moult noir et\nmoult orrible qui aussy se rioyent et jengloyent d\u2019eulx et escripvoient\nles parolles que ils disoient. Ces ennemis sailloient sur leurs cornes,\nsur leurs riches atours et sur leurs cointises, aussi comme petiz\noiselez, qui saillent de branche en branche. Sy se seigna li preudomme\net se esmerveilla. Et quant il fut \u00e0 son canon, aussy comme en la fin,\nil les ouy flater et parler, et rire et bourder. Sy fery sur le livre\npour les faire taire, mais aucuns et aucunes y avoit qui se teurent\npoint. Lors dist: \u00abBeau sire Dieux, faictes les taire et faictes\ncongnoistre leurs folies.\u00bb Lors tous ceux qui se rioient et qui\njengloient se prindrent \u00e0 crier et \u00e0 braire, hommes et femmes, comme\ngens demoniacles, et soufroient si grant doulour que c\u2019estoit piteuse\nchose \u00e0 ou\u00efr. Et quant la messe fu chant\u00e9e, le saint hermite leur dit\ncomment il avoit veu les ennemis d\u2019enfer eulx rire des mauvaises\ncontenances qu\u2019ilz faisoient \u00e0 la messe, et apr\u00e8s leur dist le grant\np\u00e9ril o\u00f9 ilz cheoyent de parler et de y bourder, et le grant pechi\u00e9 o\u00f9\nilz entroient, comme \u00e0 la messe et ou service de Dieu nulz et nulle n\u2019y\ndoit venir fors pour le ou\u00efr humblement et devotement et pour adourer et\nprier Dieu. Et apr\u00e8s leur dist comment il veoit les ennemis saillir et\nsaulteler sur leurs cornes et sur les attours de plusieurs femmes,\nc\u2019estoit \u00e0 celles qui tenoient parolles et contens aux compaignons et \u00e0\ncelles qui pensoient plus en amourettes et aux deliz du monde que \u00e0\nDieu, pour plaire et avoir les resgars des musars. Sur celles y veoit\nles ennemis espinguer; maiz sur celles qui disoient leurs heures et\nestoient en leur devocion, il n\u2019y estoit pas, combien que il y en avoit\nd\u2019assez cointes et bien par\u00e9es; car il tient le plus au cuer. Et apr\u00e8s\nleur dist que celles qui se cointissoient pour mieulx estre regard\u00e9es et\ny prenoient plus grans plaisances que au service de Dieu, donnoient\ngrant esbat \u00e0 l\u2019ennemy. Apr\u00e8s si advint que ceulx et celles qui cryoient\net estoient tourmentez, que les femmes getterent leurs cornes, leurs\natours et leurs cointises comme toutes forcenn\u00e9es; et toutesfoiz firent\nillecques leur neufvaine, et au chief de ix jours, \u00e0 la pri\u00e8re du saint\nhermite, ilz revindrent en leurs sens, et furent bien chastiez d\u00e8s l\u00e0 en\navant de parler ne de jengler ou service de Dieu. Pour quoy il y a cy\nbon exemple comment nul ne nulle ne doit parler ne destourber le divin\noffice de Dieu.\nD\u2019un exemple qui avint \u00e0 la messe saint Martin.\nChappitre XXIXe.\nEt encores vouldroye que vous sceussiez qu\u2019il advint \u00e0 la messe de saint\nMartin de Tours. Le saint homme chantoit la messe; sy lui aidoit son\nclerc et son filleul; c\u2019estoit saint Brice, qui apr\u00e8s luy fut arcevesque\nde Tours, lequel se prist \u00e0 rire, et saint Martin s\u2019en apparceut, et,\nquant la messe fust chant\u00e9e, saint Martin l\u2019appella et luy demanda\npourquoy il avoit ris, et il respondy qu\u2019il avoit veu l\u2019ennemy qui\nmettoit en escript ce que les femmes et hommes s\u2019entredisoyent tant\ncomme il disoit la messe, dont il advint que le perchemin d\u2019un des\nanemis fut trop court et petit, et il le prist \u00e0 tirer aux dens pour le\nesloigner, et, comme il le tira fort, il lui eschapa telement que il se\nfery de la teste contre la masi\u00e8re. Et pour ce m\u2019en ris. Et, quant saint\nMartin eut ouy saint Brice, et qu\u2019il avoit veu ce, il vit bien qu\u2019il\nestoit saint homme. Sy prescha sur ceste mati\u00e8re aux femmes comment\nc\u2019estoit grant pechi\u00e9 de parler ne de conseillier \u00e0 la messe, ne au\nservice de Dieu, et qu\u2019il vauldroit mieulx la moiti\u00e9 \u00e0 n\u2019y estre pas que\ny parler ne y conseillier; et encores soustiennent les grans clers que\nl\u2019en n\u2019y doit dire nulles heures, tant comme la messe dure et par\nespecial tant comme l\u2019euvangille dure ne le _per omnia_. Et pour ce,\nbelles filles, a cy bonne exemple comment vous devez contenir humblement\net devotement \u00e0 l\u2019eglise, ne y tenir parolles ne jangler \u00e0 nulluy pour\nriens qu\u2019il aviengne.\nDe celle qui perdit \u00e0 o\u00efr la messe.\nChappitre XXXe.\nUn grant exemple vous diray de ceulx qui par leur paresse perdent \u00e0 ouir\nla messe et la font perdre aux autres. J\u2019ay ouy compter le compte d\u2019un\nchevalier et d\u2019une dame qui, d\u00e8s leur jeunesse, prenoient moult grant\ndelit \u00e0 dormir \u00e0 haulte heure; sy le maintindrent par telle guise que\nbien souvent ilz perdoient \u00e0 o\u00efr la messe et la faisoient perdre \u00e0 leurs\nparoissiens; car la paroisse o\u00f9 ils demouroient estoit leur, et illec\npersonne ne les osoit desobeir. Sy avint que \u00e0 un dymenche ilz mand\u00e8rent\nque l\u2019en les attendist, et quant ilz furent venuz il fut midy pass\u00e9. Sy\nrespondirent plusieurs \u00e0 la personne ou chappelain de l\u2019esglise que il\nestoit heure pass\u00e9e et pour ce il ne osa chanter et n\u2019y ot point de\nmesse celuy dymenche, et fist moult de mal aux bonnes gens; mais \u00e0\nsouffrir le leur convint. Si avint la nuit ensuivant en avision au\nchappelain par ij foiz ou par troix, qu\u2019il lui sembloit qu\u2019il gardoit\nune grant compaignie de brebis en un champ o\u00f9 n\u2019avoit point de herbe. Si\nles vouloit mettre en un pastis pour paistre, o\u00f9 il n\u2019avoit que une\nentr\u00e9e, et en celle entr\u00e9e avoit un porc noir et une truye couchiez au\ntravers du chemin. Ces porcs estoient cornuz; si avoient sy grant paour\nlui et les ouailles qu\u2019ilz n\u2019osoient entrer ou pastis et s\u2019en aloient\ntantost arriere \u00e0 leur toit, sanz paistre ne sans mengier. Et puis une\nvoix lui disoit: Laissiez-tu \u00e0 entrer ne \u00e0 ob\u00e9ir pour ces bestes\ncornues? et lors il s\u2019en esveilla, et tout aussy comme il advint au\nprestre, il advint celle nuit au chevalier et \u00e0 la dame tout en la\nmani\u00e8re, maiz que il leur sembloit qu\u2019ilz estoient devenuz le porc et la\ntruie, et estoient cornus et ne vouloyent laissier passer les brebis ou\npastis, et apr\u00e8s cela venoyt une grant chasse de veneours noirs sur\ngrans chevaulx noirs, et avoient grant quantit\u00e9 de levriers et de grans\nchiens noirs, et, de ce qu\u2019ilz arivoient, il leur sembloit qu\u2019ilz\ndescombloient sur eulx et lors faisoient la chasse sur eulx grant et\nmerveilleux, et cornoient et huchoient, et les chiens glatissoient et\nles prenoient \u00e8s cuisses et \u00e8s oreilles, et dura la chasse moult\nlonguement, tant qu\u2019il leur sambla qu\u2019ilz estoient prins par force et\noccis, et sur ce ilz se esveill\u00e8rent tous esmerveillez et effroyez, et\nceste advision leur advint deux foiz. Sy advint que la personne de\nl\u2019esglise vint chiez le chevalier. Et lors le chevalier et la dame lui\nracont\u00e8rent leur advision, et aussi le prestre la sienne. Sy en furent\ntous esmerveillez de quoy leurs advisions ressembloient; si dist le\nprestre au chevalier: \u00abSire, il y a un saint homme hermite cy pr\u00e8s en\ncelle forest qui bien nous saura faire saiges de ceste chose.\u00bb Lors y\nal\u00e8rent et compt\u00e8rent au saint homme leurs advisions de point en point,\net le preudomme, qui moult estoit saiges et de sainte vie, leur declara\ntout leur fait, et dist au chevalier: \u00abSire, vous et vostre femme estes\nles porcs noirs qui gardiez le pertuis et l\u2019entr\u00e9e du pastis que les\nbrebis n\u2019y alassent paistre, ne que ilz ne mangeassent de la bonne\npasture, c\u2019est-\u00e0-dire que vous, qui estes seigneur de la parroisse o\u00f9\nvous demeurez, avez destourb\u00e9 les paroissiens et les bonnes gens de ouir\nle saint service de Dieu, qui est pasture et repaissement de vie,\nespecialement de la vie de l\u2019ame, par vostre paresse et par vostre\nrepos, qui dormez le jour comme porcs; et les cornes que vous aviez\nestoient les branches de pechi\u00e9, et par esp\u00e9cial les grans pechiez que\nvous faictes \u00e0 faire perdre \u00e0 aultruy le bien fait et le service de\nDieu, que vous ne povez amender fors que par grant tourment. Et pour la\nvengence du meffait vous est demonstr\u00e9 que vous en serez chaciez et\ntourmentez des ennemis d\u2019enfer, et pris et matz par pure chace, si comme\nvous feustes par vostre advision, et sy vous dy certainement qu\u2019il vous\nvaulsist mieulx cent fois pour une ne ouir point de messe que la tollir\naux autres ne que oster au prestre sa devocion. Car, quant il attendoit\ntrop longuement, il se courou\u00e7oit ou pechi\u00e9 d\u2019ire, dont les uns vont en\nla taverne, les aultres s\u2019en vont et les aultres perdent leur devocion,\net parfois le prestre s\u2019en yre et pert sa bonne devocion, et chante sur\nson peril; et tous ces pechiez et ces maulx viennent par vous et par\nvostre pechi\u00e9 de paresse, dont vous en rendrez compte, et en serez\nchacez, tourmentez, prins et mis \u00e0 mort, c\u2019est \u00e0 dire en voye d\u2019estre\ndempn\u00e9.\u00bb Lors le chevalier fu moult esbahy et demanda conseil comment il\nen pourroit faire. Lors le saint homme lui dist que par trois dimenches\nil se agenoillast devant les paroissiens et leur criast mercy que ilz\nluy voulsissent pardonner le meffait et que ilz voulsissent Dieu prier\npour luy et pour sa femme, et qu\u2019il leur voulsist pardonner yceulx\nmeffaiz, et que d\u00e8s l\u00e0 en avant il seroit l\u2019un des premiers \u00e0 l\u2019eglise;\nsy le confessa l\u2019ermite, et luy bailla celles penitances et autres, si\nque d\u00e8s l\u00e0 en avant il se chastia, et merci\u00e8rent, lui et sa femme,\nnostre Seigneur, de leur avoir demonstr\u00e9 celle demonstrance. Si vous dy\nque d\u00e8s l\u00e0 en avant ilz estoient luy et sa femme des premiers au\nmoustier, et aussy li preudoms dist au prestre la vision et la luy\ndesclara sur celle mati\u00e8re, et que Dieux devoit estre le plus craint et\ndoubt\u00e9 que le monde, et premier servy. Pour quoy, belles filles, prennez\ncy bon exemple \u00e0 vous garder que par vostre personne vous ne faciez\nperdre la messe \u00e0 plusieurs, ne leur devocion par vostre paresse ne par\nvostre n\u00e9gligence, car mieulx vous vauldroit \u00e0 n\u2019en o\u00efr point, et je\nvouldroye que vous sceussiez et eussiez apris l\u2019exemple de la dame qui\nmettoit le quart du jour \u00e0 elle appareillier.\nD\u2019une dame qui mettoit le quart du jour \u00e0 elle appareillier.\nChappitre XXXIe.\nUne dame estoit qui avoit son habergement delez l\u2019esglise. Si mettoit\nlonguement \u00e0 soy appareillier et attourner, si que il ennuyoit moult \u00e0\nla personne de celle eglise et aux parroissiens. Si avint par un\ndimenche qu\u2019elle estoit moult longue, et tousjours mandoyst qu\u2019elle\nfeust atendue, comment que ce fust. Sy estoit moult haulte heure et\nennuyoit \u00e0 tous. Si en y avoyt plusieurs qui s\u2019entredisoient: \u00abComment!\nceste dame ne sera mais huy pign\u00e9e ni mir\u00e9e?\u00bb Si en avoit aucuns qui\ndistrent: \u00abMal mirer lui envoit Dieux, qui tant de fois nous fait icy\nmuser et attendre.\u00bb Et si comme il pleust \u00e0 Dieu, si comme pour\nexemplaire, ainsi comme elle se miroit \u00e0 celle heure, elle vit \u00e0 rebours\nl\u2019ennemy ou mirouer qui lui monstroit son derri\u00e8re, si lait, si orrible,\nque la dame issy hors de son sens comme demoniacle; sy fut un long temps\nmalade, et puis Dieux luy envoya sant\u00e9, et se chastia si bien que elle\nne mist plus grand paine \u00e0 soy arroyer ne estre sy longue, mais mercya\nDieu de l\u2019avoir ainsi chasti\u00e9e. Et pour ce cy a bon exemple comment l\u2019en\nne doit pas estre ainsi longue \u00e0 soy arroyer et se appareillier que l\u2019en\nen perde le saint service ne le faire perdre \u00e0 autruy.\nDe celle qui ouoit voulentiers la messe.\nChappitre XXXIIe.\nOr vous diray sur ceste mati\u00e8re un exemple d\u2019une bonne dame et de sa\nsainte vie, qui amoit moult Dieu et son service, et la journ\u00e9e qu\u2019elle\nne ouist messe, elle ne mengast j\u00e0 de chair ne de poisson et fust \u00e0\ngrant malaise de corps. Sy advint une foiz que son chapellain fust\ntellement malade qu\u2019il ne povoit chanter; la bonne dame ala et vint\nmoult \u00e0 malayse de quoy elle perdoit la messe. Sy ala au dehors en\ndisant: \u00abBiaux sire Dieux, ne nous oubliez pas, et vueilliez nous\npourveoir de vostre saint service ouir.\u00bb Et en celles paroles elle\nregarde et voit deux fr\u00e8res qui venoient; lors elle ot grant joye et\nleur demanda se ilz chanteroient messe, et ilz distrent: \u00abOil, dame, se\nDieux plaist\u00bb, et la bonne dame mercya Dieu; si chanta le plus jeune des\nfr\u00e8res, et \u00e0 l\u2019eure qu\u2019il fist les trois parties du saint sacrement, le\nviel fr\u00e8re regarda et vit saillir l\u2019une des parties en la bouche de la\nbonne dame en mani\u00e8re d\u2019une petite clart\u00e9. Le jeune fr\u00e8re regardoit\npartout qu\u2019estoit devenue l\u2019une des parties et trembloit de paour; et le\nvieil fr\u00e8re s\u2019en apperceust moult bien de la tristeur de son compaignon;\nsy vint \u00e0 lui et lui dist qu\u2019il ne s\u2019esmayast, et que ce que il queroit\nestoit sailli en la bouche de la dame pour certain. Et lors il feust\nassur\u00e9 et il mercya Dieu de ses grans miracles, et ainsi en advint \u00e0 la\nbonne dame qui tant amoit le saint service de Dieu. Car, pour certain,\ncy a bon exemple; car, selon la sainte escripture, ceulx qui ayment Dieu\net son service, Dieu les ayme, si comme il monstra appertement \u00e0 celle\nbonne dame qui tel desir avoit de le veoir et de l\u2019ouir, comme ouy avez.\nD\u2019une contesse qui chascun jour vouloit o\u00efr iij messes.\nChappitre XXXIIIe.\nJe vouldroye que vous eussiez bien retenu l\u2019exemple d\u2019une bonne contesse\nqui tous les jours vouloit ou\u00efr trois messes. Si aloit en pelerinaige;\nsy va cheoir l\u2019un de ses chappelains d\u2019un cheval \u00e0 terre et se meshaigna\nsi qu\u2019il ne peut chanter. Sy fut la bonne dame \u00e0 trop grant meschief de\nperdre l\u2019une de ses messes. Si se complaignoit moult humblement \u00e0 Dieu\net devotement, et Dieux lui envoya un angele ou un saint en guise d\u2019un\nprestre; mais, quand il ot chant\u00e9 et il fut desvestu, l\u2019en ne sceut\nqu\u2019il advint, pour serchier que l\u2019en sceust faire. Sy pensa bien la\nbonne dame que Dieux le luy avoyt envoy\u00e9 et l\u2019en mercia moult\nhumblement. Et pour ce a cy exemple comment Dieux pourvoit ceulx qui ont\ndevocion et amour en son saint service et \u00e0 luy, et je pense qu\u2019il y ait\npou de femmes aujourd\u2019uy qui bien ne se passent \u00e0 moins de trois messes\nouir, et leur souffist bien d\u2019une, tant ont petite amour et devocion en\nDieu et en son service; car ouir son service repute sa propre personne.\nCar qui l\u2019aime et craint, il le vuelt souvent veoir et ouir sa sainte\nparole; et aussy du contraire, qui n\u2019y a bien le cuer s\u2019en passe\nligierement, comme plusieurs font aujourd\u2019uy, qui ont plus le cuer au\nsi\u00e8cle et au delit de la char que \u00e0 Dieu.\nDe celles qui vont voulentiers es pellerinages.\nChappitre XXXIIIIe.\nUn autre exemple vous vueil dire d\u2019une dame qui estoit juenne et avoit\nle cuer au si\u00e8cle. Si estoit un escuier qui estoit amouroux d\u2019elle, et\nelle ne le heoit pas aussy, et pour plus avoir d\u2019aise et de lieu pour\nparler et pour bourder ensemble, elle faisoit accroire \u00e0 son seigneur\nqu\u2019elle s\u2019estoit vou\u00e9e pour aler en pelerinaige, et son seigneur, qui\npreudhomme estoit, le souffroit, pour ce que il ne luy vouloit pas\ndesplaire. Sy advint une fois que elle et yceluy escuyer al\u00e8rent en un\npelerinaige d\u2019une place de nostre Dame. Si furent moult aysiez enmy le\nchemin de parler ensemble, car ilz y entendoient bien plus que \u00e0 dire\nleurs heures et y avoient bien plus grant plaisir et plus grant delit,\ndont il advint que, quant ilz furent venus l\u00e0 et ilz furent au bon de la\nmesse, l\u2019ennemy, qui tousjours est en aguet de enflamber et tempter\nhomme et femme, les tint si subgiez de celle temptacion et en celluy fol\nplaisir, qu\u2019ilz avoient plus leurs yeulx et leurs plaisances \u00e0 resgarder\nl\u2019un l\u2019autre et \u00e0 faire petiz signes d\u2019amours qu\u2019ilz n\u2019avoient au divin\nservice, ne que \u00e0 dire devotement leurs heures. Si advint, par appert\nmiracle, que il prist si grant mal \u00e0 la dame soudainement, que celle se\nestraingnoist et ne s\u00e7avoit se elle estoit morte ou vive. Si en fust\nemport\u00e9e entre bras en la ville comme chose morte, et fut trois nuiz et\ntrois jours sans boire et sans mengier, et n\u2019y congnoissoit l\u2019en ou mort\nou vye. Sy fut envoy\u00e9 querre son seigneur et ses amis, qui furent moult\ndoulans de ceste aventure, et la regardoient et si ne s\u00e7avoient se elle\nen mourroit ou vivroit, dont il advint que la dame, qui en grant douleur\nestoit, vit une advision moult merveilleuse; car il luy sembloyt qu\u2019elle\nveoit sa m\u00e8re et son p\u00e8re, qui mors estoyent pie\u00e7\u00e0, et la m\u00e8re luy\nmonstra ses mamelles: \u00abBelle fille, veez cy ta nourreture; aime et\nhonneure ton seigneur comme tu feiz ceste mamelle, puisque l\u2019esglise te\nl\u2019a donn\u00e9.\u00bb Et apr\u00e8s son p\u00e8re luy disoit: \u00abBelle fille, pourquoy as-tu\nplus grant plaisance ne plus grant amour \u00e0 un autre que \u00e0 ton seigneur?\nregarde ce puis qui est de cost\u00e9 toy, et saichiez, se tu chiez ou feu de\nmale chaleur, que tu chierras dedans.\u00bb Et lors elle regardoit et veoit\nun puis plein de feu delez luy si pr\u00e8s que \u00e0 pou qu\u2019elle n\u2019y cheoit. Si\nen estoit toute effray\u00e9e, et apr\u00e8s son p\u00e8re et sa m\u00e8re lui monstroient\nbien cent prestres trestous revestus de blanc, et le p\u00e8re et la m\u00e8re lui\ndisoient: \u00abBelle fille, nous vous mercions d\u2019avoir revestu cestes gens\ncy.\u00bb Et apr\u00e8s cela il lui sembloit qu\u2019elle veoit l\u2019ymaige de Nostre Dame\nqui tenoyt une cotte et une chemise et lui disoit: \u00abCeste cotte et ceste\nchemise te gardent de cheoir en ce puis. Tu as ordi ma maison et\nmocqu\u00e9e.\u00bb Et en ycelluy effroy elle s\u2019esveilla et getta un grant\nsouspir. Si eurent son seigneur et ses amis grant joye, et virent bien\nqu\u2019elle n\u2019estoit pas morte, et la dame se trouva vaine et lasse de la\nvision et paoureuse du feu et de la flambe du puis o\u00f9 elle estoit deue\ncheoir. Sy demanda un prestre, que on luy ala querre, un saint preudomme\nreligieux qui estoit grant clerc, vestoit la haire et estoit moult de\nsaincte vie. Si la confessa et elle luy dist toutes ses advisions et la\ngrant paour que elle avoyt eue de cheoir ou puis, et aussy elle luy dist\ntous ses pechiez et ses jeunesses, et le saint homme lui desclara son\navision et lui dit:\n\u00abDame, vous estes moult tenue \u00e0 Dieu et \u00e0 sa doulce m\u00e8re, qui ne\nvueillent mie la perdicion et la dampnacion de vostre ame, ains vous\ndesmonstrent vostre peril et vostre saulvement. Premi\u00e8rement ilz vous\nont fait demonstrer vostre p\u00e8re et vostre m\u00e8re, dont vostre m\u00e8re vous\ndisoit: Belle fille, voy les mamelles o\u00f9 tu preiz ta nourreture; ayme et\nhoneure ton seigneur comme tu feiz cestes mamelles. Ma doulce amye,\nc\u2019est \u00e0 entendre que, puisque sainte eglise vous a donn\u00e9 seigneur, que\nvous le devez doubter et amer tout aussy comme vous amiez la mamelle de\nvostre m\u00e8re et y prenez nourissement. Et aussy comme l\u2019enfant laisse\ntoutes choses pour la tette et la doulceur du lait, dont il prent\ncroissement et nourreture, aussi doit toute bonne femme selon Dieu et\nselon sainte loy amer son seigneur sur tous autres, et laissier toutes\nautres amours pour celle; si comme nostre seigneur par sa sainte propre\nbouche dist que l\u2019on laissast et deguerpist p\u00e8re et m\u00e8re, suers et\nfr\u00e8res et toutes autres choses pour l\u2019amour de son seigneur, et que ce\nn\u2019estoient pas deux chars, fors une, que Dieu avoit conjointe en une et\nque homme ne povoit separer, c\u2019est-\u00e0-dire que homme ne povoit ny ne\ndevoit fourtraire l\u2019amour l\u2019un de l\u2019autre, puisque Dieus et l\u2019esglise\nles avoit unys et conjoins ensemble. Et encores vous dist vostre m\u00e8re\nque vous y prenissiez nourreture comme en ses mamelles, c\u2019est-\u00e0-dire et\nentendre que se que vous amez vostre seigneur sus tous, que ce seroit\nvotre nourriture et vostre bien, et honneur vous accroistra de jour en\njour comme l\u2019enfant croist par la nourriture de la m\u00e8re et de sa\nmamelle, c\u2019est la doulceur du lait, qui signifie la grant doulceur, la\njoye et l\u2019amour qui doit estre en loyal mariaige, et la grace de Dieu y\nhabite. Apr\u00e8s vostre p\u00e8re vous dist: Belle fille, pourquoy as-tu plus\ngrant plaisance et plus grant amour \u00e0 aultre que \u00e0 ton seigneur? regarde\nce puis qui est del\u00e8z toy, et saches, se tu chez au feu de male chaleur,\nque tu y chierras. C\u2019est-\u00e0-dire que, se vous amez plus aultre que vostre\nseigneur, ne que autres habitent \u00e0 vous, fors que luy, que vous charrez\nou puis, o\u00f9 vous serez arse et brusl\u00e9e pour le delit de la male\nplaisance et malle chaleur que vous avez eue ailleurs. Et pour ce vous\nmontra-il le puis de feu et la vengeance et la punicion qu\u2019il convient\nsouffrir pour le d\u00e9lit de celle folle plaisance. Apr\u00e8s ilz vous\nmonstr\u00e8rent les prestres blans et vous disoient que vous les avi\u00e9s\nrevestus; pour ce vous en mercioient; c\u2019estoit signiffiance que vous\naviez fait revestir les prestres et fait dire des messes pour eulx, dont\nilz vous remercioient, car soiez certaine que aussi comme vous faictes\npour eulx et pour les autres deffuncts, que ilz prient pour vous et sont\nmarriz quant ilz voyent que ceulx qui font bien pour eulx sont en voye\nde perdicion. Si comme vous avez bien peu apparcevoir que ilz sont tr\u00e8s\nbien marriz de la temptacion que vous aviez eue et de la folle plaisance\npar laquelle vous estiez en voye d\u2019estre perdue, et pour ce vous en\nvenoyent secourir pour amour du bien fait et des messes et des aumosnes\nque vous avi\u00e9s fait et fait faire pour eulx. Apr\u00e8s veistes l\u2019image de\nNostre-Dame qui tenoyt une cotte et une chemise et disoit: Ceste cotte\net ceste chemise te gardent de cheoir en ce puis, car tu as ordi ma\nmaison et l\u2019as moqu\u00e9e. C\u2019est-\u00e0-dire que vous aviez est\u00e9 en son esglise\net plus pour plaisance d\u2019autruy que pour l\u2019amour d\u2019elle, et c\u2019estoient\nles folz regars et les folz plaisirs que vous preniez en celluy par qui\nd\u2019amours vous emprensistes la voye et le voyaige, et pour ce vous dist\nla voix que vous aviez ordy et moqu\u00e9e sa maison, c\u2019est son eglise; car\ntous ceulx et celles qui y viennent par autre plaisance que par d\u00e9vocion\ndu saint lieu et se couvrent du service pour trouver lieu d\u2019esbat et\ndelit terrien, ceulx moquent l\u2019esglise et la maison de Dieu. Ainsi\nfut-il de vous, selon vostre fait et vostre advision. Apr\u00e8s vous\nl\u2019ordeistes et empeschastes, comme la voix vous dist. Ce fut quant vous\naviez plus le cuer \u00e0 luy et en la plaisance de folie que au divin\nservice, et de cellui meffait Dieu vous a voulu monstrer vostre\ndeffaulte et vous fist venir celluy grant mal et celle grant hachie que\nvous avez senti. Et ceste grace, qui vous vint par chastiement et\ndemonstrance, fut par le service et bien fait que vous feystes \u00e0 deux\npovres femmes, dont vous donnastes \u00e0 l\u2019une une cote et \u00e0 l\u2019autre une\nchemise, et vous dist la voix que la cotte et la chemise vous avoyent\ngard\u00e9e de cheoir ou puis, c\u2019est-\u00e0-dire que le bien fait et l\u2019aumosne que\nvous aviez fait pour Dieu vous avoit gard\u00e9 de perir et d\u2019estre perdue,\nse vous fussiez cheoite en la folie o\u00f9 vostre cuer avoit mis s\u2019entente\net sa folle plaisance. Sy devez grant guerredon \u00e0 Dieu et grant service\nde vous avoir daign\u00e9 demonstrer vostre erreur. Si vous devez en avant\ngarder d\u2019encheoir un tel peril comme de perdre honneur et l\u2019ame d\u2019avoir\nplaisance de amer nul tant comme vostre seigneur, \u00e0 qui vous avez promis\nfoy et loyault\u00e9, ne le changer pour pire ne pour meillour, et celle le\nchange, qui plus aime autre que son seigneur et ment et parjure sa foy\net sa loy. Si vous est, Dieu mercy, beau mirouer.\u00bb Et ainsi li demonstra\nle preudomme son advision et la confessa et l\u2019enseigna le mieulx qu\u2019il\npot, et la dame guerist et mercia Dieu, et laissa toute sa folle\nplaisance, dont il advint, bien environ demi an ou environ apr\u00e8s, que\nl\u2019escuier, qui l\u2019amoit par amours, vint d\u2019un voyaige et d\u2019une arm\u00e9e o\u00f9\nil avoit est\u00e9. Si la vint veoir, cointe et jolis, et si commen\u00e7a \u00e0\nbourder et jangler et lui user d\u2019un tel langaige, dont autresfoys luy\navoit us\u00e9; sy la trouva toute estrange; lors fut tout esbahy et\nesmerveill\u00e9 et luy demanda: \u00abMa dame, \u00e0 quel jeu ay-je perdu le bon\ntemps, la joye et l\u2019esp\u00e9rance que j\u2019avoye en vous de vivre joyeusement?\u00bb\nEt la dame lui respondit que tout cellui temps est pass\u00e9; car jamais je\nne pense \u00e0 amer ne avoir plaisance \u00e0 nullui fors en mon seigneur. Et\nlors elle lui compta l\u2019adventure qui lui advint. Si cuida moult la\ntourner; maiz il ne peut, et, quant il vit qu\u2019il ne pot et qu\u2019elle\nestoit si ferme, si la laissa et dist \u00e0 plusieurs la bont\u00e9 et la fermet\u00e9\nd\u2019elle, et l\u2019en prisa et la honnoura plus. Et pour ce a cy bon exemple\ncomment l\u2019on ne doit pas aler aux sains voiaiges pour nulle folle\nplaisance, fors pour le divin service et amour de Dieu, et aussy comment\nil fait bon faire prier et faire dire messes pour son p\u00e8re et pour sa\nm\u00e8re et pour ses autres amis; car aussy ilz prient et emp\u00e8trent graces\npour les vifs qui bien font pour eulx, comme ouy avez; et aussy fait\nl\u2019en bien de donner pour Dieu, car l\u2019aumosne si acquiert grace de Dieu \u00e0\ncelluy qui la donne, si comme ouy avez. Sy vous diray un autre exemple\nqui avint en une eglise qui est en ma terre, et a nom Nostre-Dame de\nBeaulieu.\nDe ceulx qui firent fornication en l\u2019esglise.\nChappitre XXXVe.\nIl avint en celle eglise \u00e0 une vigilles de Nostre-Dame que un qui avoit\nnom Perrot Luart et qui estoit sergent de Cande en la mer, s\u2019i coucha\navec une femme sur un autel. Si advint un miracle qu\u2019ilz\ns\u2019entreprindrent et s\u2019entrebessonn\u00e8rent comme chiens, tellement qu\u2019ilz\nfurent aussy pris de toute le jour \u00e0 journ\u00e9e, si que ceulx de l\u2019esglise\net ceulx du pa\u00efx eurent assez loisir de lez venir veoir; car ils ne se\npovoient departir, et convint que l\u2019on venist \u00e0 procession \u00e0 prier Dieu\npour eulx, et au fort sur le soir ilz se departirent. Dont il convint\nque l\u2019esglise feust puis d\u00e9di\u00e9e, et convint par penitence qu\u2019il alast\npar troix dimenches environ l\u2019esglise et le cymeti\u00e8re, soy batant et\nrecordant son pech\u00e9. Et pour ce a cy bon exemple comment l\u2019en se doit\ntenir nettement en sainte \u00e9glise; et encores vous diray un autre exemple\nsur ceste mati\u00e8re, comment il avint \u00e8s parties de Poitou n\u2019a pas trois\nans, dont je vous en diray l\u2019exemple.\nDu moine qui fist fornication en l\u2019eglise.\nChappitre XXXVIe.\nEn Poitou avoit une abbaye qui a nom Chievre Faye, dont l\u2019esglise a est\u00e9\nempir\u00e9e pour les guerres. Le prieur d\u2019icelle abbaye avoit un nepveu qui\navoit \u00e0 nom Pigi\u00e8re. Si avint \u00e0 un jour de dymenche que l\u2019on dit matines\net la messe. Si demandoit l\u2019en partout cellui Pigi\u00e8re, et ne povoit\nestre trouv\u00e9. Mais toutefois tant fut quis et cerchi\u00e9 qu\u2019il fut trouv\u00e9\nen l\u2019esglise en un coingnet sur une femme, embessonn\u00e9, et ne se povoient\ndepartir l\u2019un de sus l\u2019autre, et telement que tous y vindrent, et le\npovre moigne avoit grant honte et grant dueil, et si y estoit son oncle\net tous les aultres moignes, et toutes voyes au derrain, quant il pleust\n\u00e0 Dieu, ils se departirent, et celuy moyne Pigi\u00e8re de dueil et de honte\nlaissa l\u2019abbaye et s\u2019en ala ailleurs. Se fut moult grant exemple comment\nl\u2019on se doit garder de faire mal pechi\u00e9 de delit de char en l\u2019eglise ne\nd\u2019y parler de chose qui touche celle orde mati\u00e8re, ne s\u2019i entreregarder\npar amour, fors que par amour de mariaige. Car comme Dieu dit en\nl\u2019Euvangille, si comme racompte l\u2019un des euvangelistres, que le doulx\nJhesucrist entra en une esglise qui lors appel\u00e9e \u00e9toit le temple. Sy y\nvendoit l\u2019en merceries et marchandise, et, quant Dieu vit ce, si les\nmist hors, et dist que la maison Dieu devoit estre tenue nectement et\nqu\u2019elle devoit estre mayson de saintes oroisons et de pri\u00e8res, non pas\nmaison de marchandises ne maison \u00e0 faire nul delit de pechi\u00e9; et, \u00e0\nconforter ceste raison, Nostre Seigneur en a bien d\u00e9montr\u00e9 appert\nmiracle, comme vous avez ouy qu\u2019il a fait nagaires en ces deux eglises,\ncomment il lui desplait que on ordist sa sainte maison ne son eglise.\nDes maulvais exemplaires du monde.\nChappitre XXXVIIe.\nBelles filles,\n Qui le bien voit et le mal prent,\n A bon droit puis s\u2019en repent.\nJe le dy pour ce que nous avons par le monde moult de mauvais\nexemplaires, et y a moult de ceulx qui se prennent plus tost aux\nmauvaises que aux bonnes, et ceulx qui le font foloyent, et se\ndesnaturent et se mettent hors du droit chemin, c\u2019est des commandemens\nde Dieu le p\u00e8re, qui tout bien et sauvement enseigne et le baille par\nescript par loy, laquelle nous tenons petitement. Car nous veons que le\nplus de monde se gouverne selon le delit de la char et selon la vainne\ngloire du monde, comme les uns qui se ourgueillissent pour leur beaut\u00e9,\npour leur richesse, pour leur gentillesce; aultres y a qui sont envieux\ndes biens et des honnours que ils voient \u00e0 autruy plus que \u00e0 eulx;\nautres y a qui sont yreux et gardent leur mal cuer et felon en rencune,\nautres qui sont sus la lecherie de luxure espris et enflambez plus\nordement que buefs ne bestes sauvaiges, autres qui sont lecheurs et\nfrians sur leurs gueulles de bons vins et delicieuses viandes; autres\nsont avers et convoyteux d\u2019avoir l\u2019autruy bien, autres qui sont\nhoqueleurs, larrons, usuriers, rapineux, parjures, traittres et\nmesdisans, et cestes mani\u00e8res de gens monstrent bien que ilz sont\nenffans de la doctrine \u00e0 leur maistre que ilz ressemblent; par sa\ndoctrine et temptacion et par son conseil ilz font iceulx maulx; c\u2019est\nl\u2019ennemy de ten\u00e8bres qui les attise et les esmeut \u00e0 faire yceulx pechiez\net les y tient bien jusques \u00e0 la desliance de vraye confession, par\nlaquelle ilz sont delivrez, et de ceste mani\u00e8re de gens est le plus du\nmonde entechiez et surpris.\nDes bons exemplaires du monde.\nChappitre XXXVIIIe.\nAprez, y a d\u2019aultres qui sont plus saiges et qui ont plus le cuer et\nl\u2019esperance en Dieu, et, pour l\u2019amour de la crainte que ilz ont envers\nluy, ilz se tiennent chastement et nettement, et se combattent contre\nles tentations des brandons du feu de luxure, et aussi se tiennent plus\nsoubrement de viandes delicieuses, par quoy la char est tempt\u00e9e, car la\ndelicieuse viande et les bons vins et les deliz du corps sont alumail et\ntison du feu de luxure. Et autres qui ont grace d\u2019avoir souffisance\ncontre convoitise, et autres qui ont franc cuer et piteux aux povres, et\nsont loyaulx et justes vers leurs prouchains et voisins, et sont\npaisibles, et, pour ce, Dieux les fait vivre en pais et paisiblement;\ncar qui le mal et la riote quiert, le mal et la douleur treuve;\nvoulentiers le voit l\u2019en advenir. Car aucunes gens par leur grant yre et\nconvoitise se bastent de leurs bastons mesmes et se pourchassent de jour\nen jour peine et ennuy. Et pour ce, Dieux beneist en l\u2019Euvangille les\ndebonnaires de cuer et les paisibles; et toutes cestes gens, qui ainsi\nse tiennent nettement en la crainte et en l\u2019amour de Dieu et de leurs\nvoisins, monstrent bien qu\u2019ilz ressemblent \u00e0 leur bon maistre,\nc\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 Dieu le p\u00e8re, de qui ilz tiennent ses sains commandemens,\nsi comme sainte Eglise leur enseigne, car ilz ont eu franc cuer \u00e0 les\nretenir, et aussi ressemblent au bon filz de Dieu, qui est bon\nexemplaire de vie et de joie pardurable, et fontaine o\u00f9 l\u2019on puet tout\nbien et sauvement puiser. Et pour ce, belles filles, ay\u00e9s jour et nuit\nle cuer ou lui, et l\u2019amez et le craigniez, et il vous sauvera de tous\nperilz et de toutes temptacions mauvaises, et pour ce, mes belles\nfilles, je vous vueil monstrer et desclairer par ce livre les preudes\nfemmes et bonnes dames que Dieux loue en sa Bible, qui, par leurs\nsaintes euvres et bonnes meurs, furent et seront \u00e0 tousjours mais\nlou\u00e9es, pour quoy vous y prengniez bon exemple \u00e0 vivre \u00e0 tousjours mais\nhonnestement et nettement comme celles firent. Et aussy vous monstreray\net desclareray aucunes mauvaises qui furent diverses et crueuses,\nlesquelles fin\u00e8rent mal, afin de y prendre bon exemple de vous garder du\nmal et de la perdicion o\u00f9 elles cheyrent.\nDe Eve, nostre premi\u00e8re m\u00e8re.\nChappitre XXXIXe.\nLe premier exemple de mal et de pechi\u00e9, par quoy la mort est entr\u00e9e en\ncestuy monde, si vint par Eve, nostre premi\u00e8re m\u00e8re, qui petitement\ngarda le commandement de Dieu et l\u2019onneur o\u00f9 il l\u2019avoit mise; car il\nl\u2019avoit faitte dame de toutes choses vivans qui estoyent soubz le ciel,\net que tous lui obeyssoient et feissent sa voulent\u00e9. Et se elle ne feust\ncheute en pechi\u00e9 de desobeyssance, il n\u2019y eust poisson en la mer, ne\nbeste sur terre, ne oisel en l\u2019air que tous ne feussent \u00e0 son\nobeyssance, \u00e0 en prendre et \u00e0 en deviser l\u00e0 o\u00f9 il luy pleust, sans nul\ndesdit, et aussy elle eust enfans sans doulour et sans peril, ne jamais\nne eust l\u2019en faimg ne soif, froit ne chaut, travail ne maladie, ne\ntristesse de cuer, ne mort terrienne nulle. Nulle eaue ne la peust\nnoyer, ne feu ardoir, ne glaive, ne aultre chose blescier; nulle chose\nne luy peust nuire, ne fayre couroucier. Doncques pensons et regardons\ncomment un pechi\u00e9, sans plus, la mist de si grant honneur et gloire si\nbas et en tel servage; car elle perdit toute l\u2019onneur et la richesse,\nlaissa la gloire et toute l\u2019obeyssance pour le pechi\u00e9 de desobeissance.\nOr resgardons doncques en quoy pecha la premi\u00e8re femme, affin, mes\nchi\u00e8res filles, de vous en garder, si Dieu plaist, par la bonne doctrine\nque vous prendr\u00e9s en bons exemples. Sy vous dy que le premier pechi\u00e9 de\nnostre m\u00e8re vint par mauvaise accointance, pour ce qu\u2019elle tint\nparlement au serpent, qui avoit, ce dit l\u2019escripture, visaige de femme\nmoult bel et moult humble, lequel parloit humblement et cointement; si\nl\u2019escouta voulentiers et priv\u00e9ement, dont elle fist que folle; car se au\ncommencement elle ne l\u2019eust voulu escouter et s\u2019en estre venue \u00e0 son\nseigneur, elle l\u2019eust desconfit \u00e0 sa grant honte. Et ainsi le fol\nescoutement lui fist dommaige. Et pour ce, belles filles, n\u2019est pas\nbonne chose d\u2019escouter gens qui langaigent et qui ont l\u2019art de bel\nparler, ne que escouter doulces parolles et couvertes; car par fois\nelles sont decevables et venimeuses, et en puet l\u2019en acquerre blasme.\nApr\u00e8s cellui serpent advisa son point et la trouva seule et loing de son\nseigneur, et pour ce lui monstra \u00e0 loysir son faulx langaige, et dont il\nn\u2019est pas bon de demourer seul \u00e0 seul \u00e0 nulluy, se il n\u2019est de ses\nprochains. Et je ne dis mie que l\u2019on ne doye faire honneur et courtoisie\n\u00e0 chascun selon ce qu\u2019il vault; mais l\u2019on met trop plus son honneur en\nbalance de trop respondre que de pou; car l\u2019une parolle attrait l\u2019autre\net \u00e0 chacunes foys convient qu\u2019il en soit dit d\u2019aucunes dont ilz se\npueent apr\u00e8s jangler ou bourder, et pour ce est bon exemplaire \u00e0 toute\ndroite dame.\nLa seconde folie de Eve nostre premi\u00e8re m\u00e8re est \u00e0 ce qu\u2019elle respondy\ntrop legi\u00e8rement, sans y penser, quant l\u2019ennemi Lucifer lui eust demand\u00e9\npour quoy elle et son mary ne mangoient du fruit de l\u2019arbre de vie,\ncomme ilz faisoient des autres. Ce fut celle qui respondit sans le\nconseil de son mary, et lui y tint parolle, dont elle fit que folle, et\nluy en meschey; car la responce ne lui avenoit mie, ains appartenoit \u00e0\nson seigneur \u00e0 en respondre; car Dieu avoit baill\u00e9 la garde d\u2019elle et du\nfruit \u00e0 son seigneur, et divis\u00e9 de quel fruit ilz mangeroient. Et pour\nce peust avoir respondu que il en parlast \u00e0 son seigneur, non pas \u00e0\nelle, et se feust couverte et descharg\u00e9e. Et pour ce, belles filles,\ndevez prendre en ce bon exemple que, se aucuns vous requiert de folie ou\nde chose qui touche contre vostre honneur, vous vous pouvez bien couvrir\net dire que vous en parlerez \u00e0 vostre seigneur; ainsi vous les vaincrez\net ne fer\u00e9s pas comme la seconde folie de Eve, qui fist la responce,\nsans ce que elle s\u2019en couvrist ne sans le conseil de son seigneur. Et\npour ce, belles filles, je vouldroye bien que vous retenissiez l\u2019exemple\nd\u2019une bonne dame de Acquill\u00e9e, que le prince d\u2019Acquill\u00e9e prioit de\nfolles amours. Et, quant il l\u2019eust assez pri\u00e9e et assez parl\u00e9, elle lui\nrespondit que elle en demanderoit l\u2019avis \u00e0 son seigneur; et quant le\nprince vit ce si la laissa ester et oncques plus ne lui en parla, et\ndisoit \u00e0 plusieurs que c\u2019estoit une des parfaittes dames de son pa\u00efx, et\nainsi la bonne dame en receut grand pris et grant honnour. Et ainsy le\ndoit faire toute bonne dame, non pas respondre de soy meismes, comme\nfist Eve.\nLa iije faulte de Eve.\nChappitre XLe.\nLa tierce folie de Eve fut qu\u2019elle ne recorda pas \u00e0 droit la deffense\nque Dieu avoit faicte \u00e0 elle et \u00e0 son seigneur; ain\u00e7ois y mist division.\nCar Dieu leur avoit dit que se ilz mangeoient de cellui fruit qu\u2019ilz en\nmourroient, et pour ce, quant elle fist la responce au serpens, elle ne\ndist mie plainnement la v\u00e9rit\u00e9, ain\u00e7ois dist: \u00abSe nous en mangions, nous\nen morrions par adventure.\u00bb Ainsi mist condicion en la response, si\ncomme maintes folles femmes font quant l\u2019on leur parle de folie. Mais\nNostre Seigneur ne leur avoit pas mis de par aventure. Car la simple\nresponse de par aventure, que l\u2019ennemi trouva en elle, lui donna pi\u00e9 de\nparler plus largement et de plus la tempter, tout aussy comme celles qui\nescoutent et respondent legi\u00e8rement \u00e0 ceulx qui les requi\u00e8rent de fol\namour. Car, par les simples responses et par l\u2019escouter, ilz donnent\nvoye et lieu de parler plus avant, ainsi comme il avint \u00e0 Eve, nostre\npremi\u00e8re m\u00e8re, qui escouta l\u2019ennemi jangler et respondit sans le conseil\nde son seigneur. Et pour ce l\u2019ennemi la tempta et lui dist: \u00abVous en\npourrez bien mangier, et si n\u2019en mourrez mie, ains serez aussi beaulx\ncomme Dieu et si s\u00e7aurez bien et mal. Et s\u00e7avez-vous pourquoy il a\ndeffendu que vous ne mangiez point de ce fruit? Pour ce que, se vous en\nmengiez, vous seriez aussy beaux et aussi clers et aussi puissans comme\nlui.\u00bb Ainsi la folle cuida qu\u2019il dist vray, et le creut par convoitise\net par beau parler, tout aussi comme font les folles femmes qui croient\nde legier les belles parolles des jangleurs qui les conseilloient \u00e0\nfoloier contre leur honneur et leur estat par flatteries et folles\npromesses, et leur jurent assez de choses qu\u2019ilz ne leur tiennent mie.\nAucunes fois les folles les croyent tant qu\u2019elles viennent et se\nconsentent au fol delit, dont elles se trouvent depuis deceues et\nmoqu\u00e9es. Car, quant ilz ont fait leur fol delit, ilz les laissent comme\ndiffam\u00e9es honteusement.\nDe la quarte folie de Eve.\nChappitre XLIe.\nLa quarte folie de Eve si fut du fol regart, quant elle regarda l\u2019arbre\net le fruit de vie que Dieux leur avoyt deffendu. Si luy sembla trop bel\net delitable, dont le desira par le regart et en fut tempt\u00e9e; ainsy par\nle fol regart cheit en folle plaisance. Et pour ce a grant peril \u00e0\nregarder legierement. Car le saige dit que le pire ennemi est l\u2019ueil,\ndont maintes ont est\u00e9 deceues par faulx regars. Car il est maintes gens\nqui de leur grant art font un faulx semblant et un faulx regart, comme\nmaintes gens qui regardent afficheement et font le debonnaire et le\ngracieux, et font le pensis en leurs faux regars, dont maintes fois\nmaintes en sont deceues, car elles cuident qu\u2019ilz le facent par\ndestresse d\u2019amours, et ilz ne le font que par faux semblans pour les\ndecevoir. Et pour ce a cy bon exemple pour soy gaittier de faux\nregardeurs. Car maintes foiz l\u2019on y est deceu. Car, quant l\u2019ennemi les\ntreuve en telx fols regars et delix, il les point et enflambe de fole\ntemptacion, par quoy il les tient liez du fol delit, et du fol delit les\nfait cheoir en l\u2019ort fait, dont elles perdent corps et ame; doncques\ntout vient par fol regart. Dont je vouldroye que vous sceussiez\nl\u2019exemple du roy David, que, par un fol regart de regarder la femme\nUrie, il cheyt en fornication d\u2019avoultire, puis en omicide, comme de\nfaire tuer son chevalier Urie, dont Dieu en prinst plus grant vengence\nsur luy et sur son pueple, dont l\u2019achoyson avint par fol plaisir et\nregart, si comme il advint \u00e0 Eve, nostre premi\u00e8re m\u00e8re, qui par son fol\nplaisir et regart chey ou fol fait, dont tout le monde et l\u2019umain\nlignaige l\u2019acheta chierement et \u00e0 grant douleur. Car par celluy regart\net celluy fait la mort vint au monde. Et pour ce est cy bon exemple de\nnon regarder folement ne afficheement.\nDe la quinte folie de Eve.\nChappitre XLIIe.\nLa quinte folie fut de touchier, quant elle habita au fruit, dont il\nvaulsist mieux que elle n\u2019eust eu nulles mains. Car moult est perilleux\nle touchier apr\u00e8s le regard, quand les deux vices se consentent de\nmauvaise volent\u00e9. Et pour ce dist le saige en la sapience que l\u2019en se\ndoit garder de touchier \u00e0 delit dont le cuer soit blesci\u00e9 ne l\u2019\u00e2me; car\nfol atouchement eschauffe le cuer et enflambe le corps. Et, quant raison\nest aveugl\u00e9e qui doit le cueur et la fenestre gouverner, l\u2019en chiet en\npechi\u00e9 et en fol deliz; et encore dit le saige, qui se veult seurement\ngouverner et nettement garder, doit deux fois ou trois avant ses mains\nregarder que \u00e0 nul fol fait atouchier, c\u2019est \u00e0 dire, avant que le faire\net entreprendre, deux foyz ou trois y penser. Car le touchier et le\nbayser esmeuvent le sanc et la char telement que ils font entroblier la\ncrainte de Dieu et honneur de cest monde. Ainsi moult de mal se esmeut\net avient par fols baisiers et atouchemens, tout ainsi comme il avint \u00e0\nEve qui atoucha au fruit de vye.\nDe la vje folie de Eve.\nChappitre XLIIIe.\nLa vje faulte si fut pour ce que elle menga du fruit deffendu; ce fut le\nplus fort du dolereux fait. Car, par celluy fait nous et tout le monde\nfusmes livrez au peril de la mort d\u2019enfer, et estrangez de la joye\npardurable. Si avons cy grant exemple comment par le trespassement d\u2019une\npetite pomme soyent devenus tant de douleurs et de maulx. H\u00e9, Dieux,\ncomment ne pense l\u2019en assavoir comme Dieux pugnira ceulx qui font telx\nforfaix de viandes et qui se delittent en bons morseauls de quoy ilz\nnourrissent leurs ventres et leurs charongnes, qui par celui delit la\nfont esmouvoir en fol delit de luxure et d\u2019autres pechiez. Pourquoy ne\nregardent-ilz aux povres familleux qui meurent de froit et de faing et\nde soif, dont Dieux leur demandera compte au grant jour espoventable? Et\nsaichiez que pechi\u00e9 n\u2019est pas du tout \u00e0 trop mengier, mais au delit de\nla saveur de la viande; dont le saige dit que la mort gist dessoubz les\ndelices, aussi comme le poisson qui prent l\u2019aim par la viande qui y est\natach\u00e9e, et c\u2019est la mort. Et aussi comme les poisons et le venin est\nmis ou bon morcel, dont l\u2019omme muert, et aussi la saveur du delit, que\nl\u2019on prent \u00e8s delicieuses viandes, occient l\u2019ame et la perissent par le\ndelit du corps, et aussi comme le delist de la pomme occist Eve nostre\npremi\u00e8re m\u00e8re, laquelle vint au pechi\u00e9, comme font maintes gens; car ilz\nviennent \u00e0 escouter la folie, et puis aux regars et puis au touchier, et\ndu touchier au baisier, et du baisier au fait du faulx delit, comme fit\nEve, qui assavoura la pomme apr\u00e8s le regart et le touchier.\nDe la vije folie de Eve.\nChappitre XLIIIIe.\nLa vije folie de Eve fut pour ce qu\u2019elle ne creut pas ce que Dieu lui\navoit dit que elle mourroit se elle mengoyt du fruit. Mais Dieux ne lui\navoit pas dit qu\u2019elle mourust si tost de la mort du corps, mais\nsimplement luy dist que elle mourroit. Si fist-elle premiere; ce feust\nce que elle eut desob\u00e9y \u00e0 Dieu, et cheoitte en son yre et en son\nindignacion. Apr\u00e8s elle mourust de la mort du corps, ce fut quant elle\neust est\u00e9 une grant pi\u00e8ce au labour du monde et souffertes maintes\ndoulours, peines et mesaises, si comme Dieu lui avoit dit et prommis, et\nau derrenier, apr\u00e8s la mort, elle descendy en la prison qui estoit\ncommune, dont nul ne eschappoit, c\u2019estoit le porche d\u2019enfer; or elle fut\nen prison, elle et son mary et leur lign\u00e9e, jusques \u00e0 tant que Dieu vint\nen la croix; ce fut l\u2019espace de v.m ans et plus, et adonc Dieux les\ndelivra et ceulx qui l\u2019avoient servy et obey en la vieille loy, et les\nmauvais laissa; il print le grain et lessa-il la paille ardoir. Helas!\nque ne pensons, nous et ceulx qui sont endormis et nourris en p\u00e9chi\u00e9\njusques au jour d\u2019uy, de nous amender, et non mie d\u2019estriver tousjours \u00e0\nla folle esperance de cuidier tousjours vivre ne de attendre \u00e0 soy\nadmender sur son derrenier jour, et ilz ne voient pas la mort qui se\naprouche d\u2019eulx de jour en jour et vient soudainement, comme le larron\nqui entre par l\u2019uis derri\u00e8re et emble les biens, coppe les gorges, et ne\nscet l\u2019en quant il vient, et apr\u00e8s celluy larron luy embelist de jour en\njour \u00e0 embler et persevere tant que il est prins et le destruit l\u2019en! Et\nainsi est-il des pecheurs qui pechent de jour en jour, tant que la mort\nles prent, et ne savent lors, comme le larron, \u00e0 qui tant embellist de\nmal faire qu\u2019il ne se peut tenir d\u2019aler et de venir et soy delicter en\nses larrecins tant qu\u2019il est prins et mis \u00e0 mort, et aussi est-il du\npecheur qui tant vait et vient \u00e0 sa fole plaisance et \u00e0 son fol delict\nque l\u2019on s\u2019en appar\u00e7oit, et est sceu tant quelle est diffam\u00e9e et\ndeshonnour\u00e9e du monde et haye de Dieu et des anges.\nDe la viije folie de Eve.\nChappitre XLVe.\nLa viije folie fut qu\u2019elle quist compaignie \u00e0 faire son p\u00e9chi\u00e9, et ce\nfut que elle donna la pomme \u00e0 son mary et luy pria que il en mengast\navec elle, et il ne lui vouloit mie desob\u00e9ir comme fol, et pour ce\nfurent tous deux prisonniers du pechi\u00e9 et de nostre grant mal; dont a cy\nbon exemple que, se femme conseille mal \u00e0 son seigneur, il doit penser\nse elle lui dit bien ou mal et \u00e0 quelle fin la chose puet venir. Car\nl\u2019en ne doit mie estre si enclin \u00e0 sa femme ne si obeissant que l\u2019en ne\npense se elle dit bien ou mal; car ilz sont maintes femmes auxquelles ne\nleur chault, mais que leur voulent\u00e9 soit faicte et accomplie. Dont je\ncongneux un baron qui tant crut sa femme que par son fol conseil il\nprist mort, dont ce fut dommage. Il lui vaulsit mieux qu\u2019il l\u2019eut moins\ncrainte ne congneue, et aussi, comme Adam, qui folement creut sa femme,\n\u00e0 sa grant doulour et \u00e0 la nostre. Et aussy, toute bonne femme doit bien\npenser quel conseil elle veult donner \u00e0 son seigneur, et qu\u2019elle ne luy\nconseille mie \u00e0 faire chose dont il ait honte ne dommaige pour acomplir\nsa fole voulent\u00e9. Car, se elle est saige, elle doit penser et mesurer \u00e0\nquelle fin ou bien ou mal la chose puet venir; car elle y partira et ou\nbien et ou mal. Et, pour ce y doit bien penser avant qu\u2019elle riens lui\nconseille, ne ottroye, ne pour amour ne pour hayne d\u2019autruy. Et, aussi\ncomme Eve ne vouloit bien faire, elle ne devoit mie conseillier \u00e0 faire\nmal; car il y eust assez eu d\u2019elle. Et pour ce est cy bon exemple, se\nl\u2019on ne veult faire bien, que l\u2019on ne doit pas conseillier \u00e0 autruy \u00e0\nfaire mal. Et aussy, se l\u2019on ne vuelt jeuner et bien faire, l\u2019en ne doit\npas autre desconseillier ne destourber \u00e0 aultruy; ains dist le saige que\nl\u2019on a sa part ou pechi\u00e9, c\u2019est \u00e0 dire ceulx qui lui ostent sa devocion\net qui le conseillent \u00e0 desjeuner et \u00e0 faire pechi\u00e9. Et, pour ce, qui\nn\u2019a voulent\u00e9 de bien faire, si le laisse l\u2019on bien faire aux autres, et\nne leur conseillier riens contre leur ame, car ilz participeroient au\npechi\u00e9.\nLa ixe folie de Eve.\nChappitre XLVIe.\nLa ixe folie et la greigneur fut la derreni\u00e8re; car, quant Dieu la mist\n\u00e0 raison pourquoy elle avoyt trespass\u00e9 son commandement et fait pechier\nson seigneur, lors elle excusa et dist que le serpent lui avoit fait\nfaire et conseilli\u00e9. Dont elle cuida allegier son pechi\u00e9 pour chargier\nautruy. Dont il sembla que Dieu s\u2019en courrou\u00e7a plus que devant, pour ce\nque Dieux lui respondist que dont de l\u00e0 en avant en seroit la bataille\nentre elle et l\u2019ennemy, pour ce quelle crut contre luy et qu\u2019elle\nvouloit estre pareille \u00e0 Dieu, et pour ce qu\u2019elle passa son\ncommandement, et pour ce qu\u2019elle creut plus l\u2019ennemy que lui qui l\u2019avoit\nfaicte, et pour ce qu\u2019elle deceut son seigneur par son fol conseil et\nque elle s\u2019esfor\u00e7a de excuser son meffaict et son pechi\u00e9, et pour cestes\ncauses Dieu ordonna la bataille entre homme et femme et l\u2019ennemy. Car\nmoult il desplut \u00e0 Dieu l\u2019excusacion, comme il fait aujourd\u2019uy de telz\nqui viennent \u00e0 confession devant leur prestre, qui est en lieu de Dieu,\nsi se excusent en leur confession devant leur prestre, et pollicent leur\nmeffait, c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019ilz ne dient pas leurs pechi\u00e9s sy vilment comme\nilz ont meffait, et en ont honte de le dire; maiz ilz n\u2019avoient pas\nhonte de le faire. Et pour ce ilz ressamblent \u00e0 nostre premi\u00e8re m\u00e8re Eve\nqui se excusoit. Maiz saint Pol dit que qui veult estre bien nettoy\u00e9 et\nlav\u00e9, il doit dire aussy laidement contre luy et plus comment il le\nfait, ou autrement il n\u2019est point nettoy\u00e9. Car, si comme dist saint\nP\u00e8re, tout aussi comme demeure voulentiers le larron l\u00e0 o\u00f9 l\u2019en le celle\net l\u00e0 o\u00f9 l\u2019en muce son larrecin, et ne va pas voulentiers l\u00e0 o\u00f9 l\u2019en\nl\u2019escrie et hue, tout aussy est-il de l\u2019ennemy qui emble les ames par\nses temptacions, et se muce et reboute \u00e8s corps et \u00e8s lieux o\u00f9 il n\u2019est\npas escri\u00e9, ne hu\u00e9, ne descovert par confession; car celui qui se\nconfesse souvent et menu l\u2019escrie et le hue, et est la chose qui soit\nqu\u2019il plus het et craint. Sy vous laisse \u00e0 parler de nostre premi\u00e8re\nm\u00e8re Eve et comment l\u2019ennemy la fist pechier et errer. Si vous parleray\ncomment nulle saige femme ne doit estre trop hastive de prendre les\nnouveaut\u00e9z ne les premi\u00e8res cointises, comment un sains homs en prescha\nnagaires, et apr\u00e8s ycelle mati\u00e8re vous parleray de l\u2019exemple d\u2019un\nchevalier qui ot trois femmes, sur celle mati\u00e8re, et puis je retourneray\nau compte et \u00e0 la mati\u00e8re des mauvaises femmes, comme il est contenu ou\nlivre de la Bible, et comment il leur prist mal, et pour estre\nexemplaire de vous en garder. Apr\u00e8s la mati\u00e8re des mauvaises femmes, je\nvous compteray des bonnes, et comment l\u2019Escripture les loue.\nD\u2019un evesque qui prescha sur les cointises.\nChappitre XLVIIe.\nJe vous diray comment un saint homme evesque prescha nagaires, qui \u00e0\nmerveilles estoit grant clerc, et estoit en un sermon o\u00f9 avoit grant\nfoyson de dames et de damoyselles, dont il y en avoit d\u2019attourn\u00e9es \u00e0 la\nnouvelle guise qui couroit, et estoient bien branchues et avoient grans\ncornes. Dont le saint homme commen\u00e7a \u00e0 les reprendre et \u00e0 leur baillier\nmoult de exemples, comment le deluge ou temps de No\u00eb fut pour l\u2019orgueil\net desguiseures des hommes, et esp\u00e9cialement des femmes, qui se\ncontrefaisoient de atours et de robbes. Dont l\u2019ennemy vit leur orgueil\net leurs desguiseures, et les fist cheoir en l\u2019ordure du vil pechi\u00e9 de\nluxure, et, pour ceulx pechi\u00e9s, il en desplust tant \u00e0 Dieu qu\u2019il fist\nplouvoir xl. jours et xl. nuis sans cesser, tant que les yaues\nsurmont\u00e8rent la terre de x. coud\u00e9es sur la plus haute montaigne, et lors\ntout le monde fut nay\u00e9 et perilli\u00e9. Et ne demeura que No\u00eb et sa femme et\ntroiz filz et troiz filles, et tout advint par celui pechi\u00e9. Et apr\u00e8s,\nquant l\u2019evesque leur eust monstr\u00e9 cet exemple et plusieurs autres, il\ndist que les femmes qui estoient ainsy cornues et branchues ressamblent\nles limas cornus et les licornes, et que elles faisoient les cornes aux\nhommes cours vestus, qui monstroient leurs culz et leurs brayes et ce\nqui leur boce devant, c\u2019est leur vergoigne, et que ainsi se mocquoient\net bourdoient l\u2019un de l\u2019autre, c\u2019est le court vestu de la cornue. Et\nencore dist-il plus fort, que elles ressamblent les cerfs branchus qui\nbaissent la teste au menu boys, et aussy, quant elles viennent \u00e0\nl\u2019esglise, regard\u00e9s les moy, si l\u2019en leur donne de l\u2019eaue benoyste,\nelles baisseront les testes et leurs branches. Je doute, dist l\u2019evesque,\nque l\u2019ennemy soit assis entre leurs branches et leurs cornes; et pour ce\nles fait-il baisser les t\u00eates et les cornes, car il n\u2019a cure de l\u2019eaue\nbenoyste. Si vous dy qu\u2019il leur dist moult de merveilles et ne leur cela\nrien de leurs espingles ou de leurs atours, tant qu\u2019il les fist mornes\net pensives, et eurent sy grant honte qu\u2019elles bessoient les testes en\nterre, et se tenoient pour moqu\u00e9es et pour nices. Et y en a de celles\nqui ont depuis laiss\u00e9es celles branches et celles cornes et se tiennent\nplus simplement aujourd\u2019huy; quar il disoit que telles cointises et\ntelles contrefaictures et telles mignotises ressambloyent \u00e0 l\u2019iraingne\nqui fait les raiz pour prendre les mousches; tout aussy fait l\u2019ennemy\npar sa temptacion la desguiseure aux hommes et aux femmes, pour\nennamourer les uns des autres et pour prendre les musars aux deliz des\nfolz regars, et, par les mignotises des foles plaisances qu\u2019ilz croyent\net ceulx folz regars et folles plaisances, l\u2019ennemy les tempte et point,\net les prent et lie, comme fait l\u2019yraingne qui prent les mousches en ses\nrais et en ses tentes. Car telles contrefaictures et desguiseures sont\nles raiz et les tentes de l\u2019ennemy comme l\u2019yraingne les mousches, si\ncomme racompte un saint hermite en la vie des p\u00e8res, \u00e0 qui il fui\ndemontr\u00e9 par l\u2019ange, si comme vous pourriez trouver escript plus \u00e0\nplain. Apr\u00e8s ce leur dist que le plus du blasme du pechi\u00e9 estoit en\ncelles qui premi\u00e8rement prennent telles desguiseures, et que les plus\nfolles estoient les plus hardies, et que toute bonne dame et saige doit\nbien soy craindre de les entreprendre jusqu\u2019\u00e0 ce que toutes commun\u00e9ment\nles ayent entreprinses et que l\u2019on ne puisse plus fouir selon le monde.\nCar, selon Dieu, les premi\u00e8res seront plus blasm\u00e9es, et mises \u00e8s haulx\nsi\u00e9ges les derreni\u00e8res. L\u2019evesque, qui prudomme estoit, dist un bon\nexemple, sur le fait de celles qui se hastoient de prendre les premi\u00e8res\nnouvelletez et cointises, et dist ainsy:\nDe celles qui cheirent en la boue.\nChappitre XLVIIIe.\nIl advint que plusieurs dames et damoyselles furent convi\u00e9es \u00e0 une\nnopces. Si furent \u00e0 la beney\u00e7on et s\u2019en vindrent tout \u00e0 pi\u00e9 par esbat l\u00e0\no\u00f9 on devoit faire le disner. Sy avoit un bien petit maroiz entre deux,\net bien mauvaiz chemin. Sy distrent les plus juennes femmes: Nous yrons\nbien par ces marois; car le chemin y est plus droit. Les autres, qui\nestoient les plus meures et les plus saiges, distrent qu\u2019elles yroient\nle grant chemin, car il estoit le plus sec et le plus seur. Les juennes,\nqui estoient plainnes de leurs voulentez, n\u2019en vouldrent rien faire, et\ncuid\u00e8rent aler au devant et prindrent le chemin des marois, o\u00f9 il avoit\nvieilles cloyes pourris, et, quant elles furent sur les cloyes, les\ncloyes fondirent et elles cheyrent en la boue et en la fange jusques aux\ngenoulx, et furent toutes souilli\u00e9es, et convint qu\u2019elles retournassent\narri\u00e8res \u00e0 l\u2019autre chemin, apr\u00e8s les autres, et elles se ratiss\u00e8rent \u00e0\ncoustaulx leurs chausses et leurs robes, et furent crot\u00e9es et souill\u00e9es,\net ne demandez mie comment, et on les demanda bien partout, et tant que\nl\u2019on eut mengi\u00e9 le premier m\u00e8s avant qu\u2019elles venissent. Et quant elles\nvindrent sy compt\u00e8rent comment elles estoient chaitez en la boue. H\u00e9!\ndist une bonne dame et saige qui estoit venue le grant chemin, vous nous\ncuidiez estre au devant pour estre les premierez \u00e0 l\u2019ostel, et ne nous\nvouliez suivre. Il est bien employ\u00e9; car je vous dy pour vray que telle\nse cuide avanci\u00e9 qui se desavance, et telle cuide venir la premi\u00e8re qui\nse trouve la derni\u00e8re. Sy lui bailla ces deux parolles doublement et\ncouvertes; car, selon ce que dist le saint preudomme, ainsi est-il de ce\nsi\u00e8cle; car celles qui premi\u00e8res prennent les nouveault\u00e9z et les\njolivet\u00e9z qui viennent par le monde, elles cuident moult bien faire\ndesavancer les aultres pour avoir les plus de regars; mais, pour un qui\nle tient \u00e0 bien, il y en a x. quy le tiennent \u00e0 mauvays et s\u2019en moquent\net bourdent; car telz les en louent par devant qui en trayent la langue\npar derri\u00e8re et se mocquent d\u2019elles et en tiennent leurs parlemens; mais\nnulle ne croit en sa folie.\nCy parle de tenir moyen estat.\nChappitre XLIXe.\nCelle se tient \u00e0 la mieulx venue qui premierement se cointoye; mais\ncelles qui premierement prennent telles nouveaut\u00e9s, ce dit le preudomme,\nressemblent aux juennes femmes qui se souill\u00e8rent en la boue, dont l\u2019en\nse bourde d\u2019elles et de leur chemin nouvel. Et celles qui se tiennent\nplus meurement et simplement, ce sont les saiges qui al\u00e8rent le grant\nchemin seur; car l\u2019on ne se puet bourder de celles qui se tiennent\nmeurement. Je ne dy mie, puisque l\u2019estat et la nouvellet\u00e9 est courant\npar tout et que toutes s\u2019y prennent, il convient qu\u2019elles suyvent le\nsi\u00e8cle et facent comme les autres. Mais les saiges y doivent reculer le\nplus qu\u2019elles peuvent, et au fort en prendre sur elles avant moins que\nplus, et elles ne se hasteront pas tant de venir au devant comme celles\nqui cheyrent en la boue pour cuidier venir les premi\u00e8res, et elles\nfurent les derreni\u00e8res, et furent souilli\u00e9es et honnyes. Pour ce, mes\nchi\u00e8res filles, est-il bon de ne se haster point et de tenir le moyen\nestat, c\u2019est \u00e0 en faire plus sur le moins que sur le plus. Maiz il est\naujourd\u2019huy un si meschant si\u00e8cle; car se aucune jolie ou aucune nice\nprent aucune nouveault\u00e9 et aucun nouvel estat, tantost chacune dira \u00e0\nson seigneur: \u00abSire, l\u2019en me dist que telle a telle chose qui trop bel\nest et trop bien lui siet. Je vous prye que j\u2019en aye; car je suis aussi\ngentil femme et vous aussi gentil homme, et aussy puissant comme elle et\nson seigneur, et avons aussy de quoy bien paier comme eulx.\u00bb Et trouvera\nraysons par quoy il convendra qu\u2019elle en ait, ou la noise et le meschief\nsera en l\u2019ostel, ne jamais n\u2019y aura paix jusques \u00e0 ce que elle en ait sa\npart aussi comme l\u2019autre, soit droit, soit tort; elle ne regardera pas\nque le plus de ses voisines en ayent avant, ne ne enquerra se les bonnes\ndames qui sont renomm\u00e9es et tenues pour saiges en ont encore prins\ntelles nouveaultez; il convient que elles aillent les premi\u00e8res comme\nfirent celles qui cheyrent en la fange. Si est grant merveilles de\ntelles cointises et de telles nouveaultez, dont les grans clercs dient\nque les hommes et femmes se desguisent en telle mani\u00e8re que ilz ont\ndoubte que le monde perisse, comme il fist ou temps de No\u00e9, que les\nfemmes se desguis\u00e8rent et aussy firent les hommes; maiz il despleut plus\n\u00e0 Dieu des femmes que des hommes, pour ce qu\u2019elles se doivent tenir plus\nsimplement. Dont je vous en diray une merveille que une bonne dame me\ncompta en cest an, qui est l\u2019an mil trois cens lxxij. Elle me deist que\nelle et tout plein de damoiselles estoient venues \u00e0 une feste de\nSainte-Marguerite, o\u00f9 tous les ans avoit grant assembl\u00e9e, et l\u00e0 vint une\ndamoisele moult cointe et moult jolye, et estoit plus diversement\narroy\u00e9e que nulles des autres, et, pour son estrange atour, toutes la\nvinrent regarder comme une beste sauvaige; car son attour ne sambloit \u00e0\nnul des autres, et pour ce eut-elle sa part des regars. Si luy demanda\nla bonne dame: \u00abM\u2019amie, comment appellez-vous cest attour?\u00bb Et elle lui\nrespondi que l\u2019on l\u2019appelloit l\u2019attour du gibet.--\u00abDu gibet!\u00bb dist la\ndame. \u00abEn nom Dieu, le nom n\u2019est pas bel, ne l\u2019atour plaisant.\u00bb Si ala\nla voix amont et aval que celle damoiselle avoit nomm\u00e9 son atour l\u2019atour\ndu gibet, et chacun s\u2019en jengla, et la venoient veoir comme petis\nenfans. Si demanday \u00e0 la bonne dame la mani\u00e8re de cellui atour; sy le me\ndevisa; maiz en bonne foy je le retins petitement, maiz que, tant qu\u2019il\nme semble, qu\u2019elle me dist qu\u2019il estoit hault lev\u00e9 sus longues espingles\nd\u2019argent plus d\u2019un doy sur la teste comme un gibet pour estre\nestrangement. Si n\u2019estoit pas tenue celle damoiselle \u00e0 trop sage, et\nestoit moult bourd\u00e9e; et ainsi chascune nyce amainne sa nouveault\u00e9 et sa\ndesguiseure. Sy vous laisseray \u00e0 parler de cestes desguisures et atours;\nje vous ay dit comment l\u2019evesque les chastioyt et soutenoit et prouvoyt\npar la sainte escripture que, quant les hommes et par especial les\nfemmes se cointissoient et desguisoient, que c\u2019estoit contre mal temps\nde mortalit\u00e9 ou de grans guerres, comme anciennement est advenu, et\ncomme encore on le puet veoir chascun jour et le appercevoir, et que\nc\u2019est un pechi\u00e9 d\u2019orgueil, par quel les angels cheyrent du ciel, par qui\nle d\u00e9luge vint quant le monde fut noy\u00e9, par lequel la luxure y est\nconceue par la racine de celluy orgueil.\nDu chevalier qui eut iij femmes.\nChappitre Le.\nBelles filles, je vouldroye que vous sceussiez et eussiez bien retenu\nl\u2019exemple d\u2019un chevalier qui ot troys femmes. Il fut un chevalier moult\npreudomme et de bonne vie qui avoit un oncle hermite, saint homme et de\nreligieuse vie. Ce chevalier eut sa premi\u00e8re femme qu\u2019il ama \u00e0\nmerveilles. Si va advenir que la mort, qui tout prent, la print, dont le\nchevalier fut si dolent que a peu qu\u2019il n\u2019en mourut de dueil et de\ncouroux. Si ne savoit son confort prendre fors que aler soy complaindre\n\u00e0 l\u2019ermite son oncle, que il savoit saint homme. Si vint \u00e0 lui plourant\net doulousant et regrettant sa femme, et le saint hermite le confortoit\nle plus bel qu\u2019il povoyt, et au fort le chevalier le pria \u00e0 jointes\nmains que il voulsist Dieu prier que il sceust se elle estoit perdue ou\nsauv\u00e9e. Le saint homme eut piti\u00e9 de son neveu et ala en la chappelle et\nadoura Dieu, et requist que il lui pleust lui demonstrer o\u00f9 elle estoit,\net quant il eut est\u00e9 grant pi\u00e8ce en oroison, il s\u2019endormi et lui fut\nadvis qu\u2019il veoit la povre ame devant monseigneur saint Michiel et\nl\u2019ennemy de l\u2019autre part, et estoit en une balance et son bien fait avec\nelle et d\u2019autre partie l\u2019ennemy avec les maulx qu\u2019elle avoit faits, et,\nentre les autres choses, la chose qui plus pesoit et qui plus la\ngrevoit, c\u2019estoient ses robes qui moult estoient fines et fourr\u00e9es de\nvair et de gris et lettic\u00e9es de hermines. Si se escrioit l\u2019ennemi et\ndisoit: \u00abHa, saint Michiel, sire, ceste femme avoit dix paires de robes,\nque longues, que courtes, que costes hardies, et vous savez bien qu\u2019elle\nen eust assez de la moiti\u00e9 moins, c\u2019est d\u2019une robe longue et de deux\ncourtes et de deux cottes hardies, pour bien se y passer selon une\nsimple dame, et encore elle s\u2019en deust bien passer \u00e0 moins selon Dieu;\nelle en a trop de plus de moiti\u00e9, et de la valeur d\u2019une de ses robes l.\npovres gens en eussent l. bonnes cottes de burel, qui ont souffert tel\nfroit et tel mesaise en cest yver environ elle, ne oncques piti\u00e9 n\u2019en\neust, et du forfait de ses robes ces povres en fuissent revestuz et\ngarentiz de froit\u00bb. Sy apportoit l\u2019ennemi les robes qui par forfait\nestoient, et les mist en la balance, et les anneaulx et petits joyaux\nqu\u2019elle avoit receuz des compagnons par amourettes, et grant foyson de\nnuies et de mauvaises parolles que elle avoit dictes en diffamant autruy\npar envie et toulir leur bonne renomm\u00e9e; car moult avoit est\u00e9 envieuse\net mesdisant; ne elle n\u2019avoit riens fait que tout ne feust illecques\nrapport\u00e9, et toutes ses robes et celles chosetes furent pesez en la\nbalance, tant que ses maulx pass\u00e8rent son bien fait et l\u2019emporta\nl\u2019ennemy, et lui vesty ses robes toutes ardantes et plainnes de feu et\nde flambe, et la povre ame plouroit et se doulousoit moult piteusement.\nEt puis l\u2019ermite s\u2019esveilla et racompta ce fait au chevalier son neveu,\net commanda que toutes ses robes feussent donn\u00e9es pour Dieu et toutes\ndeparties aux povres.\nDe la seconde femme du chevalier.\nChapitre LIe.\nApr\u00e8s le chevalier se remaria, et furent bien v. ans ensemble, et puis\nelle morust; et le chevallier, se il fut dolent de la premi\u00e8re, il fut\nbien autant ou plus de la seconde, et vint \u00e0 son oncle plourant et\nmenant grant dueil, et luy pria, comment il avoit autrefois fait, qu\u2019il\nsceult o\u00f9 estoit sa femme, et pour la piti\u00e9 de luy le preudomme se mist\nen oroyson. Si vist et lui fut revell\u00e9 et demonstr\u00e9 qu\u2019elle seroit\nsauv\u00e9e; maiz elle seroit c. ans ou feu de purgatoire pour certaines\nfaultes qu\u2019elle avoyt faittes en son mariaige, ce fu que un escuier\ns\u2019estoit couchi\u00e9 avecques elle, et pour autres petitz pechiez, et\ntoutesfois si s\u2019en estoit-elle confess\u00e9e plusieurs fois; car, s\u2019elle ne\ns\u2019en feust bien confess\u00e9e, elle eust est\u00e9 dampn\u00e9e. Si dist le saint\nhomme au chevalier que sa femme estoit sauv\u00e9e, dont il eut grant joye.\nSi regardez que pour un pechi\u00e9 celle fut tant en feu; mais bien puet\nestre, si comme dit le saint homs, que ilz avoient commis ce delit\nenviron x. ou xij. foiz; car pour chascun fait et delit l\u2019en est vij.\nans ou feu de purgatoire, non obstant la confession, car le feu de vij.\nans n\u2019est que pour espurgier et purifier l\u2019ame de chascun faulx delit.\nSi ne l\u2019avoit-elle pas fait \u00e0 homme mari\u00e9, ne \u00e0 prestre, ne \u00e0 moine, ne\nengendr\u00e9 enffant; mais pour cellui pechi\u00e9 mortel, pour chacune foiz que\nl\u2019en le fait, l\u2019en est vij. ans ou feu et en flambe en purgatoire, non\nobstant la confession. Sy prenez icy, belles filles, exemple comment\ncelluy faulx delit est chier achet\u00e9, et comment il convient une foiz le\ncomparoir, et aussy de celles qui ont tant de robes et qui mestent tant\ndu leur pour elles parer pour avoir les regars du monde et la plaisance\ndes gens. C\u2019est un grant alumail, dont l\u2019en chiet voulentiers au pechi\u00e9\nd\u2019orgueil, et de cellui d\u2019orgueil en cellui de luxure, qui sont les deux\npires pechi\u00e9s qui soient, et que Dieux plus het. Et or regardez comment\nil en prist \u00e0 la premi\u00e8re femme du chevalier, qui en fut dampn\u00e9e et\nperdue, et toutesfois en a-il maintes par le monde, qui ont bien le cuer\n\u00e0 faire acheter une robe de lx. ou de iiiixx francs; mais elles\ntendroient \u00e0 grant chose se elles avoient donn\u00e9 pour Dieu un seul franc\nou une cote d\u2019un franc \u00e0 un povre homme; or regardez comment celles qui\nont plusieurs cors\u00e8s et robes, dont elles se passeroient bien de moins,\ncomment elles en respondront estroictement une fois. Et pour ce, toute\nbonne femme, selon ce qu\u2019elle est et selon sa puissance, s\u2019en doit\npasser au mains qu\u2019elle puet, et donner pour Dieu le seurplus pour estre\nvestue en l\u2019autre si\u00e8cle, si comme firent les saintes dames et les\nsaintes vierges, comme racontent leurs legendes, comme de sainte\nElisabeth, de sainte Katherine et de sainte Agathe et de plusieurs, qui\ndonn\u00e8rent leurs robes et leurs biens aus povres pour l\u2019amour de Dieu. Et\n\u00e0 cestes exemple le doivent faire toutes bonnes femmes. Or vous ay parl\u00e9\ndes deux premi\u00e8res femmes du chevalier; si vous parleray de la tierce\nfemme.\nDe la tierce femme du chevalier.\nChapitre LIIe.\nApr\u00e8s le chevalier eut la tierce femme et furent grant pi\u00e8ce ensemble;\net toutesfoiz elle morut \u00e0 la parfin, dont advint que le chevalier deut\nmorir de dueil et de regret, et, quant elle fut morte, le chevalier vint\n\u00e0 son oncle, et lui pria qu\u2019il voulsit prier pour sa femme. Toutesfoiz\nle preudomme en pria tant qu\u2019il luy vint en advision que un ange le\nsignoit et monstroit le tourment que l\u2019en la faisoit souffrir, ne pour\nquoy; car il veoit appertenant que un ennemy la tenoit d\u2019une de ses\ngriffes par les cheveux et par la tresse, comme un lion tient sa proie,\nsi qu\u2019elle ne povoit la teste remuer ne \u00e7\u00e0 ne l\u00e0, et puis lui mettoit\nalesnes et aiguilles ardans par les sourcilz, et par les temples, et par\nle front jusques \u00e0 la cervelle, et la povre ame s\u2019escryoit, \u00e0 chascune\nfoiz qu\u2019il lui boutoit l\u2019alesne ardent. Sy demanda pourquoy on luy\nfaisoit cette grant douleur, et l\u2019ange lui respondoyt que c\u2019estoit pour\nce qu\u2019elle avoit affaiti\u00e9 ses sourciz et ses temples, et son front creu,\net arrachi\u00e9 son peil pour soy cuidier embellir et pour plaire au monde,\net qu\u2019il convenoyt que en chascune place et pertuis dont chascun poil\navoit est\u00e9 ost\u00e9, que chascun jour continuellement y poignist l\u2019alesne\nardant. Et apr\u00e8s, quant il luy ot fait souffrir ce martire, qui moult\nlonguement dure, un autre annemy moult hideux vint \u00e0 grans dens hideuses\net aigues, la prendre au visaige et luy broyer et maschier, et apr\u00e8s\ncela vint avecques grans brandons de feu ardant luy enflamber et bouter\nen visaige si effrayement et douleureusement que l\u2019ermite en avoit telle\npaour et hideur qu\u2019il trambloit tout, mais l\u2019ange l\u2019asseura et luy dist\nqu\u2019elle l\u2019avoyt bien desservy; si demanda pourquoy et il respondy: Pour\nce qu\u2019elle s\u2019estoit fard\u00e9e et peinte le visaige pour plaire au monde, et\nque c\u2019estoit un des pires pechiez qui feust et qui plus desplaisoit \u00e0\nDieu, car c\u2019estoit pechi\u00e9 d\u2019orgueil, par lequel l\u2019en attrait le pechi\u00e9\nde luxure et tous aultres pechi\u00e9z mortelx dont le monde perit par le\nd\u00e9luge et depuis plusieurs citez en sont arses et fondues en abisme, car\nsur toute rien il desplait au cr\u00e9ateur, qui tout fourma, dont l\u2019en se\nveult donner plus grant beault\u00e9 que nature ne luy apporte, et si ne\nsouffist pas \u00e0 homme ne \u00e0 femme estre fait et compass\u00e9 \u00e0 sa saincte\nymaige o\u00f9 les sains angels tant se delitent; car si Dieu eust voulu, de\nsa sainte pourveance, elles n\u2019eussent pas est\u00e9 femmes, ains\u00e7ois les eust\nfaictes bestes mues ou serpens. Et donc pourquoy regardent-elles \u00e0 la\ngrant beaut\u00e9 que Dieu leur a faictes, et pourquoy mestent-elles \u00e0 leur\nvisaige ou \u00e0 leurs chiefs aultre chose que Dieux leur a donn\u00e9. Et pour\nce n\u2019est-il mie de merveilles se elles endurent ceste penitence, car\nceste, dist l\u2019angel, l\u2019a bien deservy, et alez veoir le corps, et vous\nverr\u00e9s le visaige moult effray\u00e9 et hideux. Sire, dit l\u2019ermite, sera-elle\ngu\u00e8res en cellui tourment? Et l\u2019ange dist: mil ans, et plus ne lui en\nvoult descouvrir. Maiz quant l\u2019ennemy lui mettoit le brandon de feu ou\nvisaige, la povre ame se escrioit, et doulousoit et maudissoit l\u2019eure\nqu\u2019elle avoit oncques est\u00e9 engendr\u00e9e, et estoit foible et douloureuse.\nEt de la paour que le saint hermite en eust il se esveilla tout effray\u00e9,\net vint au chevallier et lui compta son advision, et dont le chevalier\nfut moult esbahy, et ala veoir le corps que l\u2019on vouloit ensepvelir.\nMais le visaige en estoit si noir, si let et si orrible \u00e0 veoir que\nc\u2019estoit grant affliction. Adonc creut-il bien que c\u2019estoit voir ce que\nson oncle l\u2019ermite luy avoit dit. Si en ot grant horreur et abhominacion\net piti\u00e9 ensemble, et tant que il laissa le si\u00e8cle, et vestoit le\nvendredy et le meccredy la haire, et donna le tiers de toute sa revenue\npour Dieu, et usa de saincte vie de l\u00e0 en avant, et ne luy chailloit des\nboubans du monde, tant fust effray\u00e9 de ce qu\u2019il avoit veu de sa femme\nderreni\u00e8re et de ce que le preudomme lui avoit dit qu\u2019il avoit veu.\nD\u2019une princesse.\nChappitre LIIIe.\nEt, pour affermer cest exemple, comment elle peut bien estre vraye, je\nvous en compteray d\u2019un autre, lequel n\u2019a gaires advint. Je vy une\nbaronnesse bien grant dame, laquelle l\u2019en disoit qu\u2019elle se fardoit, et\nvy celluy qui luy bailloit chascun an telle chose, et avoit d\u2019elle bonne\npension par chascun an, si comme il disoit en son priv\u00e9. La dame fut un\ntemps moult honnour\u00e9e et moult puissante. Sy morust son seigneur et vint\nen abaissant de son honneur et estat, et fut un temps que elle avoit\nplus de lx. paires de robes, sy comme l\u2019on disoit. Mais depuis, \u00e0 la\nparfin, elle s\u2019en passa bien \u00e0 moins et en ot bien petitement, dont j\u2019ay\noy raconter \u00e0 plusieurs que, quant elle fut morte, son visaige devint\ntel que l\u2019on ne s\u00e7avoit que c\u2019estoit ne quelle contrefaiture; car ce ne\nsambloit point visaige de femme, ne nul ne le prist pour visaige de\nfemme, tant estoit hideux et orrible \u00e0 veoir. Sy pense bien que le\nfardement de la painture, qu\u2019elle vouloit faire et mettre en elle,\nestoit l\u2019achoyson de cellui fait. Pourquoy, mes belles filles, je vous\npry, prenez cy bon exemple et le retenez en vos cuers, et ne adjoustez \u00e0\nvos faces, que Dieux a faictes \u00e0 sa sainte ymaige, fors ce que luy et\nnature y ont mis; ne rapetissiez voz sourcilz ne fronts, et aussy \u00e0 vos\ncheveux ne mettez que lessive: car vous trouverez, de divin miracle, en\nl\u2019esglise de Nostre Dame de Rochemadour plusieurs tresces de dames et de\ndamoiselles qui s\u2019estoient lav\u00e9es en vin et en autres choses que en\npures lessives, et pour ce elles ne peurent entrer en l\u2019esglise jusques\n\u00e0 tant que elles eurent fait copper leurs tresses, qui encore y sont. Ce\nfait est chose vraye et esprouv\u00e9e. Et sy vous dy que ce fut tr\u00e8s grant\namour \u00e0 monstrer \u00e0 celles \u00e0 qui elle les monstra: car la glorieuse\nvierge Marie ne vouloyt pas qu\u2019elles perdeissent leurs pas, leur travail\nne leurs pellerinages, ne que elles feussent perdues pardurablement; sy\nleur voult monstrer leurs folies et les ramener de perdicion. Sy est cy\nmoult bel exemple et mirouer, et moult \u00e9vident \u00e0 ou\u00efr, et \u00e0 concevoir,\net \u00e0 veoir \u00e0 toutes mani\u00e8res de femmes pour le temps \u00e0 venir, et pensez\ncomment de l\u2019aage du temps de No\u00eb, que tout le monde noya et perist par\nles orgueilleuses deffaictures, et les desguisures, et par les fardemens\ndes folles femmes, dont les lecheries et viles luxures yssirent, par\nquoy ilz furent tous et toutes perilz et noyez, fors viij. personnes\nsans plus.\nDe la femme Loth.\nChappitre LIIIIe.\nUn exemple vous diray de la femme Loth, que Dieux avoit gett\u00e9e de\nGomorre, elle et son seigneur, et troix de ses filles, et Dieu luy avoyt\ndeffendu qu\u2019elle ne regardast point derri\u00e8re elle; mais elle n\u2019en fist\nriens, ain\u00e7oys y regarda, et pour ce devint comme une pierre, tout aussy\ncomme Saint Martin de Verto, quant il fist fondre la cit\u00e9 de Erbanges,\nqui estoit en l\u2019eveschi\u00e9 de Nantes, laquelle fondy par le pechi\u00e9 de\nluxure et d\u2019orgueil, aussy comme fist la cit\u00e9 dont Loth fut sauv\u00e9, c\u2019est\nde Gomorre, Sodome, et autres v. cit\u00e9s que Dieu fist ardoir par feu de\nsouffre jusques en abysme, et devindrent lac et eau, et furent tous\nperilz, et la cause fut tout pour le vil pechi\u00e9 de luxure, que j\u00e0 ne\nfait \u00e0 nommer, qui put tant ordement que la pueur en va au ciel et\nbestourne tout le ciel et toute l\u2019ordre de nature. Sy en furent vij.\ncit\u00e9s arses de fouldres puans pour ce que ilz usoient de l\u2019orde ardeur\ndu feu de luxure. Car qui le povoit faire si le faisoit et s\u2019en\neffor\u00e7oyt de le faire, sans y garder loy ne raison de nature, et tout\naussy comme leurs cuers estoient ars et espris de celluy vil pechi\u00e9 et\nfeu de luxure, nostre Seigneur les ardy eulx et tous leurs biens par\nfouldres de feu et de souffre, qui tant est horrible et puant. Et ainsi,\nl\u2019une chaleur attrait l\u2019autre, et ce fut la vengence et la pugnicion de\nDieu le p\u00e8re. Si est bel exemple comment l\u2019en se doit garder du feu de\nluxure fors du fait de mariage, qui est commandement de Dieu et de\nsainte Eglise. Apr\u00e8s ce que la femme Loth regarda derri\u00e8res elle pour\nveoir le tourment des pecheurs qui perissoient par celluy feu de\nfouldre, et si fist contre le commandement de Dieu et la deffense qui\nluy avoit est\u00e9 faite, et fust signifiance \u00e0 ceulx que Dieux delivre de\nperil et oste par fois de pechi\u00e9 mortel, c\u2019est \u00e0 ceulx \u00e0 qui il donna\ngrace de eulx confesser et de repentir, et quant ilz sont nettoiez et\nconfessez, et que l\u2019en leur a deffendu qu\u2019ilz ne regardent point\nderri\u00e8re eulx, c\u2019est \u00e0 dire que ilz ne retournent plus en pechi\u00e9 et que\nilz se gardent nettement dorenavant, et puis ilz retournent arri\u00e8re \u00e0\nleur pechi\u00e9, ou en fait ou en dit, et se remettent arri\u00e8res au peril et\nen l\u2019ordure o\u00f9 ilz estoient, tant que ilz devendront pierre, et neant,\net plus que neant, si comme elle fist. Je vouldroye que vous sceussiez\nl\u2019exemple de la dame qui laissa son seigneur, qui estoit moult bel\nchevallier, et s\u2019en ala avecques un moigne, et les fr\u00e8res d\u2019elle la\npoursuyvoient, et la quistrent tant qu\u2019ilz la trouv\u00e8rent la nuit\ncouchi\u00e9e avecques le moigne. Si copp\u00e8rent les choses du moigne et les\njett\u00e8rent au visaige de leur suer, et puis les mistrent tous deux en un\ngrant sac, et grant foyson de pierres dedens, et les jett\u00e8rent en un\nestanc, et ainsi furent tous deux perilz; car de mauvaise vie mauvaise\nfin: car c\u2019est un pechi\u00e9 qui convient que une fois soit sceu ou pugny.\nDes filles Loth.\nChappitre LVe.\nEncore vous diray-je un exemple des filles Loth, comment l\u2019ennemi les\ntempta vilainnement. Elles virent leur p\u00e8re tout nu sans braies; si\nfurent toutes deux tempt\u00e9es de sa compagnie, et s\u2019entredescouvrirent\nleur fait, et vont entreprendre \u00e0 enyvrer leur p\u00e8re; si le festoy\u00e8rent\net le firent tant boire que il fut yvre, et lors elles se couchi\u00e8rent et\nsi se mistrent delez lui et l\u2019esmurent \u00e0 fornication, et tant qu\u2019il les\ndespucella toutes deux, car il cuidoit que ce feussent autres qu\u2019elles,\net ainsi feut deceu par vin. Si est moult perilleux pechi\u00e9 de gloutonnie\nque de vin, et en avient moult de maulx; et toutesfoiz elles\nengross\u00e8rent toutes deux et eurent deux fils, dont l\u2019un eut nom Moab et\nl\u2019autre Amon, dont les pa\u00efens et la mauvaise loy descendit d\u2019eulx. Et\nmoult en vint de maulx par celluy pechi\u00e9. Et dist l\u2019en que elles se\ncointi\u00e8rent et s\u2019enourguill\u00e8rent, et pour ce l\u2019ennemi les tempta plus\nligierement \u00e0 faire celluy vil pechi\u00e9, et dist l\u2019en que l\u2019une en atiza\nl\u2019autre et ainsi l\u2019autre le fist par mauvaiz conseil. Et pour ce je\nvouldroye que vous sceussiez l\u2019exemple de la fole damoiselle, qui, pour\nun chapperon que un chevalier luy donna, elle fist tant et bargigna que\nsa dame fist sa volent\u00e9 et que elle la fist deshonnourer; dont il avint\ntel meschief que, au fort, un varlet que le seigneur avoit nourry s\u2019en\napperceust et le dist \u00e0 son seigneur, et le seigneur s\u2019en mist en espie,\ntant que il trouva le fait. Si occist le chevallier que il trouva\navecques sa femme, et sa femme il mist en chartre perpetuelle, o\u00f9 elle\nmourut doulereusement. Sy advint que le seigneur passat devant la\nchartre o\u00f9 elle estoit; si l\u2019escouta et elle se doulousoit en soy et\nmaudissoit qui lui avoit ce fait faire ne conseilli\u00e9. Et alors il envoya\ns\u00e7avoir qui estoit celle qui le conseil luy avoit donn\u00e9, et elle\ndescouvry sa damoiselle. Et lors le chevalier la fist venir devant luy\net luy commanda qu\u2019elle deist verit\u00e9, et au fort elle luy dist la verit\u00e9\net qu\u2019elle en avoyt eu un chapperon, et le seigneur luy envoya querre le\nchapperon, et, quant il le vist, sy lui dist: \u00abMa damoiselle, mal le\nveistes ce chapperon et pour pou de chose vous estes deffaicte et avez\nest\u00e9 cause de ma tristesse, et je juge que le col et le chapperon soit\ncoupp\u00e9 tout ensemble.\u00bb Si luy fist vestir et coupper le col et le\nchapperon tout ensemble, et ainsy fut fait ce jugement. Sy regardez\ncomment il fait bon prendre bonne compaignie et femmes de service nettes\nqui n\u2019ayent eu nul blasme; car ceste damoyselle n\u2019avoit pas est\u00e9 trop\nsaige, comme l\u2019en dit. Et pour ce est bonne chose de prendre bonnes\nfemmes et nettes; car mauvaises femmes conseillent trop de mal \u00e0 juenne\ndame, comme fist la folle suer des filles Loth et comme fist celle folle\ndamoyselle, qui en eut son guerredon et sa desserte.\nDe la fille Jacob.\nChappitre LVIe.\nJe vous diray un autre exemple de la fille Jacob, qui, par sa jolivet\u00e9\nde cuer, laissa l\u2019ostel de son p\u00e8re et de ses fr\u00e8res pour veoir l\u2019atour\ndes femmes et l\u2019arroy d\u2019un autre pays. Dont il avint que Sichem, le filz\nde Amon, qui estoit grans sires, la regarda et vist qu\u2019elle estoit\nbelle, et si la pria de folle amour, tant qu\u2019il la despucella. Et, quant\nles xij. fr\u00e8res d\u2019elle le sceurent, si vindrent l\u00e0 et le occistrent, luy\net le plus de son lignaige et de ses gens du pays, pour la honte que ilz\neurent de leur suer, qui ainsi avoit est\u00e9 despucell\u00e9e. Or resgardez\ncomment par fole femme vient le grant mal et le dommaige, car par sa\njuennesce et par son legier couraige advint celle grant occision, tout\naussy comme il fut de la fille au roy de Gr\u00e8ce, qui, par sa fole amour\net par folz semblans, elle accointa le filz d\u2019un conte, qui l\u2019engroissa,\ndont le roy son p\u00e8re en fist guerre au conte, et en morut plus de mil\npersonnes, et eust la guerre encores plus dur\u00e9 quant le fr\u00e8re du roy,\nqui saiges estoit, vint au roy son fr\u00e8re et lui dist: \u00abSire, je me\nmerveille moult que pour l\u2019esbat et le delit de vostre fille a est\u00e9\nperdu maint bon chevalier et maint bon preudomme par sa jolivet\u00e9. Il\nvous vaulsist trop mieulx que elle n\u2019eust oncques est\u00e9 n\u00e9e.\u00bb Et lors\ndist le roy qu\u2019il disoit voir. Adonc il fist prendre sa fille par qui le\nmal avoit est\u00e9, si la fist despecier d\u2019esp\u00e9es par menues pi\u00e8ces, et\ndepuis dist devant tous qu\u2019il estoit bien raison qu\u2019elle feust ainsi\ndespeci\u00e9e, par qui tant de bonnes gens avoient est\u00e9 mors et occis.\nDe Thamar, qui fust femme Honain.\nChappitre LVIIe.\nJe vueil que vous oyez l\u2019exemple de Thamar, qui fut femme Honain, qui\nestoit filz Juda, filz de Jacob et fr\u00e8re de Joseph. Cestui Honain fut\ntrop pervers et felon et de mauvaise vie, laquelle je ne vueil pas toute\ndire, dont Dieux voulst qu\u2019il en morut soudainement et piteusement. Et\nquant Thamar se vit sans seigneur, dont elle n\u2019avoit oncques eu lign\u00e9e\nne enfant, se pensa que le p\u00e8re de son seigneur engendroit bien et qu\u2019il\nn\u2019estoit pas brehaing, et pour ce convoita \u00e0 avoir sa compaignie\nfolement et contre la loy. Et tant fist qu\u2019elle vint couchier par une\nnuit avec luy, et le deceut tant qu\u2019il engendra deux enffans, dont l\u2019un\not nom Phares et l\u2019autre Amon, dont moult de mal en vint et mainte\ntribulacion; car les enfans qui sont mal engendrez et qui ne sont de\nloyal mariage, ce sont ceulx par qui sont les guerres et par qui les\nancesseurs sont perduz. Parquoy je vouldroye que vous sceussiez\nl\u2019exemple du roy de Napples. Il est contenu \u00e8s croniques de Napples\nqu\u2019il y ot une fole royne qui ne garda pas son corps nettement ne\nloyalment \u00e0 son seigneur, et tant qu\u2019elle con\u00e7ut un filz d\u2019ung autre que\ndu roy son seigneur. Si advint que icelluy fut roy apr\u00e8s la mort du roy,\net quant il fust en eage il fut fel et aigres, et n\u2019amoit point ses\nbarons ne ses chevaliers, ain\u00e7oys leur fut dur et fel, et prenoit\namendes et tailles, et effor\u00e7oit femmes et usoit de mauvaise vie,\ntellement que il encommen\u00e7a guerres \u00e0 ses voisins et \u00e0 ses barons, et\ntant que le royaulme fut en essil et en povret\u00e9 par moult long temps. Si\navoit un baron moult preudhomme et moult bon chevalier, qui ala \u00e0 un\nhermitaige o\u00f9 avoit un saint hermite moult religieux et qui moult\ns\u00e7avoit de choses. Si lui demanda le chevalier pourquoy ne comment ilz\navoient tant de guerre au pa\u00efs, et se elle dureroit gaire. Et le saint\nhermite respondy: \u00abSire, il convient que le temps ait son cours, c\u2019est\nassavoir, tant comme cest roy durera et un sien filz, la tribulacion ne\ncessera, et vous diray pourquoy. Il est ainsi que cest roy n\u2019est pas\ndroit hoir, ains est advoultre et emprunt\u00e9, et pour ce ne puet-il jouir\nde son royaume ne de l\u2019amour de son pueple, et convient que lui et son\nroyaume ayent doulour et tribulacion tant comme faulx hoir y soit; mais\nson filz n\u2019aura j\u00e0 hoir, et l\u00e0 fauldra la faulce lign\u00e9e et reviendra le\nroyaulme aux drois hoirs, et lors fauldra la pestillence et vendra paix\net toute habondance de biens ou royaulme.\u00bb Et, ainsi comme le preudomme\nle dist, ainsi avint; et encore dist-il plus, car il parla de la faulce\nroyne sa m\u00e8re, laquelle seroit pugnie en ce si\u00e8cle et en l\u2019autre, c\u2019est\nassavoir que la femme du roy son filz l\u2019encuseroit vers son seigneur que\nelle se coucheroit avecques un de ses prebstres, et que son filz le roy\nles trouveroit ensemble et les feroit tous deux ardoir en une fournaise.\nEt ainsi comme le saint homme le dist il advint, et pour ce est bel\nexemple \u00e0 toutes femmes de soy tenir nettement en son mariage: car pour\nfaire un faulx hoir il advient tant de mal et de tribulacion au pa\u00efx o\u00f9\nil a seignourie; car par les faulx hoirs se perdent les seigneuries, et\nles m\u00e8res en sont dampn\u00e9es perpetuellement en enfer, tant comme les\nenfans en tiendront point de la terre de leur parrastre, c\u2019est-\u00e0-dire du\nmary de leur m\u00e8re.\nCy parle de la femme du roy Pharaon et de Joseph le filz Jacob.\nChappitre LVIIIe.\nBelles filles, je vous diray un exemple d\u2019un grant mal qui vint par\nregart et par folle plaisance, si comme il advint \u00e0 Joseph le filz\nJacob, celui qui fut vendu par ses fr\u00e8res au roy Pharaon. Cellui Joseph\nestoit \u00e0 merveilles beau filz, saige et humble, et pour son bon service\nle roy l\u2019amoit moult et lui habandonna touz les biens de son royaulme.\nLa royne le regarda, qui le vit bel et juenne; sy l\u2019ama merveilleusement\nde folle amour, et lui monstra moult de folz signes d\u2019amours par regars\net par autres folz semblans, et quant elle vit que il n\u2019y vouloit\nentendre ni se consentir \u00e0 sa mauvaise volent\u00e9, elle en fut toute\nforsen\u00e9e, et tant qu\u2019elle l\u2019appella en sa chambre et le pria de fole\namour. Maiz lui, qui estoit preudomme, luy respondi que j\u00e0 il ne seroit\ntraistre envers son seigneur. Et quant elle vit cela, elle se courrou\u00e7a\net le prist aux poins par le mantel et s\u2019escria \u00e0 la force tant que tous\nvindrent, et elle dist qu\u2019il la vouloit efforcier, et lors le roy le\nfist prandre et mettre en la chartre, et y fust longtemps. Et apr\u00e8s ce,\nDieu, qui ne l\u2019oublia pas pour sa bont\u00e9, le fist delivrer, et fust plus\ngrand maistre que par avant ou royaume, et plus am\u00e9 et plus honnour\u00e9. Et\npour ce est cy bon exemple que Dieux reli\u00e8ve tousjours les justes et\nceulx o\u00f9 il treuve loyault\u00e9, et la faulce royne fut punye; car il ne\ndemeura gaires qu\u2019elle morut mauvaisement et souddainement de male mort.\nEt ainsi Dieu guerredonne \u00e0 chascun son merite. Et pour ce est cy bon\nexemple de bien faire; car oncques de bien faire ne vint que bien et\nhonneur; ainsi, comme dit l\u2019Euvangille, il n\u2019est bien qui ne soit mery\net mal qui ne soit puny. Car de faire faulx hoirs ne viendra que maulx\net tribulacions \u00e8s lieux o\u00f9 ilz seigneuriront et dont ilz auront la\npoest\u00e9, et les doulereuses m\u00e8res seront livr\u00e9es \u00e0 la grant mort d\u2019enfer,\nne jamais n\u2019en istront tant comme les advoultres qu\u2019eles ont fais\ntendront terres ne biens du mary leurs m\u00e8res. Et c\u2019est chose vraye, si\ncomme plusieurs qui sont resuscitez le tesmoignent, et la sainte\nEscripture d\u2019autre part.\nCy parle des filles Moab.\nChappitre LIXe.\nUn autre exemple vous vueil dire des malvaises femmes de jadiz, comme\ndes filles Moab. Vous avez ouy comment Moab fut faulsement engendr\u00e9\ncontre la loy, et voulentiers de mauvais arbre ist mauvais fruit. Car\nses filles furent folles et plaines de pechi\u00e9 de luxure. Dont il advint\nque Balaam, qui estoit payen, pour grever l\u2019ost des filz Isra\u00ebl, fist\ncointir et parer celles folles filles de tr\u00e8s riches draps, et puis les\nenvoya en l\u2019ost des Ebrieux, c\u2019estoit le pueple de Dieu, afin de les\nfaire pechier et de mettre Dieu contre eulx en yre; si vindrent moult\ncointes et moult jolives en l\u2019ost. Sy en y ot moult qui furent temptez\net en firent leur fol delict, dont les princes de l\u2019ost n\u2019en firent\npoint semblant, et Dieu s\u2019en courrou\u00e7a et manda par Moyse que les\nprinces qui celle iniquit\u00e9 avoient faiste et soustenue feussent penduz\net mis \u00e0 mort, dont Moyse fit crier le ban que Dieu avoit command\u00e9, et\nainsi fut fait, et plusieurs furent occis et destruiz pour celluy fait\net vil pechi\u00e9 de luxure. Si est cy grant exemple aux chevetaines des\nostz qui sueffrent \u00e0 faire force et qui sueffrent les grans\nribaulderies, et pueent veoir comment il en desplaist \u00e0 Dieu le p\u00e8re, et\nla pugnicion qui en fut faitte par son commandement, et puet l\u2019en bien\nveoir comment tel pechi\u00e9 desplait \u00e0 Dieu, et comment tant de maulx en\nadviennent, comme ouy avez et comme vous orrez, si comme le compte la\nBible et la sainte Escripture.\nCy parle de la fille Madiam.\nChappitre LXe.\nSi vous diray un autre exemple comme autre foys en advint en l\u2019ost des\nfilz Ysrael, c\u2019estoient les Juifs, qui estoient peuple de Dieu et\ntenoyent sa loy. Sy avint que la fille Madiam, qui pa\u00efen estoit, et des\nnobles d\u2019icelle loy, celle fille, qui fut tempt\u00e9e, ot le cuer si joly et\nsi gay que elle se cointit et vint en l\u2019ost des Ebrieux, ce sont les\nfils d\u2019Isra\u00ebl. Elle fut cointe et jolie et moult richement par\u00e9e, et ne\nvenoit que pour le cheval et le harnoiz, c\u2019est \u00e0 dire pour soy faire\nacomplir son delit, et tant advint que un chevallier de l\u2019ost la vit,\nlequel en fut legierement tempt\u00e9, et tant que il la fit venir en son\nlogiz et fit son delit avecque elle. Et si comme il pleust \u00e0 Dieu il\nenvoya Fin\u00e9es, qui estoit un des meilleurs chevalliers de l\u2019ost et l\u2019un\ndes plus grans chevetaines, et estoit nepveu Aaron. Cellui oyt dire que\ntelle iniquit\u00e9 se faisoit en leur ost, comme avecque une payenne qui\nn\u2019estoit pas de leur loy. Si vint courant l\u2019esp\u00e9e nue et les trouva ou\nfait; si les va tous deux percier l\u2019un sur l\u2019autre, et morurent\nvillainement et ordement. Si avoit nom le chevallier qui faisoit la\nfollie Zambry, du lignage Symeon, qui estoit des xij. princes de la loy.\nMais pour ce ne fust-il pas espargni\u00e9; car les princes et les\nchevetaines de l\u2019ost, qui veoient comment Dieu ouvroit pour eulx qui\ncombattoient \u00e0 dix tant de gens que ilz n\u2019estoient, et que toute la\nvictoire et le sauvement que ilz avoient leur venoit de la grace de Dieu\net de appert miracle, et pour ce, avoient paour de cheoir en l\u2019yre de\nDieu, et en ceste cause tenoient-ilz bonne justice, car il n\u2019estoit pas\nrayson que leurs gens se couchassent avecques gens d\u2019autre loy, comme\nles Crestiens avecque les Juifz et Sarrasins. Et aussy ilz se tenoient\nnettement et loyaument en la crainte et en l\u2019amour de Dieu, et Dieu leur\ndonnoit victoires et les garantissoit des grans perilz, ne j\u00e0 n\u2019eussent\n\u00e0 faire \u00e0 si grant nombre de pueple ne de gens d\u2019armes que ilz ne\nvenissent au dessus. Et pour certain, ce que Dieu veult garder nulle\nchose ne lui peut nuyre, et povez bien veoir comment Dieux het le pechi\u00e9\nde luxure et comment il veult qu\u2019il en soit puny, laquelle chose\nconvient que soit ou en ce si\u00e8cle ou en l\u2019autre.\nDe Thamar, la fille du roy David.\nChappitre LXIe.\nEncores, mes chi\u00e8res filles, vous diray un autre exemple comment l\u2019on ne\ndoit pas estre ne demourer seul \u00e0 seul avecques nul, tant soient ses\nparens ne ses prochains ne autres, si comme il advint de Thamar, fille\nau roy David, que son fr\u00e8re Amon despucella. Celluy Amon fut tempt\u00e9\ncontre Dieu et contre la loy, et, pour acomplir sa mauvaise voulent\u00e9, il\nse faingny estre malade et se faisoit servir \u00e0 sa suer, et la regardoit\nde faulx regart et puis la baisoit et acoloit, et tant fist petit \u00e0\npetit que il l\u2019eschauffa et la despucella. Et quant Absalon, son fr\u00e8re\nde p\u00e8re et m\u00e8re, le sceut, il en fut tout forsenn\u00e9 et yr\u00e9, et, de fine\nire et courroux il occist son fr\u00e8re Amon, qui celle deloyault\u00e9 avoit\nfaicte \u00e0 sa suer, et en vint moult de mal, et pour ce a cy bon exemple\ncomment toute femme qui veult nettement garder son honneur et son estat\nne doit point demeurer seul \u00e0 seul avecques nul homme vivant, fors\navecques son seigneur ou avecques son p\u00e8re ou avecques son fils, et non\navecques aultres, car trop de maulx et de tentations en sont avenues,\ndont, se je vouloye, je en raconteroie moult de telles de qui l\u2019en dist\nqu\u2019il leur est mal pris et de leurs prouchains parens. Sy est grant\nperil de se fier en nul; car l\u2019ennemi est trop soubtilz, et la char qui\nest juenne et gaye est aisi\u00e9e \u00e0 tempter, et pour ce se doit l\u2019en garder\nen toutes gardes et prendre le plus seur chemin, dont je vouldroye que\nvous sceussiez comment il en prist \u00e0 une mauvaise femme qui estoit femme\nd\u2019un cordier qui faisoit cables et cordes \u00e0 gros vaisseaulx de mer en\nune bonne ville.\nD\u2019un bon homme qui estoit cordier.\nChappitre LXIIe.\nUns bons homs estoit qui estoit cordier. Si avoit une femme qui n\u2019estoit\npas trop saige ne qui ne gardoit pas sa loyault\u00e9 vers luy, ains par une\nfaulse houli\u00e8re qui pour un bien pou d\u2019argent la fist folaier, et\ns\u2019accorda \u00e0 un prieur qui estoit riches, grans maistres et luxurieux;\ncar la convoitise d\u2019un petit don et de petiz joyaux la fist venir au\nfait, et pour ce dist le saige que femme qui prent se vent. Sy advint\nune foiz que celluy prieur estoit venus couchier par nuit avecques elle,\net, ainsi comme il s\u2019en yssoit de la chambre, le feu se print \u00e0 alumer,\net tant que le mary le vit yssir hors; si s\u2019effroya et dit qu\u2019il avoit\nveu yssir gent. La femme en fist l\u2019effrai\u00e9e et dist que c\u2019estoit\nl\u2019ennemy ou le luitin. Dont le bon homme si en fut en grant tristesce et\nen grant merencollie. La femme, qui fut malicieuse, alla \u00e0 sa houli\u00e8re\net \u00e0 sa comm\u00e8re et leur dist son fait. La houli\u00e8re, qui estoit faulse,\nregarda qu\u2019il aloit et venoit, portant ses cordons \u00e0 faire la corde. Sy\nvint et comman\u00e7a \u00e0 filer \u00e0 une quenouille de layne noire. Et puis, \u00e0\nl\u2019autre retour que le bonhomme faisoit, elle en prenoit une autre de\nlaine blanche. Sy luy va dire li bons homme, qui estoit plain et loyal:\n\u00abMa comm\u00e8re, il me semble que vous filliez maintenant laine noire.--Ha,\ndist-elle, mon comp\u00e8re, vrayement non faisoye.\u00bb Apr\u00e8s il revint\nl\u2019autrefoiz, et elle avoit prins l\u2019autre quenouille et il regarda et va\ndire: \u00abComment, belle comm\u00e8re, vous aviez maintenant blanche\nquenouille.--Ha, biaux comp\u00e8re, dist-elle, que avez-vous? en bonne foy,\nil n\u2019en est riens. Je voys que vous estes tout mourne et bestourn\u00e9; car\nvrayement il a est\u00e9 anuyt jour et nuit, et, en v\u00e9rit\u00e9, l\u2019en cuide veoir\nce que l\u2019en ne voit pas, et je vous voy moult pensif. Vous avez aucune\nchose.\u00bb Et le bonhomme, qui pensa qu\u2019elle dist voir, lui va dire: \u00abPar\nDieu, belle comm\u00e8re, j\u2019ay anuit cuidi\u00e9 veoir je ne s\u00e7ay quoy issir de\nnostre chambre.--Ha mon doulx amy, dist la vielle, en bonne foy ce n\u2019est\nque la nuit et le jour qui se bestournent.\u00bb Si le va tourner de tous\npoins et appaisier par sa faulcet\u00e9.\nApr\u00e8s une aultre foiz lui avint que il cuida prendre une poche aux piez\nde son lit pour aler au marchi\u00e9 \u00e0 iij. leues d\u2019illec, et il prist les\nbrayes du prieur, et les troussa \u00e0 son eisselle. Et quant il fut au\nmarchi\u00e9 et il cuida prendre sa poche, il prist les brayes, dont il fut\ntrop dolent et courouci\u00e9. Le prieur, qui estoit cachi\u00e9 en la ruelle du\nlit, quant il cuida trouver ses brayes, il n\u2019en trouva nulles, fors la\npoche qui estoit de cost\u00e9. Et lors il sceut bien que le mary les avoit\nprinses et emport\u00e9es. Si fut la femme \u00e0 grant meschief, et ala \u00e0 sa\ncomm\u00e8re de rechief et luy compta son fait, et pour Dieu que elle y meist\nrem\u00e8de. Si lui dist: \u00abVous prendr\u00e9s unes brayes et je en prendray unes\nautres, et je lui diray que nous avons toutes brayes, et ainsi le\nfirent. Et quant le preudomme fut revenu moult dolent et moult\ncourouciez, sy vint la faulse comm\u00e8re le veoir, et lui demanda quelle\nchi\u00e8re il faisoit: Car, mon comp\u00e8re, dist-elle, je me doubte que vous\nn\u2019ayez trouv\u00e9 aucun mauvais encontre ou que vous n\u2019aiez perdu du\nvostre.--Vrayement, dist le bonhomme, je n\u2019ay riens perdu; mais je ay\nbien autre pens\u00e9e. Et au fort elle fist tant qu\u2019il luy dist comment il\navoit trouv\u00e9 unes brayes, et, quant elle l\u2019ouy, elle commen\u00e7a \u00e0 rire et\n\u00e0 lui dire: Ha, mon chier comp\u00e8re, or voy-je bien que vous estes deceu\net en voye d\u2019estre tempt\u00e9; car, par ma foy, il n\u2019y a femme plus preude\nfemme en ceste ville que est la vostre, ne qui se garde plus nettement\nenvers vous que elle fait. Vrayment, elle et moy et aultres de ceste\nville avons prises brayes pour nous garder de ces faulx ribaulx qui\nparfoiz prennent ces bonnes dames \u00e0 cop, et, afin que vous sachiez que\nc\u2019est v\u00e9rit\u00e9, regardez se je les ay. Et lors elle haulsa sa robe et luy\nmonstra comment elle avoit brayes, et il regarda et vit qu\u2019elle avoit\nbrayes et qu\u2019elle disoit voir; si la crut, et ainsi la faulce comm\u00e8re la\nsauva par ij. foiz.\nMais au fort il convient que le mal s\u2019espreuve; car le bonhomme se prist\ngarde qu\u2019elle aloit moult souvent chiez cellui prieur et s\u2019en donna mal\ncourroux; si luy va deffendre qu\u2019elle ne fust sy hardie sur l\u2019ueil de la\nteste que plus elle n\u2019y alast. Sy ne s\u2019en peut tenir, comme l\u2019ennemy et\nla temptacion la poingnoit. Si advint que le bon homme fist semblant\nd\u2019aler hors; si se mussa et cacha en un lieu secret, et tantost la fole\nfemme ala chiez le prieur, et son seigneur ala apr\u00e8s et la ramena et luy\ndist que malement avoit tenu son commandement. Sy ala en la ville et\nfist marchi\u00e9 \u00e0 un cirurgien de renouer ij. jambes cass\u00e9es, et quant il\neut fait son marchi\u00e9 il revint \u00e0 son hostel. Si prist un pestail et\nrompist les deux jambes \u00e0 sa femme et luy dist: \u00abAu moins tendras-tu une\npi\u00e8ce mon commandement, et ne yras plus o\u00f9 il me desplaist oultre ma\ndeffence.\u00bb Et quant il eust ce fait, il la prist et la mist en un lit;\nsy envoya querre le mire, et fust l\u00e0 une grant pi\u00e8ce. Et au derrenier\nl\u2019ennemy la moqua; car il lui fist tant trouver de fole plaisance en son\nfol pechi\u00e9 qu\u2019elle ne s\u2019en voulst chastier, ains, quant elle fust aussi\ncomme guerie, le prieur vint \u00e0 elle, et le bon homme s\u2019en doubta et fist\nsemblant de dormir et de ronffler, et toutesfoiz il escouta tant que il\nouyt faire \u00e0 sa femme le villain fait, et il tasta, et trouva que le\nfait estoit vray. Et lors il fust si forsen\u00e9 que il perdit toute memoire\net tira tout bellement un long coustel \u00e0 pointe et jetta hastivement de\nla paille ou feu, et, ce fait, quant il le vit, si fiert \u00e0 coup, et va\ncoudre et percier tous deux ensemble jusques \u00e0 la couste, et les occist\nen cellui vil pechi\u00e9. Et, quant il eust ce fait, il appella ses gens et\nses voisins et leur monstra le fait et envoya querre la justice. Sy en\nfut tenu pour excus\u00e9, et se merveill\u00e8rent moult les voisins pour ce\nqu\u2019elle s\u2019estoit tourn\u00e9e \u00e0 amer cellui prieur, qui estoit gros, gras,\nnoir et lait et mal gracieux, et son mary estoit juenne et bon homme,\nsaige et preudomme et riche; maiz aucunes femmes ressemblent \u00e0 la louve,\nqui eslit son amy le plus failly et le plus lait; ainsi le fait la folle\nfemme par le pechi\u00e9 et la temptacion de l\u2019ennemy, qui tousjours attire\nle pecheur et la pecheresse \u00e0 pechi\u00e9 mortel, et de tant comme le pechi\u00e9\nest plus grant, a-il plus grant puissance sur les pecheurs. Et pour ce\nqu\u2019il estoit homme de religion et la femme mari\u00e9e, estoit le pechi\u00e9\ngreigneur; car pour certain, selon l\u2019escripture et selon ce que l\u2019en en\npuet veoir partout visiblement, se une femme le fait \u00e0 son parent ou \u00e0\nson comp\u00e8re, de tant comme le parent lui sera plus pr\u00e8s de chair et de\nsanc, de tant sera-elle plus fort tempt\u00e9e et en sera plus ardante, et\naussy \u00e0 gens d\u2019esglise que \u00e0 gens laiz et \u00e0 gens mariez plus que \u00e0\nautres qui ne le sont mie. Et ainsi, de tant comme le pechi\u00e9 est plus\nvillain et plus horrible, de tant est la temptacion plus ardente, et y a\nplus de fole et de mauvaise plaisance, pource que l\u2019ennemy y a plus de\npovoir en un grant pechi\u00e9 mortel que ou petit. Et pource est bien dit\nque tant va la cruche \u00e0 l\u2019eaue que le cul y demeure. Car celle fole\nfemme avoit son seigneur qui estoit x. fois plus bel et plus gracieux\nque le moyne, et si estoit eschapp\u00e9e de telz perilx, comme la fausse\nfemme sa comm\u00e8re et sa houli\u00e8re l\u2019avoit ij. foiz sauv\u00e9e et garentie, et\ndepuis y estoit al\u00e9e sur la deffense de son seigneur, et de rechief\ndepuis la grant douleur qu\u2019elle avoit soufferte, comme des ij. jambes\navoir rompues, et encore ne s\u2019en vouloit chastier. Et dont est-ce une\nchose vraie et esprouv\u00e9e que ce n\u2019est que temptacion de l\u2019ennemi qui\nainsi tient les ceurs enflamblez de ceulx qu\u2019il puet tempter et faire\ncheoir en ces laz et en celluy vil pechi\u00e9 de luxure et aux autres\npechiez mortels, comme il fist \u00e0 celle fole pecheresse et \u00e0 cellui fol\nprieur, lesquelz il fist mourir ordement et villement. Or vous ay\nmonstr\u00e9 par pluseurs exemples de la Bible et de gestes des Roys et\nd\u2019autres escriptures comment le pechi\u00e9 de luxure put \u00e0 Dieu et les\ndesguiseures des foles femmes, et comment le d\u00e9luge en vint, et en fut\ntout le monde pery fors que viij. personnes, et comment Gomorre et\nSodome et cinq autres cit\u00e9s en furent arses de feu de souffre jusques en\nabisme, et comment tant de maulx et de guerres, d\u2019occisions et de\ntribulacions en sont venues moult souvent par le monde, et comment la\npueur en put aux angels et \u00e0 Dieu, et comment les saintes vierges qui\nsont en la grant joye au ciel se laissi\u00e8rent de leur pure voulent\u00e9\nmartirer avant que eulx y consentir ne faire pour dons ne pour promesse,\nsi comme il est contenu en leur legendes, comme de sainte Katherine, de\nsainte Marguerite, de sainte Cristine, de sainte Luce, et des unze\nmilles vierges et de tant d\u2019autres saintes vierges dont ce seroit grand\nchose \u00e0 raconter la xe partie de leur bont\u00e9 et fermet\u00e9 de cuer et de\ncourage, qui vainquirent toutes les temptacions de la char et de\nl\u2019ennemi, dont elles conquistrent le royaume de gloire o\u00f9 elles sont en\nla grant joye pardurable. Or vous dy, mes belles filles, qu\u2019il n\u2019y a que\nfaire qui se vieult garder nettement, c\u2019est amer Dieu et craindre de bon\ncuer et penser quel mal, quelle honte, quelle doleur et aviltance en\nvient \u00e0 Dieu et au monde, et comment on y pert l\u2019amour de Dieu, et\nl\u2019ame, et l\u2019amour de ses parens et l\u2019amour du monde. Sy vous pry moult\ndoulcement comme mes tr\u00e8s chi\u00e8res filles que vous y pensez jour et nuit\nquant mauvaises temptacions vous assauldront, et que soi\u00e9s vaillans et\nseures et resistez fort encontre, et regardez du lieu dont vous estes e\nquel mal et deshonneur vous en pourroit venir.\nCy parle sur le fait d\u2019orgueil.\nChappitre LXIIIe.\nOr vueil touchier sur le fait d\u2019aucunes femmes qui se orguillirent des\nhonneurs et des biens que Dieu leur avoit donn\u00e9 et ne povoient souffrir\n\u00e0 aise, si comme il est contenu en la Bible. Il racompte de Apamena,\nfille d\u2019un chevalier simple qui avoit nom B\u00e9jart. Celle Apemena fust\nbelle et juenne, et tant que le Roy de Surye, qui estoit moult puissant\nroy, la prist en amour, tellement que par sa sotize il la prinst \u00e0\nfemme, et fust royne, et quant elle se vit en sy grant puissance et sy\nhonnour\u00e9e elle ne prisa riens ses parens, et avoit honte et desdaing de\nles veoir ne encontrer, et devint fole et orgueilleuse sur toute riens,\nmesmement ne daingnoit-elle porter au Roy si grant honneur comme elle\ndevoit, pour ce qu\u2019elle le veoit simple homme et debonnaire, et ne\ndaignoit honnourer les parens du roy, tant fust orguilleuse et fi\u00e8re. Et\ntant fist que toutes mani\u00e8res de gens la prindrent en hayne et tant\nqu\u2019elle fust courrouc\u00e9e vers le roy, fust \u00e0 tort ou \u00e0 droit, par telle\nmani\u00e8re qu\u2019elle fust chass\u00e9e et envoy\u00e9e par l\u2019endictement des parens du\nroy. Et ainsy par son desespoir et par son orgueil elle perdit le grant\nhonneur o\u00f9 elle estoit; car maintes gens et maintes femmes ne pevent\nsouffrir honnour ne aise ensemble, et ne finent d\u2019acquerre buchetes et\nlangaiges d\u2019orgueil et d\u2019envie, et tant qu\u2019elles se mettent du hault en\nbas comme fist ceste fole reyne, qui estoit venue de petit lieu \u00e0 grant\nhonneur, et ne le povoit souffrir; car toute femme qui voit son seigneur\ndoulz et simple, sans grant malice, de tant lui doit-elle porter\nplustost honneur; car elle s\u2019en honneure luy mesmes et en a plus de\nlouenge et de honneur de ceulx qui la voient, et se doit plus tenir\nclose et plus simplement, et soy efforcier de garder et de tenir s\u2019amour\net sa paix, car les cuers ne sont pas tousjours en un estat; pierre vire\net cheval chiet. L\u2019on cuide par foiz que tel soit bien simple et sot,\nqui a malicieux cuer et dangereux, et pour ce ne puet femme trop\nhonnorer ne ob\u00e9ir \u00e0 son seigneur quel qu\u2019il soit, puis que Dieu le lui a\ndonn\u00e9. Je vous vueil dire l\u2019exemple de la femme du roy Herodes le grant.\nIl avoit une femme que il amoit moult merveilleusement. Sy ala \u00e0 Rome,\net advint que les gens de son ostel luy firent nuysance par devers son\nseigneur; car ilz ne l\u2019amoient point, pource que elle estoit trop fi\u00e8re,\net luy rapport\u00e8rent qu\u2019elle avoit un priv\u00e9 amy. Sy la deshonnour\u00e8rent,\ndont Herodes fut moult courrouci\u00e9 et le luy reprocha, et elle luy\nrespondit trop fi\u00e8rement et orgueilleusement, et ne prist pas son\nseigneur par bel ne par courtoisie ne si humblement comme elle devoit.\nEt son seigneur fust fol et despiteux de la ou\u00efr parler ainsi\norguilleusement; sy prist un coustel et la feryt. Sy en morut, dont il\nfust depuis moult courrouci\u00e9, car il ne trouva pas la chose vraye; et\nainsi par son haultain langaige se fist occire. Et pour ce est bon\nexemple \u00e0 toute bonne femme de estre humble et courtoyse et de respondre\nhumblement et doulcement encontre l\u2019ire et corroux de son seigneur. Et\npour ce le saige Salemon dit que par courtoisie et doulces paroles\ndoivent les bonnes femmes abatre l\u2019ire et corroz de leurs seigneurs. Car\nle seigneur de son droit doit avoir sur sa femme le hault parler, soit\ntort ou droit, et especialment en son yre devant les gens, et, son yre\npass\u00e9e, elle luy puet bien monstrer qu\u2019il avoit tort, et ainsi tendra la\npaix et l\u2019amour de son seigneur et de son hostel, ne ne se fera pas\nblasmer, ne bastre, ne occire, comme fist la premi\u00e8re femme au roy\nHerodes.\nCy parle de la royne Vastis.\nChappitre LXIIIIe.\nJe vous diray un autre exemple de la royne Vastis, qui fust femme au roy\nAssu\u00e8re. Il advint que le roy tint une feste avecques ses barons, et l\u00e0\nfurent touz les grans barons de sa terre. Sy mengi\u00e8rent en une sale et\nla royne en une aultre, et, quant vint apr\u00e8s disner, les barons distrent\nau roy qu\u2019il lui pleust qu\u2019ilz veyssent la royne, qui merveilleusement\nestoit belle; le roy la manda une foiz, ij. foiz, iij. foiz, et oncques\nn\u2019y daigna venir. Sy eust le roy moult grant honte, et demanda conseil \u00e0\nses barons que il feroit, et le conseil fust que il la cha\u00e7ast vij. ans\nhors de avecques luy, pour donner \u00e8s autres exemple de mieulx obeir \u00e0\nleurs seigneurs. Et ainsi le fist le roy, et en fit une loy que d\u00e8s l\u00e0\nen avant toute femme qui escondiroit son seigneur de riens qu\u2019il lui\nconmandast et que ce feust chose raysonnable, qu\u2019elle seroit vij. ans en\nmue \u00e0 petit de viande pour lui monstrer sa deffaulte, et encore\ntiennent-ilz celle coustume en celluy royaulme. Sy eust honte la royne\nqui se vit bouter en mue, et ploura et se doulousa; mais il n\u2019estoit pas\ntemps; car par son orgueil elle fust mise en mue vij. ans. Sy devez ycy\nprendre bon exemple; car, par especial devant les gens, vous devez faire\nle conmandement de vostre seigneur et luy obeir et porter honnour et luy\nmonstrer semblant d\u2019onneur, se vous voulez avoir l\u2019amour du monde. Mais\nje ne dy mie que, quant vous serez priveement seul \u00e0 seul, vous vous\npovez bien eslargir de dire ou faire plus vostre volent\u00e9, selon ce que\nvous saurez sa mani\u00e8re. Je vous diray l\u2019exemple du lyon et de sa\npropri\u00e9t\u00e9; quant la lyonnesce lui a aucun despit fait, il ne retournera\nplus \u00e0 elle de tout le jour ne la nuit, pour chose qu\u2019il aviengne. Sy\nlui monstre ainsi sa seignourie, et est bon exemple \u00e0 toute bonne femme,\nquant une beste sauvaige, qui nulle rayson ne scet fors que nature qui\nlui esmeut, se fait craindre et doubter \u00e0 sa compaingne. Or regardez\ndont comment la bonne femme ne doyt desplaire ne desobeir \u00e0 son seigneur\nque Dieux li a donn\u00e9 par son saint sacrement.\nCy parle de la femme \u00e0 Aman.\nChappitre LXVe.\nEt encores vous diray un autre exemple sur ceste mati\u00e8re. Ce fust de la\nfemme \u00e0 Aman, qui fust femme du seneschal du roy, et vint de n\u00e9ant et de\npetites gens; sy devint riche par son service et acquist terres et\npossessions, et gouverna aussy comme le plus du royaume. Et quant il\ndevint sy riche et que il eust tant de bien, si s\u2019en orguillist et fust\nfier et presumpcieux, et vouloit que l\u2019en se agenoillast devant lui et\nque chascun luy feist une grant reverence. Sy advint que Mardocius, qui\nestoit noubles homs et avoit nourry la royne Ester, qui fut bonne dame\net juste, et \u00e0 cellui Mardocius desplaisoit sur tous l\u2019orgueil et la\npresumpcion d\u2019icellui homme, qui estoit venu de n\u00e9ant. Si ne lui\ndaignoit faire honneur ne soy lever contre lui ne lui faire nulle\nreverence, dont cellui Aaman en fust bien fel et s\u2019en plaigny \u00e0 sa\nfemme. Et sa femme, qui fut d\u2019aussy grant couraige et orgueilleuse comme\nlui, ly conseilla que il feist lever un gibet devant son hostel et que\nil le feist pendre illecques, et lui meist aucun cas \u00e0 sus. Et le fol\ncreust sa femme \u00e0 son grant meschief, et quant il fust pris et le gibet\nfut lev\u00e9 les amis de luy al\u00e8rent \u00e0 la royne courant et lui compt\u00e8rent\ncomment Aaman vouloit faire \u00e0 cellui qui l\u2019avoit nourye. Et la royne y\nenvoya tantost pour celluy fait et envoya querre cellui Aaman; si vint\ndevant le roy, et fust la chose bien enquise et diligemment, tant qu\u2019il\nfut trouv\u00e9 que Mardocius n\u2019avoit coulpe, et que l\u2019autre le faisoit par\nenvie. Adonc la royne Ester se agenouilla devant le roy son seigneur, et\nrequist que l\u2019en feist autelle justice de Aaman le seneschal, et qu\u2019il\nfeust pendu devant sa porte et ses vij. enffans, pour monstrer exemple\nque faulsement et par envie l\u2019avoit jugi\u00e9. Et ainsi comme la bonne royne\nle requist il fust fait, et lui avec ses vij. enffans fut pendu devant\nsa porte, par son orgueil et par son oultrecuidance et par le fol\nconseil de sa femme. Dont c\u2019est grant folie \u00e0 un homme qui est venu de\npetit lieu et de n\u00e9ant de soy orgueillir ne se oultrecuidier pour nul\nbien terrien qu\u2019il ait amass\u00e9, ne mesprisier autrui; ain\u00e7ois, se il est\nsage, il se doit \u00e0 tous humilier, affin de cheoir en la grace de tous et\naffin que l\u2019en ne ait envie sur lui. Car l\u2019en a plus souvent envie et\ndespit sur gens qui viennent de petit lieu que sur ceulx qui sont de bon\nlieu et d\u2019ancesserie. Et aussy la femme ne fut pas saige, quant elle vit\nl\u2019ire et le courroux de son seigneur, de le soustenir en sa folie. Car\ntoute saige femme doit bel et courtoisement oster l\u2019ire de son seigneur\npar doulces paroles, et esp\u00e9ciaulment quant elle le voit esmeu de faire\naucun mal ou aucun villain fait dont deshonneur ne blasme leur en peust\nvenir, si comme fist la femme \u00e0 Aaman, qui ne reprist pas son seigneur\nde sa folie, ain\u00e7ois l\u2019atisa et li donna fol conseil, pourquoy il mourut\nvilement et ordement. Sy a cy bon exemple comment l\u2019en ne doit point\nsoustenir son seigneur en son yre ne en sa male colle, ain\u00e7ois le doit\nl\u2019en courtoisement reprendre et monstrer les raysons petit \u00e0 petit, et\ncomment il en pourroit avenir mal ou dommaige \u00e0 l\u2019ame ou au corps. Et\nainsi le doit faire toute saige femme vers son seigneur. Pourquoy,\nbelles filles, prenez y exemple et regardez quel mal en avint \u00e0 Aaman\npar la sotize de sa femme.\nCy parle de la royne Gezabel.\nChappitre LXVIe.\nApr\u00e8s vous compteray l\u2019exemple d\u2019une male royne diverse et trop cruelle,\net comment il lui prist. Ce fut la royne Gezabel, qui avoit moult de\nmales taches. Premierement elle haioit les povres et tout homme qui se\npeust chevir, dont elle ne peut amander; elle haioit les hermites et les\ngens d\u2019esglise et tous ceulx qui enseignoient la foy, et les faisoit\nrober et batre, sy que il les enconvenoit fouir du royaulme. Elle\nn\u2019avoit merci de nul, et pour ce estoit maudite et haye de Dieu et du\npueple. Ung bon homme estoit qui avoit nom Naboth, qui avoit une pi\u00e8ce\nde vingne moult bonne, et le roy la vouloit moult bien avoir par achat\nou autrement. Mais le bon homme ne s\u2019i vouloit consentir de bon cuer. Si\ndist le roy Acas \u00e0 celle dame sa femme que il estoit bien marry et que\nil ne povoit avoir celle vingne, et celle lui dit qu\u2019elle la lui feroit\nbien avoir, et si fist-elle, car par trayson elle fist murdrir le bon\nhomme, et fist venir faulx temoings qui record\u00e8rent que le bon homme lui\navoit la vingne donn\u00e9e, dont il en despleut \u00e0 Dieu, et envoia le roy\nJozu pour le guerroyer, tant que cellui roy prist le roy Acas et bien\nlx. enffans, que grans que petiz, que il avoit \u00e0 nourir chiez ses\nhommes, et leur fist \u00e0 tous les testes coupper. Ce fust la punicion et\nla vengence de Dieu. Et quant est de la male royne Gezabel, elle se mist\nen un portail par o\u00f9 le roy Jozu passoit, et se cointit de draps d\u2019or et\nde hermines \u00e0 grans pierres precieuses, toute desguis\u00e9e en autre mani\u00e8re\nque les autres femmes n\u2019estoient, tant estoit desesper\u00e9e et\norgueilleuse, et, d\u00e8s qu\u2019elle vit le roy, elle le commen\u00e7a \u00e0 maudire et\n\u00e0 li dire toutes les villenies qu\u2019elle povoit, et le roy la commen\u00e7a \u00e0\nregarder, et la cointise et la desguiseure de sa robe, et escouter la\nmalice et l\u2019orgueil de sa langue; lors il commanda \u00e0 ses gens que ilz y\nalassent et qu\u2019ils la feissent cheoir la teste toute premi\u00e8re devant\ntout le peuple, et ainsi comme il le commanda il fut fait, car ilz la\nprindrent et firent cheoir la teste premi\u00e8re, tellement qu\u2019elle fut\nmorte laidement. Sy commanda le roy que par sa cruault\u00e9 et les grans\nmaulx qu\u2019elle avoit fais faire qu\u2019elle n\u2019eust point de sepulcre, et non\neust-elle, ne de sepulture, ains fust meng\u00e9e des chiens et devour\u00e9e. Et\nainsi cheist son grant orgueil et sa fiert\u00e9, et par telle voye se venge\nDieux maintes foiz de ceulx qui n\u2019ont piti\u00e9 des povres et du povre\npeuple et des serviteurs de sainte eglise, et qui par cruault\u00e9 et par\nconvoitise font faire murtres et faulx tesmoingnages, comme fist celle\nfaulce royne, qui ainsi le fist et qui soustint son seigneur en folie,\ndont mal lui prist. Sy est cy bon exemple comment l\u2019en doit estre\npiteuse des povres et des serviteurs, et non entiser ne donner mal\nconseil \u00e0 son seigneur, et aussi non de soy desguiser, mais tenir\nl\u2019estat des bonnes dames de son pays, et aussi non tencer ne dire\ngrosses paroles \u00e0 plus grans et \u00e0 plus fors de soy.\nCy parle de la royne Atalia et de la royne Bruneheust.\nChappitre LXVIIe.\nDe Atalia vous vueil dire un autre exemple, laquelle fust royne de\nJh\u00e9rusalem, et fust male et diverse et sans piti\u00e9; car, quant Ozias son\nfilz fut mort, ce fust celle qui en traison fist occire tous les enfans\nde son filz et tous les hoirs, fors seulement ung que uns preudoms qui\navoit nom Joadis fist nourrir secretement. Celle royne se mist en\nsaisine du royaume et de touz les biens, et fist moult de diversitez au\npueple, de tailles et de subsides, si comme celle qui estoit sanz rayson\net sans piti\u00e9, et quant elle eust assez fait de mal et de cruault\u00e9 au\nroyaulme, l\u2019enffant qui norry estoit celeement et cellui Joadis qui\nnourry l\u2019avoit la prindrent et la firent mourir de malle mort et\nhonteuse. Et ainsi eust guerredon de sa merite en la parfin; car Dieu\nrent tousjours sa deserte \u00e0 homme et \u00e0 femme, ou \u00e0 vie ou \u00e0 mort. Car il\nn\u2019est mal que une foyz ne soit pugni, ou au loing ou au pr\u00e8s. Je\nvouldroye que vous sceussiez l\u2019exemple et le compte d\u2019une royne de\nFrance qui avoit nom Breneheust. Ce fust la femme dont Sebille parla en\nprophetisant et dist: \u00abBrune vendra de vers Espaigne ou royaume de\nGaule, c\u2019est France, qui fera merveilles de cruaultez et puis sera\ndetraicte.\u00bb Et ainsi en advint; car elle fist occire de ses enffans et\ndes enffans de ses enffans tr\u00e8s grant nombre, ne ne vous en pourroit-on\nracompter la moiti\u00e9 de la cruault\u00e9 d\u2019elle ne des meurtres ne traisons et\noccisions qu\u2019elle fist, et au fort elle fust pay\u00e9e si comme il pleust \u00e0\nDieu, car un enffant qui eschappa, qui fust filz de son filz, qui sceust\nles grans maulx et cruaultez qu\u2019elle avoit faiz, lors mist le fait en\njugement devant ses barons, et fust jug\u00e9e \u00e0 destraire \u00e0 queuez de\nchevaulx. Et ainsi fust fait, et mourut mauvaisement tout aussi comme\nmauvaisement avoit fait murtrir le sang royal innocent. Et pour ce dit\nle saige que d\u00e8s vij. ans vient eaue \u00e0 fin, c\u2019est-\u00e0-dire que tant va le\npot \u00e0 l\u2019eaue que le cul en demeure.\nCy parle du fait d\u2019envie.\nChappitre LXVIIIe.\nJe vous diray un exemple sur le fait d\u2019envie de Marie, la suer de\nMoyses, qui dist par envie qu\u2019elle estoit aussi bien de Dieu comme\nMoyses son fr\u00e8re, et que Dieu ouoit aussi bien ses resquestes comme\ncelles de Moyses, et ce dit-elle pour soy moquer et par envie, dont Dieu\ns\u2019en corrou\u00e7a et la fist devenir meselle, tant qu\u2019elle fust ost\u00e9e et\ns\u00e9par\u00e9e d\u2019entre les autres gens, et toutes voyes Moyses et Aaron en\neurent grant piti\u00e9 et firent requeste \u00e0 Dieu qu\u2019il luy pleust la guerir;\net \u00e0 leur requeste Dieu la gueryt. Si prenez exemple comment il fait mal\navoir envie sur autruy, et comment Dieu punist ceste-cy, qui estoit une\ndes nobles damoyselles qui fust en celui temps, tant qu\u2019il la s\u00e9para\nd\u2019entre les autres gens par celle mesellerie. Car maintes foiz Dieu\npunist ainsi les envieux et les mesdisans. Et pour ce, belles filles,\nprenez y bon exemple, car trop est villain vice de soy louer pour\naultruy abaissier.\nCy parle d\u2019une des femmes Acharia.\nChappitre LXIXe.\nDont je vouldroye que vous sceussiez un autre exemple sur ceste mati\u00e8re\nde une des femmes \u00e0 ung grant seigneur qui avoit nom Archaria. Sy avoit\nij. femmes selon la loy, dont l\u2019une avoit nom Phenomia et l\u2019autre avoit\nnom Anna, qui moult estoit preude femme et bonne dame, mais nulz enffans\nne povoit avoir. Sy estoient alors plus pris\u00e9es et honnour\u00e9es celles qui\nenffans portoient que celles qui n\u2019en portoient nulz, dont l\u2019autre femme\nen estoit moult de grant orgueil, pour ce que elle en avoit moult de\nbeaulx enffans, et pour ce avoit l\u2019autre femme en despit et avoit envie\net desdaing sur elle, et se mocquoit d\u2019elle en disant villenies, et\nqu\u2019elle estoit brehaingne et terre morte, dont l\u2019autre avoit grant honte\net ploroit menu et souvent, et se complaignoit \u00e0 Dieu, et Dieux qui\nl\u2019umilit\u00e9 et la pacience de l\u2019une vit, et l\u2019envie, le dengier et le\ndespit de l\u2019autre, et si regarda selon sa misericorde, car il fist\nmourir touz les autres enffans de l\u2019autre femme, et \u00e0 celle qui nulz\nn\u2019en avoit il en donna plantivement, dont son seigneur la prinst en\ngrant amour, et l\u2019avoit plus chi\u00e8re que l\u2019autre \u00e0 qui ses enffans\nestoient mors. Et pour ce sont les jugemens de Dieu moult merveilleux;\ncar il het toute mani\u00e8re d\u2019envie, et les chastie quant il lui plest, et\nessauce l\u2019umble qui mercy requiert, et pour ce est bon exemple que nulle\nfemme ne se doit orgueillir des biens et des graces que Dieux lui donne,\nne avoir despit ne envie sur autres, si comme eust Phenomia, qui avoit\nenffans et avoit envie et despit sur Anna qui n\u2019en avoit nulz, et pour\nce Dieu la punist sur ses enffans, qui tous moururent, et en donna \u00e0\nl\u2019autre qui tous vescurent. Sy sont ainsi les jugemens de Dieu. Et pour\nce y doit l\u2019en prendre bon exemple et se humilier envers luy et n\u2019avoir\nenvie ne despit sur nulluy. Sy vous laisseray ceste mati\u00e8re et vous\nparleray d\u2019une autre sur le fait de convoitise.\nCy parle de convoitise.\nChappitre LXXe.\nJe vous diray un autre exemple sus le fait d\u2019une faulce femme qui eust\nnom Dalida, qui fut femme Samson fortin, lequel l\u2019amoit \u00e0 merveilles, et\ntant qu\u2019il ne feist pas aucune chose que elle ne sceust. Et pour le\ngrant amour que il avoit en elle, il fust sy fol que il li descouvrit\nque toute sa force estoit en ses cheveulx. Et quant la faulce femme le\nsceust elle fist dire aux paiens, qui estoient ennemis de son seigneur,\nque, se ilz luy vouloient donner bon loyer, elle le leur feroit prendre.\nEt les paiens luy promistrent que, se elle le povoit faire, ilz luy\ndonroient certaine somme d\u2019or et de robes. Et celle, qui fust deceue par\nconvoitise, fist endormir son seigneur en son giron et puis lui tondit\nses cheveulx, et envoya querre les paiens qui estoient embuschez et le\nfist prendre, et, quant il fu esveilli\u00e9, il trouva sa force perdue, qui\nse combatoit bien \u00e0 iij. mille personnes, et, quant ils le tindrent, ilz\nle li\u00e8rent et puis lui crev\u00e8rent les yeulx, et le faisoient tourner \u00e0 un\nmoulin comme \u00e0 ung cheval aveugle. Or regard\u00e9s comment convoitise\ndeceust celle folle femme, qui, pour un pou d\u2019or, tra\u00efst son seigneur,\nqui estoit le plus fort et le plus doubt\u00e9 homme qui oncques feust ne\njamais sera. Et pour certain cuer convoiteux oze bien faire et\nentreprendre tout mal: car il fait les nobles rapineux et tirans sur\nleurs gens, et les clers et les religieux symoniaulx en tirant l\u2019autry\npar faulces semonces, et fait les bourgeois et autres usuriers, les\npovres larrons et murtriers, les pucelles et les mari\u00e9es putains, les\nenffans desirans la mort de leur p\u00e8re et de leur m\u00e8re pour avoir le leur\nseulement. Judas, par convoitise d\u2019argent, trahy nostre Seigneur, et\naussi par convoitise le font aujourd\u2019uy les advocads et plaideurs, qui\nvendent et bestournent verit\u00e9, car ilz alongent le bon droit du bon\nhomme pour tirer \u00e0 avoir plus de l\u2019argent, et y a plusieurs qui prennent\nde ij. cost\u00e9s, et aussy vendent par convoitise leur parole que Dieu leur\na donn\u00e9 pour prouffiter au bien commun. Et pour ce est convoitise moult\ndecevable, qui fist foloier et perir la femme Samson, qui tant estoit\nbel et fort et puissant. Et pour ce a cy bon exemple pour soy garder de\ncest vice. Et depuis Dieu rendit \u00e0 celle femme son guerredon: car elle\nespousa un des payens, et firent une nopce. Si le sceut Samson, \u00e0 qui\nses cheveux estoient revenus et sa force revenue. Si se fist mener en la\nmaison o\u00f9 ilz estoient au disner, pr\u00e8s du maistre pillier de la sale,\net, quant il fut au pillier, il le prist \u00e0 ses ij. mains et le escoust\nsi tr\u00e8s fort que il abatit la maison sur eux, et l\u00e0 fut mort le mary et\nla mari\u00e9e et le plus de gens qui estoient aux nopces. Et ainsi se venga\nde sa faulce femme, laquelle morut mauvaisement, car Dieu voulst qu\u2019elle\nfust pugnie de sa mauvaisti\u00e9, et c\u2019estoit bien raison que de mal faire\nly vensist mal.\nCy parle de courroux.\nChappitre LXXIe.\nJe vous vueil dire comment par un petit de courroux il advint grans\nmaulx. Un preudomme estoit qui moult estoit noble homme et qui estoit de\nmont d\u2019Effraim, et se maria \u00e0 une damoiselle de Bethleem. Sy advint que\npour pou de chose elle se courrou\u00e7a et s\u2019en vint chiez son p\u00e8re. Le\npreudomme en fust moult dolent et la vint querre, et son p\u00e8re la blasma\net la rebailla \u00e0 son seigneur, qui l\u2019emmena et se anuita en la ville de\nGabal, o\u00f9 avoit foles juennes gens et espris de luxure. Sy vindrent \u00e0\nl\u2019hostel o\u00f9 estoit celle femme et son seigneur, et rompirent les huis;\nsi prindrent \u00e0 force la femme du preudomme et l\u2019enforci\u00e8rent moult\nvillainement et horriblement, ne oncques ne la lessi\u00e8rent pour l\u2019oste,\nqui moult en fust dolent, comme celui qui vouloit baillier une de ses\nfilles pour la garantir. M\u00e8s oncques n\u2019en vouldrent riens faire, et,\nquant se vint au matin, celle qui se vit ainsi honnye et deshonnor\u00e9e\neust telle honte et tel dueil qu\u2019elle mourut \u00e8s pi\u00e9s de son seigneur,\ndont le preudomme en deust mourir de dueil et de honte, et l\u2019emporta\ntoute morte \u00e0 son hostel; et se pensa, puis que morte estoit, que il la\nmettroit en xii. pi\u00e8ces avec certaines lettres et l\u2019envoieroit \u00e0 ses\nprouchains amis, affin qu\u2019ilz en eussent vergoingne et que ilz en\nvoulsissent prendre vengeance. Dont il avint que ses amis et les amis\nd\u2019elle en eurent tel dueil et tel yre que ils se assembl\u00e8rent ensemble\net vindrent \u00e0 Gabal et occirent bien xxxiij mille personnes, que hommes\nque femmes. Sy fut prins pour ung tel fait telle vengence, et tel le\ncompara qui n\u2019en avoit que faire. Si a cy bon exemple comment femme ne\ndoit point laissier ne guerpir son seigneur, pour yre ne pour courroux\nqu\u2019ilz ayent ensemble, et comment saige femme doit entendre et souffrir\nbel et courtoisement le courroux de son seigneur et le laissier\nrappaisier, et le prendre par bel, non pas le laissier comme fist ceste\ndamoiselle, qui laissa son seigneur, et convint qu\u2019il la vensist querre\nchiez son p\u00e8re, par laquelle al\u00e9e elle morut piteusement et en vint tant\nde maulx et de douleur, comme tant de pueple en estre mort. Car, se elle\nne se fust boug\u00e9e d\u2019avecques son seigneur, j\u00e0 celluy mal ne fust advenu,\net pour ce est-il bon de adoulcir son cuer, et c\u2019est le droit de saige\nfemme qui vieult vivre paisiblement et amoureusement en la paix de son\nseigneur.\nCy parle d\u2019une femme qui ne voloit venir au mandement de son seigneur.\nChappitre LXXIIe.\nJe vouldroie que vous sceussiez le compte et l\u2019exemple de la dame qui ne\ndaignoit venir mengier, pour mandement que son seigneur li feist, tant\nestoit fole et depiteuse, et pour pou de chose. Et quant son seigneur\nvit que pour mandement qu\u2019il lui feist elle ne vouloit venir mengier, il\nenvoya querre son porchier, qui estoit vils et let, et fit apporter la\ntouaille de la cuisine, et fit dresser une table devant elle et mettre\ncelle orde touaille, et fit asseoir le porchier, et puis lui dist:\n\u00abDame, puis que vous ne voulez venir \u00e0 mon mandement ne mangier en ma\ncompagnie, je vous baille cest porchier et ceste touaille.\u00bb Et celle\nfust encore plus courrouc\u00e9e que devant, et au fort elle vit bien que son\nseigneur se bourdoit d\u2019elle; si se reffrena et congnust sa folie, et\npour ce nulle femme ne doit escondire ne reffuser le mandement de son\nseigneur se elle vieult s\u2019amour et sa paix garder. Car, par bonne\nraison, humblesce doit premierement venir de devers elle.\nCy parle de flatterie.\nChappitre LXXIIIe.\nJe vous diray sur l\u2019exemple de grerie. Une grant dame avoit un filz qui\navoit nom Cissana, qui estoit moult grant seigneur, et estoit al\u00e9 en une\nbataille o\u00f9 il morut. Sy estoit sa m\u00e8re \u00e0 grant esmay et douleur de\ns\u00e7avoir de ses nouvelles. Sy avoit un flateur en sa compaignie qui ly\ndisoit: \u00abMa dame, ne vous esmayez, car monseigneur vostre filz a eu\nvictoire et a pris moult de prisonniers. Si lui convient demourer une\npi\u00e8ce pour ordonner de son fait.\u00bb Et ainsy de telles flateries paissoit\nsa dame et lui disoit joye de neant. Car cellui greeur ne deist jamais \u00e0\nsa dame chose qu\u2019il sceust qu\u2019il lui deust desplaire, aussi comme sont\nflatteurs et flatteresses, qui j\u00e0 ne diront \u00e0 leur seigneur ne \u00e0 leur\ndame chose qui leur desplaise, et taysent la verit\u00e9, et leur disent tout\nleur bon, et leur font joie de neant, si comme fist le faulx flatteur\nqui \u00e0 Jouel, la bonne dame, faisoit accroire que son filz avoit eu\nvictoire et en amenoit ses prisonniers; et c\u2019estoit bien le contraire,\ncar il estoit mort, dont depuis, quant la bonne damme le sceut, elle en\ndeust mourir de dueil. Sy est mauvaise chose d\u2019avoir flateurs entour\nluy; car ilz n\u2019osent dire la verit\u00e9 ne donner loyal conseil, ainsi font\nsouvent forvoier leur seigneur et leur dame de droit chemin. Il semble\nles enchanteurs, qui font semblant d\u2019un charbon que ce soit une belle\nchose; car ilz loent la chose par devant et plus la blasment par\nderri\u00e8re. Sy ne doit l\u2019en point croire en leurs los; car ilz ne vous\nfont que decepvoir pour vous plaire et pour avoir du vostre; car vous\nles devez mieulz cognoistre que ils ne vous congnoissent, si vous estes\nsaiges. Mais vous devez amer ceulx qui vous diront vostre bien et ne\nvous celeront point verit\u00e9 pour nulle doubte; et ceulx seront voz amis.\nCar les greeurs semblent le faulx mire, qui prent l\u2019argent sans veoir le\nmal; tieulx flateurs de\u00e7oivent les riches, si comme fist un flateur \u00e0\nune venderesse de fromaiges, qui \u00e0 merveilles estoit laide, et il luy\nfaisoit acroire que elle estoit belle et doulce. Et la femme estoit si\nfole que elle cuidoit qu\u2019il deist voir, et \u00e0 chacune foiz lui donnoit un\nfromaige, et puis, quant il l\u2019avoit eu, il se moquoit d\u2019elle par\nderri\u00e8re.\nJe vouldroie que vous sceussiez un exemple que je vy en Angoulesme quant\nle duc de Normandie vint devant Aguillon. Sy avoit chevaliers qui\ntrayoient par esbat encontre leurs chapperons. Si comme le duc vint en\ncellui parc, par esbat si demanda \u00e0 un des chevaliers un arc pour\ntraire, et quant il ot trait, il y en eut ij. ou iij. qui distrent:\n\u00abMonseigneur a bien trait.--Sainte-Marie, fist un, comme il a trait\nroyde.--Ha, fist l\u2019autre, je ne voulsisse pas estre arm\u00e9 et il m\u2019eust\nferu.\u00bb Sy conmenci\u00e8rent \u00e0 le moult louer de son trait, mais, \u00e0 dire\nv\u00e9rit\u00e9, ce n\u2019estoit que flatterie, car il tray le pire de touz, et pour\nce est grant merveille comment chascun flate et gr\u00e9e aux seigneurs et\naux dames du jour d\u2019hui, et leur font acroire que ilz sont plus grans et\nplus saiges que ils ne sont, et par leurs flateries les font\noultrecuidier.\nCy parle de descouvrir le conseil de son seigneur.\nChappitre LXXIIIIe.\nJe vueil que vous oyez l\u2019exemple de la femme Samson fortin, qui\ndescouvry son seigneur. Il advint que Samson fortin avoit fait une\nfermaille \u00e0 xxx. robes de saye avecques certains gens qu\u2019ilz ne\npourroient pas deviner certaine devinaille. Sy advint que sa femme ne li\nfina tant de parler qu\u2019elle sceut que c\u2019estoit et tant qu\u2019il lui\ndescouvry le fait de la devinaille, et, quant elle le sceut, elle en\ndescouvrit son seigneur, et lui fist perdre la fermaille de xxx. robes\nde saye; et quant son seigneur sceust qu\u2019elle l\u2019eust decouvert, sy la\ncommen\u00e7a \u00e0 ha\u00efr et la mist hors de avecques lui, et ala aux payens qui\navoient gaingn\u00e9e la fermaille, sy en prist xxx, lesquelz il despouilla\npour despit de sa femme. Et pour ce a cy bonne exemple comment femme ne\ndoit descouvrir pour nulle chose le secret ne le conseil de son\nseigneur, affin qu\u2019elle ne chi\u00e9e en l\u2019ire et en corroux de luy ne en sa\nhayne, comme fist la femme Samson fortin, qui en perdy l\u2019amour de son\nseigneur. Car c\u2019est trayson quant l\u2019en se fie en sa femme et elle\ndescueuvre ce qu\u2019elle doit celer.\nJe vouldroie que vous sceussiez le compte de l\u2019escuier qui essaya sa\nfemme, que il vit juenne. Sy ly va dire: \u00abM\u2019amie, je vous diray un grant\nconseil, mais que vous ne m\u2019en descouvri\u00e9s pas pour riens. Je vous dy\nque j\u2019ay pont ij. oeufz, mais pour Dieu ne le dictes mie.\u00bb Et elle\nrespondit que par sa foy non feroit-elle. Sy li fust bien tart que le\njour ne venoit pour l\u2019aler dire \u00e0 sa comm\u00e8re, et, quant vint qu\u2019elle\npeut trouver sa voisine, elle lui dist: \u00abHa, ma tr\u00e8s doulce amie, je\nvous deisse un grant conseil, mais que vous ne le deistes pas\u00bb, et elle\nlui promist que non feroit-elle. \u00abSe Dieu m\u2019aist, il est advenu une\ngrant merveille \u00e0 mon seigneur, car pour certain, ma doulce amie, il a\npont iij. oeufz.--Saincte Marie, fist l\u2019autre, comment puet ce estre?\nc\u2019est grant chose.\u00bb Si s\u2019en party celle \u00e0 qui le conseil avoit est\u00e9 dit,\net ne se peut tenir de l\u2019aler dire \u00e0 une autre, et lui dist que tel\nescuier si avoit pont iiij. eufz. Et puis celle le dit \u00e0 un autre, qui\ndit que il en avoit pont v, et ainsi creust la chose d\u2019une en autre, que\nles ij. eufz vindrent \u00e0 cent, et tant que tout le pays en fust plain de\nrenom\u00e9e, et que l\u2019escuier le sceust par plusieurs gens. Et lors il\nappella sa femme et plusieurs de ses parens, et lui dist: \u00abDame, vous\nm\u2019avez moult bien creu la chose que je vous avoie dit en conseil, car je\nvous avoye dit que je avoye pont ij. eufz; mais, Dieu mercy, le conte\nest creu, car l\u2019en dit que il y en a cent. Sy avez descouvert mon\nconseil.\u00bb Et ainsi celle se tint pour honteuse et pour nice, et ne\nsceust que respondre. Et par ceste exemple se doit garder toute bonne\nfemme de descouvrir le secret de son seigneur.\nCy parle de desdaing.\nChappitre LXXVe.\nBelles filles, je vueil que vous oyez l\u2019exemple de Michol, la femme\nDavid, qui fut fille au roy Sa\u00fcl. Le roy David, qui saint homme estoit,\naimoit Dieu et l\u2019esglise sur toute rien. Sy avint que, \u00e0 une grant feste\nqu\u2019ilz faisoient devant l\u2019arche, o\u00f9 estoit le saint pain de la manne qui\nvint du ciel, dont les p\u00e8res furent rassasiez, et les tables de la loy,\net la verge dont Moyse avoit fait partir la mer, et, pour honnourer\nDieu, le roy s\u2019estoit mis en la compaignie pour chanter et pour harper\navecques les prestres, et se desmenoit et faisoit la plus grant joye\nqu\u2019il povoit \u00e0 Dieu et \u00e0 l\u2019eglise. Sa femme le regarda, si en eust\ndesdaing et despit, et s\u2019en bourda et lui dist que il sembloit un\nmenestrel et un jongleur, en se mocquant de luy. Et le bon roy respondit\nque l\u2019on ne se puet trop humilier envers Dieu, ne le trop servir, ne\nhonnourer son esglise; car de Dieu vient tout le bien et honnour que\nhomme et femme pevent avoir. Sy en despleust \u00e0 Dieu dont elle en avoit\nparl\u00e9; sy fust de lors brehaingne et malade, et aussy comme toute\nsepar\u00e9e de lui, parce que Dieu luy voulst monstrer sa folie; car toute\nbonne femme doit esmouvoir son seigneur \u00e0 servir et honnorer Dieu et\nl\u2019esglise, ne ne doit point son seigneur mespriser de ce que il cuide\nbien faire, ne bourder, ne avoir despit sur luy, ne especialment le\nreprendre devant les gens pour riens qui lui aviengne, soit tort, soit\ndroit, fors qu\u2019en son priv\u00e9, quant il n\u2019y a que eulx deux. Car, selon ce\nque dit le saige en la sapience, quant homme se voit lesdangier ne\nreprendre, devant les gens, de sa femme ne de sa mesgnie, aucunefoiz le\ncuer luy enfle, ou en fait pis, ou en respont oultragieusement en fait\nou en dit, et pour ce est bonne chose de reprendre doulcement et\npriveement son seigneur.\nCy parle de soy pingnier devant les gens.\nChappitre LXXVIe.\nUn autre exemple vous diray de Bersab\u00e9e, la femme Uries, qui demouroit\ndevant le palais du roy David. Si se lavoit et pingnoit \u00e0 une fenestre\ndont le roy la povoit bien veoir; sy avoit moult beau chief et blont. Et\npar cela le roy en fut tempt\u00e9 et la manda, et fist tant que il pecha\navecques elle, et, par le faulx delit, il commanda \u00e0 Jacob, qui etoit\nchevetoine de son ost, que il meist Uries en tel lieu de la bataille que\nil fust occis. Sy porta Uries les lectres de sa mort, car ainsy fust\nfaict. Et ainsi pecha le roy David doublement, en luxure et en homicide,\ndont Dieu s\u2019en corro\u00e7a moult \u00e0 lui, et en vint moult de maulx \u00e0 luy et \u00e0\nson royaume, dont le compte seroit long \u00e0 escouter. Et tout ce pechi\u00e9\nvint pour soy pingnier et soy orguillir de son beau chief, dont maint\nmal en vint. Sy se doit toute femme cachier et c\u00e9leement soy pingner et\ns\u2019atourner, ne ne se doit pas orguillir, ne monstrer, pour plaire au\nmonde, son bel chef, ne sa gorge, ne sa poitrine, ne riens qui se doit\ntenir couvert.\nCy parle de folle requeste.\nChappitre LXXVIIe.\nLa m\u00e8re au roy Salomon requist \u00e0 son filz que il donnast la m\u00e8re sa\nfemme, qui moult bonne dame estoit, \u00e0 Donno, qui estoit pa\u00efen et ennemy.\nSy respondit le roy que j\u00e0 son annemy n\u2019auroit la femme de son seigneur\nde p\u00e8re, et si se tint sa m\u00e8re pour nice et pour honteuse d\u2019avoir est\u00e9\nescondite, et pour ce doit toute femme penser se elle requiert chose\nraysonnable avant qu\u2019elle requi\u00e8re son seigneur; car celle requeste\nestoit bien diverse. Je vouldroye que vous sceussiez la fole requeste\nque la duchesse d\u2019Ath\u00e8nes fist au duc son seigneur. Elle avoit un fr\u00e8re\nbastart. Sy requist au duc que il donnast sa propre suer \u00e0 femme; et le\nduc, qui vit sa simplesce, s\u2019en soubrist et lui dissimula le fait, et\ndist qu\u2019il en parleroit \u00e0 ses amis. Et l\u2019autre pourchassa touz les jours\nle fait, et au fort il lui dist qu\u2019il n\u2019en seroit rien j\u00e0 fait, dont\nelle s\u2019en corrou\u00e7a et s\u2019en mist au lit malade de yre et de corroz, et se\nfist prier de venir au duc et de couchier avec lui, et au fort le duc se\ncorrou\u00e7a, et s\u2019enfla le duc tellement que par grant yre il jura que\njamais elle ne coucheroit en son lit, et l\u2019envoya en un chastel bien\nloing de lui. Dont ycy a bonne exemple que femme se doit bien garder de\nrequerre \u00e0 son seigneur de chose qui n\u2019est honneste, et apr\u00e8s comment\nelle ne doit pour nul corroux desobeir \u00e0 son seigneur, par quoy il se\ncorrouce asprement contre elle, ne tenir son cuer comme fist celle\nduchesce, que le duc chassa d\u2019avecques luy par sa folie et par son fol\ncouraige.\nCy parle de trayson.\nChappitre LXXVIIIe.\nL\u2019exemple de une faulse femme fut que deux femmes estoient qui estoient\nlog\u00e9es en un hostel, lesquelles avoient deux enffans males d\u2019un temps.\nSy advint \u00e0 l\u2019une que son enffant estaingnit, et, quant elle le vit\nmort, si ala, comme faulse femme, embler l\u2019enffant vif qui estoit \u00e0 sa\ncompaigne et y mist le mort au lieu. Et quant celle \u00e0 qui estoit le vif\nvit cellui mort au lieu, sy le regarda et congnust que ce n\u2019estoit pas\nle sien. Sy en fust bien grans contens, et en vint le cas et le fait\ndevers le roy Salemon. Et quant il eut oz leur debat il dist:\n\u00abBaillez-moy une esp\u00e9e et en bailleray \u00e0 chacune la moiti\u00e9.\u00bb Celle \u00e0 qui\nl\u2019enffant n\u2019estoit pas respondist qu\u2019elle le vouloit bien; mais l\u2019autre\ndist que l\u2019enffant ne fust pas occis, et qu\u2019elle vouloit bien qu\u2019elle\nl\u2019eust tout quitte. Adonc le roy juga que l\u2019enffant feust baill\u00e9 \u00e0 celle\nqui ne vouloit pas que l\u2019enffant fust occis, et que le cuer et la chair\nd\u2019elle en avoit piti\u00e9, et que l\u2019autre, qui vouloit qu\u2019il fust departy,\nn\u2019y avoit riens. Et ainsi fust la trayson de la mauvaise femme\nesprouv\u00e9e. Et pour ce a grant peril de couchier petit enffant del\u00e8s soy,\ncar bien souvent ilz estaingnent; sy y chiet grant peril.\nCy parle de rappine.\nChappitre LXXIXe.\nUn autre exemple feust de la femme au roy Jeroboam. Ilz avoient un\nenffant malade. Sy envoya le roy la royne \u00e0 un saint homme proph\u00e8te lui\nprier que il empetrast gu\u00e9rison \u00e0 leur enffant. Si se deguisa la royne\net vint au saint homme, qui point ne veoit. Mais, par la grace du\nSaint-Esprit, le saint proph\u00e8te lui escria \u00e0 haulte voix: \u00abRoyne, femme\nJeroboam, vostre filz mourra anuit de bonne mort, maiz tous voz autres\nenffans mourront de male mort, sans s\u00e9pulture, tout par le pechi\u00e9 de\nleur p\u00e8re, qui est tyrant sur son menu pueple, et de male conscience et\nluxurieux.\u00bb Si s\u2019en retourna la royne et trouva son filz mort. Si dist\nle fait \u00e0 son seigneur. Mais pour ce ne s\u2019en voult-il amender, et pour\nce perirent tous ses enffans. Et pour ce est bon exemple de mener et\nuser de bonne vie, et de amer son menu peuple et ne leur faire nulz\ngriefz et nul tort; car le pechi\u00e9 du p\u00e8re et de la m\u00e8re nuist aux\nenffans, si comme vous avez ouy que le saint homme le dist \u00e0 la royne de\nson seigneur.\nCy parle de pacience.\nChappitre IIIIxxe.\nJe vous diray un autre exemple, comment Anna, la femme Thobie, parla\nfolement \u00e0 son seigneur, qui estoit preudhomme et saint homme, et\nensevelissoit les mors que un roy Sarrazin faisoit occire en despit de\nDieu et de sa loy, et avoit nom Sennacherip. Si advint que les\narrondelles chi\u00e8rent sur les yeulx du preudhomme Thobie, et en fut\nlong-temps aveugle, dont sa femme lui dist par grant despit que le Dieu\npour qui il ensevelissoit les mors ne lui rendroit mie la veue. Le\nprudhomme en eut en luy pacience, et lui respondit que tout seroit \u00e0 son\nplaisir, dont il advint que elle en fust bien pugnye de maladies, et,\nquant il pleust \u00e0 Dieu, il rendit au bon homme sa veue, et veoit tout\ncler. Et, par cest exemple, toute bonne femme ne doit point laidengier\nson seigneur, ne mespriser de chose ne de maladie que Dieu luy envoye.\nCar le baston est aussi bien lev\u00e9 sur le saing comme sur le malade,\ncomme vous avez ouy de Thobie qui fut gu\u00e9ry, et sa femme qui parla mal\nfut malade. Dont je veul que vous saichez l\u2019exemple de la clavi\u00e8re\nSarra, femme au petit Thobie. Ceste Sarra fut moult preude femme et fust\nfille Raguel; elle ot vij. seigneurs, que l\u2019ennemy occist tous, pour ce\nqu\u2019ilz vouloient user d\u2019un trop villain fait, que j\u00e0 ne fait \u00e0 nommer.\nCelle bonne dame reprist une fois sa clavi\u00e8re d\u2019un meffait que elle\navoit fait; mais celle, qui fust fi\u00e8re et orgueilleuse, lui reproucha\nses seigneurs, en elle avilant. Mais la bonne dame ne respondist riens,\nains ot pacience et ploura \u00e0 Dieu, en disant qu\u2019elle n\u2019en povoit mais et\nque Dieux fist du tout \u00e0 son plaisir. Et, quant Dieux vit son humilit\u00e9,\nil luy donna cellui Thobie \u00e0 seigneur, et eurent de beaux enffans et\nmoult de biens et d\u2019onneur ensemble. Et celle qui ten\u00e7a \u00e0 elle et lui\nreproucha ainsi, si fina mauvaisement et eut depuis assez moult de\nhontes, et la bonne dame beaucoup d\u2019onneur. Et pour ce est bon exemple\ncomment nul ne doit reprouchier le mal ne le meshaing d\u2019autruy. Car nul\nne se doit point esmerveillier des vengences ne des jugemens de Dieu;\ncar tel reprouche le mehaing d\u2019autruy qui l\u2019a apr\u00e8s pire et plus\nhonteux, si comme il plaist au createur \u00e0 faire ses vengences et ses\npunitions.\nSi vous diray encore un autre exemple sur le fait de pacience. Vous avez\nbien ouy, selon ce que raconte la Bible, comment Dieux voult et souffry\nque Job, qui fut saint homme, feust tempt\u00e9 et trebuschi\u00e9 de ses grans\nhonneurs en bas, si comme cellui qui estoit saint homme et riche et\npuissant comme un roy, premi\u00e8rement quant il perdit ses sept filz et\ntroix filles, et puis toutes ses bestes vivans et toutes ses richesses\net tous ses habergemens, qu\u2019il vist tous ardoir, et tant que riens ne\nlui demoura fors les corps de luy et de sa femme, et fut si pauvre qu\u2019il\nluy convint gesir en un fumier, o\u00f9 les vers lui avoient tout rungi\u00e9 la\nteste et estoient par ses cheveulx. Et sa femme lui apportoit du relief\net luy soustenoit la vie. Dont il avint que une fois elle se courrou\u00e7a,\nsi comme elle fust tempt\u00e9e, et lui dist: \u00abSire, mourrez-vous en ce\nfumier, puis que autrement ne vous povez avoir.\u00bb Et toutefois, combien\nqu\u2019elle le deist par yre, elle ne le vouloit pas, comme bonne preude\nfemme qu\u2019elle estoit. Mais le preudhomme ne luy respondist riens, fors\nque tout feust au plaisir de Dieu, et qu\u2019il fust merci\u00e9 de tout. Ne\noncques, pour mal ne douleur qu\u2019il lui avenist, il n\u2019en dist autrement\nfors que mercier Dieu de tout. Et quand Dieu l\u2019eut bien essay\u00e9 et bien\nesprouv\u00e9, si le redressa et lui donna autant de bien et d\u2019onneur comme\nil eut oncques. Et aussi comme ce fait advint au viel testament est-il\navenu au nouvel, dont vous en trouverez l\u2019exemple en la legende saint\nEustace, qui perdist terres et biens et femme et enffans, bien par\nl\u2019espace de xiij ans, et puis Dieux le releva et lui rendy sa femme et\nses enffans et plus la moiti\u00e9 de terres, richesses et honneurs\nterriennes que ilz n\u2019avoient oncques maiz euz. Pour ce avons-nous cy bon\nexemple comment nul ne doit despire le mehaing ne le mal d\u2019autruy, car\nnul ne scet qui \u00e0 l\u2019ueil lui pent, ne nul ne se doit esmerveillier ne\nesmaier des fortunes ne des tribulacions \u00e0 soy ne \u00e0 ses voysins, et doit\nl\u2019en du tout mercier Dieu, comme firent Job et saint Eustace, et avoir\nbonne esperance en Dieu et soy humilier, et penser que Dieu est aussy\npuissant de rendre le bien au double comme il le toult, et avoir en soy\npacience et humilit\u00e9, et de tout mercier Dieu, et avoir en luy bonne\nesperance.\nCy parle de laissier son seigneur.\nChappitre IIIIxxIe.\nUn autre exemple vous diray des mauvaises femmes. Si fut de Herodias,\nque Herodes tollist et fortraist \u00e0 son fr\u00e8re, proph\u00e8te, qui estoit\nsimples homs, et son fr\u00e8re Herodes estoit divers, malicieux et\nconvoiteux. Ce fut celluy qui fist occire les innocens pour cuider\noccire le grant roy dont l\u2019estoille faisoit demonstrance. Car Herodes\navoit paour que cellui roy lui tollist son royaulme, et pour ce fist-il\noccire les innocens; il fut traistre et desloyal \u00e0 son fr\u00e8re, car il luy\nfortraist sa femme contre Dieu et contre la loy, dont saint Jehan\nBaptiste le reprenoit. Et pour ce fust-il en hayne de Herodes, car celle\nfausse femme Herodias haioit saint Jehan, et par celle hayne\nempetra-elle sa mort vers Herodes, et fut moult diverse femme et fina\nmauvaisement, et son seigneur aussi, comme cellui qui fust occis par\ncirons; tout aussi comme il avoit fait occire les petis innocens, tout\naussi voulst notre seigneur que par les plus petites choses il feust\noccis en langueur, comme par cirons, qui sont les plus petites choses et\nbestes qui soyent.\nOr vous ay compt\u00e9 des males femmes, comme il est contenu en la Bible,\nqui firent moult de maulx et de diversitez, pour estre exemplaire aux\nautres pour soy garder de faire mal. Si vous diray et traitteray des\nbonnes, que la sainte Escripture loue moult. Et pour ce est bon de\nramentevoir leurs bonnes taches, pour y prendre bon exemple et bonnes\nmeurs; car les biens faiz et les bonnes taches des bonnes qui ont est\u00e9\nsont mirouer et exemple \u00e0 celles qui sont et qui \u00e0 venir sont, dont la\npremi\u00e8re exemple est de Sara, que la sainte Escripture loe.\nCy laisse \u00e0 parler des mauvaises femmes et parle des bonnes et de leur\nbon gouvernement, comme la saincte escripture les loe.\nEt premierement de Sarra, femme Abraham.\nChapitre IIIIxxIIe.\nSara fut femme Abraham, moult bonne dame et saige, et Dieu la garda de\nmoult de perilz; car, quant le roy Pharaon la prist, Dieu lui donna\nmoult de maulx, de douleurs et de maladies, et tant qu\u2019il convint qu\u2019il\nla rendit nectement \u00e0 son seigneur. Ainsi Dieux la sauva par sa\nsaintet\u00e9, si comme il a gard\u00e9 plusieurs sains et saintes de feu et de\neaue et de glaives et de tourmens, si comme il est contenu en la vie et\nen la legende des sains et saintes. Car ainsi sauve Dieux ses amis et\nses amies. Ceste Sara souffrit moult de hontes et de douleurs. Elle fust\nbien cent ans brehaigne; mais pour sa sainte foy et pour la ferme\nloyault\u00e9 et amour qu\u2019elle portoit touzjours \u00e0 son seigneur, et pour son\nhumilit\u00e9, Dieu lui donna un filz, qui fut saint homme; ce fut Isaac,\ndont les xij. lign\u00e9es yssirent, et Dieu le lui donna pour la grant bont\u00e9\nd\u2019elle.\nCy parle de Rebeca.\nChapitre IIIIxxIIIe.\nUn autre exemple vous diray de Rebeca, qui \u00e0 merveilles fust belle et\nbonne et plaine de bonnes m\u0153urs. Ceste Rebeca est moult lou\u00e9e en la\nSainte escripture sur toutes, comme d\u2019estre doulce femme et humble. Elle\nfust femme Isaac et m\u00e8re Jacob. L\u2019escripture tesmoingne qu\u2019elle ama et\nhonnoura son seigneur sur toutes, et se tenoit devant luy sy humble et\nsy doulces responses donnoit, que pour mourir elle ne deist et ne feist\nchose dont elle le cuidast corrocier, et pour son humilit\u00e9 elle sembloit\nmieux servante de l\u2019ostel que la dame. Elle fut moult longuement\nbrehaingne; mais Dieu, qui aime saint et net mariage et humilit\u00e9, li\ndonna ij. enffans en une ventr\u00e9e. Ce fut Esa\u00fc et Jacob, duquel Jacob\nyssirent les xij. enffans qui furent princes des xij. lign\u00e9es dont\nl\u2019espitre de la Toussains parle, si comme saint Jehan le racompte que il\nvit quant il fut ravy au ciel. Ceste Rebeca aima le plus Jacob, qui\nestoit le puisn\u00e9, et lui fist par son sens avoir la beney\u00e7on de son\np\u00e8re, si comme un le\u00e7on le racompte. Elle aimoit le plus cellui qui le\nmieulx se savoit chevir et qui estoit de plus grant pourveance. Elle\nsembloit \u00e0 la leonnesse et \u00e0 la louve, qui ayment plus celui de leurs\nfaons qui le mieulx se scet pourchacier; car Jacob estoit de grant\npourveance et Esa\u00fc avoit son cuer en chasses, en boys et en venoysons.\nEt ainsi ne sont pas les enffans d\u2019un p\u00e8re et d\u2019une m\u00e8re d\u2019une mani\u00e8re;\ncar les uns aiment un mestier et une mani\u00e8re de oeuvre et les autres une\nautre.\nJe vous diray l\u2019exemple d\u2019un bon preudomme et d\u2019une preude femme qui\nfurent long-temps ensemble sans avoir enffans, et \u00e0 leur pri\u00e8re nostre\nSeigneur leur en donna un bel \u00e0 merveilles. Or avoient-ilz promis que le\npremier seroit mis et donn\u00e9 \u00e0 l\u2019eglise pour \u00e0 Dieu servir. Apr\u00e8s cellui\nilz en eurent un autre qui ne fust pas si bel, et lors ilz vont changier\nleur propos et vont dire que ilz mettroient \u00e0 l\u2019eglise le plus let et\nretendroient le plus bel pour estre leur h\u00e9ritier, et Dieu s\u2019en\ncourrou\u00e7a et les prinst tous deux, et ne leur fist nul tort, car l\u2019un\napr\u00e8s l\u2019autre si furent donn\u00e9s, ne onques puis n\u2019eurent lingn\u00e9e, dont\nilz furent \u00e0 grant douleur. Mais Dieu leur fist assavoir par le proph\u00e8te\nla cause et l\u2019achoison. Et pour ce a cy bonne exemple que nul ne doit\npromettre \u00e0 Dieu chose qu\u2019il ne vueille tenir, car nul ne peut moquer\nDieu, comme ceulx cy qui le cuidoient moquer \u00e0 bailler le plus let, et\nle plus bel retenir. Sy n\u2019en verr\u00e9s j\u00e0 nul bien venir \u00e0 ceulx qui ainsi\nle font, ne qui ostent leurs filz ne leurs filles de religion, comme\nmoygnes ou nonnains, puis que une fois ont est\u00e9 baillez et donnez. Dont\nj\u2019ay veu maint exemple de mes yeulx, comme plusieurs qui ont est\u00e9 traiz\ndes abbaies pour les terres qui leur escheoient, comme de leurs fr\u00e8res\nou seurs qui se moururent, dont la terre leur avenoit, et puis par\nconvoitise l\u2019en les ostoit. Mais, pour certain, de x. je n\u2019en vi onques\nun devenir \u00e0 bien, fors \u00e0 meschiez ou honte, comme des hommes vivre et\nfiner mal, et des nonnains que l\u2019on ostoit tout aussi, car au derrenier\nelles tournoyent \u00e0 mal et estoient blasm\u00e9es, ou mouroient d\u2019enffant ou\nfinoient mallement. Et pour ce ne doit l\u2019en oster \u00e0 Dieu ce que promis\net donn\u00e9 luy est une foiz.\nCy parle de Alia, la premi\u00e8re femme Jacob.\nChapitre IIIIxxIIIIe.\nJe vous diray un autre exemple de Alia, la femme de Jacob. La Bible la\nloue moult comme elle amoit chierement son seigneur et la grant honneur\nque elle lui pourtoit, et comment elle se humiliet, et quant elle avoit\neu enffant elle en rendoit \u00e0 Dieu graces et mercis moult humblement et\ndevotement. Et pour ce Dieu lui donna les xij. princes qui furent les\ndouze patriarches dont les douze lingn\u00e9es yssirent, qui tant furent\npreudommes, et aym\u00e8rent Dieu et le craingnirent sur tous autres, et leur\np\u00e8re et m\u00e8re prioient chascun jour Dieu pour eulx d\u00e8s ce que ilz\nestoient petis, et que Dieu les voulsist pourveoir de s\u2019amour et de sa\ngrace; et il ouy bien leurs pri\u00e8res, car ilz furent saintes gens et\nhonnourez sur tous. Et pour ce est bon exemple que tout p\u00e8re et m\u00e8re\ndoit chascun jour prier Dieu pour ses enfans, comme firent Jacob et\nAlia. Et si vous dy que jamaiz, pour nulle faulte ne riote que ilz\nfeissent, ilz ne maudissoient nullement leurs enffans, ain\u00e7ois les\nblasmoient par autre mani\u00e8re ou les batoient; car il vauldroit mieulx\ncent foiz batre ses enffans que les mauldire une seule foiz, tant y a\ngrant peril.\nDont je vous en diray une exemple d\u2019une femme de ville. Elle estoit male\net se courrou\u00e7oit de legier, et aussy faisoit son mary, et par leur\ngrant yre ilz s\u2019entrerechignoient et arguoient souvent et menu. Sy\navoient ung filz d\u2019enfant qui leur avoit faite aucune faulte; sy le\ncommenci\u00e8rent touz deux \u00e0 mauldire, et l\u2019enffant, qui en fut yr\u00e9, leur\nrespondit follement, et le p\u00e8re et la m\u00e8re, qui en furent yr\u00e9s, le vont\ndonner \u00e0 l\u2019ennemy par leur courroux, et lors l\u2019ennemy vient qui le saisy\net le prist par les bras et le haussa tout de terre, et par l\u00e0 o\u00f9 il\nmist la main le feu se prinst, et perdit la main et le bras, par quoy il\nfut pery toute sa vie. Et pour ce est grant peril de maudire ses enffans\nne de leur destiner mal, et pis encore de les donner \u00e0 l\u2019ennemy, par\ncourroux ne par yre que l\u2019en ait avecques eulx. Et pour ce prenez cy\nbonne exemple, et vous en souviengne, comme vous devez destiner tout\nbien \u00e0 vos enffans, et prier Dieu pour eulx, comme faisoit Jacob et sa\nfemme \u00e0 leurs enffans, que Dieu monta et exaul\u00e7a sur toutes les lingn\u00e9es\net generacions, et non pas faire comme le fol homme et la fole femme,\nqui par leur grant yre maudissoient leur enffant, et depuis le donn\u00e8rent\n\u00e0 l\u2019ennemy, de quoy l\u2019enffant fut pery toute sa vie.\nCy parle de Rachel, la seconde femme de Jacob.\nChappitre IIIIxxVe.\nUn autre exemple vous diray de Rachel, la seconde femme de Jacob, qui\nfut m\u00e8re de Joseph, que ses fr\u00e8res vendirent en Egipte. D\u2019icelle parole\nmoult la sainte escripture, et la loue comment elle amoit \u00e0 merveilles\nson seigneur, et la grant obeissance que elle lui faisoit. Sy eust\ncelluy Joseph, dont tant de bien yssy, et en morut en g\u00e9sine, et\ndit-l\u2019en que ce fut pour ce qu\u2019elle s\u2019enorgueilly de la joye qu\u2019elle en\neut, et n\u2019en rendit pas graces \u00e0 Dieu comme faisoit Alia. Et pour ce a\ncy bonne exemple que toute bonne femme doit touzjours rendre graces et\nmercis \u00e0 Dieu d\u00e8s ce qu\u2019elle a eu enffant, si comme faisoit Alia et\ncomme faisoit sainte Elizabel, qui fut fille au roy de Hongrie et femme\n\u00e0 Londegume. Celle bonne dame, quant elle avoit eu enffant, elle faisoit\nvenir ses prestres et ses clers, et leur faisoit rendre graces et\nmercier Dieu, et faisoit faire simples levailles, sans grans arrois,\nmais \u00e0 ses levailles elle faysoit donner \u00e0 mangier aux povres qui\nprioient pour son enffant, et aussi la bonne dame prenoit son enfant\nentre ses mains et l\u2019effroi \u00e0 l\u2019autel en rendant graces \u00e0 Dieu, et lui\nprioit humblement pour lui que il le voulsist moulteplier en sa grace et\nen s\u2019amour, et en celle du monde. Et pour ce Dieux essaul\u00e7a ses enffans,\nlesquelz vindrent \u00e0 grant honneur. Et pour certain tout le bien et\nhonneur vient de Dieu, car celluy qu\u2019il aime il l\u2019essaulce vers luy et\nvers le monde, et tout cest bien vient par humilit\u00e9, comme par humilit\u00e9\nde ces bonnes dames advint bien \u00e0 leurs enffans; car pour vray il n\u2019est\nriens que Dieu prise et ayme tant comme humilit\u00e9, car pour certain il ne\nfust pas descendu du ciel ou ventre de la benoiste vierge Marie se ne\nfeust ce que elle se humilia tant que elle respondist \u00e0 l\u2019ange Gabriel\nque elle estoit chamberi\u00e8re de Dieu et qu\u2019il feyst aussy comme il lui\nplairoit. Elle ne se povoit plus humilier que de soy appeler\nchamberi\u00e8re.\nCy parle de la royne de Chippre.\nChappitre IIIIxxVIe.\nDont je vouldroye que vous sceussiez l\u2019exemple d\u2019une royne de Chippre.\nElle ne povoit avoir enffant et estoit de dur aage, et toutesfois, par\nla bont\u00e9 de son seigneur et d\u2019elle, \u00e0 leur pri\u00e8re Dieu leur donna un\nbeau filz, dont la joye fut moult grant ou royaume. Et de la grant joie\nque ilz en eurent ilz firent crier festes et joustes, et envoy\u00e8rent\nquerre touz les grans seigneurs et dames que ils purent avoir. La feste\nfut moult grant et les paremens de draps d\u2019or et de soie; tout\nretentissoit de joye et de soulas et de sons de menestriers. Les joustes\nfurent grans et la feste bien renvoys\u00e9e. Sy despleut \u00e0 Dieu de faire\ntelz boubans et telle mise pour telle chose. Sy advint que, quant ilz\nfurent au disner, l\u2019enfant morut, et disoit l\u2019en que il avoit est\u00e9 trop\ncouvert et abri\u00e9 de grans chaleurs. Toutes voies, quant l\u2019en sceut la\nmort de l\u2019enffant, la court, qui estoit en grant joye et en grant\nliesse, fust tantost tourn\u00e9e en douleur et en tristece, et se\ndepartirent chascuns mornes et pensiz. Et pour ce a cy bon exemple\ncomment l\u2019on ne se doit mie trop esjouir d\u2019enffant que Dieu donne, ne en\nfaire telle feste ne telx boubans; car aucunefois il en desplaist \u00e0\nDieu, qui aussitost le tolt comme il le donne.\nCy parle de charit\u00e9.\nChappitre IIIIxxVIIe.\nJe vous diray un exemple sur le fait de charit\u00e9. Ce fust d\u2019une fille au\nroy Pharaon, qui nourist Mo\u00efse, si comme je vous diray. Les Juifs, qui\nestoient pueple de Dieu, estoient en servaige comme prisonniers en\nEgipte, dont le roy Pharaon, qui estoit roy, pour ce que il vit que le\npeuple des Juifs craissoit trop, il luy en despleust et commanda que\nl\u2019en occist touz les enffans d\u2019un an. Et quant la m\u00e8re Moyse vit que il\nconvenoit que son filz feut mis \u00e0 mort, sy le mist en un vaissel et\nl\u2019envoia sur l\u2019eaue, et alast \u00e0 l\u2019aventure o\u00f9 il plairoit \u00e0 Dieu, comme\ncelle qui grant piti\u00e9 et grant douleur avoit de veoir occire son filz\ndevant elle. Sy avint, comme il pleust \u00e0 Dieu, que le vessel va arriver\ndevant la chambre de la fille au roy Pharaon delez un prael, laquelle\nestoit en l\u2019esbat en ce vergier avecques ses damoiselles. Sy virent\ncelluy vessel arriver del\u00e8s elles. Sy ala elle et ses damoiselles dedens\nle vaissel, et trouv\u00e8rent l\u2019enffant envelopp\u00e9, qui \u00e0 merveilles estoit\nbel. Sy le regarda la fille et en eut piti\u00e9, et le fist nourir en sa\ngarde-robe moult chi\u00e8rement, et l\u2019appeloit son filz par bourdes, duquel\nenffant vint tant de bien; car Dieu l\u2019eslust et estably maistre et\ngouverneur de tout son pueple, et lui monstra moult de ses secrez, et\nlui bailla la verge de quoy il departy la mer et la reclost, et de\nlaquelle il fist ystre eaue vive et doulce de la pierre. Et aussy lui\nbailla les tables de la loy, et moult d\u2019autres grans amistiez il lui\ndemonstra. Et de celle nourriture et cellui servaige la damoyselle en\nfeust bien guerredonn\u00e9e, car Dieu ne oublie pas le service que l\u2019on lui\nfaist pour charit\u00e9 comme nourrir les orphelins, car c\u2019est un oeuvre de\nmis\u00e9ricorde que Dieux ayme moult, si comme il est contenu en la vie\nsainte Elisabeth, qui norrissoit les orphelins et les faisoit aprendre\naucun mestier. Dont une bonne dame qui n\u2019avoit enffant que ung, lequel\ns\u2019en ala baingnier; sy chey en une fosse et y fust viij. jours entiers,\net sa m\u00e8re estoit charitable \u00e0 Dieu et \u00e0 sainte Elisabeth; dont il avint\nque, \u00e0 l\u2019uiti\u00e8me jour, la m\u00e8re songea que son fils estoit en une fosse\nd\u2019eaue, et que sainte Elisabeth le gardoit et lui disoit: \u00abPour ce que\nvous avez tousjours nourry et soustenu les orphelins, nostre seigneur ne\nveult pas que vostre enffant muire ne ne perisse. Sy le faites\npeschier.\u00bb Et lors la m\u00e8re se leva et ala faire peschier son filz et le\ntrouva tout sain et vif, dont l\u2019enffant dist que une moult belle dame\nl\u2019avoit tousjours gard\u00e9 et lui avoit dit: \u00abDieu vieult que tu soyes\nsauv\u00e9 pour la charit\u00e9 et misericorde de ta m\u00e8re, qui voulentiers nourist\net soutient les orphelins et les petis enffans.\u00bb Et pour ce a cy bon\nexemple comment l\u2019en doit norrir les orphelins et les petis enffans qui\nen ont mestier, car c\u2019est \u00e0 merveilles grant aumosne et grant charit\u00e9,\net qui moult plaist \u00e0 Dieu. Et de ce nous monstre exemple la bische et\nplusieurs autres bestes, qui, quant l\u2019en a occis leur m\u00e8re et leurs\nfaons, demeurent sans nourreture, elles les norrissent de leurs bonnes\nnatures jusques \u00e0 tant que ils se puissent vivre tout par eulx.\nCy parle d\u2019une bonne dame de Jerico appel\u00e9e Raab.\nChappitre IIIIxxVIIIe.\nUn autre exemple vous diray sur cest fait. Il advint que en la ville de\nJerico avoit une femme qui avoit nom Raab, laquelle estoit blasm\u00e9e, mais\ncharitable estoit. Dont il avint que certains preudes hommes qui y\nestoient venus pour enseigner le pueple sy trouv\u00e8rent les gens de la\nville moult maulx et crueulx, tant qu\u2019ils s\u2019en al\u00e8rent respondre et\ncachier chiez celle femme, et les mussa dessoubz trousseaulx de lin et\nde chanvre, et ne les peurent trouver pour cerchement que ils feissent,\net puis la nuit les avala par une corde et les sauva. Dont il avint\nqu\u2019elle en fust bien guerredonn\u00e9e, car la ville fut depuis prise, et\nhommes et femmes tous mors, fors Raab et sa mesgnie, que Dieu fist\nsauver pour ce qu\u2019elle avoit sauv\u00e9 ses sergens. Et pour ce dit bien la\nsainte Euvangille, l\u00e0 o\u00f9 Dieu dit que le bien et le service que l\u2019on lui\nfera, ou \u00e0 ses serfs pour lui, que il le rendra \u00e0 cent doubles. Dont\nest-ce bon exemple de faire bien qui depuis est rendu et meri \u00e0 cent\ndoubles. Dont je vueil que vous saichiez l\u2019exemple de sainte Annastaise,\nqui fust mise en chartre; mais Dieu la fist delivrer et lui fist\nassavoir qu\u2019elle estoit delivr\u00e9e pour ce qu\u2019elle soustenoit du sien\npropre les povres prisonniers et les enchartrez, et l\u00e0 o\u00f9 elle s\u00e7avoit\nque aucun y estoit mis sans cause et \u00e0 tort, par envie ou par aucune\ndebte, elle y mist tant du sien et de sa peine qu\u2019il feust delivr\u00e9. Et\npour ce Dieu l\u2019en guerredonna au double. Et mesmement le doux Jhesucrist\ndit en l\u2019Euvangille que au grant jour du jugement il aura mercy de ceulx\nqui auront visit\u00e9 les enchartr\u00e9z et les malades et les povres femmes en\ngesines. Car \u00e0 celluy jour espovantable il en demandera compte et en\nconvendra rendre raison, dont je pense bien que maintes en seront\nreprinses de en faire bonnes responces. Et pour ce, belles filles,\npensez-en \u00e0 present, si comme fist sainte Arragonde, qui fust royne de\nFrance, qui les povres enchartrez visitoit, repaissoit et nourrissoit\nles orphelins, et visitoit les malades. Et au fort, quant elle vit\nqu\u2019elle n\u2019y pourroit entendre \u00e0 sa voulent\u00e9, pour doubte de desob\u00e9ir \u00e0\nson seigneur, elle laissa son seigneur et tout l\u2019onneur et la gloire du\nroyaulme et la joye mondaine, et s\u2019en fouy en tapinaige de Paris jusques\n\u00e0 Poitiers, et l\u00e0 se rendist en l\u2019abbaye et se fist nonnain, et laissa\nle siecle pour mieulx servir \u00e0 nostre Seigneur sans crainte de nulluy,\ndont depuis Dieu fist tel miracle pour l\u2019amour d\u2019elle que ung arbre qui\ndonnoit umbre au millieu de leur cloistre, lequel estoit devenu sec tant\nestoit vieulx, mais nostre Seigneur \u00e0 sa pri\u00e8re le reverdist tellement\nque il geta escorce et fueille nouvelle, contre le cours de nature. Mais\nriens n\u2019est impossible quant \u00e0 Dieu, et maintes autres grans miracles\nfist nostre seigneur pour elle. Et pour ce est bon exemple de faire\ncharit\u00e9, comme ouy avez de ces ij. bonnes dames et de celle bonne dame\nRaab, comment elles firent et comment Dieu en la parfin les guerredonna\nde leurs bons services.\nDe abstinence.\nChappitre IIIIxxIXe.\nJe vous diray autre exemple du p\u00e8re et de la m\u00e8re de Sampson fortin, qui\nestoient saintes gens en leur mariage, mais nuls enffans ne povoient\navoir. Sy en furent-ils envers Dieu en mainte clameur et oroison. Un\njour la bonne dame fut \u00e0 l\u2019esglise, qui pour lors estoit appell\u00e9 le\ntemple; si comme elle prioit nostre seigneur en plorant, Dieux ot piti\u00e9\nd\u2019elle et lui envoia un ange qui lui dist qu\u2019elle auroit un filz qui\nseroit le plus fort homme qui onques fust, et lequel debastroit et\nessauceroit par sa force la loy de Dieu. La bonne dame vint \u00e0 son\nseigneur et le li dist. Son seigneur se getta en oroison et pria Dieu\nqu\u2019il lui pleust \u00e0 lui demonstrer son ange, et lors Dieu leur envoia son\nange qui leur dist celles paroles, et qu\u2019ilz jeunassent et qu\u2019ilz\nfeissent abstinences, et aussi que ilz se gardassent de trop boire et de\ntrop gourmander. \u00abCar\u00bb, dist l\u2019ange, \u00able trop gourmander et le trop\nmengier, fors \u00e8s heures deues, et aussi le trop boire guerroye le corps\net l\u2019\u00e2me.\u00bb Et quant il leur eut ce dist si se party, et ilz firent le\ncommandement de l\u2019ange et jeun\u00e8rent et firent abstinences. Et puis\neurent l\u2019enffant, qui maintint moult bien la loy de Dieu encontre les\npaiens, et en fist moult de occisions et moult de grant merveilles, si\ncomme Dieux le soustenoit; car il desconfist par son corps iij. mille\npersonnes. Et pour ce est bon de jeuner et faire abstinence, qui vieult\nriens requerre \u00e0 Dieu; car confession et jeunes emp\u00e8trent vers Dieu sa\nrequeste, comme l\u2019ange leur dist, et apr\u00e8s leur dist que ils le\ngardassent de trop mengier fors \u00e0 ses heures, par esp\u00e9cial de trop\nboire, dont, quant le saint ange, qui tout scet, leur deffendit ces ij.\nvices, c\u2019est bon exemple que tout homme et femme si s\u2019en doit garder sur\ntous autres vices, car par cellui vice l\u2019en entre en trestous les autres\nvij. vices mortelx, comme vous le trouverez plus \u00e0 plain ou livre de voz\nfr\u00e8res, l\u00e0 o\u00f9 il parle comment un hermite qui eslut cellui pechi\u00e9 de\ngloutonie, et le fist et s\u2019enyvra, et par cellui il cheist en touz les\nvij. pechez mortelx, et avoit cuidi\u00e9 eslire le plus petit des vij, dont\nje vous diray que Salemon en dist ou livre des enseignemens;\npremierement il dist que vin trouble et rougist les yeulx et affaiblist\nla veue et fait le chief dodiner et croller, et empesche l\u2019ouye et\nestouppe les narilles, et fait le visaige pruneller et rougir, et fait\nles mains trambler et corrompt le bon sanc, et affaiblit les ners et les\nvainnes, et mine le corps et lui haste la mort, et lui trouble le senz\net la memoire. Dont Salemon dist que de xx. femmes une qui seroit\nyvrongne ne pourroit mie estre preude femme au long aler, ne am\u00e9e de\nDieu ne de ses amis, et qu\u2019il li vauldroit mieulx estre larronnesse ou\navoir d\u2019autres mauvaises taiches que celle, car par celle elle entrera\nen toutes les autres mauvaises. Pourquoy, mes chi\u00e8res fillez,\ngard\u00e9s-vous de cellui mauvais vice de trop boire, ne gourmender, ne\nmengier fors aux droites heures, comme \u00e0 disner et \u00e0 soupper. Car une\nfoiz mengier est vie d\u2019ange, et ij. foiz est droite vie d\u2019omme et de\nfeme, et plusieurs fois mengier est vie de beste, et tout chiet par\ncoustume et par usaige, car de telle vie, soit de boire ou de mengier,\ncomme vous vouldr\u00e9s acoustumer en vostre jeunesse, vous le vouldrez\nmaintenir en vostre viellesse, et pour ce ne chiet que en vostre\nvoulent\u00e9 \u00e0 y mettre rem\u00e8de \u00e0 heure. Sy devez cy prendre bonne exemple au\nsaint ange qui en avisa le p\u00e8re et la m\u00e8re de Sampson fortin; l\u2019ange ne\ndist pas comme il fist \u00e0 Zacaries; car il li dist que sa femme auroit un\nfilz qui auroit nom Jehan, qui ne buvroit point de vin ne de cervoise;\ncar l\u2019un enffant fust estably de Dieu pour garder la foy par esp\u00e9e\ncontre les pa\u00efens, ce fust Sampson, et S. Jehan fut estably pour\nprescher et estre mirouoir de chastet\u00e9, de jeunes et de abstinences, et\nde user la haire et estre mirouoir de toute sainte vie. Si vous laisse\nde ceste mati\u00e8re et vous diray d\u2019un autre exemple.\nDe aprendre saigesce et clergie.\nChappitre IIIIxxXe.\nJe vous diray une autre exemple d\u2019une dame qui avoit une fille qui eust\n\u00e0 nom Delbora, laquelle elle mist \u00e0 l\u2019escole de saigesse et du saint\nesprit et de sapience. Celle Delbora apprist si bien qu\u2019elle sceust la\nsainte escripture, et usa de sy sainte vie qu\u2019elle sceust des secrez de\nDieu et parla moult des choses \u00e0 venir, et par son grant senz touz lui\nvenoient demander conseil des choses du royaume et de leurs affaires.\nSon seigneur estoit maulx homs et crueulx; mais par son sens et par son\nbel acqueil elle le savoit bien avoir; car elle l\u2019ostoit de sa frenaisie\net le faisoit paisible et juste \u00e0 son pueple. Et pour ce a cy bon\nexemple que l\u2019en doit mettre ses filles pour apprendre la clergie et la\nsainte escripture; car pour en s\u00e7avoir elles en verront mieulx leur\nsaulvement et recognoistront mieux le mal du bien, si comme fist la\nbonne dame Delbora et comme fist sainte Katherine, qui par son sens et\npar son clergie, avecques la grace du Saint-Esprit, elle seurmonta et\nvainqui les plus saiges hommes de toute Gresce, et par sa sainte clergie\net ferme foy elle congnust Dieu, et Dieu lui donna victoire de martire\net en fist porter le corps par ses anges xiiij. journ\u00e9es loing, c\u2019est\nassavoir ou mont de Sinay, et son saint corps rendit huille. Et le\ncommencement et fondement de Dieu congnoistre fust par sa clergie, o\u00f9\nelle congnust la verit\u00e9 et le sauvement de la foy. Encore un autre\nexemple vous diray-je d\u2019un enffant de l\u2019aage de ix. ans qui avoit est\u00e9\niiij. ans \u00e0 l\u2019escole, et, de la grace de Dieu, il desputoit de la foy\ncontre les paiens si fort que il les vaincquit touz, et au fort ils\nl\u2019espi\u00e8rent tant qu\u2019ilz le prisdrent, et quant ilz le tindrent en leur\nsubjecion ilz le menaci\u00e8rent \u00e0 occire ou il renieroit Dieu. Mais, pour\ntourment que ilz luy peussent faire, il n\u2019en voult riens faire. Sy lui\ndemand\u00e8rent o\u00f9 estoit Dieu, et il leur dit: \u00abAu ciel et adjoint en mon\ncuer.\u00bb Lors de depit ils le occirent et lui fendirent le coust\u00e9 pour\nvoir son cuer, se il disoit voir que Dieu y feust. Et, quant il fut\nfendu et ouvert, ilz virent de son cuer yssir un coulon blanc, dont il y\neut aucuns d\u2019eulx pour celui exemple se convertirent en Dieu. Et pour\ncest exemple et les autres est bonne chose de mettre ses enffans juennes\n\u00e0 l\u2019escolle et les faire apprendre \u00e8s livres de sapience, c\u2019est-\u00e0-dire\n\u00e8s livres des saiges et des bons enseignemens, o\u00f9 l\u2019on voit les biens et\nle sauvement du corps et de l\u2019ame, et en la vie des p\u00e8res et des sains,\nnon pas les faire apprendre \u00e8s livres de lecheries et des fables du\nmonde; car meilleure chose est et plus noble \u00e0 ou\u00efr et parler du bien et\ndes bons enseignemens, qui pueent valoir et prouffiter, que lire et\nestudier des fables et des mensonges dont nul bien ne prouffit ne puet\nestre; et pour ce que aucuns gens dient que ilz ne vouldroient pas que\nleurs femmes ne leurs filles sceussent bien de clergie ne d\u2019escripture,\nje dy ainsi que, quant d\u2019escripre, n\u2019y a force que femme en saiche\nriens; mais, quant \u00e0 lire, toute femme en vault mieulx de le s\u00e7avoir, et\ncognoist mieulx la foy et les perils de l\u2019ame et son saulvement, et n\u2019en\nest pas de cent une qui n\u2019en vaille mieulz; car c\u2019est chose esprouv\u00e9e.\nDe la dame nomm\u00e9e Ruth.\nChappitre IIIIxxXIe.\nUn autre exemple vous diray d\u2019une bonne dame appel\u00e9e Ruth, dont descendi\nle roy David. Celle bonne dame est moult lou\u00e9e en la sainte escripture,\ncar \u00e0 merveilles ama Dieu et obey \u00e0 son seigneur, et, pour l\u2019amour de\nlui, elle honoroit et amoit ses amis et leur portoit plus de honneur et\nde privet\u00e9 que \u00e8s siens devers elle; dont il advint que, quant son\nseigneur fust mort, que le filz de son seigneur d\u2019une autre femme ne li\nvouloit riens laissier, ne terre, ne meuble, pour ce qu\u2019elle estoit de\nloingtain pays et loing de ses amis, pour ce la cuida esbahir; mais les\namis de son feu seigneur, qui l\u2019amoient pour la grant doulceur et la\nprivet\u00e9 et le grant semblant d\u2019amour et service qu\u2019elle avoit toujours\nport\u00e9, les mist devers elle, et furent contre leur parent, tellement que\nilz firent avoir \u00e0 la dame son bon droit et toute sa partie selon la\ncoustume. Et ainsi la bonne dame sauva le sien pour l\u2019amisti\u00e9 et la\nbonne compaignie qu\u2019elle avoit fait aux parens de son seigneur quand il\nvivoit. Et pour ce a cy bon exemple comment toute bonne femme doit\nservir et honnourer les parens de son seigneur; car plus grant semblant\nd\u2019amour ne li pourroit-elle faire, et en ce lui en puet tout bien et\nhonneur venir, si comme il fist \u00e0 la bonne dame Ruth, qui, pour amer et\nhonnourer les parens de son seigneur, elle recouvra sa juste partie des\nheritaiges et des biens son seigneur, comme ouy avez.\nQue toute femme doit soustenir son seigneur.\nChappitre IIIIxxXIIe.\nJe vous diray un exemple d\u2019une bonne dame qui bien doit estre lou\u00e9e.\nCelle bonne dame avoit nom Abigail; elle avoit un seigneur qui estoit \u00e0\nmerveille maulx homs et divers et rioteux \u00e0 tous ses voisins, et\nmesdisans. Sy avoit trop forfait au roy David, dont le roy le fist\ndesfier, et le vouloit destruire et mettre \u00e0 mort. Mais la bonne dame,\nqui sage estoit, vint devers le roy et se humilia tant par ses doulces\nparoles qu\u2019elle fist la paix de son seigneur. Sy le garda celle foiz et\nplusieurs autres de maints perilz o\u00f9 il se mettoit par sa mauvaise\nlangue et par ses foles sotises. Mais tousjours la bonne dame amendoit\nses sotties et ses folies, dont elle doit bien estre lou\u00e9e, et aussi de\nce qu\u2019elle souffroit moult humblement de lui la paine et la doulleur\nqu\u2019il lui faisoit traire. Et pour ce a cy bon exemple comment toute\nbonne femme doit souffrir de son seigneur et le doit supporter, et par\ntout le sauver et garder comme son seigneur, combien qu\u2019il soit fol ou\ndivers, puisque Dieux le lui a donn\u00e9. Car tant comme elle y aura plus \u00e0\nsouffrir et elle le portera plus humblement et couverra la folie de lui,\nde tant aura-elle plus l\u2019amour de Dieu et l\u2019onneur du monde.\nJe vouldroye que vous sceussiez l\u2019exemple d\u2019une bonne dame, femme d\u2019un\nsenateur de Romme, si comme il est contenu \u00e8s croniques des Romains.\nCellui senateur estoit moult jaloux sans cause, et estoit moult divers\nhoms et moult maulx et crueulx \u00e0 sa femme. Sy advint que il eust \u00e0 faire\nung gaige de bataille encontre un autre. Or estoit-il trop couart et\nfailli; le jour de la bataille son champion qui devoit jouster pour lui\nestoit malade, et ne trouva lors aucun qui pour lui se voulust\ncombattre, dont il eust est\u00e9 dehont\u00e9; mais sa femme, qui regarda le\ngrant deshonneur que son seigneur y auroit, ala en sa chambre et se fist\narmer; sy monta \u00e0 cheval et se mist en champ, et avoit son visaige\ndeffait que nul ne la cogneust, et toutes foiz, pour ce que Dieu vit sa\nbont\u00e9 et que elle faisoit selon Dieu son devoir, et rendoit \u00e0 son\nseigneur bien pour mal, Dieu lui donna telle grace que elle gaigna la\nquerelle de son seigneur honnourablement. Et quant vint que tout le\ntraicti\u00e9 fust accomply, l\u2019empereur voult veoir et s\u00e7avoir qui estoit le\nchampion du senateur. Si fust desarm\u00e9e et fust trouv\u00e9 que c\u2019estoit sa\nfemme, dont l\u2019empereur et toute la ville lui port\u00e8rent d\u00e8s cellui jour\nen avant plus grant honneur qu\u2019ilz n\u2019avoient fait, et fust \u00e0 merveilles\nhonor\u00e9e, tant pour ceste cause comme pour ce que elle se portoit bel et\ndoulcement des maulx que son seigneur ly faisoit bien souvent traire. Et\npour ce a cy bonne exemple comment toute bonne femme doit humblement\nsouffrir de son seigneur ce que elle ne puet amender; car celle qui plus\nen seuffre sans en faire chi\u00e8re en recouvre x. foiz plus de honneur que\ncelle qui n\u2019a cause de en souffrir, et qui a son seigneur bien entachi\u00e9,\nsy comme dit Salemon, qui bien parle des femmes en louant les unes et\nblasmant les autres.\nDe adoulcir l\u2019ire de son seigneur.\nChappitre IIIIxxXIIIe.\nUn autre exemple vous diray d\u2019une des femmes au roy David, comment elle\napaisoit l\u2019ire de son seigneur. Vous avez bien ouy comment Amon le filz\nDavid despucella sa suer, et comment Absalon leur fr\u00e8re vengea celle\nhonte et le fist mettre \u00e0 mort, dont Absalon s\u2019en fouy hors du pays, car\nle roy le vouloit faire occire. Mais celle bonne dame lui fist sa paix,\ncar elle monstra tant de bonnes raysons \u00e0 son seigneur que il lui\npardonna. Sy n\u2019estoit-elle pas sa m\u00e8re, fors femme de son seigneur. Mais\nelle tenoit en amour son seigneur et ses enffans comme bonne dame. Et\nainsi le doit faire toute bonne dame; car plus grant semblant d\u2019amour ne\npuet-elle monstrer \u00e0 son seigneur que amer ses enffans d\u2019autre femme, et\ny conquiert honneur au double, et plus les doit soustenir que les siens;\ncar au derrenier il n\u2019en vient fors que tout bien et honneur, si comme\nil advint \u00e0 celle bonne dame que, quant le roy fut mort, l\u2019en lui\nvouloit tollir son droit, mais Absalon ne le voulst souffrir et dist\ndevant touz que, combien que elle ne feust sa m\u00e8re, que elle lui avoit\nport\u00e9 honneur et privet\u00e9 et amour, et par maintesfois desblasm\u00e9 vers mon\nseigneur mon p\u00e8re; car elle ne perdra j\u00e0 riens de son droit. Et pour ce\na cy bon exemple comment toute bonne femme doit amer et honnourer tout\nce qui est de son seigneur, comme ses enffans d\u2019autre femme et aussy ses\nprouchains et ses parens. Car voulentiers nul bien n\u2019est fait que\ncommunement ne soit mery, si comme il advint \u00e0 ceste bonne dame, comme\nouy avez.\nDe querre conseil.\nChappitre IIIIxxXIIIIe.\nJe vous diray un autre exemple de la royne de Sabba, qui moult estoit\nbonne dame et saige, laquelle vint de vers Orient en Jherusalem pour\ndemander conseil d\u2019un grant fait au roy Salomon, lequel la conseilla\nfeablement, et bien lui prist de son conseil, et elle ne perdy pas son\ntravail ne ses pas. Et pour ce a cy bon exemple que toute bonne dame\ndoit eslire un bon preudomme et saige de son lignaige ou d\u2019autre et le\ntenir en amour et soy conseiller \u00e0 lui de ses besoingnes; car le bon\nconseil fait la bonne \u0153uvre, et fait tenir bonne amour \u00e0 ses voisins et\ngarder le sien sans parler et sans rioter, et, se aucun plait ou contens\nse met, le bon preudomme et le saige conseil si le oste et amod\u00e8re la\nchose, et fait avoir le sien sans grans coustz et sans grans mises, et\ntousjours en vient grant bien, comme il vint \u00e0 la bonne royne de Sabba,\nqui de sy loing vint querre conseil au saige roy Salemon. Et encores\nvouldroye-je que vous sceussiez l\u2019exemple d\u2019un empereur de Romme.\nL\u2019empereur estoit malade au lit de la mort. Chascun des seigneurs et des\nsenateurs et autres pour lui plaire disoient que il seroit tantost\nguery, mais que il eust su\u00e9. Mais amy que il eust ne lui parloit du\nprouffit de l\u2019ame. Sy avoit avecques lui un chambellan qui l\u2019avoit\nnourry, lequel le servoit d\u2019enffance. Cellui veoit bien que il ne\npouvoit eschapper, et que tous ne le conseilloient fors que pour lui\nplaire seulement. Sy lui va dire le chambellan: \u00abSire, comment\nsentez-voz vostre cuer?\u00bb Et l\u2019empereur luy dist que bien petitement.\nLors lui commen\u00e7a \u00e0 dire moult humblement: \u00abSire, Dieux vous a donn\u00e9 en\ncest monde toutes honneurs et les biens terriens et la joye mondaine, si\nl\u2019en recongnoissez et merciez, et departez \u00e0 ses povres des biens que\nDieu vous a donnez, tellement que il n\u2019ait que reprouchier sur vous.\u00bb\nL\u2019empereur escouta et dist deux motz: Plus vault amy qui point que\nflatteur qui oint. Et fust pour ce que ses amis ne lui avoient parl\u00e9 que\nde l\u2019esperance de la sant\u00e9 du corps pour lui plaire; mais cestuy-cy lui\nparloit du sauvement de l\u2019ame; car qui ayme le corps il doit amer l\u2019ame,\net ne doit l\u2019en riens celler \u00e0 son amy de chose qui lui porte prouffit\net honneur, ne, pour amour ne pour hayne, ne le laisse \u00e0 conseillier\nloyaulment, comme preudomme et bon amy, et ne le flatte pas ne faire le\n_placebo_ comme firent tous les amis de l\u2019empereur, qui veoient bien\nqu\u2019il ne povoit eschapper de mort et ne lui osoient pas dire le prouffit\nde son ame comme fist son povre chambellain, qui le mist \u00e0 la voie du\nsauvement. Et l\u2019empereur le creust, car il donna et departi du sien\nlargement pour Dieu.\nD\u2019une preude femme qui amoit les sergens de Dieu.\nChappitre IIIIxxXVe.\nUn autre exemple vous diray de une moult preude femme qui avoit un\nsimples homs \u00e0 mary. La bonne dame estoit moult charitable et aymoit\nmoult les sergens de Dieu. Sy avoit, vers les parties de Jherusalem, un\nsaint preudomme proph\u00e8te qui avoit nom Elizeus. Celle bonne dame avoit\ngrant devocion au saint homme, et le pria de venir herbergier chiez son\nseigneur et chiez elle, et lui firent une chambre solitaire o\u00f9 le saint\nhoms, qui vestoit la haire, faisoit ses afflictions. Si ne povoit la\nbonne dame avoir enffant de son seigneur ne lign\u00e9e. Si vont prier le\nsaint homme que il priast Dieu qu\u2019il leur donnast enffans et lingn\u00e9e, et\nle saint proph\u00e8te en pria Dieu tant que ilz eurent un filz \u00e0 merveilles\nbel, qui vesquit bien xv. ans et puis morut, dont le p\u00e8re et la m\u00e8re en\ndeurent mourir de dueil. Sy fist mettre la m\u00e8re l\u2019enffant en la chambre\ndu saint proph\u00e8te, et ala par le pays tant qu\u2019elle trouva le saint\npreudomme, et quant elle l\u2019eust trouv\u00e9 elle l\u2019amena en sa chambre et lui\nmonstra l\u2019enffant qui estoit mort et lui dist: \u00abHa, saint homme, veez-cy\nl\u2019enffant que Dieu me donna par ta pri\u00e8re, qui estoit toute ma joye et\nma soustenance. Je te prie que tu vueilles Dieu prier que il le me rende\nou qu\u2019il me preingne, car je ne vueil point demourer apr\u00e8s lui.\u00bb Et\nElizeus le saint proph\u00e8te eut piti\u00e9 de la bonne dame; sy adoura Dieu, et\nDieu le revesquit \u00e0 sa pri\u00e8re, et vesqui l\u2019enffant longuement et fust\nsaint homme. Pourquoy, mes chi\u00e8res filles, ycy a bonne exemple comment\nil fait bon se accointier des sains hommes et les amer, et qui usent de\nbonne vie et de sainte, comme ceste bonne dame, qui ne povoit avoir\nenffans et en eust \u00e0 la pri\u00e8re du saint homme, et depuis que l\u2019enffant\nfut mort, Dieux le ressuscita \u00e0 sa pri\u00e8re, et pour certain Dieux est\naujourd\u2019uy aussy puissant et aussy debonnaire comme il estoit lors \u00e0\nceulx qui le serviront. Si ne fault que mettre bonne painne et humble\ncuer \u00e0 le desservir, et tenir la compaignie des saintes gens qui usent\nde saincte vie, et les croire; car tout bien en puet venir, comme il\nfist \u00e0 la bonne dame.\nDe Sarra, femme du petit Thobie.\nChappitre IIIIxxXVIe.\nJe vous diray un autre exemple de une bonne dame, qui avoit nom Sara.\nVous avez bien ouy comment elle eust vij. seigneurs, que l\u2019enemi occist\npour ce qu\u2019ilz ne vouloient pas user de loyal mariaige, et comme sa\nclavi\u00e8re lui reprocha que mary ne lui povoit arrester. Et la bonne dame,\nqui vit que celle fole vouloit tencier \u00e0 elle, si lui dist comme saige\nmoult humblement: \u00abBelle amie, \u00e0 toy ne \u00e0 moy ne appartient mie \u00e0 parler\ndes jugements de Dieu\u00bb, et plus ne lui dist. Elle ne sembla pas \u00e0 la\nfille d\u2019un des senateurs de Romme, qui avoit le cuer si felon que elle\ntan\u00e7oit en plainne rue avecques sa voisine, et tant crurent et mont\u00e8rent\nles paroles que l\u2019autre lui dist que elle n\u2019estoit pas nette du corps,\ndont par celle parole, qui ala tant avant, elle en perdy son mariaige,\nfeust v\u00e9rit\u00e9 ou men\u00e7onge. Et pour ce est grant folie \u00e0 toute femme de\ntencier ne respondre \u00e0 tenceurs ne \u00e0 gens qui sont felons et cruelz et\nqui ont male teste, dont je vous diray un fait que je vy d\u2019une bien\ngentilz femme qui ten\u00e7oit \u00e0 un homme qui avoit male teste. Sy lui dis:\n\u00abMa damoyselle, je vous loue et conseille que vous ne respondiez point \u00e0\nce fol; car il est assez fol de dire plus de mal que de bien\u00bb. Mais elle\nne me voult croire, si ten\u00e7a plus fort en lui disant qu\u2019il ne valoit\nriens. Et il respondit que il valoit autant pour homme comme elle\nfaisoit pour femme. Et tant mont\u00e8rent leurs parolles que il dist que\npour certain il s\u00e7avoit bien un homme qui la baisoit de jour et de nuit\nquant il vouloit. Et adonc je l\u2019appellay \u00e0 cost\u00e9 et lui dis que c\u2019estoit\nfolie de prendre \u00e0 fol paroles ne ten\u00e7ons. Si furent les paroles laides\net devant moult de gens, et fust diffam\u00e9e par son attayne et par son fol\ntencier, et fist s\u00e7avoir \u00e0 plusieurs gens ce que ilz ne s\u00e7avoient pas.\nElle ne sembla pas la sage Sarra, qui ne fist pas grans responces \u00e0 sa\nfolle clavi\u00e8re; car aucunes foiz l\u2019en se met bien de son bon droit en\nson tort, et si est moult meschante chose et honteuse \u00e0 gentilz femmes\net autres de tencier nullement. Dont je vous diray l\u2019exemple de la\npropriet\u00e9 de certaines bestes. Regardez-moy ces chiens et ces mastins;\nde leur nature ilz rechignent et abbayent, mais un gentil levryer ne le\nfera pas. Ainsi doit-il estre des gentilz hommes et des gentilz femmes.\nEt aussi je vous diray l\u2019exemple de l\u2019empereur de Constentinoble. Il\nestoit homme moult fier et felon, mais jamais ne ten\u00e7ast \u00e0 nul, dont il\nadvint que il trouva ses ij. filz tan\u00e7ant; mais il les eust batus, qui\nne se feust mis entre deux. Et puis dist que nul gentil cuer ne devoit\ntencier ne dire villenie. Car au tencier l\u2019en congnoist les gentilz de\navecques les villains, car cellui est villain qui de sa bouche dist\nvillenie, et pour ce est grant gentillesce et grant noblesce de cuer \u00e0\nceulx qui pueent avoir pascience et humilit\u00e9 en eulx, et ne respondre\npoint \u00e0 toutes les foles paroles des folz ne des foles. Car pour certain\nil advient souvent que une fole parole engendre telle fole responce qui\npuis porte honte et deshonneur; et pour ce, belles filles, est bon de y\nprendre bon exemple. Car le fol et la fole de felon et haultain\ncouraige, quant l\u2019en leur tient pi\u00e9, ilz dient de leurs malices et de\nleurs yres aucunesfoiz villenies et choses qui oncques ne furent\npens\u00e9es, pour vengier leur grant yre. Et ainsi se doit garder toute\nbonne femme de riens respondre \u00e0 son seigneur devant les gens pour\nplusieurs causes; car \u00e0 soy taire elle ne peut avoir que toute honneur\net tout bien de touz ceulx qui le verront, et \u00e0 lui respondre son\ndesplaisir ne li peust venir fors honte et desplaisir et deshonneur.\nDe la royne Hester.\nChapitre IIIIxxXVIIe.\nJe vous diray un autre exemple de la royne Hester, femme au grant roy de\nSurye. Celle fut \u00e0 merveilles bonne dame et saige, et amoit et\ncraingnoit son seigneur. Sur toutes dames la sainte escripture la loue\nmoult de sainte vie et de ses bonnes m\u0153urs. Car le roy son seigneur\nestoit mal et divers, et lui disoit aucunes foiz moult d\u2019oultraigeuses\nparoles et vilainnies; mais pour riens que il lui deist elle ne lui\nrespondoit aucune parole dont il se deust corroucer devant les gens;\nmais apr\u00e8s, quand elle le trouvoit seul et veoit son lieu, elle se\ndesblamoit et lui monstroit bel et courtoisement sa faulte, et pour ce\nle roy l\u2019amoit \u00e0 merveilles et disoit en son secret qu\u2019il ne se povoit\ncourroucier \u00e0 sa femme, tant le prenoit par bel et par doulces paroles.\nCertes, c\u2019est une des bonnes taches que femme puist avoir, que ne\nrespondre point en l\u2019ire ne en courroux de son seigneur. Car cuer gentil\nest cremeteux et a touz jours paours de faire ou dire chose qui\ndesplaise \u00e0 cellui qu\u2019il doit honnorer et craindre, dont l\u2019en conte \u00e8s\nlivres des roys de la femme d\u2019un grant seigneur qui estoit mal et divers\net sa femme estoit moult douce, et moult souffroit et estoit humble. Sy\nestoit un jour moult pensive, et ses damoiselles lui disoient: \u00abMadame,\npourquoy ne vous esbatez-vous, comme juenne dame que vous estes?\u00bb Et\nelle respondit que il convenoit que elle se doubtast et se demenast\ncomme elle s\u00e7avoit que estoit la voulent\u00e9 de son seigneur, pour avoir la\njoye de luy et la paix de son hostel. Et puis disoit que la paour de\ntrois prisons la destreignoit de estre trop joyeuse et trop gaye, dont\nl\u2019une estoit amours, l\u2019autre paours, et la tierce honte. Ces iij. vertus\nla maistrioient; car l\u2019amour qu\u2019elle avoit \u00e0 son seigneur la gardoit de\nlui faire son desplaisir; paour la destraingnoit de perdre son honneur\net de faire pechi\u00e9, fors le moins qu\u2019elle povoit; honte d\u2019avoir villain\nreproche. Et ainsi la bonne dame dit \u00e0 ses damoiselles. Pour quoy, mes\nchi\u00e8res filles, je vous prie que vous ayez ces exemples en voz cuers, et\nne respondez nulle grosse parole ne envieuse \u00e0 vostre seigneur, fors\ndoulce et humble, comme faisoit celle bonne dame, la royne Hester, comme\nouy avez, et comme ceste bonne dame qui dist \u00e0 ses damoiselles que son\ncuer estoit en l\u2019amour et en la prison de son seigneur, et pour ce ne\npovoit-elle faire fors que \u00e0 tout son plaisir et vivre en sa paix.\nDe Suzanne, la femme Joachim.\nChappitre IIIIxxXVIIIe.\nUn aultre exemple vous diray de Susanne, la femme Joachim, qui estoit\ngrant seigneur en la chetivoison de Babilonie. Celle Susanne estoit \u00e0\nmerveille belle dame et de saincte vie. Si avoit ij. prestres de leur\nloy qui disoient leurs heures en un verger, et la bonne dame peignoit\nson chief, qui estoit blanche et blonde. Sy arriv\u00e8rent ces ij. prestres\nsur elle et la virent belle et seule. Lors si furent temptez, et li vont\ndire que se elle ne vouloit faire leur voulent\u00e9, qu\u2019ilz tesmoigneroient\nqu\u2019ilz l\u2019auroient trouv\u00e9e en fait de luxure avec un homme, et pource que\nelle auroit enffraint son mariage, elle seroit lapid\u00e9e ou arse, selon la\nloy qui lors couroit. Celle bonne dame fust moult esbahie, qui par faulx\ntesmoings veoit sa mort; car deux tesmoings estoient lors creus. Sy\npensa et regarda en son cuer que elle aymoit mieulx mourir de la mort\nmondaine que de la mort pardurable, et mist son fait en la voulent\u00e9 de\nDieu, auquel elle se fioit du tout, et lors respondit \u00e0 brief qu\u2019elle\nn\u2019en feroit rien, et qu\u2019elle amoit mieulx \u00e0 mourir qu\u2019\u00e0 faulcer sa loy\nne son saint sacrement de mariage. Adonc les ij. faulx prestres al\u00e8rent\n\u00e8s juges et tesmoign\u00e8rent contre elle qu\u2019ilz l\u2019avoient trouv\u00e9e en\navoultrie, c\u2019est \u00e0 dire \u00e0 autre que \u00e0 son seigneur. L\u2019on l\u2019emmena\ntantost et fust jugi\u00e9e \u00e0 mort, mais elle s\u2019escria \u00e0 Dieu, qui tout\nsavoit, et la loyault\u00e9 d\u2019elle et de son mariaige. Et Dieu, qui n\u2019oublie\npoint voulentiers son serf, lui envoia secours et fist venir Daniel le\nproph\u00e8te, qui n\u2019avoit d\u2019age que entour cinq ans, lequel s\u2019escria et dist\nles juges d\u2019Isra\u00ebl, c\u2019est \u00e0 dire du pueple de Dieu: \u00abNe occiez pas le\nsanc juste et innocent de cest fait, et enquerrez chacun par soy, et\nleur demand\u00e9s soubz quel arbre ilz la trouv\u00e8rent.\u00bb Lors le pueple fust\nesbay de veoir si petit enffant ainsi parler. Si virent bien que\nc\u2019estoit appert miracle de Dieu. Sy firent l\u2019enqueste \u00e0 chascun par soy,\ndont l\u2019un dist que il les avoit trouvez soubz un figuier, et l\u2019autre\ndist desoubz un prunier, et ainsi furent en faiz contraires; si furent\njugiez \u00e0 mort, et quant ilz virent qu\u2019il n\u2019y avoit point de rem\u00e8de, ilz\nrecogneurent la verit\u00e9 du fait et distrent qu\u2019ilz avoient bien deservy\nla mort, et non pas elle. Et pour ce a cy bon exemple comment Dieux\ngarde ceulx qui ont en luy fiance, et qui mettent leur fait en sa main,\ncomme fist la bonne dame, qui mieulx vouloit se mettre en adventure de\nmourir que parjurer sa loy, c\u2019est assavoir enffraindre son saint\nsacrement et son loyal mariaige, et si doubtoit plus la perdicion de\nl\u2019ame et la mort pardurable que la povre vie de cest monde, dont par sa\nbont\u00e9 Dieux lui sauva le corps et l\u2019ame, comme ouy avez. Et pour ce\ntoute bonne femme doit tousjours esp\u00e9rer en Dieu, et, pour l\u2019amour de\nlui et l\u2019amour de son mariage, soy garder de perilz et ne de pechier si\ngrandement ne si vilment comme enffraindre son serement et sa bonne loy.\nDe Elizabeth, m\u00e8re saint Jehan Baptiste.\nChappitre IIIIxxXIXe.\nJe vous diray un autre exemple du nouvel Testament. C\u2019est de sainte\nElisabeth, m\u00e8re saint Jehan Baptiste. Ceste servoit premierement Dieu et\npuis son seigneur. Elle le doubtoit sur toutes femmes, et, se il vensist\nde hors et il lui feust riens mesavenu en l\u2019ostel, elle le celast et le\nfeit celer jusques \u00e0 ce qu\u2019elle veist bien son point, et puis lui deyst\nsi bel et si atrempeement \u00e0 son seigneur que jamais ne s\u2019en deust\ncorroucier. Elle convoitoit touz jours la paiz et la joie de son\nseigneur, et ainsi le doit toute bonne femme faire. Ceste sainte dame\namoit et craingnoit Dieu et portoit bonne foy \u00e0 son seigneur. Et pour ce\nDieu lui donna saint Jehan Baptiste. Et ce fust bon guerredon; car femme\nqui ayme et craint Dieu et se garde de pechiez et se tient nettement.\nDieu le lui guerredonne \u00e0 vie, et apr\u00e8s la mort \u00e0 cent doubles, comme il\nfist \u00e0 ceste sainte dame \u00e0 qui il donna biens celestieulx et biens\nterriens \u00e0 puissance, comme il fait \u00e0 ses amis qui se tiennent nettement\nen leur mariaige et qui ont bonne esperance en lui, si comme sainte\nSusanne, comme vous avez oy.\nCy commence \u00e0 parler des exemples du Nouvel Testament depuis que Dieu\nvint ou ventre de la Vierge Marie.\nEt premiers de la Magdelaine.\nChappitre Ce.\nL\u2019autre exemple est de la Magdelaine, qui espurja et nectoya ses pechiez\npar ses lermes, quant elle lava les pi\u00e9s \u00e0 Jhesucrist de ses lermes et\npuis les essuya de ses cheveulx. Celle bonne dame plouroit ses pechiez\net requeroit pardon de ses pechiez. Ce estoit amour de Dieu et crainte\nde son meffait. Et ainsi par celluy exemple le devons nous faire. Car\nnous devons plourer nos meffaitz et noz pechiez, et avoir piti\u00e9 et\nvergoingne de les avoir faiz, et venir \u00e0 confession humblement, et les\nregehir, et les dire et les racompter aussi villainement et ordement\ncomme l\u2019en les a faiz, sans rien polir ne celer. Car la crainte de Dieu\net le hardement que l\u2019en emprant de dire son meffait et son p\u00e9chi\u00e9,\ncelle vergoingne et celle honte que l\u2019en a de le dire est une grant\npartie du pardon et allegance du mesfait, et Dieu, qui voit l\u2019umilit\u00e9 et\nla reppentance, se esmuet en piti\u00e9 et eslargist sa misericorde et\npardonne, comme il fist \u00e0 saincte Marie Magdelaine, \u00e0 qui il pardonna\nses pechiez pour la grant contriccion et repentance qu\u2019elle en eust. Une\naultre rayson est pour quoy la benoiste Magdelaine doit estre lou\u00e9e; ce\nfust pour ce que elle amoit Dieu et craingnoit merveilleusement\nardamment. Car pour les grans miracles qu\u2019elle veoit qu\u2019il faisoit, et\nque il avoit resuscit\u00e9 son propre fr\u00e8re le ladre, qui bien lui avoit\ndist merveilles de par del\u00e0, et les paines, et elle veoit que il\nesconvenoit qu\u2019elle mourist et qu\u2019elle fust par del\u00e0 punye de ses\npechi\u00e9s. Quant elle pensoit en telle chose, elle estoit toute esperdue\net paoureuse. Et pour ce fust elle plus de xx. ans en un desert, en boys\net en buissons, et, quant elle eust tant jeun\u00e9 qu\u2019elle ne le povoit plus\nsouffrir selon nature, lors nostre seigneur la regarda en piti\u00e9 et li\nenvoioit chascun jour par un ange le pain du ciel, dont elle fust\nrassasi\u00e9e jusques en la fin. Et pour ce a cy bon exemple conment il fait\nbon plourer les pechi\u00e9s et soy confesser souvent et faire jeunes et\nabstinences, et amer Dieu et craindre, comme fist celle bonne\nMagdalaine, qui ama tant Dieu et ploura ses pechiez sur ses piez et des\npeulx les essuya, et souffry tant de mal et de malaise \u00e8s desers et \u00e8s\nbuissons, que Dieux si la conforta par son ange, qui chascun jour li\napportoit du pain du ciel. Et aussi fera-il \u00e0 toutes bonnes femmes, et \u00e0\ntouz ceulx qui de vray cuer ploureront leurs pechiez, et qui aymeront\nDieu et feront bonnes jeunes et bonnes abstinences, comme il fist \u00e0\nceste bonne femme.\nDe ij. bonnes dames \u00e0 mescreans.\nChappitre CIe.\nUn autre exemple je vous diray de ij. bonnes dames qui estoient femmes\nde mescreans, dont l\u2019une estoit femme au seneschal du roy Herodes.\nCelles bonnes dames suivoyent nostre seigneur et lui administroient son\nvivre. Si est bon exemple que toute bonne femme, bien qu\u2019elle ait divers\nou mauvais seigneur, ne doit pas pour tant laissier \u00e0 servir Dieu et lui\nobeir, ain\u00e7ois doit estre trop plus humble et devote pour empetrer grace\nde Dieu pour elle et pour son mary. Car le bien que elle fait amendrist\nle mal de lui et adoulcist l\u2019ire de Dieu et leur garde leur bien et leur\nchevance. Car le bien que elle fait soubzporte son mal, si comme il est\ncontenu ou livre de la vie des p\u00e8res, l\u00e0 o\u00f9 il parle d\u2019un mal homme et\ntirant, qui par iij. foiz fust sauv\u00e9 de villaine mort pour la bont\u00e9 de\nsa femme, dont il advint que, quant elle fut morte, il n\u2019avoit plus qui\npriast Dieu pour lui et par ses grans pechiez, le roy du pays le fist\nmourir de male mort. Et pour ce est bonne chose et necessaire \u00e0 mauvais\nhomme d\u2019avoir bonne femme et de sainte vie, et, de tant comme la femme\nsent son seigneur plus divers ou pecheur ou de male conscience, de tant\na-elle plus grant mestier de faire plus grans abstinences et plus de\nbiens pour Dieu. Car, se l\u2019un ne portoit l\u2019autre, c\u2019est-\u00e0-dire le bien\nle mal, tout besilleroit ou yroit \u00e0 perdicion. Et encores vous dis-je\nque l\u2019obeyssance de Dieu et la crainte fut premier establie que\nmariaige; car l\u2019en doit premier obeir au createur, qui les a faiz \u00e0 sa\nsainte ymaige et qui leur puet donner grace d\u2019estre sauv\u00e9s ou perdus. Et\nainsi la loy commande que l\u2019en ne doit pas tant obeir au corps ne estre\nen l\u2019obeyssance de son seigneur que l\u2019en ne obeisse premier au prouffit\nde l\u2019ame, qui est un bien pardurable. Et dit la glose que toute bonne\nfemme doit premi\u00e8rement tirer au bien de l\u2019ame de son seigneur et puis\nau service du corps. Car le bien de l\u2019ame n\u2019a pareil, et, se l\u2019ame a\nbien, elle et ses enffans jouyront paisiblement et beneurement des biens\ndu mort, et, se l\u2019ame a tribulacion, aussi au contraire. Et ceste chose\nest vraye et esprouv\u00e9e, comme il est contenu en plusieurs lieus en la\nsainte escripture, et pour ce fait bien adviser son seigneur de faire\nbien et le destourber de faire mal \u00e0 son povoir. Car ainsi le doit faire\ntoute bonne femme.\nCy parle de sainte Marthe, suer \u00e0 la Magdelaine.\nChappitre CIIe.\nL\u2019autre exemple est de Marthe la suer \u00e0 la Magdelaine. Celle bonne dame\nestoit touz jours coustumi\u00e8re de herbergier les proph\u00e8tes et les sergens\nde Dieu qui preschoient et enseignoient la loy, et estoit moult grant\naumosni\u00e8re \u00e8s povres, et, pour la sainte vie d\u2019elle, vint le doulx\nJhesucrist soy herbergier chiez elle. Celle fust qui se plaigny \u00e0\nJhesucrist que sa suer Marie ne lui venoit point aydier \u00e0 faire et\nappareiller \u00e0 mengier; mais nostre seigneur lui respondit moult\nhumblement et dist que Marie avoit esleu le meilleur service. Ce estoit\npour ce que elle plouroit ses pechiez et cryoit mercy en son cuer\nhumblement. Et le doulz roy lui dist verit\u00e9, car il n\u2019est service que\nDieu ayme tant comme crier mercy et soy repentir de son pechi\u00e9 et se\nretourner de son meffait. Ceste sainte Marthe fist bon service \u00e0\nosteller Jhesucrist et ses appostres et les repestre de viandes, de si\ngrant devocion et de franc cuer comme elle le faisoit; car Dieu fit\nmoult de miracles pour elle en sa vie et vint en son trespassement la\nconforter et querre la saincte ame d\u2019elle. Ce fust bon guerredon. Si\ndoit toute bonne femme y prendre bonne exemple, et comment il fait bon\nherbergier les sergens de Dieu, les prescheurs et ceulx qui enseignent\nla foy et le bien du mal, et aussi herbergier les pelerins et les povres\nde Dieu, si comme Dieu le tesmoingne en la sainte euvangille, qui dist\nqu\u2019il demandera au grant jour espoventable, c\u2019est au jour du jugement,\ncomment l\u2019en aura visit\u00e9 les malades et re\u00e7eu et herbergi\u00e9 ses povres au\nnom de lui, et conviendra rendre compte des habondances des biens\nterriens que il aura donnez et comment l\u2019en les aura employ\u00e9s et\ndepartis du plus au moins, c\u2019est-\u00e0-dire aux povres souffreteux. Et pour\nce est moult nobles vertus de herbergier les pelerins, les povres et les\nsergens de Dieu; car tout bien si en puet venir, car Dieu paye le grand\nescot et rent \u00e0 cent doubles, dont il dist en l\u2019euvangille: Qui re\u00e7oit\nles proph\u00e8tes et les prescheurs et les povres, il re\u00e7oit Dieu lui-mesme;\ncar ce sont les messagiers qui portent et ennuncent verit\u00e9.\nCy parle des bonnes dames qui plouroient apr\u00e8s Nostre Seigneur quant il\nportoit la croix.\nChappitre CIIIe.\nL\u2019autre exemple est des bonnes dames qui plouroient apr\u00e8s nostre\nseigneur quant il portoit la croiz sur ses epaules pour y transir la\nmort de sa voulent\u00e9 pour nos pecheurs raimbre. Celles bonnes dames\nestoient de bonne vie et avoient les cuers doulx et piteux, et Dieu se\ntourna devers elle et les conforta en disant: \u00abMes filles, ne plourez\npas sur moy, mais pleurez sur les douleurs qui \u00e0 venir sont\u00bb, et leur\nmonstra le mal qui puis avint au pays, si comme vous le trouverez en\nlivre que j\u2019ay fait \u00e0 voz fr\u00e8res. Celles bonnes dames, qui eurent piti\u00e9\nde la douleur que les en faisoit souffrir \u00e0 nostre seigneur, ne\nservirent par leurs lermes ne leurs pleurs. Car depuis Dieu les en\nguerredonna moult haultement. Et pour ce a cy bon exemple comment toute\nbonne femme doit avoir piti\u00e9 du mal que l\u2019en fait aux povres gens qui\nsont servans et ouailles de Dieu et representans sa personne, si comme\nil dit en l\u2019euvangile: Qui a piti\u00e9 du povre il a piti\u00e9 de lui, et le\nbien que l\u2019en lui fait il est fait \u00e0 lui. Et encore dist plus, que les\npiteables auront mercy, c\u2019est assavoir que il aura mercy d\u2019eulx, dont le\nsaige dit que femme de sa nature doit estre plus doulce et plus piteuse\nque l\u2019omme. Car l\u2019omme doit estre plus dur et de plus hault couraige. Et\npour ce celles qui n\u2019ont le cuer doux et piteux sont hommaux,\nc\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019il y a trop de l\u2019omme. Encore le saige dist en la\nsapience que femme de bonne nature ne doit point estre chiche de ce de\nquoy elle a grant marchi\u00e9, c\u2019est assavoir de lerme de humble cuer qui a\npiti\u00e9 de ses povres parens \u00e0 qui elle voit avoir besoing et de ses\npovres voisins, si comme avoit une bonne dame qui fust comtesse d\u2019Anjou,\nlaquelle fonda l\u2019abbaye de Bourgueil et y est enterr\u00e9e, et dit l\u2019en que\nelle est encores en sanc et en char. Celle bonne dame, l\u00e0 o\u00f9 elle savoit\nde ses povres parens qui ne povoient honestement avoir leur estat, elle\nleur donnoit, et marioit ses povres parentes et leur faisoit moult de\nbien. Apr\u00e8s, l\u00e0 o\u00f9 elle savoit povres gentilz femmes pucelles qui\nestoient de bonne renomm\u00e9e, elle les avan\u00e7oit et les marioit; elle\nfaisoit enquerre les povres mesnaigers par les paroisses, et leur\ndonnoit; elle avoit piti\u00e9 des povres femmes en g\u00e9sines et les aloit\nveoir et repestre; elle avoit ses fisiciens et cirurgiens \u00e0 gu\u00e9rir pour\nDieu toute mani\u00e8re de gens, et par esp\u00e9cial les povres qui ne avoient de\nquoi payer. Elle avoit piti\u00e9 du mehaing du povre, dont l\u2019en dit que,\nquant l\u2019en li bailloit son livre ou ses gans, que aucune foiz ilz se\ntenoient en l\u2019air tout par eux et moult d\u2019autres signes que Dieu\ndemonstroit pour elle. Et pour ce toute bonne femme y doit prendre bon\nexemple et ainsi avoir piti\u00e9 l\u2019un de l\u2019autre, et penser que Dieu donne\nles biens pour l\u2019en recongnoistre et avoir piti\u00e9 des povres. Sy vous\nlaisse de ces bonnes dames et de cette mati\u00e8re; car je y reviendray\narri\u00e8re et vous parleray d\u2019un autre exemple.\nDu pechi\u00e9 de yre.\nChappitre CIIIIe.\nMes chi\u00e8res filles, gardez-vous bien que le p\u00e9chi\u00e9 de yre ne vous\npreigne; car Dieux dit en la sainte euvangille que l\u2019en doit pardonner \u00e0\nceulx qui ont mesprins et meffait, si humblement que, se on est feru de\nson prouchain, c\u2019est de son fr\u00e8re crestien, sur une joe, il doit tendre\nl\u2019autre joe pour soy laissier referir, avant que soy laissier revengier;\ncar prendre vengence n\u2019est nulle merite, mais est le contraire de la vie\nde l\u2019ame. Encores dist nostre seigneur que, se l\u2019en a nulle rancune \u00e0\nnullui et l\u2019en viengne offrir \u00e0 son autel, que l\u2019en se retourne et\ns\u2019accorde \u00e0 son prouchain et lui pardonner, car apr\u00e8s le pardon puet\nvenir seurement faire son offrande, et Dieu le recevra; car il ne vieult\navoir offrande ne ouir oroyson de homme ne de femme qui soit en p\u00e9chi\u00e9\nde ire ne en courroux, comment Dieu, qui fist la paternostre, qui dist\nen adourant Dieu le p\u00e8re en entencion du pueple que Dieu pardonnast\ncomme il pardonnoit, c\u2019est quand on dit: \u00ab_Et dimitte nobis debita\nnostra_, etc.\u00bb, dont il advient, si comme dient les grans clers, que\nceulx qui haient autruy et sont en rancune et ilz dient la paternostre,\nilz la dient plus contre eulx que pour eulx. Et sur ce fait, je vous\ndiray un exemple d\u2019une grant bourgoise, comme j\u2019ay oy raconter \u00e0 un\npreschement. Celle bourgoise estoit moult riche, pris\u00e9e et charitable,\net avoit moult de grans signes d\u2019estre bonne crestienne. Et tant advint\nque elle fut au lit de la mort; sy vint son cur\u00e9, qui \u00e0 merveilles\nestoit saint homme et preudomme, et si la confessa, et, quant vint sur\nle p\u00e9chi\u00e9 de yre, il lui dist qu\u2019elle pardonnast de bon cuer \u00e0 tous\nceulz qui meffait lui avoyent, et, quant \u00e0 cellui article, elle respondy\nque une femme sa voisine lui avoit tant meffait que elle ne lui pourroit\npardonner de bon cuer. Lors le sainct homme la commen\u00e7a \u00e0 traire de\nbelles paroles et de beaux exemples, comment Jhesucrist avoit pardonn\u00e9\nsa mort moult humblement, et aussi lui compta comment le filz d\u2019un\nchevalier, \u00e0 qui l\u2019en avoit occis son p\u00e8re, que un saint hermite\nconfessoit, et, quant vint \u00e0 cellui de yre, il dist comment il ne\npourroit pardonner \u00e0 cellui qui avoit occis son p\u00e8re, et le preudomme\nlui monstra comment Dieu avoit pardonn\u00e9 et moult d\u2019autres exemples moult\nbons et nottables, et tant lui dist et monstra que cellui enffant\npardonna la mort de son p\u00e8re de bon cuer, tellement que, quant l\u2019enffant\nrevint s\u2019agenoullier devant le crucefiz, le crucefiz s\u2019inclina vers lui,\net dist une voiz: \u00abPour ce que tu as pardonn\u00e9 humblement et pour l\u2019amour\nde moy, je te pardonne tous tes meffaiz et auras grace de parvenir \u00e0 moy\nen la celestielle joye.\u00bb Et ainsi monstra cellui cur\u00e9 ceste exemple et\npluseurs autres \u00e0 la bourgoise; mais oncques, pour exemple ne pour\nadmonestement que il lui deist, elle ne lui voult pardonner de bon cuer,\nains morut en cellui estat, dont il advint que, en celle nuitt\u00e9e, il\nsembloit par advision \u00e0 cellui chapellain, qui confess\u00e9 l\u2019avoit, que il\nv\u00e9oit l\u2019ennemi qui emportoit l\u2019ame, et v\u00e9oit un gros crapaut sur le cuer\nd\u2019elle. Et, quant vint au matin, l\u2019en lui dist qu\u2019elle estoit morte, et\nvindrent ses enffans et ses parens pour lui parler de son enterrement,\net qu\u2019elle feust mise en l\u2019eglise. Mais le chappelain respondit qu\u2019elle\nn\u2019y seroit point mise ne enterr\u00e9e en terre benoiste, pour ce qu\u2019elle\nn\u2019avoit oncques voulu pardonner \u00e0 sa voisine, et qu\u2019elle estoit morte en\npechi\u00e9 mortel, dont les amis d\u2019elle estriv\u00e8rent moult \u00e0 lui et le\nmenaci\u00e8rent, et lors il leur dit: \u00abBeaulx seigneurs, faites-la ouvrir et\nvous trouverez un gros crapaut dedens son cuer, et, se il n\u2019est ainsi\ncomme je dy, je vueil que elle soit mise en terre benoiste.\u00bb Lors ils\nparl\u00e8rent ensemble et ne s\u2019en firent que bourder et dirent que ce ne\npovoit estre, et que hardiement elle fust ouverte pour eulx mieulx\nmocquier de lui et pour le approuver men\u00e7ongier. Lors ils la firent\nouvrir et trouv\u00e8rent un gros crapaut sur son cuer moult hideux. Lors le\nsaint chappellain prinst l\u2019estole et la croiz et conjura cellui crapaut,\net lui demanda pourquoy il estoit l\u00e0 et qui il estoit. Et cellui crapaut\nrespondist que \u00abil estoit un ennemy qui par l\u2019espace de xxv ans l\u2019avoit\ntempt\u00e9e, et par especial un pechi\u00e9 o\u00f9 il avoit trop plus trouv\u00e9 son\navantaige, c\u2019estoit un pechi\u00e9 de yre et de courroux; car d\u00e8s cellui\ntemps avoit si grant jalousie et si grant courroux avecques une sienne\nvoisine que jamais \u00e0 nul jour ne lui pardonnast; car je y mis telle yre\nque jamais ne la regardast de bon oeil, et l\u2019autre jour, quant tu la\nconfessoies, je estoie sur son cuer \u00e0 iiij piez et le tenoie si enclav\u00e9\net eschauff\u00e9 du pechi\u00e9 de yre qu\u2019elle ne povoit avoir nulle voulent\u00e9 de\npardonner, et toutevoies fut-il heure que je eus paour que tu ne la me\ntollisses, et que tu la convertisses par tes preschements, et toutesfoiz\nje en euz la victoire tellement qu\u2019elle est nostre et en nostre\nseignourie \u00e0 touz jours mais.\u00bb Et, quant tous ouirent dire ces parolles,\nsy furent moult esmerveillez et n\u2019os\u00e8rent plus parler de la mettre en\nterre benoiste, et n\u2019y fust point mise. Sy a cy moult belle exemple\ncomment l\u2019en doit pardonner l\u2019un \u00e0 l\u2019autre; car qui ne pardonne de bon\ncuer, Dieu \u00e0 paines le pardonra, et en pourroit bien prendre comme il\nprint \u00e0 la bourgoise dont ouy avez.\nComment toutes femmes doivent venir \u00e0 leurs amis en l\u2019estat o\u00f9 elles\nsont.\nChappitre CVe.\nDont je vous diray un exemple. Il fust un chevalier moult bon homme et\npreudomme qui aloit aux voyages oultre mer et ailleurs. Sy avoit ij.\nniepces qu\u2019il avoit nouries et mari\u00e9s, lesquelles il amoit moult \u00e0\nmerveilles. Sy leur achepta en son venant de son voyaige \u00e0 chascune une\nbonne robe courte et de bonnes pennes \u00e0 les cointier. Sy arriva bien\ntost chiez l\u2019une de elles et hucha et demanda sa niepce, et lui fist\ndire qu\u2019il la venoit veoir. Celle se bouta en sa chambre et se fist\nenfermer pour nettoier sa robe et pour soy cointoyer, et luy manda\nqu\u2019elle vendroit tantost \u00e0 lui. Le chevalier attendist une pi\u00e8ce, et\ntant que il li ennoya et dist: \u00abMa niepce ne vendra pas.\u00bb Et ilz lui\nrespondirent que elle vendroit tantost et qu\u2019il ne lui ennuiast, et\nainsi lui manda; dont le chevalier eust desdain de quoy elle tardoit\ntant, pour ce que il y avoit si longtemps que elle ne l\u2019avoit veu. Sy\nmonta sur son cheval et s\u2019en ala sans la veoir, et vint veoir son autre\nniepce, et, d\u00e8s ce que il hucha et que celle sceust que ce estoit son\noncle, qui loing temps avoit est\u00e9 hors, celle par son esbat se estoit\nprise \u00e0 faire pain de fourment et avoit les mains toutes pasteuses; mais\nen l\u2019estat o\u00f9 elle estoit saillist au dehors, les bras tenduz, et lui\ndist: \u00abMon tr\u00e8s chier seigneur et oncle, en l\u2019estat o\u00f9 je ouy nouvelles\nde vous je vous sui venue vous veoir. Si me le pardonnez; car la grant\njoye que j\u2019ay de vostre venue le m\u2019a fait faire.\u00bb Le chevalier resgarda\nla mani\u00e8re et en eut grant joye, et l\u2019ama et prisa moult plus que\nl\u2019autre, et lui donna les ij. robes que il avoit achet\u00e9es pour elle et\npour sa suer. Et ainsi ceste qui vint lieement en l\u2019estat o\u00f9 elle estoit\nau devant de son oncle, elle gaingna les ij. paires de robes, et l\u2019autre\nqui tarda pour soy cointier les perdy. Et pour ce celle qui vint au\ndevant de son oncle en l\u2019estat o\u00f9 elle estoit, quant elle l\u2019eust men\u00e9 en\nsa chambre, elle s\u2019ala cointoier, et puis lui dist: \u00abMon seigneur mon\noncle, je me suis al\u00e9e cointoier pour vous servir plus honnestement.\u00bb Et\nainsi elle gaingna la grace et l\u2019amour de son seigneur oncle et l\u2019autre\nla perdist. Si a cy bon exemple comment l\u2019en doit venir lieement en\nl\u2019estat o\u00f9 l\u2019en est en la venue de ses amis et de ses parens pour leur\nmonstrer plus grant amour. Et aussi je vouldroye que vous sceussiez\ncomment une baronnesse moult bonne dame ne se vouloit vestir par chascun\njour ne d\u2019atour, ne de bonnes robes. Ses gens lui disoient: \u00abMadame,\ncomment ne vous tenez-vous plus cointe et mieulx par\u00e9e?\u00bb Et elle leur\nrespondit: \u00abSe je me tenoie chascun jour cointe et par\u00e9e, de combien\npourroye-je amender \u00e8s festes, et aussi quant les grans seigneurs me\nvendroient veoir? car quant je me vouldroye bien cointier, je vous\nsemble plus belle qu\u2019\u00e0 chascun jour.\u00bb Sy ne prise riens celle qui ne se\nscet amender quant il en est lieu et temps; car chose commune n\u2019est\npoint pris\u00e9e.\nCy parle de piti\u00e9.\nChappitre CVIe.\nJe vouldroie que vous sceussiez l\u2019exemple d\u2019un chevalier qui se combaty\npour une pucelle. Il fust en la court d\u2019un grant seigneur un faulx\nchevalier qui pria de folle amour une pucelle; mais elle n\u2019en voulst\nriens faire pour lui, pour don ne pour promesse, ains voulst garder sa\nchair nettement. Et quant cellui vit ce, si lui dist que il luy nuyroit.\nSi enpoisonna une pomme et la luy bailla pour donner au filz de leans,\nqu\u2019elle portoit entre ses bras, dont elle la lui donna et en mourut le\nfilz. Si dist le faulx chevalier que la pucelle avoit eu salaire des\nhoirs de l\u2019enffant pour le faire mourir. Sy fust la pucelle mise en la\nchemise pour estre geti\u00e9e au feu; si plouroit et se guermentoit \u00e0 Dieu\ncomment elle n\u2019y avoit coulpe et que ce estoit le faulx chevallier qui\nla pomme lui avoit baill\u00e9e. Mais il le deffendit, et elle ne trouvoit\nqui pour le combatre se voulsist offrir, tant estoit fort et redoubt\u00e9 en\narmes. Dont il advint que Dieu, qui pas ne oublie voulentiers la clameur\ndu juste, si eust piti\u00e9 de elle, et, comme il lui pleust, il advint que\nun chevalier, qui avoit nom Patrides, qui moult estoit franc chevalier\net piteux, arriva ainsi comme l\u2019on vouloit alumer le feu pour l\u2019ardoir.\nLe chevalier, qui regarda la pucelle qui plouroit et se doulousoit \u00e0\nDieu, en eust piti\u00e9 et lui demanda la verit\u00e9 du fait; et celle li dist\ncomment il en estoit al\u00e9 de point en point, et aussi le plus\ntesmoingn\u00e8rent pour elle. Lors le bon chevalier fust esmeu en piti\u00e9 et\ngetta son gaige pour la deffendre contre cellui faulx chevalier. Sy fust\nla bataille forte et moult dure, et en la fin le faulx chevalier fut\ndesconfit et la demoiselle sauv\u00e9e, tant qu\u2019il congneust la trayson, et\nfut faicte justice de lui. Si advint que le bon chevalier eust v. plaies\nmortelles, et, quant il fust desarm\u00e9, il envoya sa chemise, qui estoit\nperc\u00e9e en v. lieux, \u00e0 la pucelle, laquelle garda la chemise toute sa vie\net prioit chascun jour pour le chevalier qui telle douleur avoit\nsoufferte pour elle. Et ainsi pour piti\u00e9 et franchise se combatist le\ngentil chevalier, qui en eut v. plaies mortels, tout aussi comme fist le\ndoulx Jhesucrist qui se combatit pour la piti\u00e9 que il avoit de nous et\nde l\u2019umain lignage qu\u2019il lui faisoit piti\u00e9 de le veoir \u00e8s ten\u00e8bres\nd\u2019enffer, et pour ce en souffrist la bataille moult cruelle et moult\npenible ou fust de l\u2019arbre de la sainte croix, et fust perc\u00e9e sa chemise\nen v. lieux, ce furent ses v. douleuses plaies qu\u2019il receust de son\ndebonnaire plaisir et franc cueur pour la piti\u00e9 que nous lui faisons. Et\naussi doit tout homme et femme avoir piti\u00e9 des douleurs et des mis\u00e8res\nde ses parens, de ses voysins et des povres, tout aussi comme eust le\nbon chevalier de la pucelle, et en pleurer tendrement, comme firent les\nbonnes dames qui plorerent apr\u00e8s le doulx Jhesucrist quant il portoit la\ncroix pour y estre crucefi\u00e9 et mis \u00e0 mort pour nos pechiez.\nDes iij. Maries.\nChappitre CVIIe.\nL\u2019autre exemple est des iij. Maries qui vindrent le bien matin de\nPasques pour cuidier oindre nostre Seigneur. Elles avoient fait faire\nmoult precieux oingnemens et de grans coustz, et avoient grant devocion\nde servir Dieu \u00e0 vie et \u00e0 mort, ardans toutes en l\u2019amour de Dieu. Et l\u00e0\nelles trouv\u00e8rent l\u2019ange qui leur annon\u00e7a et dist qu\u2019il estoit resuscit\u00e9,\ndont elles eurent moult grant joye, et de la grant joye que elles en\norent elles coururent le dire aux appostres. Cestes bonnes dames\nveill\u00e8rent moult pour faire f\u00e8re les precieux oingnements, et furent\nlev\u00e9es d\u00e8s l\u2019aube du jour pour cuidier venir faire leur service. Et pour\nce a cy bon exemple comment toutes bonnes femmes, soyent mari\u00e9es ou de\nreligion, doivent estre curieuses et diligens, et esveill\u00e9es ou service\nde Dieu, celles qui faire le pueent; car elles en seront reguerdonn\u00e9es \u00e0\ncent doubles, comme furent les troix bonnes dames, que Dieux a moult\nessauc\u00e9es. L\u2019en list \u00e8s croniques de Romme que, quant l\u2019empereur Neron\net autres tyrans de la sainte foy faisoient martirer les sains et les\nsaintes, comme il est contenu en leurs legendes, que les bonnes dames de\nla ville embloient les sains corps, et les ensevelissoient et les\nenterroient, et leur faisoient le plus de bien et d\u2019amour qu\u2019ilz\npovoient. Apr\u00e8s celles aloient o\u00efr les matines et les messes et le\nservice de Dieu, dont l\u2019en trouve que \u00e0 cellui temps eust moult de\ncharitables et saintes femmes \u00e0 Romme et ailleurs, dont je pense que\naujourdui la charit\u00e9 et le saint service des femmes est bien cler sem\u00e9\nen cest monde, et en y a moult qui ont plus le cuer au si\u00e8cle pour obeir\net plaire au monde que \u00e0 Dieu; car elles sont bien esveill\u00e9es pour elles\ncointier, pour avoir le plus des regars des musars, dont, se elles\nmeissent aussy grant paine de venir o\u00efr le service de Dieu et dire\ndevotement, sans penser ailleurs, leurs heures, comme elles mettent\ngrant paine \u00e0 elles pignier et en leurs cointises, et \u00e0 escouter les\njangles des folz, elles feissent le meilleur; car l\u2019un service est rendu\n\u00e0 cent doubles, comme Dieu le dit de sa sainte bouche, et l\u2019autre\nservice, qui est \u00e0 sa desplaisance, c\u2019est le delit du corps, est pugni \u00e0\ncent doubles tout au contraire.\nCy parle du saige.\nChappitre CVIIIe.\nPour ce dit le saige en un prouverbe que, quant les dames furent lev\u00e9es,\npingn\u00e9es, adourn\u00e9es et mir\u00e9es, les croix et les processions s\u2019en furent\nal\u00e9es et les messes chant\u00e9es; c\u2019est tout aussy comme Dieu parla en\nl\u2019euvangille des cinq saintes vierges qui furent curieuses et esveill\u00e9es\net garnies de huille et de lumi\u00e8re en leurs lampes, et, quant l\u2019espoux\nfust venu, elles entr\u00e8rent avecques lui en la grant joye du chastel et\ntrouv\u00e8rent les portes ouvertes. Mais les autres cinq vierges, qui se\nestoient endormies et ne s\u2019estoient point garnies de huille et de\nluminaire en leurs lampes, quant elles vindrent, si trouv\u00e8rent les\nportes ferm\u00e9es, et quant elles demand\u00e8rent de l\u2019uille, l\u2019en leur dist:\n_Nescio vos_, c\u2019est-\u00e0-dire que elles n\u2019en auroient point, car elles\nestoient venues trop tart. Dont je doubte que \u00e0 cest exemple il en y a\npar le monde de moult endormies et pareceuses du service de Dieu fayre\net o\u00efr, et desgarnies de ce qui appartient \u00e0 leur sauvement, c\u2019est de\nfaire bonnes et saintes \u0153uvres et de la grace de Dieu avoir. Et me\ndoubte que se elles se tardent \u00e0 elles amender devant leur fin, de\nlaquelle fin elles ne scevent l\u2019eure ne le jour, que elles trouveront la\nporte close. Et l\u2019en leur dira comme l\u2019en fist aux cinq foles qui se\nestoient endormies: _Nescio vos_. Lors ne sera mie temps de soy\nrepentir, ains seront moult esbahies quant elles se verront departies de\nDieu et des bonnes, et mener ou chemin d\u2019enffer en l\u2019orde compaignie et\nen la cruelle paine et doleur continuelle, qui jamais n\u2019ara fin ne joye,\nne repos, helas! tant seront chier vendues les cointises, les foles\nplaisances et les faulx delis dont l\u2019en aura us\u00e9 pour plaire \u00e0 la folle\nchair et au monde. Ainsi et par celle voye yront les mauvaises femmes,\net les bonnes au contraire; car elles yront avec l\u2019espoux, c\u2019est\navecques Dieu leur createur, et trouveront la porte ouverte pour entrer\nen la grant joye, pour ce que elles auront estez esveill\u00e9es et curieuses\n\u00e0 leurs lampes et \u00e0 leurs luminaires pour attendre l\u2019eure de l\u2019espoux,\nc\u2019est-\u00e0-dire que elles auront fait les saintes \u0153uvres et auront veill\u00e9\npour attendre l\u2019eure de la mort, et ne se seront pas endormies en pechi\u00e9\nne en ordure, ain\u00e7ois se seront tenues nettes et souvent confess\u00e9es et\ngard\u00e9es de pechi\u00e9 \u00e0 leur povoir, et auront am\u00e9 Dieu et craint; car qui\nl\u2019aime et craint, il se garde nettement et het pechi\u00e9 \u00e0 faire; car\npechi\u00e9 est le desplaisir de Dieu. Cestes cy seront les bonnes de quoy\nDieu parla en l\u2019euvangille, comme ouy avez.\nCy parle de Nostre Dame.\nChappitre CIXe.\nApr\u00e8s vous parleray de une qui n\u2019a point de pareille, c\u2019est de la\nbenoiste glorieuse vierge Marye, m\u00e8re du sauveur du monde. Ceste cy est\nsy haulte exemplaire que nul ne la puest descripre, tant y a de bien et\nde bont\u00e9, et la haultesse de son chier filz l\u2019exaulce et esli\u00e8ve son\nbien de jour en jour. Car par la renomm\u00e9e du filz croist la renomm\u00e9e de\nla m\u00e8re. Ceste doulce vierge honnoura plus et craingnist son filz que\nnulle autre m\u00e8re, pour ce que elle s\u00e7avoit bien dont il estoit venu;\nelle fust chambre et temple de Dieu o\u00f9 furent faictes les espousailles\nde la deit\u00e9 et de l\u2019umanit\u00e9, qui apporta la vie et le saint sauvement du\nmonde. Dieux voulst que elle espousast le saint homme Joseph, qui estoit\nvieulx et preudomme; car Dieu voulst naistre soubz umbre de mariage pour\nobeir \u00e0 la loy qui lors couroit, pour eschever les paroles du monde, et\npour luy bailler compaignie \u00e0 la gouverner, et pour la mener en Egypte,\ndont il avint que, quant Joseph apperceust que elle feust grosse, il la\ncuida laissier, et lui dist que il savoit bien que ce n\u2019estoit pas de\nlui. Mais en celle nuit Nostre Seigneur lui envoya son saint ange\nvisiblement, qui lui dist que il ne se esmaiast pas et que la groisse\nestoit du Saint-Esperit, pour le sauvement du monde, et lors il en eust\ngrant joye et se pena trop plus de la honnourer que devant; car il\nsavoit bien par le dist des proph\u00e8tes que le filz de Dieu devoit venir\nen une vierge qui auroit nom Marie. Sy en mercya Dieu moult humblement\nde la grant honneur qu\u2019il lui avoit faite de lui avoir daingn\u00e9 donner sa\ndoulce m\u00e8re \u00e0 la gouverner et de la veoir \u00e0 ses yeulx. Et aussy la bonne\nvierge lui portoit honneur et obeissance, dont l\u2019escripture l\u2019en loe\nmoult. Apr\u00e8s elle est lo\u00e9e de ce que l\u2019ange la trouva seule ou temple, \u00e0\ngenoulx en pri\u00e8res et en oroysons, et ainsi doit estre toute bonne dame\nen devocion et ou service de Dieu. Apr\u00e8s la loe l\u2019escripture de ce\nqu\u2019elle se craignoit, et en ot un pou de paour quant l\u2019ange la saluoit,\net demanda comment ce pourroit estre qu\u2019elle conceust enffant, elle qui\noncques n\u2019avoit congneu homme charnellement, et li ange l\u2019asseura et luy\ndist que elle n\u2019eust pas paour et ne se esmerveillast pas; car il seroit\ndu Saint-Esperit, et que nulle chose n\u2019estoit impossible \u00e0 Dieu,\nc\u2019estoit \u00e0 dire que Dieu povoit faire tout \u00e0 son plaisir; et mesmement\nsa cousine Elizabeth estoit enceinte bien avoit vj. mois, qui estoit\nbrahaigne et pass\u00e9 aage. Et lors, quant l\u2019ange lui eut ce dist, elle se\nasseura et lui dist: \u00abVeez-cy la chambri\u00e8re de Dieu; soit fait selon ta\nparolle.\u00bb Car elle voulst premierement s\u00e7avoir comment ce seroit. Mais\nainsi ne fist mie Eve, car elle estoit de trop legier couraige, comme\nfont aujourdui maintes simples femmes qui croyent de legier les folz,\ndont depuis elles viennent \u00e0 la folie. Elles ne enqui\u00e8rent mie ne ne\nregardent \u00e0 la fin o\u00f9 elles en vendront, comme fist la glorieuse vierge\nMarie, qui enquist \u00e0 l\u2019ange la fin du fait que il luy anon\u00e7oit, et en\nfust paoureuse, et ainsi doivent faire les bonnes femmes et les bonnes\ndames, quant l\u2019en leur parle de juennesse ou de chose qui puisse venir\nau deshonneur de elles.\nDe l\u2019umilit\u00e9 Nostre Dame.\nChappitre CXe.\nApr\u00e8s la loue l\u2019escripture de son humilit\u00e9; car, quant l\u2019ange lui dist\nque elle seroit m\u00e8re du filz de Dieu, duquel le r\u00e8gne n\u2019auroit fin, elle\nne s\u2019en orgueillist pas, ain\u00e7ois dist que elle estoit la chamberi\u00e8re de\nDieu et que il en feust \u00e0 son plaisir. Sy pleust moult \u00e0 Dieu, tant que\nil se humilia encore plus comme descendre du ciel et daingnier prendre\nen son ventre virginal humanit\u00e9 et devenir enffant. Pour ce a cy bon\nexemple comment toute femme se doit humilier vers Dieu et vers son\nseigneur et vers le monde. Car Dieu dist: Qui plus se humiliera et se\ntendra moindre, sera plus hault essauci\u00e9 et une foiz honnour\u00e9. Et pour\ncertain Dieu et les anges ayment plus humilit\u00e9 que vertus qui soit. Car\nhumilit\u00e9 se combast contre orgueil, qui est le pechi\u00e9 que Dieu plus het,\ndont les mauvais anges cheirent du ciel. Et pour ce doit toute noble\nfemme soy humilier et estre courtoise au grant et au petit, et prendre\nexemple \u00e0 la vierge Marie, qui s\u2019appella chamberi\u00e8re de Dieu. Apr\u00e8s\nl\u2019escripture la loe de sa courtoisie et de sa bonne nature, quant elle\nala visiter sa cousine sainte Elizabeth et la vouloit servir; et\nl\u2019enfant de la sainte, ce fust saint Jehan Baptiste, s\u2019esjoist ou ventre\nde sa m\u00e8re tant que, par la grace du saint esprit, sainte Elisabeth se\nescria que beneist feust son ventre et que elle estoit benoiste sur\ntoutes femmes, et que ce n\u2019estoit pas rayson que la m\u00e8re du filz de Dieu\nvensist veoir si povre femme comme elle. Ainsi se humili\u00e8rent l\u2019une\ncousine envers l\u2019autre. Et pour ce a cy bonne exemple conment les unes\nparentes, cousines et voisines, doivent visiter l\u2019une l\u2019autre en leurs\ngesines et leurs maladies, et se humilier les unes envers les autres,\ncomme firent ces ij. saintes dames, comme oy avez, et non pas dire comme\nfont aucunes, qui, de leur grant cuer felon et orgueilleux, disent:\nAvoy, je suis la plus noble, la plus gentil femme ou la plus grant\nmaistresce; elle me vendra la premi\u00e8re veoir. Ou auront envie d\u2019aler les\npremi\u00e8res et avoir le plus de la vaine gloire du monde; tant que\nplusieurs en ont tous les cuers enffl\u00e9s d\u2019envye et d\u2019orgueil par telle\nguise que, quant elles ne sont mises les premi\u00e8res aux festes et aux\nassembl\u00e9es, elles en perdent le mengier et le boire, tant elles sont\nenvieuses et despiteuses, ha, Dieux! tant elles pensent peu en la\ncourtoysie et humilit\u00e9 de ces ij. saintes dames et en ce que Dieu en\ndist en l\u2019Euvangille, comme ouy avez, que les plus humbles seront les\nplus hault exaulciez. Helas, comme celles foles envies de aler les\npremi\u00e8res et de elles prisier le plus leur seront une foys reprouchi\u00e9es\net chi\u00e8res vendues, et sy en rendront compte. Dont la bonne royne Hester\nen parle, disant que, de tant comme une femme est de plus grant lieu ou\ngreigneur maistresce, elle doit estre plus humble et plus courtoise, et\nde tant emporte elle plus de aventaige, et d\u2019honneur et de louenge de\ntouz; car les petiz se tiennent honorez quant les grans leur font bonne\nchi\u00e8re, et que ilz parlent bel \u00e0 eulx, et en rapportent plus grans\nlouenges et s\u2019en louent \u00e0 tous, et pour ce n\u2019est-il si humble ne sy\ngracieuse vertus \u00e0 toute bonne haulte dame ne jeune femme comme de estre\nhumble et courtoise au grant et au petit et soy humilier et visiter les\npovres et leur parens et lignaiges, comme la royne du ciel ala visiter\nsa cousine et comme se humili\u00e8rent l\u2019un envers l\u2019autre.\nDe la piti\u00e9 et benignit\u00e9 de Nostre Dame.\nChappitre CXIe.\nApr\u00e8s l\u2019escripture la loue en ce qu\u2019elle fut en Galil\u00e9e en nopces et\neust piti\u00e9 pour ce que le vin y failly, et requist \u00e0 son filz, aussi\ncomme en soy complaignant que le vin estoit failly, et le doulx\nJhesucrist eut piti\u00e9 de la piti\u00e9 de sa m\u00e8re, si mua l\u2019eaue en vin. Et\npour ce a cy bon exemple comment toute bonne dame et bonne femme doit\navoir piti\u00e9 de ses parens et de ses povres voisins et leur aidier et\nsecourir de ce que elle pourra avoir; car c\u2019est une grant charit\u00e9 et une\nfranche nature. Apr\u00e8s la doulce vierge adira son filz, lequel estoit al\u00e9\ndisputer et preschier contre les saiges de la loy. Sy cuida la bonne\ndame que il feust mont\u00e9 ou ciel et que il s\u2019en feust al\u00e9. Sy le queroit\npartout, et tant quist que elle le trouva; et lui dist: \u00abBeau filz, voz\nparens et moy avions grant paours de vous avoir adir\u00e9.\u00bb Et il respondit\nque ses parens estoient ceulx qui faisoient la voulent\u00e9 de Dieu son\np\u00e8re. Sy estoient les juifs et les saiges touz esbahis du grant sens que\nilz trouvoient en lui, qui avoit si petit aage. Apr\u00e8s cette douleur\nqu\u2019elle cuida avoir perdu son filz, elle en eut une autre grant. Car,\nquant ilz le offrirent au temple, saint Sym\u00e9on, qui moult l\u2019avoit desir\u00e9\n\u00e0 veoir et avoit touz jours pri\u00e9 Dieu que il ne mourust point jusques \u00e0\nce que il eust veu \u00e0 ses yeulx le filz de Dieu, et lors, par la grace du\nsaint Esperit, il congnust Dieu et dist \u00e0 haulte voix: \u00abVees cy la\nlumi\u00e8re et le sauvement du monde\u00bb, et dist \u00e0 sa m\u00e8re que une foiz il lui\nseroit advis que un glaive lui perceroit l\u2019ame et le cuer, c\u2019estoit \u00e0\ndire que elle verroit sa sainte passion souffrir en la croix. Et pour ce\na cy bon exemple \u00e0 toute bonne dame et bonne femme que, quant la royne\ndu ciel et du monde avoit douleur en ce monde, que nulle ne se doit\nesmayer ne esmerveiller si elle sueffre aucune mesaise, et se il lui\nviennent douleurs et tribulacions, puisque si haulte dame en souffry en\nce chaistif monde. Et doncques en devons bien souffrir et avoir\npacience, nous qui sommes povres pecheurs et pecheresses et qui\ndesservons plus mal que bien, selon noz merites, et ne devons par rayson\nestre espargniez d\u2019avoir aucunes foiz douleur et tribulacion, quant il\nne espargna pas sa doulce m\u00e8re.\nDe la charit\u00e9 Nostre Dame.\nChappitre CXIIe.\nApr\u00e8s les bonnes dames doivent estre piteuses et charitables comme la\nsainte dame qui donnoit pour Dieu et pour piti\u00e9 le plus de ce qu\u2019elle\navoit, et \u00e0 l\u2019exemple de elle fist aussi sainte Elizabeth, sainte Luce,\nsainte Cecille et plusieurs aultres sainctes dames, qui estoient sy\ncharitables que elles donnoient le plus de leurs revenues aux povres et\naux mesaisiez, si comme il est contenu en leurs legendes, dont je\nvouldroye que vous sceussiez un exemple d\u2019une bonne dame de Romme qui\nestoit \u00e0 la messe; elle resgarda delez elle une povre femme qui\ntrembloit de froit par un fort yver; la bonne dame en eut piti\u00e9 et se\nleva de son si\u00e9ge, et appella priv\u00e9ement la povre femme et la mena en\nson hostel qui estoit pr\u00e8s et lui donna son peli\u00e7on. Sy advint tel\nmiracle que le prestre ne pouvoit sonner mot ne parler jusques \u00e0 tant\nque la bonne dame feust revenue, et d\u00e8s ce que elle feust revenue, la\nvoix lui revint, et vit puis par advision la cause et comment Dieu se\nlouoit \u00e0 ses anges du don que la bonne dame lui fist. Sy a cy bon\nexemple \u00e0 toute bonne dame d\u2019estre charitable et aumosni\u00e8re, et non pas\nlaissier avoir froit, fain ne mesaise \u00e0 ses povres voysins ne voisines\nde tout ce qu\u2019elles pourront avoir mestier, selon leur povoir. Car c\u2019est\ngrant franchise de bonne nature et une chose qui \u00e0 merveilles plaist \u00e0\nDieu. Or vous ay-je parl\u00e9 de la benoite vierge glorieuse, \u00e0 qui nul ne\ns\u2019appareille, et vous en ay pou parl\u00e9; car trop seroit longue la mati\u00e8re\n\u00e0 parler de tous ses faiz. Sy vous lairay de celle, quant en present, et\nvous diray des bonnes dames veuves de Romme, lesquelles, quant elles se\ntenoient seintement et nettement en leur vefvet\u00e9, l\u2019en les couronnoit\npar honneur en singne de chastet\u00e9. Sy seroit longue chose \u00e0 vous\nracompter la bont\u00e9 et la charit\u00e9 de elles et de leurs bonnes meurs. Sy\nvous ay parl\u00e9 premi\u00e8rement des bonnes dames qui furent avant\nl\u2019advenement de nostre seigneur Jhesucrist, si comme il a est\u00e9 trouv\u00e9 en\nla Bible. Apr\u00e8s je vous ay racont\u00e9 d\u2019aucunes bonnes dames depuis le\nnouvel Testament, c\u2019est assavoir depuis que Dieu vint en la glorieuse\nvierge Marie, et aussi comment la sainte escripture loue les bonnes\ndames de cellui temps. Il est raisons que nous louons aucunes de ce\ntemps o\u00f9 nous sommes; si je vous en diray de chascun estat un ou ij.\npour monstrer exemple aux autres; car l\u2019en ne doit pas celer les biens\net l\u2019onneur d\u2019icelles, ne nulle bonne dame ne doit avoir desdaing, fors\nsoy esjouir du bien et du bon racompter des bonnes dames. Premi\u00e8rement\nje y mettray la royne Jehanne de France.\nCy parle de la royne Jehanne de France.\nChappitre CXIIIe.\nLa bonne royne Jehanne de France, qui n\u2019a gaires qu\u2019elle mourut, fust\nsaige et de sainte vie, et moult charitable, plaine de devocions et de\naumosnes, et son estat tint si net et si noble et de bonne ordenance que\ngrant chose seroit \u00e0 le racompter. Apr\u00e8s mectrons-nous la duchesse\nd\u2019Orl\u00e9ans, qui moult a eu \u00e0 souffrir, et touz jours s\u2019est tenue\nsainctement et nettement, devant et apr\u00e8s; mais c\u2019est longue chose \u00e0\nracompter de ses bonnes meurs et de sa bonne vie. Et ne devons mie\noublier la contesse m\u00e8re au conte, comment elle s\u2019est noblement\ngouvern\u00e9e en sa vefvet\u00e9 et nourri ses enffans et sa terre bien gouvern\u00e9\net us\u00e9 de bonne vie. Apr\u00e8s si vous parleray de chascun estat. Sy vous\nparleray d\u2019une baronnesse qui demouroit en nostre pays, qui a rest\u00e9 bien\nvefve l\u2019espace de vingt-cinq ans, et estoit juenne et belle quant son\nseigneur mourut, et fut moult requise; mais elle disoit en son secret\nque, pour l\u2019amour de son feu seigneur et de ses enffans qui estoient\njeunes, que jamais ne seroit mari\u00e9e; et a maintenu sa vefvet\u00e9 nettement,\nsans reproche, dont elle doit estre lou\u00e9e. Et la vous desclaireray:\nc\u2019est madame d\u2019Artus.\nDe plusieurs dames vefves.\nChappitre CXIIIIe.\nApr\u00e8s je vous diray d\u2019une dame, femme \u00e0 chevalier compaignon, qui est\nvefve d\u00e8s le tems de la bataille de Cr\u00e9cy, il y a xxvj. ans. Celle bonne\ndame estoit moult belle et juenne, et moult a est\u00e9 demand\u00e9e de plusieurs\nlieux. Mais oncques marier ne se voulst, ains a touz jours nourry ses\nenffans moult honnorablement. Sy doit estre moult lou\u00e9e, et plus encore\ndu temps de son seigneur. Car son seigneur si estoit petit, tort et\nborgne et moult maugracieux, et elle estoit belle et juenne et grant\ngentil femme de par elle. Mais la gentille dame l\u2019ama moult et honnoura\nautant comme femme puet amer homme, et le craingnoit et servoit si\nhumblement que moult de gent s\u2019en merveilloient. Sy doit estre mise ou\ncompte des bonnes, pour ce que en elle n\u2019a riens que reproucher ne\ndevant ne d\u2019apr\u00e8s. Apr\u00e8s vous compteray de une dame, femme d\u2019un simple\nbachelier. La dame estoit belle et juenne et de bon lignage, et son\nseigneur estoit vieil et ancien et tourn\u00e9 en enffance, et faisoit soubz\nsoy comme un enffant et avoit maladie bien laide; mais non obstant la\nbonne dame le servoit jour et nuit plus humblement que ne peust faire\nune petite chamberi\u00e8re ou une petite femme servante; et meist \u00e0 peines\nla main o\u00f9 celle bonne dame la mettoit. L\u2019en la venoit querre bien\nsouvent pour la faire chanter et dancier \u00e8s festes, qui estoient menu et\nsouvent en la ville o\u00f9 elle demouroit. Mais trop poy y aloit, ne riens\nne la tensist \u00e0 l\u2019eure que elle s\u00e7avoit que il feust temps de faire\naucun service \u00e0 son seigneur. Et, se aucune lui deist: \u00abMadame, vous\ndeussiez autrement esbatre et estre li\u00e9e, et laissier dormir vostre\npreudomme, qui n\u2019a de riens mais mestier que de repos\u00bb, sy savoit bien\nque c\u2019estoit \u00e0 dire; elle leur respondoit saigement que, de tant qu\u2019il\nestoit plus \u00e0 malaise, avoit-il plus grant mestier d\u2019estre servy, et que\nelle prenoit ass\u00e9s de joye et d\u2019esbat \u00e0 estre entour lui et lui faire\nchose qui lui pleust. Que vous diray-je? Elle trouvoit assez qui lui\nparloit de la joye et de l\u2019esbatement du si\u00e8cle; mais nul n\u2019y povoit\nvenir ne pincier ne mordre, tant estoit loyale et ferme \u00e0 son seigneur\net \u00e0 garder l\u2019onneur de elle. Et apr\u00e8s que son seigneur fust mort, se\nelle se gouverna bien en son mariage, si s\u2019est-elle bien gouvern\u00e9e en sa\nvefvet\u00e9, et nourry ses enffans sans soy vouloir consentir \u00e0 mariaige, et\npar ainsi en tous estaz elle doit estre lou\u00e9e et mise en compte des\nbonnes, combien qu\u2019elle ne soit pas grant maistresse; mais le bien et la\nbont\u00e9 d\u2019elle doit estre bon exemple et mirouer aux autres, et ne doit\nl\u2019en point taire le bien de ceulx qui l\u2019ont desservy. Et pour ce vous\nay-je racompt\u00e9 d\u2019aucunes de nos dames d\u2019aujourduy de chascun estat une;\nquar, se je vouloye de toutes racompter, je auroye trop \u00e0 faire et\nseroit ma mati\u00e8re trop longue; car moult en y a de bonnes ou royaulme de\nFrance et ailleurs. Cestes bonnes dames de quoy je vous parle sont sans\nreproche, et droitement esprouv\u00e9es de bont\u00e9 en leur mariage et en leur\nvefvet\u00e9, et en ont moult eschev\u00e9 les juennesses et les parolles du\nmonde, et ont tenu leur bon estat ferme sans ce que l\u2019en se peut jengler\nd\u2019elles. Elles ne se sont pas remari\u00e9es par plaisance \u00e0 maindres d\u2019estat\nque n\u2019estoient leurs seigneurs; car je pense que celles qui s\u2019abaissent\npar plaisance, de leur voulent\u00e9, sans le conseil de leurs amis, font\ncontre elles. Et avient aucunefoiz que, quant un petit de temps est\npass\u00e9 et que le temps se remue ainssi comme yver et est\u00e9, et quant la\nplaisance se amendrist et fault, et elles se revoyent quant les grandes\nne leur portent plus si grant honneur comme elles souloient, lors leur\nyst du cuer la vergoingne, et se revoyent. Et aucunes foiz elles chieent\nen repentailles; mais il n\u2019est pas temps, et, quant de ma semblance, il\nme semble que ceux qui prengnent leur grant dame \u00e0 femme et font de leur\ndame leur subgiete, je pense que c\u2019est grant piti\u00e9 de mettre en servaige\nsi noble chose et si haultaine comme sa grant dame d\u2019onneur, par\nlaquelle il peust venir tant de honneur et de vaillance; car, de ce\nqu\u2019il l\u2019a espous\u00e9e il est sire de celle qui souloit estre dame, et \u00e0\npresent est sire et sera appell\u00e9 seigneur, et sera en grant crainte de\nfaillir et desobeir, mais ce sera tantost pass\u00e9. Il me semble que il\nvueille venir au repos, car les grans emprises de venir \u00e0 honneur pour\nplaire \u00e0 sa dame sont pass\u00e9es. Si a moult \u00e0 dire en cest fait en\nplusieurs mani\u00e8res; car cellui qui lui a jur\u00e9 foy et loyaut\u00e9 de garder\nson honneur et son estat \u00e0 son povoir, et depuis l\u2019a conseilli\u00e9 \u00e0 soy\nabaissier et \u00e0 faire contre la voulent\u00e9 de ses seigneurs et de ses amis\npour faire son plaisir, je ne s\u00e7ay si c\u2019est bon conseil et feal, et de\ntirer \u00e0 la mettre la derreni\u00e8re, qui souloit aler la premi\u00e8re. Si est\nassez \u00e0 dire et a assez donn\u00e9 \u00e0 parler aux gens.\nCy parle d\u2019un simple chevalier qui espousa une grant dame.\nChappitre CXVe.\nDont je s\u00e7ay bien un exemple d\u2019un simple chevalier qui espousa une grant\ndame, mais, toutes les fois que Messire de Dorval le veoit, le premier\nsalut que il lui fist si estoit lui subler, et puis lui dit que il\nressemble au rossignol. Car, quant le rossignol a jouy de ses amours, il\nsuble. Sy vous dy bien que le chevalier n\u2019est mie li\u00e9s de la bourde,\nquelque chi\u00e8re que il en feist. Si vous laisse atant de cestes dames.\nMais, mes chi\u00e8res filles, prenez y bon exemple et gardez bien que, si\nDieu vous a donn\u00e9s seigneurs et que vous soyez vefves, que vous ne vous\nremariez ne par plaisance ne par amouretes, fors par le gr\u00e9 et le bon\nconseil de voz parens et amis, et ainsi garderez vostre honneur sauve et\nenti\u00e8re sans reproche, et tout bien et honneur vous en vendra, et ne\nsublera l\u2019en pas de vous ne de vostre mary, et n\u2019en dira l\u2019en pas les\ngoull\u00e9es ne les paroles comme l\u2019en fait de maintes, dont je me tais et\nde ceste mati\u00e8re.\nCy parle de bonne renomm\u00e9e.\nChappitre CXVIe.\nMes belles filles, si vous s\u00e7av\u00e9s le grant honneur et le grant bien qui\nyst de la bonne renomm\u00e9e, qui tant est noble vertus, vous mettr\u00e9s cuer\net peine de y entendre, tout aussi comme fait le bon chevalier d\u2019onneur\nqui tire \u00e0 venir \u00e0 vaillance, qui tant en trait de paine et de grans\nchaux et de frois, et met son corps en tant d\u2019aventure de mourir ou de\nvivre pour avoir honneur et bonne renomm\u00e9e, et en laisse son corps en\nmains v\u00e9ages, en maintes battailles, et en maints assaulx, et en maintes\narm\u00e9es et en maints grans perilz. Et quant il a assez souffert paine et\nendur\u00e9e, il est trait avant et mis en grans honneurs et servis, et lui\ndonne l\u2019en grans dons et prouffis assez. Mais nul ne se apparrage \u00e0 la\ngrant honneur que l\u2019en li porte, ne \u00e0 la grant renom\u00e9e. Et tout aussi\nest-il de la bonne femme et de la bonne dame qui en tous lieuz est\nrenomm\u00e9e en honneur et en bien, c\u2019est la preude femme qui met paine et\ntravail \u00e0 tenir nettement son corps et son honneur, et refuse sa\njuennesce les faulx delis et folles plaisances dont elle puet recouvrer\net recevoir blasme. Comme j\u2019ay dit du bon chevalier qui telle peine\nsueffre pour estre mis ou nombre des bons, ainsi le doit faire toute\nbonne femme et bonne dame et y penser, et comme elle en acquiert l\u2019amour\nde Dieu et de son seigneur et du monde et aussy de ses amis, et le\nsauvement de son ame, qui est le plus digne, dont le monde la loue et\nDieu encore plus, car il l\u2019appelle la precieuse margarite, c\u2019est une\nfine perle, qui est blanche, ronde et cl\u00e8re, sans taiche y veoir. Si a\ncy bonne exemple comment Dieux loua la bonne femme en l\u2019euvangille, et\nsi doivent toutes gens; car l\u2019en doist autant faire de bien et d\u2019onneur\n\u00e0 la bonne dame ou damoiselle comme au bon chevalier ou escuier, et\nplus, dont le monde est aujourd\u2019hui bestourn\u00e9, et honneur n\u2019est point si\ngard\u00e9e en sa droite r\u00e8gle et en son droit estat comme elle souloit en\nplusieurs cas, et sp\u00e9cialement l\u2019onneur des bonnes femmes. Et vous diray\ncomment je l\u2019ouy racompter \u00e0 mon seigneur de p\u00e8re et \u00e0 plusieurs bons\nchevaliers et preud\u2019hommes, comment en son temps on honnouroit les\nbonnes femmes, et comment les blasm\u00e9es estoient rus\u00e9es et separ\u00e9es des\nbonnes, et n\u2019a pas encore xl. ans que ceste coustume couroit\ncommunement, selon ce que ilz disoient. Car en cellui temps une femme\nqui fust blasm\u00e9e ne feust sy hardie de soy retraire ou renc des bonnes\nqu\u2019elle n\u2019en feust rebout\u00e9e. Dont je vous conteray de deux bons\nchevalliers de cellui temps, dont l\u2019un avoit nom Messire Raoul de Lugre\net l\u2019autre Messire Gieffroy, et estoient fr\u00e8res et bons chevaliers\nd\u2019armes, qui lors couroient \u00e8s voiages, \u00e8s tournoiz et aux autres lieux\nl\u00e0 o\u00f9 ilz povoient trouver honneur. Ilz estoient renomm\u00e9s et honnour\u00e9s\ncomme Charny, Bouciquaut ou Saintr\u00e9, et pour ce avoient leur parler sur\ntouz, et convenoit que ils feussent escout\u00e9s comme chevaliers\nauctorisez.\nComment l\u2019en doit croire les anciens.\nChappitre CXVIIe.\nDont il advenoit que, se ilz veissent \u00e0 un jeunes homs de lignaige faire\nchose qui \u00e0 son honneur ne feust, ilz luy montrassent sa faulte devant\ntouz, et pour ce juennes hommes les craingnoient moult. Dont il avint\nque j\u2019oy raconter \u00e0 mon seigneur et p\u00e8re que une foiz il vint \u00e0 une\ngrant feste o\u00f9 avoit grant foyson de seigneurs et de dames et de\ndamoyselles. Sy arriva comme l\u2019en vouloit aseoir \u00e0 table, et avoit vestu\nune cote hardie \u00e0 la guise d\u2019Alemaigne. Sy vint saluer les dames et les\nseigneurs, et quant il eust fait ses reverances, cellui Messire Gieffroy\nle va appeller devant tous et lui demanda o\u00f9 estoit sa vielle ou son\ninstrument, et que il faist de son mestier. \u00abSire, je ne m\u2019en sauroie\nmesler.\u00bb--\u00abSire\u00bb, dit-il, \u00abje ne le pourroye croire; car vous estes\ncontrefait et vestu comme un menestrel. Car, en bonne foy, je congnoys\nbien vos ancesseurs et les preudhommes de la Tour dont vous estes; mais\nonques mais je ne vy qui ainsi se contrefist ne vestit telles robes.\u00bb\nLors il luy repondist: \u00abSire, puisque ne vous semble bon, il sera\namend\u00e9.\u00bb Sy appella un menestrel et lui donna sa coste et la lui fist\nvestir, et prist autre robe. Sy revint en la salle, et lors le bon\nchevalier lui dist: \u00abVrayement, cestuy-cy ne se forvoye pas, car il\ncroit conseil de plus vieulx que lui. Car touz juennes hommes et jeunes\nfemmes qui croient conseil et ne contrarient mie le dit des anciens ne\npeuvent faillir de venir \u00e0 honneur.\u00bb Et aussi dit le preudons, qui pour\nbien et honneur l\u2019avoit dit. Et pour ce a cy bon exemple comment l\u2019en\ndoit croire et avoir honte et vergoingne de l\u2019enseignement des saiges et\ndes plus anciens de lui. Car ce que ilz dient et enseignent, ilz ne le\nfont que pour bien et honneur; mais noz juennes hommes et noz juennes\nfemmes de aujourd\u2019hui n\u2019y prennent mie garde, ain\u00e7ois tiennent \u00e0 grant\ndespit de ce que l\u2019en les reprent de leurs folies, et cuident aujourd\u2019uy\nestre plus saiges que les anciens et de ceulx qui ont plus veu que eulx.\nSi est grant piti\u00e9 et grant folie de telle descongnoissance avoir en\neulx; car tout gentil cuer de bonne nature doit avoir grant joye quant\nl\u2019en le reprent de sa faulte. Et se il est saige et franc il lui\nmerciera, et l\u00e0 voit-on esprouv\u00e9e la bonne et la franche nature des\njuennes hommes et des juennes femmes; car nul villain cuer n\u2019en rendra\nj\u00e0 graces ne mercis, ne j\u00e0 gr\u00e9 ne saura. Or vous ay parl\u00e9 comment ilz\nparl\u00e8rent et chasti\u00e8rent les jeunes hommes. Or vous diray-je comment ilz\ndonnoient bon exemple \u00e8s bonnes dames et \u00e8s bonnes damoiselles en icelui\ntemps.\nDes anciennes coustumes.\nChappitre CXVIIIe.\nLe temps de lors estoit en paiz, et tenoient grans festes et grans\nreveaulx. Et toutes mani\u00e8res de chevaliers, de dames et de damoiselles\ns\u2019asambloient l\u00e0 o\u00f9 ilz aloient et o\u00f9 ilz avoient les festes, qui\nestoyent menu et souvent, et l\u00e0 venoient par grant honneur les bons\nchevaliers de cellui temps. Mais, se il advenist par aucune aventure que\ndame ne damoiselle qui eust mauvais renon ne qui fust blasm\u00e9e de son\nhonneur se meist avant une bonne dame ou une bonne damoiselle de bonne\nrenomm\u00e9e, combien que elle fust plus gentil femme ou eust plus noble et\nplus riche mary, tantost ces bons chevaliers de leurs droits n\u2019eussent\npoint de honte de venir \u00e0 elles, devant tous, et prendre les bonnes et\nles mettre au dessus des blasm\u00e9es, et leur deyssent devant tous: \u00abDame,\nne vous desplaise si ceste dame ou damoiselle vait avant vous; car,\ncombien que elle ne soit si noble ou si riche comme vous, elle n\u2019est\npoint blasm\u00e9e, ains est mise ou conte des bonnes et des nettes. Et ainsi\nne dit l\u2019en pas de vous, dont me desplaist, mais l\u2019en fera honneur \u00e0 qui\nl\u2019a desservy, et pour ce ne voz en merveillez pas.\u00bb Et ainsi parloient\nles bons chevaliers, et mettoient les bonnes et de bonne renomm\u00e9e les\npremi\u00e8res, dont elles mercioient Dieu en leur cuer de elles estre tenues\nnettement, par quoy elles s\u2019estoient honor\u00e9es et mises avant, et les\nautres se prenoient au nez et baissoient les visages, et recevoient de\ngrans hontes et de grans vergoingnes. Et pour ce estoit bon exemple \u00e0\ntoute gentil femme; car pour la honte que elles ouoient dire aux autres,\nelles doubtoient et craingnoient \u00e0 faire le mal. Mais, Dieu mercy,\naujourduy l\u2019on porte aussi bien honneur aux blasm\u00e9es comme aux bonnes,\ndont maintes y prennent mal exemple et disent: \u00abAvoy, je voy que l\u2019en\nporte aussi grant honneur \u00e0 telle, qui est blasm\u00e9e et diffam\u00e9e, comme\naux bonnes; il n\u2019i a force de mal faire; tout se passe.\u00bb Mais toutes\nvoies ce est mal dit et mal pens\u00e9, combien qu\u2019il y ait grant vice; car,\nen bonne foy, combien que en leur pr\u00e9sence l\u2019en leur face honneur et\ncourtoisie, quant l\u2019en est party de elles l\u2019en s\u2019en bourde, et disent\nles compaignons et les gengleurs: \u00abV\u00e9es cy une telle; elle est trop bien\ncourtoise de son corps; tel et tel se esbat avecques elle\u00bb, et la\nracontent et la nombrent avecques les mauvaises. Et ainsi tel lui fait\nhonneur et belle chi\u00e8re par devant, qui lui trait la langue par\nderri\u00e8re. Mais les folles ne s\u2019en apper\u00e7oivent mie, ains se esbaudissent\nen leur folie, et leur semble que nul ne scet leur honte ne leur faulte.\nSy est le temps chang\u00e9 comme il souloit, et je pense que c\u2019est mal fait,\net que il vaulsist mieulx devant touz monstrer leurs faultes et leurs\nfolies, comme ilz faisoient en cellui temps dont je vous ay compt\u00e9. Et\nvous diray encores plus, comme j\u2019ay ouy compter \u00e0 plusieurs chevaliers\nqui virent cellui messire Gieffroy de Lugre et autres, que, se il\nchevauchast par le pays, il demandast: \u00abA qui est cellui herbergement\nl\u00e0?\u00bb, et l\u2019en lui deist: \u00abC\u2019est \u00e0 telle\u00bb, se la dame feust blasm\u00e9e de\nson honneur, il se torsist avant d\u2019un quart de lieue que il ne vensist\ndevant la porte, et luy feist un pet, et puis pransist un poy de croye\nqu\u2019il portoit en son saichet et escrisist en la porte ou en l\u2019uis: \u00abUn\npet, un pet\u00bb, et y faisoit un signet et s\u2019en vensist. Et aussi au\ncontraire, se il passast devant l\u2019ostel \u00e0 dame ou damoiselle de bonne\nrenomm\u00e9e, se il n\u2019eust moult grant haste il la vensist veoir et huchast:\n\u00abMa bonne amye, ou bonne dame, ou damoyselle, je prie \u00e0 Dieu que en cest\nbien et ceste honneur il vous vueille maintenir en nombre des bonnes;\ncar bien devez estre lou\u00e9e et honnour\u00e9e.\u00bb Et par celle voye les bonnes\nse craingnoient et se tenoient plus fermes et plus closes de ne faire\nchose dont elles peussent perdre leur honneur et leur estat. Sy\nvouldroye que cellui temps fust revenu; car je pense que il n\u2019en feust\nmie tant de blasm\u00e9es comme il est \u00e0 present.\nDont, se femmes pensoient ou temps de devant l\u2019advenement nostre\nseigneur Jhesucrist, qui dura plus de v.m ans, comme les mauvaises\nfemmes et especialement toute femme mari\u00e9e qui feust prouv\u00e9e par ij.\ntesmoings avoir eu compaingnie \u00e0 autre que \u00e0 son seigneur, elle feust\narse ou lappid\u00e9e, ne pour or ne pour argent elle n\u2019en feust rachet\u00e9e,\ntant noble feust, selon la loy de Dieu et de Moyses, et encore ne\ns\u00e7ay-je gui\u00e8res de royaulmes aujourd\u2019uy, fors le royaulme de France et\nd\u2019Angleterre et en ceste basse Alemaigne, de qui l\u2019en n\u2019en face justice\nd\u00e8s ce que l\u2019en en puet savoir, et qui ne meurent d\u00e8s ce que l\u2019en en\nscet la v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est-\u00e0-dire en Rommenie, en Espaigne, en Arragon et en\nplusieurs autres royaulmes. En aucuns lieux l\u2019en leur couppe les gorges,\nen autres lieux l\u2019en les murtrist \u00e0 touaillons, en autres lieux l\u2019en les\nemmure. Et pour ce est bonne exemple \u00e0 toute bonne femme que, combien\nque en cest royaume l\u2019en n\u2019en face plus justice comme l\u2019en fait en\nplusieurs autres lieux, elles n\u2019en laissent pas \u00e0 en perdre leur honneur\net estat, et l\u2019amour de leur seigneur et de ses amis, et l\u2019onneur du\nmonde, comme donner langaige aux gengleurs, qui, au matin et au soir, en\ntiennent leurs esbatemens et leurs goul\u00e9es de moqueries, et en oultre\nl\u2019amour et la grace de Dieu, qui est le plus fort; car elle est separ\u00e9e\ndu livre des bonnes et des saintes femmes, si comme il est contenu plus\n\u00e0 plain en la vie des P\u00e8res. Mais le compte en seroit trop long \u00e0\nracompter, dont je vous diray un moult bel et bon exemple, qui est le\nplus noble et le plus hault de tous, comme ce dont Dieux parla de sa\npropre bouche, si comme le racompte la sainte escripture, comment Dieu\nloua en son saint sermon la bonne preude femme.\nComment Nostre Seigneur loue les bonnes femmes.\nChappitre CXIXe.\nDieux loue la bonne femme, la nette et la pure, comme c\u2019est noble chose\net sainte que de bonne femme; car, quant Dieu de sa propre sainte bouche\nla loue, dont par bonne raison le monde et toutes gens la doivent bien\namer et louer et chier tenir. Il est contenu en l\u2019euvangile des vierges\nque le doulx Jhesucrist preschoit et enseignoit le peuple. Sy parla sur\nla mati\u00e8re des bonnes et des nettes femmes, l\u00e0 o\u00f9 il dist: _Una preciosa\nmargarita comparavit eam_. Je vous dy, dist nostre seigneur, que femme\nqui est bonne et nette doit estre compar\u00e9e \u00e0 la pr\u00e9cieuse marguerite. Et\nce fust \u00e0 merveilles dist; car une marguerite est une grosse perle\nr\u00e9onde d\u2019oriant, cl\u00e8re, blanche et nette. Et, quant elle est cl\u00e8re et\nnette, sans nulle tache y veoir, celle precieuse pierre est appel\u00e9e\nprecieuse margarite. Et ainsi montra Dieux la valeur et la bont\u00e9 de la\nbonne et nette femme. Car celle qui est nette et sans taiche,\nc\u2019est-\u00e0-dire celle qui n\u2019est pas mari\u00e9e et se tient vierge ou chaste, et\naussi celle qui est mari\u00e9e et se tient nettement ou saint sacrement de\nmariaige, sans souffrir estre avill\u00e9e que de son \u00e9poux que Dieu lui a\ndestin\u00e9 et donn\u00e9, et aussy celle qui nettement tient son vefvage,\ncestes-cy sont celles, si comme dit la glose, de qui Dieu parla en sa\nsainte Euvangile. Ce sont celles qui en ces iij. estas se tiennent\nnettement et chastement. Elles sont comparagi\u00e9es, si comme dist nostre\nseigneur Jhesucrist, \u00e0 la precieuse marguerite, qui est cl\u00e8re et nette,\nsans nulle taiche. Car, si comme dit la sainte escripture: Nulle chose\nn\u2019est si noble que de bonne femme, et playst \u00e0 Dieu et aux angels en\npartie plus que l\u2019omme, et doit avoir plus de merite, selon rayson, pour\nce que elles sont de plus foible et legier couraige que n\u2019est l\u2019homme,\nc\u2019est-\u00e0-dire que la femme feust traitte de l\u2019omme, et, de tant comme\nelle feust plus foible et elle puet bien resister aux tamptacions de\nl\u2019ennemy et de la chair, et, en l\u2019aventure, de tant doit-elle avoir plus\ngrant merite que l\u2019omme. Et pour ce la comparaige Dieu \u00e0 la noble\nprecieuse marguerite, qui est cl\u00e8re. Et aussi dit la glose en un autre\nlieu que, aussy comme c\u2019est laide chose \u00e0 baillier un blanc et deli\u00e9\ncueuvrechief \u00e0 un grant seigneur ouquel en lui baillant l\u2019en espendroit\ngrosses gouttes d\u2019encre noire, et aussy celles gouttes noires les\nespandre sur une escul\u00e9e de lait qui est blanc, tout ainsi celle qui\ndoit estre pucelle, et baille son pucellaige \u00e0 autre que \u00e0 son espoux,\net aussy la mari\u00e9e qui, par sa grant mauvaisti\u00e9, sa leiche et sa fausse\nlecherie de chair, rompt et casse son mariaige et son saint sacrement,\net ment sa foy et sa loy vers Dieu et l\u2019esglise, et vers son seigneur,\net aussi celle qui se doit tenir nettement en sa vefvet\u00e9, cestes\nmani\u00e8res de femmes resemblent les taiches laides qui sur le blanc lait\net sur le cueuvrechief de grosses goutes noires app\u00e8rent; elles ne sont\nde riens aux pr\u00e9cieuses marguerites; car en la precieuse marguerite n\u2019a\nnulles taiches ne goutes noires. H\u00e9las! tant la femme se doit bien ha\u00efr\net maudire sa mauvaise vie, quant elle n\u2019est plus ou nombre des bonnes\ndont Dieu parla ainsi \u00e0 ses appostres et au pueple. Dont, se elles\npensoient bien \u00e0 iij. choses, l\u2019une, comme celles qui sont \u00e0 marier\nperdent leur mariaige, leur honneur et acqui\u00e8rent la honte et hayne de\nleurs amis et du monde, comme chascun les monstre au doy; les mari\u00e9es,\ncomme elles perdent toute honneur et l\u2019amour de Dieu et de son seigneur\net de tous ses amis et de tous autres, et puis Dieu lui nuist \u00e0 avoir\nbien et chevance; car des diffameures et laidures que l\u2019en en dit seroit\ntrop long \u00e0 raconter. Car telz leur feront belle chi\u00e8re par devant qui\npuis leur traira la langue par derri\u00e8re, et en tendront leurs comptes et\nleurs moqueries, et en feront chacun jour leur parlement; mais apr\u00e8s\njamais elles n\u2019aymeront de bon cuer leurs seigneurs, comme j\u2019ay dit en\nl\u2019autre livre; l\u2019annemi leur fera plus trouver de ardeur et ardant delit\nen leurs ribauderies et en pechi\u00e9 mortel dampnable que en l\u2019euvre de\nsaint mariage; car, en l\u2019euvre de mariage, qui est euvre command\u00e9e de\nDieu, n\u2019a point de pechi\u00e9 mortel, et pour ce n\u2019a l\u2019annemy que y veoir ne\nque y regarder; mais en ribauderies et en pechi\u00e9 mortel l\u00e0 a l\u2019ennemy\npovoir, et y est en sa personne et eschauffe et atise le pecheur et la\npecheresse au faulx delit; aussi comme le f\u00e8vre qui met le charbon et\nsouffle en la fournaize, ainsi le fait l\u2019ennemy en celluy mestier, et\nles y tient li\u00e9s et enflambez de celluy ardent delit en pechi\u00e9 mortel,\ncar il le fait pour sa gaaingne, et s\u2019il les puet faire mourir en pechi\u00e9\nmortel, il emporte l\u2019ame en la douleur d\u2019enffer, et en a aussi grant\njoye et se tient aussi bien apay\u00e9 comme le chasseur qui a toute jour\nchass\u00e9, et puis au soir il prent sa beste et l\u2019emporte; aussi fait\nl\u2019ennemy de telles femmes et de telles gens; et c\u2019est bien rayson, si\ncomme dit la sainte escripture, que ceulx qui euvrent de telles chaleurs\nde luxure et y ont prins leur puant delit de la char soyent mis et\nportez en la chaleur et en la flambe du feu d\u2019enffer. Et c\u2019est bien\nrayson, dit un saint hermite en la vie des P\u00e8res, que l\u2019une chaleur soit\nmise avecques l\u2019autre, et que tout se poursuive en cest monde et en\nl\u2019autre; car, si comme Dieu dit, il n\u2019est nul bien qu\u2019il ne soit mery ne\nnul mal qui ne soit pugni.\nDe la fille d\u2019un chevalier qui perdy \u00e0 estre mari\u00e9e par sa folie.\nChappitre VIxxe.\nOr vous diray un autre exemple de la fille d\u2019un chevalier, qui perdy \u00e0\nestre mari\u00e9e \u00e0 un chevalier pour sa cointise. Et vous diray comment un\nchevalier avoit plusieurs filles, dont l\u2019ainsn\u00e9e estoit mari\u00e9e. Sy\nadvint que un chevalier fist demander la seconde fille, et furent \u00e0 un\nde la terre et du mariage, et tant que le chevalier vint pour la veoir\net pour la fiancier, se elle lui plaisoit, car oncques mais ne l\u2019avoit\nveue. Et celle damoiselle, qui sceust bien que il devoit venir, se\nacesma et se cointy le mieulz que elle pot, et, pour sembler \u00e0 avoir\nplus beau corps et plus gresle, elle ne vesty que une cotte hardie,\ndeffour\u00e9e, bien estroitte et bien jointe. Si fist grant froit et fort\nvent de bise et avoit fort gel\u00e9, et celle, qui feust bien simplement\nvestue, eust si parfaitement grant froit tellement que elle feust toute\nnoire de froit. Sy arriva le chevalier qui la venoit veoir, et regarda\nque sa couleur fust morte et pale et ternie, et aussy regarda l\u2019autre\nseur, plus juenne que celle, laquelle avoit bonne couleur fresche et\nvermeille, car elle estoit bien vestue et chaudement, comme celle qui ne\npensoit pas si brief estre mari\u00e9e. Le chevalier regarda assez l\u2019une et\nl\u2019autre, tant que apr\u00e8s disner il appella ij. ses parens, qui venuz\nestoient avecques lui, et leur dist: \u00abBeaulx seigneurs, nous sommes\nvenuz veoir les filles au seigneur de ceans, et s\u00e7ay bien que je auray\nlaquelle que je vouldray; mais j\u2019ay avis\u00e9 la tierce fille.\u00bb--\u00abAvoy,\nsire\u00bb, distrent les amis de lui, \u00abce n\u2019est pas bien dit; car plus grant\nhonneur vous sera de sa suer ainsn\u00e9e.\u00bb--\u00abBeaulx amis\u00bb, dist le\nchevalier, \u00abje n\u2019y voy point d\u2019avantaige que trop pou; vous s\u00e7avez\nqu\u2019elles ont une suer ainsn\u00e9e de elles qui est mari\u00e9e et dont sont-elles\ntoutes puisn\u00e9es, et je voy la tierce fille plus belle et fresche et de\nmeilleur couleur que la seconde, dont l\u2019en me parloit; si est telle ma\nplaisance.\u00bb Sy luy respondirent que c\u2019estoit rayson que son plaisir si\nfeust acompli et ce que il penseroit. Et ainsi advint; car il fist\ndemander la tierce fille, qui lui fut octroy\u00e9e, et en furent moult de\ngens esmerveillez, et par especial celle qui si bien s\u2019i attendoit et\nqui ainsi s\u2019estoit cointie comme ouy avez. Si advint que, apr\u00e8s un pou\nde temps, celle suer seconde, qui perdu avoit le chevalier pour le grant\nfroit qui l\u2019avoit faite ternir et pallir, que, quant vint que elle fust\nmieulx vestue et que le temps fust eschauff\u00e9, que la couleur lui\nrevinst, elle fust plus belle et plus fresche d\u2019ass\u00e9s que sa suer, que\nle chevalier avoit prise, et tant que le chevalier s\u2019en esmerveilla tout\net li dist: \u00abBelle suer, quant je vins pour vous veoir et vostre suer,\nvous ne esti\u00e9s point si belle de vij. pars comme vous estes; car vous\nestes maintenant blanche et vermeille, et lors vous estiez noire et\npalle, et estoit lors vostre suer plus belle que vous; mais maintenant\nvous la passez, je me donne grant merveille.\u00bb Lors respondit la mari\u00e9e,\nfemme du chevalier: \u00abMon seigneur, je vous conteray comment il en fust,\net ne fust autrement. Ma suer, que vous ve\u00e9s cy, pensoit, et si\nfaisions-nous tous, que vous venissiez pour la fiancer. Sy se cointy\npour avoir plus bel corps et plus gresle, et ne vestit que une cote\ndeffour\u00e9e, et le froit fust grant, que lui permua la couleur, et je, qui\nne pensoye \u00e0 tant d\u2019onneur et de bien avoir comme de vous avoir \u00e0\nseigneur, ne me cointiay point, ains\u00e7ois estoie bien fourr\u00e9e et\nchaudement vestue; si avoye meilleur couleur, dont je mercy Dieu de quoy\nje chey en vostre plaisance, et benoist soit Dieu dont ma suer se vesty\nsi simplement; car je s\u00e7ay bien, se ne feust celle aventure, que vous ne\nm\u2019eussi\u00e9s pas prise pour la laissier.\u00bb Et ainsi se gogoya la mari\u00e9e de\nla suer, et toutes voyes elle disoit voir, car ainsi perdit celle\ndamoiselle le chevalier par sa cointise, comme oy av\u00e9s. Car par telle\ncointise elle devint palle et descoulour\u00e9e. Sy est cy bon exemple\ncomment l\u2019en ne se doit mie si lingement ne si joliettement vestir, pour\nsoy greslir et faire le beau corps ou temps d\u2019yver, que l\u2019on en perde sa\nmani\u00e8re et sa couleur, si comme il advint \u00e0 Messire Foulques de Laval,\nsi comme il me dit que advenu lui estoit sur le fait de ceste exemple,\ndont je le vous compteray.\nDe messire Fouques de Laval, qui ala veoir sa mie.\nChappitre VIxxIe.\nMessire Fouques de Laval estoit moult beaux chevalier et moult net entre\ntous autres chevaliers, et si savoit moult sa mani\u00e8re et son maintieng.\nSi lui advint, comme il me compta, que une foiz il estoit al\u00e9 veoir sa\ndame par amours. Sy estoit en ung temps d\u2019iver que il avoit fort gel\u00e9 et\nfaisoit moult grant froit. Si se estoit au matin cointy et vestu d\u2019une\ncoste d\u2019escarlate bien brod\u00e9e, et avoit un chapperon tout sangl\u00e9 sans\npenne, et n\u2019avoit que la chemise, sa coste et un chapperon tout sangl\u00e9\net bien brod\u00e9 de bonnes perles, et n\u2019avoit mantel ne ganz ne moufles. Le\nvent et le froit fut grant, et il estoit bien joint et bien estroit en\ncelle cote, et enduroit le grant froit et estoit tout noir et tout palle\net tout entouss\u00e9. Et l\u00e0 vint un autre chevalier, qui aussi estoit\namoureux de celle dame; mais il ne fust pas ainsi gayement array\u00e9, ains\nestoit chaudement vestu et avoit mantel et chapperon doubl\u00e9, et estoit\nrouge comme un coq, et avoit bonne couleur et vive. Quant le chevalier\nfust arriv\u00e9 et il eust fait le bien veignant, la dame lui fist bonne\nchi\u00e8re et li\u00e9e et meilleur que \u00e0 messire Fouques, ce lui sembloit, et\nlui tenoit plus grant compaignie, et dit la dame \u00e0 Messire Fouques:\n\u00abTrayez-vous pr\u00e8s du feu. Je doubte que vous estes mal saing; vous avez\ntrop fade couleur.\u00bb Et il respondy que il n\u2019avoit nul mal. Et touteffoiz\nl\u2019autre chevalier eust meilleure chi\u00e8re d\u2019assez. Sy se passa la chose\nainsi, et ne demoura pas plus d\u2019un mois que messire Fouques espia que le\nchevalier devoit venir sur les parties o\u00f9 estoit celle dame, et, \u00e0 la\njourn\u00e9e qu\u2019il sceust que il arriva pour veoir la dame, il vint d\u2019autre\npart et se retrouv\u00e8rent leans. M\u00e8s messire Fouques se arroya bien\nautrement qu\u2019il n\u2019estoit \u00e0 l\u2019autre foiz; car il se vesty bien et\nchaudement, si que il ne perdy pas sa couleur comme \u00e0 l\u2019autre foiz, pour\nesprouver comment la chose yroit ne \u00e0 quoy il tenoit; mais pour certain\nil eust la meilleure chi\u00e8re et la plus priv\u00e9e \u00e0 celle foiz. Dont il me\ndist que amours se doivent tenir chaudement, et que il l\u2019avoit esprouv\u00e9.\nEt pour ce est grant folie de soy cointir pour faire le bel corps et\npour estre gresle tant que l\u2019en en perde sa couleur ne sa mani\u00e8re, ne\nque l\u2019en en soit enrou\u00e9 ne entouss\u00e9; car l\u2019en en est moins pris\u00e9, selon\nce que ouy avez, dont sur ceste mati\u00e8re je vous en conteray une grant\nmerveille, comment plusieurs en moururent de pur froit. Ce furent les\nGalois et les Galoises.\nCy parle des Galois et des Galoises.\nChappitre VIxxIIe.\nBelles filles, je vous compteray des Galois et des Galoises, si comme\nl\u2019ennemy par son art en fist plusieurs mourir de froit, comme par la\nflambe de Venus, la deesse d\u2019amours et de luxure. Il advint, \u00e8s parties\nde Poitou et \u00e8s autres pays, que Venus, la dame des amoureux, qui a\ngrant art et grant povoir en juennesce, c\u2019est en juennes gens, dont elle\nfait aucuns amer d\u2019amours raysonnable et honnourable, et autres de fole\namour desmesur\u00e9e, dont aucunes en perdent honneur et les autres ame et\ncorps. Dont il advint que elle fist entreamer plusieurs chevaliers et\nescuiers, dames et damoiselles, et leur fist faire une ordonnance moult\nsauvaige et desguis\u00e9e contre la nature du temps, dont l\u2019une de leurs\nordonnances estoit que, le temps d\u2019est\u00e9, ilz seroient bien vestuz et\nchaudement \u00e0 bons manteaulx et chapperons doubl\u00e9s, et auroient du feu en\nleurs chemin\u00e9es. J\u00e0 ne feist si grant chaut, ilz se gouvernoient par le\ntemps d\u2019est\u00e9 comme l\u2019en deust faire le temps du fort yver en toutes\nchoses, et en yver se gouvernoient comme l\u2019en doit en est\u00e9, et vous\ndiray comment. En yver, par le plus fort temps, le Galois et la Galoise\nne vestoient riens du monde que une petite cote, simple, sans penne ne\nsans estre ling\u00e9e, et n\u2019avoient point de mantel ne housse, ne chapperon\ndoubl\u00e9, fors sangl\u00e9, qui avoit une cornete longue et gresle, sans avoir\nchappeau, ne gans, ne moufles, pour gel\u00e9e ne vent que il en feist. Et,\nen oultre, en ycelluy fort yver leurs chambres et leurs places estoient\nbien nettes; et qui trouvast aucunes feuilles vertes, elles feussent\njonch\u00e9es par l\u2019ostel, et la chemin\u00e9e estoit houss\u00e9e, comme en est\u00e9, de\nfraillon ou de aucune chose verte; en leurs litz n\u2019avoit que une sarge\nligi\u00e8re sans plus, ne plus n\u2019en povoient avoir par celle ordenance. Et,\nen oultre, estoit orden\u00e9 entre eulx que d\u00e8s ce que un des Galois venist\nl\u00e0 o\u00f9 feust la Galoise, se elle eust mary, il convenist par celle\nordenance que il alast faire penser des chevaux au Galoys qui venus\nfeust, et puis s\u2019en partit de son hostel sans revenir tant que le Galoys\nfeust avecques sa femme; et cellui mari estoit aussi Galois et alast\nveoir s\u2019amie, une autre Galoise, et l\u2019autre feust avecques sa femme, et\nfeust tenu \u00e0 grant honte et deshonneur se le mary demourast en son\nhostel, ne commandast ne ordenast riens depuis que le Galois feust venu,\net n\u2019y avoit plus de povoir par celle ordenance. Cy dura ceste vie de\ncestes amouretes grant pi\u00e8ce, jusques \u00e0 tant que le plus de eulx en\nfurent mors et peris de froit; car plusieurs transsissoient de pur froit\net en moururent tous roydes delez leurs amies et aussi leurs amies del\u00e8z\neulx, et en parlant de leurs amouretes et en eulx moquant et bourdant de\nceulx qui estoient bien vestus; d\u2019autres, que il convenoit de leur\ndesserer les dens de cousteaux et les tostoier et froter au feu comme un\npoussin engel\u00e9 et mouilli\u00e9; car ilz cuidoient contrefaire les autres et\nmuer le temps et saison qui ordonn\u00e9e est, pour nourrir corps d\u2019omme et\nde femme autrement que Dieu n\u2019avoit ordonn\u00e9. Si doubte moult que ces\nGalois et Galoises qui moururent en cest estat et en cestes amouretes\nfurent martirs d\u2019amours, et que, aussi comme ilz morurent de froit, que\nilz ont grant chaut par del\u00e0 et ardent; car se ils eussent soufferte la\nvije partie de la peine et de la douleur pour l\u2019amour du filz de Dieu,\nqui tant souffry pour eulx, ilz en eussent merit\u00e9 et grant guerredon et\ngloire en l\u2019autre si\u00e8cle. Mais l\u2019ennemy, qui touzjours tant \u00e0 faire\ndesobeir homme et femme, leur faisoit avoir plus grant plaisance et\ndelit en foles amours, desesper\u00e9es et sauvaiges, que \u00e0 nul service de\nDieu, et les aveugloit par telle mani\u00e8re que il les faisoit mourir et\nlanguir de pur froit. Et pour ceste raison, qui est evident, est bien\nchose esprouv\u00e9e comment l\u2019annemy tempte et eschauffe homme et femme, et\nsoustient \u00e0 perir corps et ame, et comment il donne et fait avoir foles\nplaisances et plusieurs mauvaises mani\u00e8res, c\u2019est-\u00e0-dire les uns par\nconvoitise, comme de tirer \u00e0 soy l\u2019autrui et le detenir; autres par\norgueil, soy trop prisier et les autres deprisier; les autres par envie\nde bien que autrui a plus que lui; les autres par gloutonnie o\u00f9 le corps\nse delite, qui fait esmouvoir le pechi\u00e9, comme de yvresse, qui tolt\nraison et le fait venir au delit de la chair; les autres par luxure,\ncomme l\u2019ennemy les fait entreamer de fole amour et foles plaisances o\u00f9\nil les fait deliter, comme il fist iceulx faulx Galois et Galoises, o\u00f9\nil mist tant de fole plaisance que il en fist plusieurs mourir de\ndiverse mort, comme de froit, amis et amies. Pour ce ne dis-je mie que\nil ne soit de bonnes amours sans deshonneur et dont moult d\u2019onneur\nvient. Celles sont loyalles, qui ne requi\u00e8rent chose dont deshonneur ne\nabaissement viengne; car cellui n\u2019ayme pas loyaulment qui pense \u00e0\ndeshonnourer sa dame et s\u2019amie, ne abaissier son honneur ne son estat;\ncar ce n\u2019est mie amour, ains est faulx semblant et tricherie; ne l\u2019en ne\npuet faire trop grant justice de telle mani\u00e8re de gens. Mais tant vous\nen dy-je bien que il en court d\u2019uns et d\u2019autres, c\u2019est assavoir de\nloyaulx et faulx et de decevables, de telz qui se faignent et jurent et\nparjurent leurs fois et sermens, et ne leur chault, mais que ils aient\npartout leurs deliz, et usent de faulx semblant et font les pensis, les\ndebonnaires et les gracieux. Si en y a de trompez et de tromp\u00e9es assez\npar le monde. Et pour ce est le si\u00e8cle moult fort \u00e0 congnoistre et moult\nmerveilleux; et de telz et de telles le cuident bien congnoistre qui en\nsont deceus, et si congnoissent moins que ilz ne cuident.\nQue nulle femme ne doit point croire trop legierement ce qu\u2019on lui dit.\nChappitre VIxxIIIe.\nEt pour ce est noble chose \u00e0 toute femme de bien et d\u2019onneur y prendre\ngarde et soy garder, et non mie croire trop de legier ce que l\u2019en leur\ndist, et se prendre de garde de ceulx qui usent de telles faulcetez et\nqui font de petiz signes et des faulx semblans, comme de faulx regars\nlons et pensis, et de petis souspirs, et de merveilleuses contenances\naffect\u00e9es, et ont plus de paroles \u00e0 main que autres gens. Sy est bon de\nsoy garder de telles mani\u00e8res de gens qui veulent user de avoir tel\nsi\u00e8cle; car la bonne femme qui bien se scet garder de telx gens doit\nestre moult lou\u00e9e et honnour\u00e9e. Car c\u2019est grant honneur et grant\nvictoire avoit fait de eschiver le mal langaige du monde, et qui se puet\ntenir nettement et hors de leurs folles parleures, sans ce que celles\nfolles langues puissent dire ne racompter que ilz l\u2019aient trouv\u00e9e en\nnulle foiblesse ne molest\u00e9 de cuer, ne qui se puissent bourder ne\ngangler de elles, et cestes bonnes femmes qui ainsi se tiennent fermes,\net qui ainsi se rusent de leurs faulces malices, doivent estre bien\nlou\u00e9es entre les bonnes, tout ainsi comme l\u2019en loue les bons chevaliers\net les bons escuiers qui passent par vaillance et par honneur; par la\npaine que ilz y ont trait tous autres pour le grant labour que ilz y ont\nsouffert pour venir \u00e0 honneur, sont ilz plus prisiez et honnourez que\ngens du monde. Tout aussy et par meilleur raison doit estre la bonne\ndame qui bien a rescoux son honneur contre telles mani\u00e8res de gens qui\nainsi usent. Et si vous dy bien que mon entente n\u2019est point par cest\nlivre \u00e0 blasmer bonne amour et ceulx qui usent de loyault\u00e9; car moult de\ngrans biens et honneurs en sont advenus. Mais la bonne dame de Villon,\nqui tant fut belle et preude femme, dont par sa bont\u00e9 et sa beault\u00e9\nmoult de bons chevaliers furent amoureux de elle, et elle, qui moult fut\nsaige et de grant gouvernement, leur disoit que toute saige femme qui\nbien vouloit nettement garder son honneur doit avant essaier son amy,\nc\u2019est celui qui la prye ou qui lui fait semblant d\u2019amour. Et quant elle\nl\u2019aura esprouv\u00e9 vij. ans, adonc elle sera certaine se il l\u2019ayme de cuer\nou de bouche. Et lors le pourra accoler pour singne d\u2019amour, sans plus.\nMais de ceste bonne dame je me tais, car elle avoit le cuer trop dur. Il\nest bien mestier que celles de aujourd\u2019uy aient le cuer plus piteulx,\net, se Dieux plaist, sy auront elles, car trop long temps a en vij. ans.\nLe plus d\u2019elles n\u2019attendront pas que elles n\u2019en ayent plus brief mercy,\nse Dieu plaist. Mes belles filles, je vous laisseray un peu de cest fait\net de cestes Galoises, et vous compteray un debat qui est entre vostre\nm\u00e8re et moy, sur le fait qu\u2019elle debat que nulle femme ne doit amer par\namours, fors en certains cas, et je soustiens le contraire, et pour ce\nest le debat d\u2019entre elle et de moy, sur lequel je vueil racompter.\nCy parle du debat qui avint entre le chevalier qui fist ce livre et sa\nfemme, sur le fait d\u2019amer par amours. Le chevalier parle, la femme\nrespont apr\u00e8s.\nChappitre VIxxIIIIe.\nMes chi\u00e8res filles, quant \u00e0 amer par amours, je vous en diray le desbat\nde vostre m\u00e8re et de moy. Je vouloye soustenir que une dame ou\ndamoiselle peut bien amer en certains cas de honneur, comme en esperance\nde mariage; car en amour n\u2019a que bien et honneur, qui mal n\u2019y pense. Car\nen celles o\u00f9 l\u2019on pense ou mal ou engin, n\u2019est pas amour, ains est mal\npens\u00e9 et mauvaisti\u00e9. Si vueilliez ou\u00efr le grant contens et le debat de\nelle et de moy. Je dy ainsi \u00e0 vostre m\u00e8re: \u00abDame, pour quoy ne aymeront\nles dames et les damoisselles par amours? Car il me semble que en bonne\namour n\u2019a que bien, et, aussy comme l\u2019amant en vault mieux et s\u2019en tient\nplus gay et plus joli et mieulx acesm\u00e9, et en hante plus souvent les\narmes et les honneurs, et en prent en lui meilleure mani\u00e8re et meilleur\nmaintieng en tous estaz pour plaire \u00e0 sa dame et \u00e0 sa mie, tout ainsi\nfait celle qui de lui est am\u00e9e pour lui plaire, puis que elle l\u2019ayme. Et\naussy vous dy-je que c\u2019est grant aumosne quant une dame ou damoiselle\nfait un bon chevalier ou un bon escuier. Cestes-cy sont mes raisons.\u00bb\n_Cy parle la dame et respont au chevalier_: Sy me respont vostre m\u00e8re et\ndit: \u00abSire, je ne me merveille pas se entre vous hommes soustenez ceste\nraison que toutes femmes doivent amer par amours. Mais, puis que cest\nfait et cest debat vient en clart\u00e9 devant noz propres filles, je vueil\ndebattre contre vous le mien advis, et feablement, selon mon\nentendement; car \u00e0 nos enffans nous ne devons riens celer. Vous dictes,\net si font tous les autres hommes, que toutes dames et damoiselles\nvalent mieulx se elles ament par amours et qu\u2019elles s\u2019en tendront plus\ngaies et plus renvoysi\u00e9es et en sauront trop mieulx leurs mani\u00e8res et\nleur maintieng, et feront aumosne de faire un bon chevalier ou un bon\nescuier valoir. Cestes paroles sont esbatements de seigneurs et de\ncompaignons et un langaige moult commun. Car ceulx qui disent que le\nbien et honneur qu\u2019ilz font, que ce soit par elles, qui les font valoir\net venir \u00e0 honneur et souvent eulx armer et aler \u00e8s voiages, et moult\nd\u2019autres choses que ilz dient qu\u2019ilz font pour leurs amies, il ne leur\ncouste gu\u00e8res \u00e0 le dire pour leur plaire et pour cuidier avoir leur gr\u00e9;\ncar assez de telles paroles et d\u2019autres bien merveilleux aucuns usent\nbien souvent. Mais, combien qu\u2019ilz disent que ilz le facent pour elles,\nen bonne foy ilz le font pour eulx meismes, et pour tirer \u00e0 avoir la\ngrace et l\u2019onneur du monde. Si vous di, mes chi\u00e8res filles, que vous ne\ncroiez pas vostre p\u00e8re en ce cas, et vous pry, si chi\u00e8re comme vous\nm\u2019avez, pour vostre honneur garder nettement sans blasme et sans\nparlement du monde, que vous ne soyez point amoureuses, pour plusieurs\nraisons que je vous diray. Premierement, je ne dy mie que toute gentil\nfemme ne doye mieulx amer les uns plus que les autres, c\u2019est assavoir\nles gens de bien et d\u2019onneur et ceulx qui leur conseilleront leur\nhonneur et leur bien; car l\u2019en puet bien faire meilleure chi\u00e8re aux uns\nque aux autres en moult de cas. Mais, quant \u00e0 estre si amoureuses que\ntelle amour la maistroye, atout le plaisir et le vouloir de son cuer,\naucunes fois il advient souvent que telle ardeur d\u2019amour et cellui fol\nplaisir les maistroye et les maine \u00e0 avoir aucun villain blasme, aucunes\nfois \u00e0 droit, et aucunes fois \u00e0 tort, par l\u2019aguet que l\u2019en a voulentiers\nsur tel fait, dont l\u2019on puet parfois recevoir grans blasmes et\ndeshonneur, et tel cry qu\u2019il ne chiet pas de legier, par les faulx\naguetteurs et par les mesdisans, qui j\u00e0 ne seront saoulx ne assouviz de\nagaitier, parler et rapporter plus tost le mal que le bien. Dont, par\nleurs faulx langaiges, ilz diffament et tollent la bonne renomm\u00e9e de\nmainte dame et damoiselle, et pour ce, toute femme \u00e0 marier se puet bien\ndepporter de celluy fait.\nDont l\u2019une rayson est que juenne femme amoureuse ne puet jamais servir\nDieu de fin cuer ne de si vray comme devant; car j\u2019ay ouy dire \u00e0\nplusieurs, qui avoient est\u00e9 amoureuses en leur juenesce, que, quant\nelles estoient \u00e0 l\u2019eglise, que la pens\u00e9e et la merencolie leur faisoit\nplus souvent penser \u00e0 ces estrois pensiers et deliz de leurs amours que\nou service de Dieu, et est l\u2019art d\u2019amours de telle nature que, quant\nl\u2019en est plus au divin office, c\u2019est tant comme le prestre tient nostre\nseigneur sur l\u2019autel, lors leur venoit plus de menus pensiers; c\u2019est\nl\u2019art d\u2019une deesse, qui a nom Venus, qui eut le nom d\u2019une planette, si\ncomme je l\u2019ay ouy dire \u00e0 un preudhomme prescheur, qui disoit que\nl\u2019ennemy se mist en une femme dampn\u00e9e qui \u00e0 mervelle fust jolie femme et\namoureuse, et se mist l\u2019ennemy dedans elle et faisoit faulx miracles,\ndont les payens la tindrent \u00e0 deesse et la honnouroient comme Dieu.\nCelle Venus fut celle qui donna le conseil aux Troyens qu\u2019ilz\nenvoyassent Paris, le filz du roy Priam, en Gr\u00e8ce querre femme, laquelle\nelle lui feroit avoir, et seroit la plus belle dame du royaume de Gr\u00e8ce,\net elle dit voir, car Paris avoit la belle Helaine, la femme au roy\nMenelaux, dont par celluy fait morurent plus de xl. roys et plus de cent\nmille personnes, dont la cause fust par l\u2019attisement de celle deesse\nVenus. Si fust une mauvaise deesse, et est bien apparissant que c\u2019estoit\nmauvaise temptacion de l\u2019ennemy. C\u2019est la deesse d\u2019amours qui ainsi\nattise les amoureulx et fait penser et merencolier jour et nuit en\nyceulx delis et en yceulx estrois pensiers, et par especial plus \u00e0 la\nmesse et au service de Dieu que en autre part, c\u2019est pour troubler la\nfoy et le service et la devocion que l\u2019en a vers Dieu. Et sachiez,\nbelles filles, pour certain, que j\u00e0 femme bien amoureuse n\u2019aura j\u00e0\nparfaitement le cuer en Dieu, ne \u00e0 dire ses heures devottement, ne le\ncuer si ouvert \u00e0 ou\u00efr le saint service de Dieu. Dont je vous diray un\nexemple, que j\u2019ay toujours ouy raconter, que il fut deux roynes par de\u00e7\u00e0\nla mer qui leurs faulx delis de luxure faisoient aux ten\u00e8bres le jeudy\nabsolu et le saint vendredy aour\u00e9, quant l\u2019en estaingnoit les\nchandelles, et en leurs oratoires, dont il en desplust tant \u00e0 Dieu que\nleur vil pechi\u00e9 feust sceu et desclair\u00e9, tellement qu\u2019elles en morurent\nen chappes de plong. Et les deux chevaliers leurs ribaux en morurent de\nsi cruelle mort, comme ceulx qui en furent escorchiez tous vifs. Or\npovez bien veoir comment leurs fausses amours estoient bien desvoy\u00e9es et\ndampnables, et comment la tentation de Venus, la d\u00e9esse d\u2019amours et la\ndame de luxure, les temptoit si folement, comme le saint vendredi\nbenoist, que toute creature doit plourer et gemir et estre en devocion.\nEt par cest exemple est bien veu que toute femme amoureuse est plus\ntempt\u00e9e \u00e0 l\u2019eglise et au service de Dieu ou\u00efr que ailleurs. Et l\u2019en y\ndoit dire ses heures plus que en autre lieu. Sy est ceste cy une des\npremi\u00e8res raisons par quoy juenne femme se puet deporter d\u2019estre\namoureuse.\nL\u2019autre rayson est que plusieurs, qui sont tous duiz de requerre et\nprier toutes les gentilz femmes que ilz treuvent, et jurent et parjurent\nleur foy et serement que ilz les aimeront loyaulment sans decevance, et\nqu\u2019ilz ameroyent mieulx estre mors que ilz pensassent villennie ne\ndeshonneur, et qu\u2019ilz en vauldront mieulx pour l\u2019amour d\u2019elles, et que,\nse ilz ont bien ne honneur, qu\u2019il leur viendra par elles, et leur\ndemonstreront et diront tant de raysons et de abusions que c\u2019est une\ngrant merveille \u00e0 les ou\u00efr parler. Et en oultre gemissent, et\nsouspirent, et font les pensis et les merencolieux, et en oultre font\nung faulx regart et font le debonnaire, tant que qui les verroit il\ncuideroit que ilz fussent esprins d\u2019amours vrayes et loyaulx; mais\ntelles mani\u00e8res de gens, qui ainsi usent de faire telx faulx semblans,\nne sont que deceveurs de dames et de damoiselles. Si vous dy qu\u2019ilz ont\nparoles sy \u00e0 mains et sy forg\u00e9es, comme ceulx qui souvent en usent, que\nil n\u2019est dame ne damoiselle, qui bien les vouldroit escouter, qu\u2019ils ne\ndeceussent bien par leurs faulses raysons que elles ne les deussent bien\namer. Et il en est bien pou, si elles ne sont moult saiges, qui bien\ntost n\u2019en feussent deceues, tant ont paroles \u00e0 main et tant font le\ngracieux et usent de faulx semblant. Ceulx cy sont au contraire du loyal\namant. Car l\u2019on dit, et je pense qu\u2019il soit vray, que le loyal amant qui\nest espris de loyal amour, que, d\u00e8s ce que il vient devant sa dame, il\nest si espris et paoureux et doubteux de dire ou faire chose qui lui\ndeplaise, que il n\u2019est mie si hardi de dire ne descouvrir un seul mot,\net, se il ayme bien, je pense qu\u2019il sera iij. ans ou iiij. avant que il\nlui ose dire ne descouvrir. Ainsi ne font pas les faulx, qui prient\ntoutes celles que ilz treuvent, comme dessus vous ay dit, car ilz ne\nsont en crainte ne en paours de dire tout ce qui \u00e0 la bouche leur vient,\nne honte ne vergoingne n\u2019en ont. Car, se ilz n\u2019en ont bonne responce\nd\u2019une, ilz penseront \u00e0 l\u2019avoir meilleure d\u2019une autre, et tout ce que ilz\npevent traire d\u2019elles, ilz rapportent tout et en font leurs parlements\ndes unes et des autres, et s\u2019en donnent de bons jours et de grans gogues\net de bons esbatemens. Et par celles voyes s\u2019en vont genglant et\nbourdant des dames et des damoyselles, et acroissent plusieurs paroles\nde quoy elles ne parl\u00e8rent onques. Car ceulx \u00e0 qui ilz les disent y\nremettent du leur et y adjoustent plus de mal que de bien, et ainsi de\nparole en parole et par telle frivole sont maintes bonnes dames et\ndamoyselles diffam\u00e9es.\nEt pour ce, mes belles filles, gardez-vous bien de les escouter, et, se\nvous veez ne appercevez qu\u2019ilz vous veullent user de telles paroles ne\nde telx faulx regars, si les laissiez illecques tous piquez, et appelez\naucun ou aucune en disant: \u00abVenez o\u00efr et escouter cest chevalier ou\nescuier, comme il esbat sa jeunesse et se gengle.\u00bb Et ainsi par telles\nparoles ou par autre mani\u00e8re lui romper\u00e9s ses paroles. Et sachiez que,\nquant vous lui aurez fait une foiz ou deux, que plus ne vous en\nparleront; car en bonne foy ou derrenier ilz vous en priseront et\ndoubteront plus, et diront: Ceste cy est seure et ferme. Et par ceste\nvoye ilz ne vous pourront mettre en leurs paroles ne en leurs\ngangleries, ne ne pourrez avoir nul diffamement ne blasme du monde.\u00bb\n_Le chevalier respont._ Lors je lui respondy: \u00abDame, vous estes bien\nmale et merveilleuse, qui ne voulez souffrir que voz filles ayment par\namours. Me dittes-vous que se aucun bon chevalier ou autre, qui soit\nhomme de bien et d\u2019onneur et puissant assez selon elles, qui les\nvueillent amer en entencion de mariage, pourquoy ne les aymeront-elles?\u00bb\n_La dame respont_: \u00abSire, \u00e0 ce je vous respons: Il me semble que toute\nfemme \u00e0 marier, soit pucelle ou vefve, se puet bien batre de son baton\nmesmes. Car tous les hommes ne sont mie d\u2019une mani\u00e8re ne d\u2019une autre, et\nce qui plaist aux uns ne plaist pas aux autres. Car il en est d\u2019aucuns \u00e0\nqui il plaist moult le bon semblant et bonne chi\u00e8re que l\u2019on leur faist,\net n\u2019y pensent que bien, et aucunes fois en sont plus ardans de les\ndemander \u00e0 leurs amis pour les avoir \u00e0 femmes. Et autres y a plusieurs\nqui d\u2019autres mani\u00e8res sont et tout au contraire; car ilz les en prisent\nmoins et doubtent en leurs cuers que, quant ilz les auroient, que elles\nfeussent de trop ligi\u00e8re voulentez et couraiges et trop amoureuses, et\npour ce les laissent \u00e0 demander, et aussy par trop estre ouvertes en\nleur faire beaux semblant, plusieurs en perdent leurs mariaiges. Car\npour certain, pour soy tenir simplement et meurement et non faire gu\u00e8res\nplus grant semblant \u00e8s uns mieulx que aux autres, elles en sont mieulx\npris\u00e9es et sont celles qui plus tost sont mari\u00e9es. Dont une fois vous me\ndeistes une exemple qui vous estoit advenue, que je n\u2019ay pas oubli\u00e9.\nVous souvient-il que vous me deistes une fois que l\u2019on vous parloit de\nmarier avecques la fille d\u2019un seigneur que je ne nomme pas? Si la\nvoulsistes veoir, et si savoit bien que l\u2019en parloit d\u2019elle et de vous.\nEt lors elle vous fist si grant chi\u00e8re comme se elle vouz eust veu tous\nles jours de sa vie, et tant que vous la touchastes sur le fait\nd\u2019amourettes, et que elle ne fist mie trop le sauvaige de bien vous\nescouter. Et les responses ne furent par trop sauvaiges, mais assez\ncourtoises et bien legierettes, et, pour le grant semblant qu\u2019elle vous\nfist, vous vous retraystes de la demander, et se elle se fust tenue un\npeu plus couverte et plus simplement vous l\u2019eussi\u00e9s prise, dont j\u2019ay ouy\ndepuis dire qu\u2019elle fut blasm\u00e9e; si ne s\u00e7ay se ce fut \u00e0 tort ou \u00e0 droit.\nSi n\u2019estes pas le premier \u00e0 qui j\u2019ay ouy dire et parler qu\u2019ilz en ont\nmaintes laissi\u00e9es \u00e0 prendre sur leur legier couraige et attrait et pour\nleurs grans semblans. Si est moult noble chose, et bonne et honneste \u00e0\ntoute femme \u00e0 marier, que soy tenir simplement et meurement, et\nespecialement devant ceulx dont elles pensent que l\u2019en parle de les\nmarier; je ne dy mie que l\u2019en ne doive faire honneur et bonne chi\u00e8re\ncommune, selon ce qu\u2019ilz sont.\u00bb\n_Le chevalier parle_: \u00abComment, dame, les voulez-vous tenir si courtes\nqu\u2019elles n\u2019aient aucune plaisance plus aux uns que aux autres?\u00bb\n_La dame respont_: \u00abSire, tout premierement, je ne vueil point qu\u2019elles\nayent nulle plaisance \u00e0 nulx mendres d\u2019elles, c\u2019est assavoir que toute\nfemme \u00e0 marier n\u2019ayme nul qui soit mendre que elle; car, si elle l\u2019avoit\nprins, ses amis l\u2019en tiendroient pour abaissi\u00e9e, et celles qui telles\ngens ayment, telle amour est contre leur honneur et estat et de grant\ndeshonneur; c\u2019est un grain de fol et legier couraige et de grant\nmauvaisti\u00e9 de cuer. Car l\u2019on ne doit rien tant convoittier comme honneur\nen cest monde, et avoir et acquerre l\u2019amisti\u00e9 et amour du monde et de\nses amis, qui par celle fole et legiere voulent\u00e9 est perdue; d\u00e8s lors\nqu\u2019elle se met hors du conseil et du gouvernement de eulx, elle est\ndeshonnour\u00e9e moult vilment, comme, se je vouloie, j\u2019en diroye bien\nl\u2019exemple de plusieurs qui en sont diffam\u00e9s et hayes de leurs prouchains\namis. Et pour ce je leur deffans, comme m\u00e8re doit faire \u00e0 ses filles,\nqu\u2019elles n\u2019aient nulles plaisances ne nulle telle amour en nuls mendres\nd\u2019elles, ne en nuls si grans qu\u2019elles ne puissent avoir \u00e0 seigneur; car\nles grans ne les aymeront pas pour les prendre \u00e0 femmes, ains ne leur\nferont nul semblant d\u2019amour, forz pour le cheval et pour le harnoiz,\nc\u2019est assavoir pour le pechi\u00e9 et delit du corps et pour les mettre \u00e0 la\nfolie du monde.\nApr\u00e8s, celles qui aymeront trois mani\u00e8res de gens, comme gens mariez,\ngens d\u2019esglise, prestres, moynes, et comme vallez et gens de n\u00e9ant,\ncestes mani\u00e8res de femmes qui les ayment pour n\u00e9ant et folement, je ne\nles met \u00e0 nul compte, fors qu\u2019elles sont semblables et plus putes\nd\u2019assez que femmes communes du bourdel. Car maintes femmes de bourdel ne\nfont leur pechi\u00e9 fors que par povret\u00e9, ou pour ce qu\u2019elles furent\ndeceues par mauvais conseil de houli\u00e8res et de mauvaises femmes. Mais\ntoutes gentilz femmes et autres, qui ont de quoy vivre honnestement, ou\ndu leur, ou par service ou autrement, il fault, se elles ayment telle\nmani\u00e8re de gens, que ce soit pour la grant ayse o\u00f9 elles sont par la\nlescherie de leur chair et mauvaisti\u00e9 de leur cuer, qu\u2019elles ne\ndaingnent maistrier. Moult de gens les trouvent plus putes, \u00e0 tout\nregarder, que les communes; car elles s\u00e7avent bien que l\u2019amour des\nmariez n\u2019est pas pour les avoir \u00e0 seigneur, ne aussi les gens d\u2019eglise,\net aussi les gens de n\u00e9ant; ceste amour n\u2019est pas pour recouvrer\nhonneur, mais pour toute vilt\u00e9 et honte recevoir, si comme il me\nsemble.\u00bb\n_Le chevalier parle_: \u00abAu moins, dame, puisque vous ne vous voulez\naccorder que voz filles ayment par amours tant comme elles seront \u00e0\nmarier, plaise vous souffrir que, quant elles seront mari\u00e9es, que, se\nelles prennent aucune plaisance d\u2019amour pour elles tenir plus gayes et\nplus envoysi\u00e9es, et pour mieulx s\u00e7avoir leur mani\u00e8re et leur maintieng\nentre les gens d\u2019honneur, car, aussi comme autreffois vous ay dit, ce\nleur seroit grant bien de faire un homme de n\u00e9ant valoir et estre bon.\u00bb\n_La dame respond_: \u00abSire, \u00e0 ce je vous repons: Je me attens bien que\nelles facent bonnes chi\u00e8res et li\u00e9es \u00e0 toutes mani\u00e8res de gens d\u2019onneur,\net plus aux uns que aux autres, c\u2019est assavoir comme ils seront plus\ngrans et plus gentilz et meilleurs de leurs personnes, et, selon ce\nqu\u2019ilz seront, qu\u2019elles leur portent honneur et courtoisie et chi\u00e8re\nli\u00e9e devant tous, et que elles chantent et danssent, et se esbattent\nhonnourablement, et leur faire bonne chi\u00e8re et bon visaige. Mais, quant\n\u00e0 amer par amours, puisque elles sont mari\u00e9es, se ce n\u2019est d\u2019amour\ncommune, comme l\u2019en doit faire \u00e0 gens d\u2019honneur, si comme les amer et\nhonnourer ceulx qui plus le valent, et qui ont plus mis peine et travail\n\u00e0 venir \u00e0 honneur par armes ou par bont\u00e9 de corps, ceulx doit-on plus\namer, servir et honnourer, sans y avoir plaisance, fors par la bont\u00e9\nd\u2019eulx. Mais soustenir que une femme mari\u00e9e doie amer par amour, d\u2019amour\nqui la maistroie, ne prendre la foy ne le serement de nul que ils soient\nleur amant ne leur subgiet, ne aussi que elles baillent bien leur foy ne\nserement que elles les aymeront sur tous, je pense que dame ne\ndamoyselle mari\u00e9e ne autre femme d\u2019estat ne mettra j\u00e0 son honneur ne son\nestat en tel party ne en telle balance, par plusieurs raisons,\nlesquelles je vous declareray, si comme il me semble. Dont l\u2019une raison\nest comme dessus vous ay j\u00e0 dit, c\u2019est assavoir que femme amoureuse ne\nsera jamais si devotte \u00e0 prier Dieu ne \u00e0 dire ses heures si devotement,\nne ou\u00efr le saint service comme devant. Car en amours a trop de\nmerencolies, si comme l\u2019en dit, et en y a maintes amoureuses qui, se\nelles osassent et elles ouyssent sonner la messe ou \u00e0 veoir Dieu et que\nleur amant leur dist: \u00abVenez \u00e7\u00e0\u00bb, ou qu\u2019elles peussent faire chose qui\nlui pleust, elles laisseroyent \u00e0 veoir Dieu et \u00e0 ou\u00efr son service pour\nobeir \u00e0 leur amant. Et si n\u2019est-ce pas jeu-party, mais ainsi est la\ntentacion \u00e0 Venus la deesse de luxure. L\u2019autre rayson est que le\nmercier, qui poise la soye, puet bien mettre tant de fillettes que la\nsoye emporte le poix, c\u2019est \u00e0 dire que la femme se puet bien tant\nadmourouser qu\u2019elle en aimera moins son seigneur, et que l\u2019amour et la\nchi\u00e8re qu\u2019il devra avoir de son droict, que autre la lui touldra. Car,\npour certain, une femme ne puet avoir deux cuers \u00e0 amer l\u2019un et l\u2019autre;\ncar ce qui va en l\u2019un decline de l\u2019autre: tout ainsi comme un levrier\nqui ne puet courre \u00e0 deux bestes ensemble, tout ainsi ne puet-elle amer\nfeablement son seigneur et son amy qu\u2019il n\u2019y ait faulte et decevance.\nMais Dieux et raison naturelle la contraint et deffent de l\u2019autre; car,\nsi comme disent les clers et les prescheurs, Dieu d\u00e8s le commencemant du\nmonde assembla homme et femme par mariaige, et d\u00e8s lors commanda\ncompaignie de mariage, et, apr\u00e8s ce, quant il fut venu ou monde, il en\nparla en plain sermon, devant tous, en disant que mariaige est une chose\nsi jointe de Dieu que ilz ne sont mie deux chars, mais une seule chair\net une seule amour et fragilit\u00e9, et qu\u2019ilz se doivent si entr\u2019amer\nqu\u2019ilz en doivent laissier p\u00e8re et m\u00e8re et toute autre creature. Et\npuisque Dieu les a assemblez, homme mortel ne les doit separer,\nc\u2019est-\u00e0-dire ne oster point l\u2019amour l\u2019un de l\u2019autre. Ainsi le dit Dieu\nde sa sainte bouche, et pour ce \u00e0 la porte de l\u2019eglise l\u2019en les fait\njurer d\u2019eulx amer et d\u2019eulx entregarder, sains et malades, et ne guerpir\npas l\u2019un l\u2019autre, pour pires ne pour meilleurs. Et dont je dy, puis que\nle createur le dist, que ce n\u2019est que une mesme chose et que l\u2019on doit\ntoute amour guerpir pour celle; et le grant serement que l\u2019en en a fait\nen sainte eglise, que l\u2019amour ne le service de l\u2019un et de l\u2019autre ne se\ndoit changier pour pire ne pour meilleur, c\u2019est-\u00e0-dire ne changier ne\nmettre autre en son lieu. Et dont comment pourroit femme mari\u00e9e donner\ns\u2019amour ne faire serement \u00e0 d\u2019autre, sans le gr\u00e9 de son seigneur? Je\npense, selon Dieu et selon le saint sacrement de sainte eglise, que ce\nne se puet faire deuement que il n\u2019y ait foy bris\u00e9e ou d\u2019un coust\u00e9 ou\nd\u2019autre. Et maint autre orrible cas et let, qui tout vouldroit mesurer,\na en celles qui baillent la foy et le serement, c\u2019est l\u2019amour, qu\u2019elles\ndoivent de leur propre droit \u00e0 leur seigneur, la baillier \u00e0 autruy. Car,\nen bonne foy, je doubte que celles qui sont amoureuses et baillent leurs\nfoys en ayment moins leurs seigneurs; car il convient que l\u2019amour pende\nde l\u2019un cost\u00e9 ou de l\u2019autre, selon raison, aussi comme le poix de la\nbalance.\n_L\u2019autre raison de la dame._ Apr\u00e8s y a autre raison. Qui bien vieult\ngarder l\u2019amour de son seigneur nettement, sans dangier et sans peril,\nc\u2019est assavoir contre envieux et males bouches qui font lez faulx\nrapports, c\u2019est-\u00e0-dire que, se elle fait aucun semblant d\u2019amours et\naucun s\u2019en appar\u00e7oive, soient de ses servans ou servantes ou autres de\neulx, quant ilz sont departis d\u2019elle ilz en parleront aucuns mos, et\nceulx \u00e0 qui ilz en parleront en reparleront \u00e0 d\u2019autres, et ainsi de\nparole en parole, avec ce que chacun y mettra du sien et acroistra un\npou davantaige, et tant yront les paroles que ilz diront que le fait y\nsera, et ainsi sera une bonne dame ou damoiselle, ou autre femme,\ndiffam\u00e9e et deshonnour\u00e9e. Et se il advient par aucune adventure que son\nseigneur en oye aucune parole, lors il la prendra en hayne, ne jamais de\nbon cuer ne l\u2019aymera, et la rudayera et laidangera et lui sera plus\nrude, et elle lui. Et ainsi veez l\u2019amour de leur mariage perdue, ne\njamais parfaitte amour ne bien ne joye n\u2019auront ensemble. Et pour ce est\ngrant peril \u00e0 toute femme mari\u00e9e de mettre son honneur et son estat et\nla joye et le bien de son mariaige en telle balance et en telle\nadvanture. Et pour ce je ne loue point \u00e0 nulle femme mari\u00e9e amer par\namours ne estre amoureuse d\u2019amours qui les maistroye, dont elles soient\nsubjettes \u00e0 d\u2019autres qu\u2019\u00e0 leurs seigneurs; car trop de bons mariaiges en\nont est\u00e9 deffais et peris, et contre un bien qui en est venu il en est\nvenus cent maulx. Dont je vous en diray aucuns exemples de ceulx qui\nsont morz et peritz par amours. La dame de Coucy et son amy en morurent,\net sy firent le chevallier et la chatellainne de Vergy, et puis la\nduchesse; tous ceulx cy et plusieurs autres en morurent pour amours, le\nplus sans confession. Si ne s\u00e7ay comment il leur en va en l\u2019autre\nsi\u00e8cle; si me doubte bien que les joyes et les delis que ilz en eurent\nen cest monde ne leur soyent chi\u00e8res vendues en l\u2019autre. Et pour ce les\ndelis des amoureux, pour une joye qu\u2019ilz en ont, ilz en re\u00e7oivent cent\ndouleurs, et pour une honneur cent hontes. Et ce advient souvent de par\nle monde, et ay tousjours ouy dire que femme amoureuse n\u2019aymera j\u00e0 puis\nson seigneur de bon cuer, ne, tant comme elle le sera, n\u2019aura parfaicte\njoye de mariaige, c\u2019est-\u00e0-dire avecques son seigneur, fors que\nmerancolie et menus pensiers.\u00bb\n_Le chevalier parle_: \u00abHa, dame, vous me faictes esmerveillier de ce que\nainsi deslouez \u00e0 amer par amours. Me cuidiez-vous faire acroire que vous\nsoiez si crueuse que vous n\u2019ayez aucunes foiz am\u00e9 et oy la complainte\nd\u2019aucun que vous ne me deistes mie?\u00bb\n_La dame respont_: \u00abSire, en bonne foy je pense que vous ne m\u2019en\ncroiriez mie de en dire la v\u00e9rit\u00e9. Mais quant d\u2019estre pri\u00e9e, se j\u2019eusse\nvoulu, par maintes foys j\u2019ay bien apperceu que aucuns m\u2019en vouloient\ntouchier. Mais je leurs rompoye leurs parolles, ou appelloye aucun, par\nqui je despe\u00e7oye leur fait et le fait de leur emprise. Dont il advint\nune fois que tout plain de chevaliers et de dames jouoient au Roy qui ne\nment pour dire v\u00e9rit\u00e9 du nom s\u2019amie; si me dist un, et me jura trop fort\nque c\u2019estoit moy, et qu\u2019il m\u2019amoit plus que dame du monde. Et je lui\ndemanday s\u2019il y avoit gu\u00e8res qu\u2019il lui estoit pris, et il dist qu\u2019il y\navoit bien deux ans, et oncques mais ne me l\u2019avoit os\u00e9 dire. Et je lui\nrespondy que ce n\u2019estoit riens de estre si tost espris, et que ce\nn\u2019estoit que un pou de temptacion, et qu\u2019il alast \u00e0 l\u2019\u00e9glise et preist\nde l\u2019eaue benoiste et deist son _Ave Maria_ et sa Pater nostre, et il\nluy seroit tantost pass\u00e9, car ces amours estoient trop nouvelles. Et il\nme demanda comment, et je lui deis que nul amoureux ne le doit dire \u00e0 sa\nmie jusques \u00e0 la fin de vij. ans et demy, et pour ce n\u2019estoit que un pou\nde temptacion. Lors il me cuida arguer et trouver ses raysons, quant je\nlui dis bien hault: Veez que dist cest chevallier! Il dit que il n\u2019a que\ndeux ans que il ayme une dame. Et lors il me pria que je m\u2019en teusse, et\nen bonne foy onques puis ne m\u2019en parla.\u00bb\n_Le chevalier parle_: Lors je lui dis: \u00abMadame de La Tour, vous estes\nmoult male et estrange et orguilleuse en amours, selon voz paroles. Si\nfais doubte se vous avez toujours est\u00e9 si sauvaige. Vous ressemblez\nmadame de La Jaille, qui m\u2019a aussy dit qu\u2019elle ne voult oncques riens\nouir ne entendre la note de nul, fors une fois que un chevallier le lui\ndisoit, et elle aguigna un sien oncle, qui vint derri\u00e8re escouter le\nchevallier, dont ce fut grant trayson et grant piti\u00e9 de faire espier le\nchevallier, qui moult estoit bien advisi\u00e9 et cuidoit bien dire sa\nraison, et ne pensoit mie que l\u2019en l\u2019escoutast. Vraiement, entre vous et\nelle, a poy que je ne die que vous estes grans bourderesses et peu\npiteuses de ceulx qui mercy qui\u00e8rent. Et aussi je la tiens \u00e0 aussy malle\nou plus comme vous, car elle soustient voz oppinions, que dame ne\ndamoiselle qui est mari\u00e9e se puet bien deporter d\u2019amer autre que son\nseigneur, par les raisons que vous avez dites dessus. Si je ne m\u2019y\npourroye consentir, ne j\u00e0 ne m\u2019y consentiray. Mais quant \u00e0 voz filles,\nvous leur povez dire et eschargier ce qu\u2019il vous plaist, et apr\u00e8s du\nfait sera fait droit.\u00bb\n_La dame respond_: \u00abSire, je prie \u00e0 Dieu que \u00e0 bien et \u00e0 honneur\npuissent leurs cuers tourner, si comme je le d\u00e9sire; car mon entencion\nn\u2019est point de en ordonner ne deviser sur nulle dame ne damoiselle, fors\nsur mes propres filles, sur qui j\u2019ay mon parler et mon chastiement. Car\ntoutes autres dames et damoiselles se sauront bien gouverner, se Dieu\nplaist, \u00e0 leur guise et \u00e0 leur honneur, sans ce que je me doye\nentremettre d\u2019elles, moy qui suis moult pou savant.\u00bb\n_Le chevalier parle_: \u00abAu moins, ma dame, me vueil-je un pou d\u00e9battre \u00e0\nvous que, s\u2019elles pevent faire valoir et venir \u00e0 honneur aucun que\njamais n\u2019y tendroit ne n\u2019auroit le hardement ne le cuer de\nl\u2019entreprendre, se ne feust le plaisir qu\u2019il pourroit prendre en sa mie\net la bonne esperance de tendre \u00e0 estre bon, et d\u2019estre nomm\u00e9 entre les\nbons, pour tirer \u00e0 avoir honneur et pour mieulx cheoir en sa grace et\nplaisance; et ainsi pour un poy de bonne chi\u00e8re puet faire un homme de\nneant bon, dont de lui n\u2019estoit compte ne parole, ne de sa renomm\u00e9e, et\n\u00e0 present pour l\u2019amour d\u2019elle a tant fait qu\u2019il sera nomm\u00e9 entre les\nbons, et doncques regardez et amesurez se ce n\u2019est mie convenable.\u00bb\n_La dame respond_: \u00abSire, il m\u2019est advis qu\u2019ilz sont plusieurs mani\u00e8res\nd\u2019amours, se comme l\u2019en dit, et en y a des unes meilleures que les\nautres. Mais, se un chevallier ou escuier ayme une dame ou damoyselle\npar honneur, tant seulement pour l\u2019onneur d\u2019elle garder, et pour le\nbien, la courtoisie et la bonne chi\u00e8re qu\u2019elle fera \u00e0 lui et aux autres,\nsans autre chose lui requerre, ceste amour est bonne, qui est sans\nrequeste.\u00bb\n_Le chevalier parle_: \u00abAvoy, dame, et, se il la requiert d\u2019acoler et de\nbaisier, ce n\u2019est mie grant chose; car autant en porte le vent.\u00bb\n_La dame respond_: \u00abSire, de ce je vous respons quant \u00e0 mes filles, de\nautre je ne parle point; il me semble bien et m\u2019y consens qu\u2019elles leurs\npueent bien faire bonne chi\u00e8re et li\u00e9e, et encore qu\u2019elles les accolent\ndevant tous, et que par faulte de bonne chi\u00e8re devant tous plainement\nque ilz ne perdent pas \u00e0 valoir, se voulent\u00e9 en ont. Mais quant \u00e0 mes\nfilles, qui cy sont, je leur deffens le baisier, le poetriner et tels\nmani\u00e8res d\u2019esbatemens. Car la sage dame Rebecca, qui fut tr\u00e8s gentille\net preude femme, dist que le baisier est germain du villain fait. Et la\nroyne de Sabba dist que le signe d\u2019amours est le regart, et apr\u00e8s le\nregart amoureux on vient \u00e0 l\u2019accoler, et puis au baisier, et puis au\nfait, lequel fait toult l\u2019onneur et l\u2019amour de Dieu et du monde, et\nainsi viennent voulentiers de degr\u00e9 en degr\u00e9. Et vueilliez s\u00e7avoir qu\u2019il\nme semble que, d\u00e8s ce qu\u2019elles se laissent baisier, elles se mettent en\nla subjection de l\u2019ennemy, qui est trop subtil. Car telle se cuide au\ncommencement tenir ferme qu\u2019il des\u00e7oipt par telz plaisirs et par telz\nbaisiers. Car, ainsi comme l\u2019un boire attrait l\u2019autre, et comme le feu\nse prent de paille en paille et puis se mest au lit et du lit en la\nmaison, et puis elle art toute, tout ainsi est-il de maintes amouretes;\ncar premi\u00e8rement ilz demanderont le acoler et puis le baisier, et tout\nplain d\u2019autres folz delis, et de celle ardeur d\u2019amour aucunes foiz\nch\u00e9ent en plus fol fait, dont mains maulx en sont avenus et maintes fois\nencores adviennent, dont maintes en sont deshonnour\u00e9es et diffam\u00e9es. Et\nencores je dy que, se le fait n\u2019y est et aucun les treuve seul \u00e0 seul\neulx entrebaisant en bonne foy, si ne puet-elle faillir \u00e0 estre\ndiffam\u00e9e; car cellui ou celle qui l\u2019aura veu le dira et adjoustera plus\nde mal que de bien, et par ceste raison et plusieurs aultres, qui trop\nseroient longues \u00e0 toutes les dire, toutes femmes qui telz signes font\net qui ainsi se laissent baisier \u00e0 homme \u00e0 qui elles ne le doivent\nfaire, elles mettent leur honneur et leur estat en grant balance d\u2019estre\ndiffam\u00e9es. Si vueil que mes filles se gardent que elles ne baisent\nnullui, se il n\u2019est de leur linaige ou que leur seigneur ou leurs\npropres parens le leur commandent; car en chose faicte par commandement\nn\u2019a nul mal. Et si vous dy, belles filles, que vous ne soyez j\u00e0 grans\njouaresses de tables. Car c\u2019est un fait qui trop attrait de folz\nattrais, et en y a aucuns qui se laissent perdre, tout \u00e0 leur escient et\nde leur gr\u00e9, certaines fermailles et de petis joyaulx, comme annel\u00e9s\nd\u2019or et autres choses. Car c\u2019est une chose qui donne voye et attrait\nd\u2019avoir aucune fois blasme. J\u2019ay ouy raconter d\u2019une dame de Bani\u00e8re,\nmoult belle, et disoit l\u2019en qu\u2019elle avoit xx. subgiez qui tous\nl\u2019aymoient, et \u00e0 tous donnoit attrais de semblant d\u2019amour, et si\ngaingnoit souvent \u00e0 eulx \u00e0 cellui jeu corss\u00e9s, draps, pennes de ver,\nperles et grans joyaulx, et en avoit moult de grans prouffis; mais pour\ncertain elle ne les pot onques si bien garder que en la fin elle n\u2019en\nfeust moult blasm\u00e9e et diffam\u00e9e, et mieulx lui vaulsist pour son honneur\navoir achet\u00e9 ce qu\u2019elle en avoit eu le denier xij. Si est moult grant\nperil \u00e0 toute dame et damoiselle et \u00e0 toute autre femme de user de celle\nvie; car les plus appertes et les plus saiges s\u2019en tiennent sur le\nderrenier pour moqu\u00e9es et diffam\u00e9es. Et pour ce, belles filles, prenez y\nbon exemple, et ne jouez pas trop envieusement, et n\u2019aiez mie le cuer\ntrop ardant de gaingner petites fermailles, et n\u2019i aiez mie trop le\ncuer. Car qui a le cuer trop ardant de prendre dons ne telz fermailles\ngaingnez par tels jeux, maintes en sont deceues, et sont semblables \u00e8s\ndons, car l\u2019un vault l\u2019autre, et qui est accoustumi\u00e8re et ardante de\ntrop souvent prendre dons ne telles fermailles gaingnez par tels jeux,\naucunes fois celles qui trop en prennent se mettent en subgicion, et\nmaintes fois advient qu\u2019elles s\u2019en trouvent deceues. Si est bon de\ntoutes avisier avant le coup.\u00bb\nDe la dame qui esprouve l\u2019ermite.\nChappitre VIxxVe.\nBelles filles, je vous diray une des derreni\u00e8res exemples d\u2019une bonne\ndame qui moult fait \u00e0 louer; il est contenu en la vie des P\u00e8res comment\nla femme au prevost d\u2019Acquill\u00e9e esprouva un hermite par sa bont\u00e9. Il fut\nun saint hermite qui bien avoit est\u00e9 xxv. ans en hermitaige, o\u00f9 il\nmengoit pain gros, herbes et racines, et buvoit eaue et jeunoit et\nestoit de moult sainte vie. Et une fois il commen\u00e7a \u00e0 dire: \u00abBeau sire\nDieux, ay-je en cest si\u00e8cle riens fait dont je doye avoir nulle merite,\nne fait chose qui te plaise?\u00bb Sy lui vint une advision qu\u2019il lui\nsembloit que on lui disoit: \u00abTu es bien de la m\u00e9rite au prevost\nd\u2019Acquill\u00e9e et sa femme.\u00bb Lors, quant il ot ouy son advision, il se\npensa que il yroit en Acquill\u00e9e et verroit et requerroit des meurs et de\nleur vie, et de quelle merite ilz estoient. Et pour s\u00e7avoir se ilz\navoient nul bien deservy envers Dieu, si se mist \u00e0 chemin, et, comme\nDieu le voult, par la grace du saint Esperit, le prevost d\u2019Acquill\u00e9e et\nsa femme sceurent bien la venue de l\u2019ermite pourquoy il venoit. Si\nadvint, comme l\u2019ermite arrivoit vers la ville d\u2019Acquill\u00e9e, le prevost\nyssoit de la ville \u00e0 moult grant foyson de gens, et aloit faire justice\nd\u2019un escuier qui avoit occis un autre escuier. Et estoit le prevost sur\nun grant courssier, vestu de draps de soye, fourr\u00e9 de vair et d\u2019ermines,\nmoult noblement et richement acesm\u00e9. Et, tantost comme le prevost vit\nl\u2019ermite, il le congnut bien, par la volont\u00e9 de Dieu; si l\u2019appelle \u00e0\ncost\u00e9 et lui dist: \u00abBeau preudomme, allez \u00e0 mon hostel et bailliez cest\nannel \u00e0 ma femme, et lui dittes qu\u2019elle vous face comme \u00e0 moy.\u00bb Si lui\ndemanda l\u2019ermite qui il estoit, et il lui dit qu\u2019il estoit le prevost\nd\u2019Aquill\u00e9e. Lors l\u2019ermite, qui ainsi le vit noblement et richement\nappareilli\u00e9, fut moult esbahi et esmerveilli\u00e9 pource qu\u2019il le vit en si\ngrant cointise, et qu\u2019il faisoit deffaire un homme et le faisoit pendre.\nSi ne savoit que penser et estoit tout troubl\u00e9, et lui sembloit qu\u2019il\nn\u2019avoit riens desservy devers Dieu. Et toutes fois il alla \u00e0 l\u2019ostel du\nprevost, et trouva la dame \u00e0 qui il bailla l\u2019annel, et lui dist que son\nseigneur lui mandoit qu\u2019elle lui feist comme \u00e0 lui. La bonne dame le\nreceust \u00e0 grant joye, si fist mettre les tables et le fist seoir del\u00e8s\nelle et servir de bonnes viandes et de chaudes et de bons vins, et\nl\u2019ermite, qui ne avoit pas apris ne acoustum\u00e9 \u00e0 avoir telles viandes,\ntoutesfois mengea et bust et en fust bien aise. Et sur le derrenier il\nlui sembla que la dame faisoit despecier les m\u00e8z des viandes devant elle\net mettre ou relief, et mengoit pain gros et boulie et buvoit eaue, et\nsi faisoit ainsi. Et, quant vint au soir, la dame le mena en sa chambre,\nqui fut bien par\u00e9e de couvertures fourr\u00e9es de vair et de gris et bien\nencourtin\u00e9, et lui dist: \u00abBeau preudomme, vous coucherez ou lict de mon\nseigneur et en sa chambre.\u00bb Si le cuida refuser, mais elle lui dist que\nsi feroit et qu\u2019elle feroit le commandement de son seigneur et qu\u2019il y\ncoucheroit. Lors fist venir bons vins et espices, et y trouva bonne\nsaveur et beust bien \u00e0 tant qu\u2019il fut bien yvre et fut joyeulx et\nemparl\u00e9; car le vin l\u2019eust tantost deceu, pource qu\u2019il n\u2019avoit mie apris\n\u00e0 point en boire. Apr\u00e8s ce il s\u2019en ala couchier, et, quant il fut\ncouchi\u00e9, la dame se despouilla et se vint couchier avecques lui, et le\ncommen\u00e7a \u00e0 acoler et le taster, et l\u2019ermite, qui bien avoit meng\u00e9 de\nbonnes viandes et de chaudes, et n\u2019avoit mie oubli\u00e9 \u00e0 boire, sa chair se\nesleva et s\u2019esmeut, et tant que il vouloit faire la chose \u00e0 la dame. Et,\nquant la dame vit qu\u2019il le vouloit faire, la dame lui dist: \u00abDoulx amis,\nquant mon seigneur le veult faire, il se va avant laver et baingnier en\ncelle cuve d\u2019eaue que vous veez, pour estre plus net.\u00bb Lors l\u2019ermite,\nqui n\u2019entendoit fors \u00e0 sa fole voulent\u00e9, saillist dedans la cuve et se\nbaingna et lava en l\u2019eaue, qui fut froide comme glace, et fust tantost\ntransi de froid, et lors la dame l\u2019appella et il vint tremblant et\nsublant, et lui estoit bien la chaleur pass\u00e9e et la mauvaise voulent\u00e9.\nEt lors elle l\u2019abria et puis eschauffa, et tant que la chair arri\u00e8re lui\nesleva et voult faire son fol delit. Et quant elle vist qu\u2019il feust bien\nentalent\u00e9, elle le pria que encores il allast pour amour de elle soy\nbaingnier une autre fois pour estre plus net, et cellui, qui encores\nn\u2019avoit point dormy, ains estoit tout chaut du vin et avoit perdue sa\nmemoire, saillist du lit et alla arri\u00e8re soy baingnier. Et lors l\u2019eaue\nfroide le transist tout de froit, et lors la dame l\u2019appella, et il vint\ntramblant et daguetant les dents, et lui estoit bien la chaleur pass\u00e9e.\nEt lors la bonne dame si l\u2019abria et couvry tr\u00e8s bien et s\u2019en parti et\nlaissa reposer tr\u00e8s bien l\u2019ermite. Et quant il fut un pou eschauff\u00e9 il\ns\u2019endormy moult pesantement, et ne se resveilla jusques au matin qu\u2019il\nfeust haulte heure, et lui douloit la teste du vin qu\u2019il avoit beu, car\nil n\u2019en avoit point apris \u00e0 boire. Lors il vint un vielx chappellain \u00e0\nson lever, qu\u2019il lui demanda comment il lui estoit. Et, quant il\ns\u2019apperceut que il avoit geu en si noble lit et qu\u2019il lui estoit ainsi\nadvenu, il fut moult honteux et moult esmerveilli\u00e9 dont il estoit ainsi\ncheu, et vist bien qu\u2019ilz estoient de plus grant m\u00e9rite que lui. Lors il\ndemanda au chappellain de ceans de l\u2019estre et de la vie du prevost et de\nla dame. Et le chappelain lui dist que ilz vestoient la haire le plus de\njours et l\u2019estamine, et, quant les bonnes viandes estoient devant eulx,\nilz les mettoient en relief et en aumosnes et mengeoient le gros pain et\nles viandes de pou de saveur, et buvoient de l\u2019eaue, et jeunoient le\nplus de jours. Lors il demanda pourquoy estoit illec celle cuve d\u2019eaue\nfroide delez leur lit, et il respondist qu\u2019elle estoit l\u00e0 mise pour ce\nque, quant la char d\u2019aucun d\u2019eulx s\u2019esmouvoit au delit de la chair, afin\nqu\u2019ils ne cheyssent en pechi\u00e9 de luxure, fors \u00e0 un jour de la sepmaine,\ncellui d\u2019eulx \u00e0 qui elle esmouvoit se aloit mettre en celle cuve d\u2019eaue\nfroide pour reffraindre leur fol delit. Et, quant l\u2019ermite eut ainsi\nenquis, il se pensa que le prevost, combien qu\u2019il feust moult richement\narray\u00e9 dehors, vestoit la haire ou l\u2019estamine, et en oultre qu\u2019il tenoit\njustice et la faisoit faire devant lui, et aussi comment lui et sa femme\nveoient \u00e0 leur table les bons morceaux et les bonnes viandes\ndelicieuses, et ne les vouloient mengier, ains les donnoient pour Dieu\net mengoient pain gros et buvoient eaue, et considera que vraiement ilz\navoient vij. fois plus de merite que lui, qui ne veoit \u00e0 son hermitaige\nnulle chose dont il lui prist envie, et que c\u2019estoit plus grant\nabstinence et en devoient avoir plus grant merite que lui, et puis se\npensa comment il ne tint mie en lui qu\u2019il ne feist la folie \u00e0 la bonne\ndame, et comment elle l\u2019essaia et esprouva. Si ot moult grant deul et\ngrant vergoingne, et mauldisoit en son cuer l\u2019eure que oncques il estoit\nparti de son hermitaige, et que, en v\u00e9rit\u00e9, il n\u2019estoit pas digne de les\ndeschausser, et s\u2019en ala mussant et plourant, et moult honteux, et\ndisoit \u00e0 haulte voix: \u00abBeau sire Dieulx, il n\u2019est plus noble tresor ne\nplus precieuse chose terrienne que la bonne dame qui me essaya et a veu\nma folie et esprouv\u00e9 ma faillance; et vrayement, Sire, elle est bien\ndigne d\u2019estre nomm\u00e9e et appell\u00e9e la precieuse marguerite, comme vous le\ndeistes, Sire, en la sainte euvangille, que la bonne femme devoit estre\ncompar\u00e9e \u00e0 la precieuse marguerite. Mais, Sire, ceste bonne dame est une\nde celles pour qui vous le deistes de votre sainte bouche.\u00bb Ainsi\nparloit \u00e0 soy-mesmes le saint hermite et se repentoit moult humblement\nen cryant mercy \u00e0 Dieu et en louant la bonne dame qui de si bonne vie\nestoit. Et pour ce a cy bon exemple comment noble chose est de bonne\ndame qui bien s\u2019espreuve et qui se puet contenir contre les temptacions\nde l\u2019ennemy et contre la foyblesse de la chetive chair qui tous jours\nfrit et desire la folle voulent\u00e9 en son fol delit, et puis, quant le fol\ndelit est eschapp\u00e9 et fait, l\u2019en en ploure et s\u2019en repent l\u2019en; mais\nc\u2019est tart, car l\u2019ennemy, qui cest fait a pourchassi\u00e9, d\u00e8s ce qu\u2019il a\npeu faire acomplir la folie et le mauvais d\u00e9lit, il les tient pour ses\nserfs et pour ses subgiez, et les assemble et les lie tant que \u00e0 painne\nilz s\u2019en pevent deslier, tant y met grant plaisance par son art, et, de\ntant comme le pechi\u00e9 est plus grant, de tant est la folle temptacion\ngreigneur.\nCy parle d\u2019une dame qui estoit riche et avaricieuse.\nChappitre VIxxVIe.\nUn autre exemple vous diray d\u2019une grant dame qui fust femme \u00e0 un grant\nbaron; celle fust moult long temps vefve, et n\u2019avoit que une fille,\nmari\u00e9e \u00e0 un grant seigneur. Sy advint qu\u2019elle fust malade au lit de la\nmort; sy fist faire son lit devant l\u2019uis d\u2019une tour o\u00f9 estoit sa\nchevance et son or, et fist mettre la clef de cette tour scell\u00e9e en un\ndrapel soubz ses reins, et, quant vint que la mort s\u2019aprocha, elle avoit\ntousjours les yeulx devers la porte de celle tour, et quant aucuns y\naprouchoient, elle levoit la main et monstroit signe que l\u2019en n\u2019y\naproschat, et s\u2019escrioit et tourmentoit toute que nul n\u2019y habitast vers\nl\u2019uis, et l\u00e0 avoit le plus de son entente, tant comme elle peust faire\nnul signe, et au fort elle trepassa. Si arriva la fille, qui grant dame\nestoit, et demanda aux gens se sa m\u00e8re avoit point de chevance pour lui\nfaire son arroy; ils respondirent qu\u2019ilz ne savoient, fors qu\u2019ilz se\npensoient bien que, se point en avoit, qu\u2019elle feust en celle tour\ndevant son lit. Et compt\u00e8rent comment elle ne vouloit souffrir que l\u2019en\nn\u2019y atouchast, et lui distrent comment la clef en estoit scell\u00e9e soubz\nses rains. Lors la fille ouvrit la tour et trouva de xxx. \u00e0 xl. mille,\ntant en or que en argent, que en vaisselle; mais lors fut trouv\u00e9 en\nlinceulx de fil et de laine et en poup\u00e9es de lin et en merveilleuses\nchose, que tous en estoient esbahis d\u2019en veoir la mani\u00e8re. Adonc sa\nfille se seigna et dist que en bonne foy elle ne cuidoit mie qu\u2019elle\neust le xxxe de ce qu\u2019elle avoit trouv\u00e9, et en estoit moult esbahie, et\nencores disoient qu\u2019elle et son seigneur l\u2019estoient venue veoir, n\u2019avoit\ngaires, et lui avoient requis de leur prester deux cens livres, jusques\n\u00e0 certain temps, et qu\u2019elle leur avoit jur\u00e9 fort sairement qu\u2019elle\nn\u2019avoit point d\u2019argent, fors sa vaisselle d\u2019argent de chascun jour, et\npour ce estoit elle moult esmerveill\u00e9e de trouver ce qu\u2019elle trouvoit.\nSi lui distrent ses gens qui avoient est\u00e9 avecques elle: \u00abMa dame, ne\nvous esmerveilliez mie, car nous en sommes plus esmerveilliez encore que\nvous; car, se elle voulsist envoyer un messaige hors, ou aucune chose\nfaire, elle empruntoit iij. solz ou iiij, et deist par sa foy qu\u2019elle\nn\u2019avoit point d\u2019argent, et si estoit moult riche et ne vouloit riens\ndespendre. Et, quant ses gens mangeoient, elle leur reprouchoit:\nComment, serez-vous tout huy \u00e0 table? vous ne faictes que gaster et\ndespendre tout le nostre.\u00bb Et si vous dy bien que l\u2019en la tenoit moult\nescharse et chiche; et toutes foiz elle laissa tout. Si n\u2019a pas long\ntemps que je fus l\u00e0 o\u00f9 elle est enterr\u00e9e; si demandoit aux fr\u00e8res de\nl\u2019abbaye o\u00f9 elle gisoit et \u00e0 quoy il tenoit qu\u2019elle n\u2019avoit une tombe ou\naucune congnoissance d\u2019elle en leur eglise. Et ilz me respondirent que\noncques, puis que l\u2019enterraige fut fait, amy qu\u2019elle eust n\u2019en fist dire\nne messe ne matines, ne faire nul bien pour elle neant plus que pour une\npovre femme de villaige, forz que tant seulement \u00e0 son enterraige, o\u00f9\nelle ot beau service; mais ce fut tout, car je le vy et y fus. Si a cy\nbon exemple comment l\u2019ennemi est subtil pour decevoir, et comment en\nl\u2019un des vij. pechiez mortelz, o\u00f9 il puet mieulx tempter homme et femme,\nen cellui il met son entente et lie les pecheurs tellement que \u00e0 painne\ns\u2019en puevent-ils deslier, et se ce n\u2019est par vraye confession, et les\nfait estre serfz au pechi\u00e9, comme il fist celle grande dame; car il fist\ntant qu\u2019elle fut serve et servante \u00e0 son or et \u00e0 son argent, tellement\nqu\u2019elle ne s\u2019en osa bien faire ne autruy, ne pour l\u2019amour du monde, ne\npour l\u2019onneur. Et pour ce, belles filles, a cy bon exemple que, se il\nadvenoit que Dieu vous donnast aucune chose et chevance terrienne,\ndepartez lui en largement et en faictes bien, pour honneur de vous, \u00e0\nvos povres parens et voisins. Et n\u2019attendez pas \u00e0 le departir comme fist\ncelle dame, pour qui oncques puis ne fut chant\u00e9 ne ball\u00e9, ne fait nul\nbien pour elle, comme ouy avez dessus.\nD\u2019une dame honnourable.\nChappitre VIxxVIIe.\nUn autre exemple vous vueil dire au contraire de cestui devant; c\u2019est\nd\u2019une bonne dame qui fut longtemps veufve. Si fut moult de sainte vie,\net moult honnourable, comme celle qui chascun an tenoit feste \u00e0 Noel de\nses voisins, et les envoioit querre pr\u00e8s et loin, tant que la salle en\nestoit bien plainne. Et ne fait mie \u00e0 demander se elle les servoit et\nhonnouroit bien, chascun selon soy, et \u00e0 merveilles portoit grant\nhonneur et privet\u00e9 aux preudes femmes et aux gens qui avoient deservi\nhonneur, et l\u00e0 estoient les menestralx et plusieurs instrumens, \u00e0 qui\nelle faisoit moult grant chi\u00e8res et leur donnoit du sien largement, tant\nqu\u2019ilz l\u2019amoient \u00e0 grant merveilles, tellement que, quand elle fut\nmorte, ilz en firent une chanson de regret d\u2019elle, o\u00f9 il y a au\nreffrain:\n Helas! \u00e0 la Galonni\u00e8re\n N\u2019avons nous plus bel aler,\n Comme endroit ma dame chi\u00e8re,\n Qui tant nous souloit amer.\nEt ainsi la regretoient. Et apr\u00e8s ce elle avoit telle coustume que, se\nelle sceut aucune povre gentilfemme qui feust mari\u00e9e pr\u00e8s d\u2019elle, elle\nl\u2019ordonnast et arroiast de joyaulx et de mantel et lui faisoit tant de\nbiens qu\u2019elle povoit, et, se elle n\u2019y allast, elle y envoiast de ses\ndamoyselles l\u2019arroyer et lui faire honneur, et aloit aux enterremens des\npovres gentilz hommes et gentilz femmes et leur donnoit la cire ou ce\nqui leur faisoit mestier, et puis se revenoit mangier en son hostel, et\nne souffrist pas que gens qu\u2019elle eust leur fist nul coust. Son\nordonnance de chascun jour estoit qu\u2019elle se levoit ass\u00e9s matin et avoit\ntousjours deux fr\u00e8res et deux ou iij. chappelains qui lui disoient\nmatines \u00e0 notte et messe \u00e0 notte, sans les autres messes, et, quant elle\nestoit lev\u00e9e, elle venoit tout droit \u00e0 sa chappelle, et entroit en son\noratoire, et l\u00e0 disoit ses heures, tant comme l\u2019en disoit matines et une\nmesse. Et apr\u00e8s elle se aloit arraier et attourner, et apr\u00e8s cela elle\ns\u2019aloit esbattre \u00e8s vergiers ou \u00e0 l\u2019environ son hostel, en disant ses\nheures, puis venoit faire aucunes petites messes dire et la grant messe,\net puis aloit disner, et, apr\u00e8s disner, s\u2019elle sceut aucun malade ou\nfemme en g\u00e9sine, elle les aloit veoir et visiter et leur feist porter de\nsa meilleure viande et du vin, et l\u00e0 o\u00f9 elle ne povoit aler, elle\ntramettoit un varlet tout propre sur un petit cheval, qui aloit veoir\nles malades l\u00e0 o\u00f9 ilz estoient, et leur portoit vin et viandes. Et apr\u00e8s\nvespres elle aloit soupper, se elle ne junast, selon le temps et la\nsaison, et faisoit au soir venir son maistre d\u2019ostel, et vouloit savoir\nque l\u2019en mengeroit lendemain, et ordonnoit de ses choses qui failloient,\net vivoit par bonne ordenance, et vouloit que l\u2019en se pourveist de loing\ndes choses qui estoient necessaires pour son hostel. Elle faisoit moult\nde abstinences, et entre les autres choses elle vestoit la haire le\nmercredi, le vendredi et le samedi. Comment je le sais, je vous le\ndiray. La bonne dame morut en un lieu qu\u2019elle tenoit en douaire, qui\nestoit de monseigneur mon p\u00e8re, et, quant elle fust morte, nous y\nvenismes demourer, mes suers et moi, qui estions encore petis. Et fut\ndepeci\u00e9 le lit o\u00f9 elle morut; si fut trouv\u00e9e dedans une haire. Si avoit\nleans une damoiselle moult bonne femme, qui avoit demeur\u00e9 avecques la\ndame; si prist la haire et la mist en sauf, et nous dist que estoit la\nhaire \u00e0 sa feue dame, et qu\u2019elle la vestoit troix jours de la sepmaine,\net nous compta la bonne vie et les meurs d\u2019elle, et comment elle se\nlevoit chacune nuit iij. fois du moins et s\u2019agenouilloit en la venelle\nde son lit et rendoit graces \u00e0 Dieu, et prioit pour les mors et faisoit\nmoult d\u2019abstinences, et estoit piteable \u00e8s povres et moult charitable et\nde moult sainte vie. La bonne dame, qui bien fait \u00e0 nommer, eut nom\nmadame Olive de Belle Ville, et je lui oy dire que son fr\u00e8re tenoit bien\nxviij. mil livres de rente; mais pour ce elle estoit la plus courtoise\ndame et la plus humble que je vy oncques, selon mon avis, et qui moins\nse prisoit et moins estoit envieuse, ne jamais ne voulsist que l\u2019en\nmesdeist de nulz ne ne voulsist o\u00efr parler maulx de nulz, et que l\u2019en\nparlast devant elle, et quant aucuns en parloient, elle les desblasmoit\net disoit que, si Dieu plaist, ilz se amenderont, et que nulz ne savoit\nqui lui estoit \u00e0 venir, et que nulz ne devoit juger d\u2019autruy, et que les\nvengences et les jugemens de Dieu estoient moult merveilleux, et ainsi\nreprenoit ceulx qui le mahain et les maux parloient d\u2019autruy, et les\nfaisoit taire, sans les esba\u00efr de ce que elle les reprenoit ainsi. Et\nainsi doit faire tout bon homme et toute bonne femme \u00e0 l\u2019exemple de\nceste. Et saichiez que c\u2019est une noble vertu que non estre envieux ne\njoieux du mal d\u2019autrui recorder, selon Dieu et selon son honneur. Et,\npour certain, la bonne dame disoit que ceulx qui se ventoient et\nreprouchoient les maulx et les vices d\u2019autruy et qui voulentiers se\nbourdoient de leurs voisins et d\u2019autruy, que Dieux les punissoit de telz\nvices ou eulx ou les prouchains de ceulx, dont ilz avoient puis honte.\nEt ce ay-je souvent veu avenir, comme disoit la bonne dame; car nul n\u2019a\nque faire de jugier ni reprouchier ne enquerre le mal de son voisin ne\nd\u2019autruy. Et toutesfois il me souvient bien de beaucoup de bons dis de\nla bonne dame; si n\u2019avois-je que environ ix. ans quant elle morut. Si\nvous di bien que, se elle eust bonne vie, elle ot bonne fin, si belle\nque ce seroit belle chose \u00e0 le raconter. Mais long seroit, et dist l\u2019en\ncommunement que de bonne vie bonne fin, et pour ce est bel exemple de\nfaire comme elle fist.\nCy parle des trois enseignemens que Cathon dist \u00e0 Cathonnet, son filz.\nChappitre VIxxVIIIe.\nUn autre exemple vous vueil dire comment Cathon, qui fut si saige qu\u2019il\ngouverna toute la cit\u00e9 de Romme, et fist moult d\u2019auctoritez, qui encore\nsont grans memoires de lui, cellui Cathon ot un filz, et, quant il fut\nou lit de la mort, il appella son filz, qui avoit nom Cathonnet, et lui\ndit: \u00abBeau filz, j\u2019ay vesqu moult longuement, et est tamps que je laisse\ncest monde, lequel est fort \u00e0 congnoistre et moult merveilleux, et\ntoujours empirera, comme je pense. Mais toutesfois, beaux chier filz, je\naroye moult chier que vostre gouvernement fust bon, \u00e0 l\u2019amour de Dieu et\n\u00e0 l\u2019onneur de vous et de tous vos voisins et vos amys. Si vous ay\nbailli\u00e9 par escript moult d\u2019enseignemens qui moult vous pourront\nprouffiter, si vous voulez mettre cuer \u00e0 les retenir. Et toutesfois me\nsuis-je pens\u00e9 encore de vous en dire trois autres avant ma mort. Si vous\nprie de les bien retenir et les garder.\n\u00bb_Du premier enseignement._ Le premier des trois enseignemens est que\nvous ne prengniez office de vostre seigneur souverain, en cas que vous\naurez assez chevance et bonne souffisance. Car qui a son estat bon et\nsouffisant, il a toute souffisance, autant selon comme roy et empereur\npeut avoir, et ne doit plus demander \u00e0 Dieu. Et pour ce ne vous devez\npas mettre \u00e0 subjection de perdre par une mauvaise parole ou par un mal\nraport tout ce que vous avez; car, beaux fils, il est des seigneurs par\nle monde de plusieurs mani\u00e8res, comme de hastis et qui croient de\nlegier. Et, pour ce, qui a souffisance doit bien doubter de soy mettre\nen nul peril de avanturer son estat et honneur pour servir gens de\nlegi\u00e8re voulent\u00e9.\n\u00bb_Le second enseignement._ Le second enseignement est que vous ne\nrespitez homme qui a mort desservie, et par espacial qui est coustumier\nde faire mal; car ou mal qu\u2019il feroit apr\u00e8s vous seriez participant et\nen tous les maulx qu\u2019il feroit, et \u00e0 bon droit.\n\u00bb_Encore de Cathonnet._ Le tiers enseignement est que vous essaiez\nvostre femme, pour savoir se elle saura bien celler et garder vostre\nsecret qui touchera l\u2019onneur de vostre personne; car il en est de moult\nsaiges et de bonnes qui scevent bien celer et qui donnent de bons\nadvisemens, et si en est de telles qui ne se pourroient tenir de dire\ntout ce que l\u2019en leur dit, aussi bien contre elles comme pour elles.\u00bb Et\nainsi le saige Cathon bailla ces trois enseignemens \u00e0 son filz au lit de\nla mort. Si advint que le preudomme morut, et son filz demeura, qui\nestoit tenu pour saige, et tant que l\u2019empereur de Romme lui bailla son\nfilz \u00e0 le garder et \u00e0 l\u2019apprendre et endoctriner. Et apr\u00e8s cela, il lui\nfist parler d\u2019estre avec lui et de gouverner les grans faiz de Romme et\nlui fist promettre de grans prouffis, et tant que, pour la convoitise\ndes grans prouffiz, il se consentist \u00e0 prendre l\u2019office et s\u2019en charga,\net lui fist convoictise oublier l\u2019enseignement de son p\u00e8re. Et quant il\nfut en cellui office et il chevauchoit par la maistre rue de Rome \u00e0\ngrant compaignie de gens qui le suivoient, si encontra un larron que\nl\u2019on menoit pendre, qui estoit moult bel juenne homme. Si avoit un de sa\ncompaignie qui lui va dire: \u00abSire, pour la nouvellet\u00e9 de vostre office,\nvous povez bien respiter cest homme que l\u2019on va deffaire.\u00bb Si dist qu\u2019il\ndisoit voir; et, sans demander ne enquerre du fait, il le respita et le\nfist delier et l\u2019en envoier, pour essaucier la nouveault\u00e9 de son office.\nSi fut bien hastiz et ne lui souvint pas \u00e0 l\u2019eure du commandement que\nson p\u00e8re luy avoit fait.\n_De ce mesmes._ Et quant vint la nuit, qu\u2019il eut dormy le premier somme,\nsi avoit veu moult d\u2019avisions sur cette mati\u00e8re, et tant qu\u2019il lui va\nsouvenir qu\u2019il avoit enfraint deux des commandemens de son p\u00e8re, et\nqu\u2019il ne failloit plus que le tiers. Si fut moult pensis, et toutesfois\nil dit \u00e0 soy mesmes qu\u2019il essaieroit ce tiers, c\u2019est-\u00e0-dire que il\nessayeroit de sa femme si elle le sauroit bien celler d\u2019un grant conseil\nsi il le disoit \u00e0 elle. Si attendi que sa femme s\u2019esveilla, et lors il\nlui dist: \u00abM\u2019amie, je vous deisse un tr\u00e8s grant conseil qu\u2019il touche ma\npersonne, si je cuidasse que vous le tenissiez secret, et que vous ne le\ndeissiez \u00e0 riens qu\u2019il soit.\u00bb--\u00abHa, mon seigneur\u00bb, dist-elle, \u00abpar ma\nbonne foy, je ameroye mieulx \u00e0 estre morte que vous descouvrir de\nconseil que vous me deissiez.\u00bb--\u00abHa, m\u2019amie\u00bb, dist-il, \u00abdont le vous\ndiray-je; car je ne vous sauroie riens celler. Il est ainsi que devant\nhier, si comme j\u2019aloie en nostre hostel, le filz de l\u2019empereur, que nous\navions en garde, me fist courrouci\u00e9 et me dist mon desplaisir. Si avoie\nbien beu et estoie courrouci\u00e9 d\u2019autre chose; si me marry tant avecques\nlui que je l\u2019occis. Et encore fis-je plus fort, car je arrachay le cuer\nde son ventre, et le fis confire en bonne drag\u00e9e et l\u2019envoyay \u00e0\nl\u2019empereur son p\u00e8re et \u00e0 sa m\u00e8re, lequel ilz ont mengi\u00e9, et ainsi me\nsuis-je vengi\u00e9 de lui. Mais je s\u00e7ay bien que c\u2019est moult mal faict et\nm\u2019en repens; mais c\u2019est \u00e0 tart. Je vous prie de bien celler ce conseil,\ncar je ne le diroie \u00e0 nul du monde que \u00e0 vous.\u00bb Et celle commen\u00e7a \u00e0\nsouspirer et \u00e0 jurer que, puis que l\u2019advanture estoit ainsi advenue, que\njamais ne le diroit. Si se passa ainsi la nuit, et, quant vint qu\u2019il fut\njour, celle envoya querre une damoiselle qui demouroit en la ville, qui\n\u00e0 merveilles estoit s\u2019amie et sa priv\u00e9e, et \u00e0 qui elle disoit tous ses\ngrans conseilz. Et quant elle fut venue, elle commen\u00e7a \u00e0 souspirer et \u00e0\ngemir, et l\u2019autre lui demanda: \u00abMa dame, que avez-vous? Vous avez aucune\ngrant tristesse en vostre cuer.\u00bb--\u00abVrayement, m\u2019amie, je l\u2019ay moult\ngrant; mais je ne l\u2019ose dire \u00e0 nul, car je vouldroie mieulx estre morte\nque il feust sceu.\u00bb--\u00abHa, ma dame\u00bb, dit-elle, \u00abpar sa foy, celle seroit\nbien hors du sens qui descouvreroit un tel conseil, se vous le disiez.\nEt, quant est de moy, se vous le m\u2019aviez dist, je me laisseroie avant\nles dens traire que le dire.\u00bb--\u00abVoire\u00bb, dist la femme Cathonnet, \u00able\nvous pourroie-je dire et moy fier en vous?\u00bb--\u00abOuil, par ma bonne foy\u00bb,\ndist-elle; et l\u2019autre en prist la foy et le serement, et au fort elle\ndescouvry tout, comment son seigneur avoit occis le filz de l\u2019empereur,\net envoy\u00e9 le cuer en espices au p\u00e8re et \u00e0 la m\u00e8re, qui l\u2019avoient mengi\u00e9.\nEt l\u2019autre se seigna et fist la merveilleuse, et dist qu\u2019elle le\nceleroit moult bien. Mais il luy fut moult tard de le dire, et tant que,\nquant elle fut departie de liens, elle ala tout droit \u00e0 la court de\nl\u2019empereur, et vint \u00e0 l\u2019emperi\u00e8re, et s\u2019agenouilla pour faire le\nbienvenant, et lui dist: \u00abMa dame, je vueil parler \u00e0 vous secretement\nd\u2019un grant conseil.\u00bb--Et lors l\u2019emperi\u00e8re fist ruser ses femmes de sa\nchambre. Lors celle lui va dire: \u00abMa dame, le grant amour que j\u2019ay \u00e0\nvous et le grant bien que vous m\u2019avez fait et que j\u2019esp\u00e8re que vous me\nfaciez encore me fait \u00e0 vous venir dire un grant conseil, lequel si ne\ndiroie \u00e0 nulluy fors \u00e0 vostre personne, car je ne pourroye souffrir\nvostre deshonneur pour riens.\n\u00bb_De ce mesmes._ Ma dame, il est ainsi que vous et monseigneur\nl\u2019empereur amez plus Cathonnet que nul, et bien y appert, car vous\nl\u2019avez fait tout gouverneur de la cit\u00e9 de Romme, et encores, pour lui\nmonstrer plus grant amour, vous lui aviez bailli\u00e9 \u00e0 gouverner vostre\nfilz. Si vous en a fait telle compaignie qu\u2019il l\u2019a occis et en a\narrachi\u00e9 le cuer de son ventre et le vous a fait mengier en\nespices.\u00bb--\u00abQu\u2019est-ce que vous dictes?\u00bb dist l\u2019emperi\u00e8re. \u00abMa dame, par\nma foy, je vous dy voir pour certain; car je le s\u00e7ay si bien comme de la\nbouche de sa femme propre, qui le m\u2019a dit en grant conseil, et en est la\nbonne dame moult \u00e0 malaise de cuer, comme celle que j\u2019en ay oy plourer.\u00bb\nEt, quant l\u2019emperi\u00e8re l\u2019entendy ainsi, \u00e0 certes sy s\u2019escria \u00e0 haulte\nvoix: \u00abLas! lasse!\u00bb et commen\u00e7a \u00e0 faire si grant dueil que c\u2019estoit\nmerveilles \u00e0 veoir, et tant que les nouvelles en vindrent \u00e0 l\u2019empereur\ncomment l\u2019emperi\u00e8re faisoit si grant dueil. Lors il fut moult esbahis et\nvint l\u00e0, et lui demanda pourquoy elle faisoit tel dueil; et celle \u00e0\npaine lui povoit respondre, et au fort elle lui compta tout ce que la\ndamoiselle lui avoit dit de leur enffant. Et quant l\u2019empereur o\u00eft les\nnouvelles qu\u2019ilz avoient mengi\u00e9 le cuer de leur enffant, si fut moult\ndoulant et courrouci\u00e9, ne fait mie demander comment, et erraument\ncommanda que Cathonnet fut pendu haultement devant tous et qu\u2019il n\u2019y\neust point de faulte. Lors ses gens le al\u00e8rent querir et lui distrent le\ncommandement de leur seigneur, et que c\u2019estoit pour son filz qu\u2019il avoit\noccis. Si va dire Cathonnet: \u00abSeigneurs, il n\u2019est pas mestier que tout\nce que l\u2019en dit soit vray. Vous me mettrez en prison et direz qu\u2019il est\ntrop tart et que demain, quant le ban sera fait devant le pueple, sera\nmieulx faite la justice.\u00bb Si l\u2019amoyent moult toutes mani\u00e8res de gens, et\nle firent ainsi comme il le requist, et fut dist \u00e0 l\u2019empereur que ce\nseroit plus grant solempnit\u00e9 et le mieulx d\u2019en faire justice landemain,\net qu\u2019il estoit trop tart, et l\u2019empereur l\u2019ottroia, qui grant dueil\ndemenoit de son filz. Et toutesfois, comme l\u2019en menoit Cathonnet en la\nchartre, il appela un de ses escuiers et lui dist: \u00abVa-t\u2019en \u00e0 tel\nbaron\u00bb, et lui nomma, \u00abet lui dis comment l\u2019empereur cuide que j\u2019aye\noccis son filz, et que je lui mande que demain, dedans heure de prime,\nil amaine cy l\u2019enffant, ou autrement je serois en grant peril de mort\nvillaine.\u00bb Cellui escuier s\u2019en parti et chevaucha \u00e0 nuit\u00e9e, et, entour\nmienuit, il arriva en l\u2019ostel du baron \u00e0 qui Cathonnet avoit baill\u00e9\nl\u2019enffant en garde, comme \u00e0 son grant amy et voisin, lequel baron estoit\npreud\u2019omme et saige, et \u00e0 merveilles s\u2019entr\u2019amoient. Et, quant l\u2019escuier\narriva, il hucha \u00e0 haulte voix, et tant fist qu\u2019il vint au lit du baron\n\u00e0 qui Cathonnet avoit baill\u00e9 le filz de l\u2019empereur, et lui compta le\nfait, comment l\u2019en avoit donn\u00e9 \u00e0 entendre \u00e0 l\u2019empereur que Cathonnet\navoit occis son fils, et tellement qu\u2019il en estoit mis en prison, et le\ndevoit-on landemain pandre. Quant cellui baron l\u2019entendit, si fut moult\nesmerveilliez de ceste adventure, et lors il se leva courant, et fist\narroier ses gens, et vint au lit du filz de l\u2019empereur, et lui compta\ncelle merveille. Et, quant l\u2019enffant l\u2019entendit, il ne fait pas \u00e0\ndemander se il en ot grant dueil, comme cellui qui se hasta de lever et\nfist esveiller tous les autres, car \u00e0 merveilles amoit son bon maistre\nCathonnet. Si vous laisse \u00e0 parler de l\u2019enffant de l\u2019empereur et du\nbaron, et reviens \u00e0 Cathonnet, qui estoit prisonnier.\n_Comment Cathonnet fu prisonnier._ Cathonnet estoit \u00e0 merveilles am\u00e9 \u00e0\nRomme de toutes mani\u00e8res de gens, comme cellui qui estoit saige, doulx,\nhumble et courtoys. Si dist au matin \u00e0 un sien grant amy que \u00e0\nl\u2019avanture il feist secretement cachier les pendars de la ville jusques\n\u00e0 heure de tierce, et l\u2019autre le fist ainsi et eut son gr\u00e9 jusque \u00e0\nceste heure. Si fut environ prime amen\u00e9 au gibet Cathonnet avec toute la\ncommune gent de Romme. Et l\u00e0 ot moult plour\u00e9 de toutes gens qui l\u00e0\nestoient, et encores l\u2019eust-il plus est\u00e9; mais ils cuiderent qu\u2019il eust\ncommis le fait dont il estoit accus\u00e9. Mais de cela ilz se donnoient\ngrans merveilles et disoient: \u00abComment a est\u00e9 si saige homme tempt\u00e9 de\nl\u2019ennemy comme d\u2019avoir fait si grant cruault\u00e9 d\u2019avoir occis le filz de\nl\u2019empereur et leur en avoir fait mangier le cuer? Comment puet-ce\nestre?\u00bb Si y en avoit grans paroles entr\u2019eulx, dont les uns le creoient\net les autres ne le povoient croire. Et toutesfois il fust men\u00e9 au\ngibet, et demandoit l\u2019en o\u00f9 estoit le pendart, et le fist l\u2019en huchier\npartout et nul ne respondoit, dont il advint grant merveille; car cellui\nlequel Cathonnet avoit respit\u00e9 de mort et sauv\u00e9 la vie quant l\u2019en le\nmenoit pendre saillist avant et dist: \u00abSeigneur, le fait qu\u2019il a fait\nest villain, et, pour honneur de l\u2019empereur, je m\u2019offre \u00e0 faire\nl\u2019office, s\u2019il n\u2019y a autre qui le face.\u00bb Et chascun si le regarda, et\ndistrent: \u00abN\u2019est-ce pas cellui que Cathonnet respita de mort?\u00bb--\u00abPar\nfoy\u00bb, dirent-ils, \u00abc\u2019est cellui sans autre.\u00bb Si se commenci\u00e8rent tous \u00e0\nseigner et distrent: \u00abVraiement, cellui est bien fol \u00e0 droit qui respite\nlarron de mort.\u00bb Et Cathonnet le regarde et lui dist: \u00abTu es bien\nappert; il te souvient pou du temps pass\u00e9; mais ainsi est des merveilles\ndu monde.\u00bb En entretant ils regard\u00e8rent une grant pouldre de chevaulx et\nouirent grans cris qui crioient \u00e0 haulte voix: \u00abNe occiez pas le\npreudhomme.\u00bb Et ils regard\u00e8rent chevaulx venir courans, et virent le\nfilz de l\u2019empereur qui venoit sur un coursier, si tost comme il pouvoit,\nen disant: \u00abNe touchiez \u00e0 mon maistre Cathonnet, car je suis tout vif.\u00bb\nLors furent tous esmerveilliez de ceste chose, et l\u2019enffant descendy du\ncheval et va deslier son maistre, et le baisier en plourant moult\ndoulcement et en disant: \u00abHa, mon doulx amy et maistre, qui vous a ce\npourchaci\u00e9, ne si grant men\u00e7onge trouv\u00e9e, et comment a monseigneur mon\np\u00e8re si legi\u00e8rement creu?\u00bb Et en disant cela, il le rebaisa et acola, et\nle peuple, qui estoit esmerveill\u00e9, voiant la piti\u00e9 et la bonne nature de\nl\u2019enffant plourant tendrement, de la grant joye et de piti\u00e9 qu\u2019ils\navoient ilz mercioient Dieu grandement de celle delivrance, et estoient\ntous esbahis de celle merveille. Et toutesfois l\u2019enffant fit monter\nCathonnet sur un cheval et l\u2019emmena au long des rues de Romme par les\nresnes du cheval jusques au palais de l\u2019empereur. Et quant l\u2019empereur et\nsa femme oyrent la nouvelle de leur enfant, ilz saillirent encontre, lui\nfaisant grant joye. Et quant ilz virent leur enffant qui amenoit\nCathonnet par la resne du cheval et tout le pueple, si furent moult\nesmerveilliez de cette adventure, et si se tenoient moult honteux devers\nCathonnet, et vindrent \u00e0 lui et le accol\u00e8rent et bais\u00e8rent, et lui\nfirent la plus grant feste, la plus grant joye et le plus grant honneur\nqu\u2019ilz peurent, et se excus\u00e8rent devers lui de cellui fait, et leur fils\nleur dit: \u00abHa, mon seigneur, comment vouliez-vous faire si hastive\njustice sans avoir avant bien enquis du donneur \u00e0 entendre? Car hauts\nhoms comme vous en seroit plus tost blasm\u00e9 que un autre; car, se vous\nl\u2019eussiez fait destruire sans cause, regardez quel domaige et quelle\npiti\u00e9, et certes je n\u2019eusse jamais eu joye au cuer; car, se je s\u00e7ay nul\nbien, c\u2019est par lui.\u00bb Et l\u2019empereur lui respondist: \u00abBeaux fils,\nc\u2019estoit mal fait \u00e0 nous, et y avons eu grant honte et grant vice. Mais\nl\u2019amour que nous avions \u00e0 toy, en esperance que tu vailles et que tu\nfaces aucun grant bien, nous tolist toute rayson et nous troubla le\nsens.\u00bb Adonc Cathonnet parla devant tous en disant ainsi: \u00abSire, ne vous\nesmerveilliez pas de ceste chose, car je vous diray comment il est\navenu. Il est vray que j\u2019ay eu le plus saige homme \u00e0 p\u00e8re, comme l\u2019en\ndisoit, qui feust en son temps en cest pa\u00efs. Si me monstra moult de bons\nenseignemens, se j\u2019eusse est\u00e9 saige \u00e0 les retenir. Et toutesfois, quant\nil fut au lit de la mort, il me hucha, comme cellui qui grant desir\navoit que je eusse aucun bien. Sy me pria de retenir iij. enseignemens\nentre les autres. Et pour ce, je les vueil recorder pour estre\nexemplaire ou temps \u00e0 venir, comme cellui \u00e0 qui ilz sont avenus et qui a\nfait le contraire.\nLe premier enseignement que il me dist, fut que, se Dieux me donnoit\nbonne chevance, que j\u2019en devoie Dieu mercier et avoir en moy\nsouffisance, et que je ne devoye convoittier ne demander plus \u00e0 Dieu et\nau monde, et, pour ce que j\u2019avoie souffisance, que je ne me misse en\nnulle mani\u00e8re en subjection d\u2019avoir office de mon souverain seigneur,\npar espoir de convoitise de m\u2019y mettre pour avoir des biens plus, car\naucun envieulx ou aucun faulx rappors me feroient perdre moy et le mien.\nCar grant chose est de grant seigneur qui est de legi\u00e8re et hastive\nvoulent\u00e9; car aucunes fois aucuns ne enqui\u00e8rent pas les veritez des\nchoses donn\u00e9es \u00e0 entendre, et pour ce font moult d\u2019estrange et de\nhastifz commandement, et pour ce en avez tous veu cest exemple qui m\u2019a\ndeu estre si grief et si villain. Car si j\u2019eusse creu le conseil de mon\np\u00e8re, je n\u2019eusse mie est\u00e9 ou party o\u00f9 j\u2019ai est\u00e9. Car, Dieux mercis,\nj\u2019avoye des biens terriens assez et trop plus que je n\u2019avoye deservy\nenvers Dieu, et me povoie bien deporter de prendre office. Le secont\nenseignement fut que je ne rachetasse point homme qui eust mort\ndesservie, et par especial larron ne homicide qui autre fois en a ouvr\u00e9,\net que, si je le faisoie, je seroye participant en tous les maulx que il\nferoit d\u00e8s l\u00e0 en avant, et que jamais ne me aimeroit. Et cellui\ncommandement je l\u2019ay enfraint comme de cellui qui aujourd\u2019huy s\u2019est\noffert de moy pendre, lequel j\u2019avoie respit\u00e9 de mort; si m\u2019a offert\npetit guerdon, et toutefois vous en avez veu l\u2019exemple. Le tiers\nenseignement estoit que je essaiasse ma femme avant que lui dire ne\ndescouvrir nul grant conseil, car il y avoit trop de peril. Car il en\nest assez qui scevent trop bien celler et en qui l\u2019en trouve de bons\nconseils et de bons confors, et en est d\u2019autres qui ne sauroient riens\nceller. Je pensay l\u2019autre nuit en mon lit que j\u2019avoie enfraint deux des\nenseignemens de mon p\u00e8re, et que je essayeroye le tiers. Si esveillay ma\nfemme et lui dis pour la essayer que j\u2019avoie occis le fils de l\u2019empereur\net donn\u00e9 en espices le cuer \u00e0 l\u2019empereur et \u00e0 l\u2019emperi\u00e8re, et que, sur\nl\u2019amour qu\u2019elle avoit \u00e0 moy et sur quanques elle povoit envers moy\nmeffaire, qu\u2019elle le celast si bien que jamais n\u2019en feust riens sceu. Si\nay bien esprouv\u00e9 comment elle m\u2019a bien cel\u00e9, comment chascun puet bien\nveoir. Mais je ne m\u2019en donne pas trop grant merveille, car ce n\u2019est pas\nnouvelle chose que femme saiche bien tousjours celler les choses que\nl\u2019en lui dit. Car il en est de plusieurs mani\u00e8res, comme nature leur\napporte, et en est d\u2019unes, et d\u2019autres de bien saiges et de soubtil\nengin, et que jamais ne descouvreroient le conseil de leurs seigneurs et\ndes autres aussy.\n_Encore parle Cathonnet._ \u00abSi avez ouy comment il m\u2019en est prins, et que\nje n\u2019ay autrement creu le conseil de mon p\u00e8re, qui tant fust saige\nhomme, si ce m\u2019en est deu moult mal prendre.\u00bb Et toutes foys il dist \u00e0\nl\u2019empereur: \u00abSire, je me descharge de vostre office.\u00bb Si en fut\ndeschargi\u00e9 \u00e0 grant peine, et toutes fois fust-il retenu \u00e0 estre maistre\ndu conseil de Romme, et especialement des grans fais. Et lui fist\nl\u2019empereur grans prouffis et lui donna de grans dons et l\u2019ayma moult\ninstans, et regna bien et moult saintement en l\u2019amour de Dieu et du\npueple.\nEt pour ce, mes belles filles, a cy bon exemple comment vous devez\nceller les conseils de voz seigneurs et ne les dire \u00e0 nully de monde,\ncar par maintes fois il en advient moult de mal, telles fois que l\u2019en ne\ns\u2019en donne garde. Car \u00e0 bien celler, et par especial ce que l\u2019en\ndeffault, ne puet venir se bien non. Et aussy comme la sayette part de\nl\u2019arc cord\u00e9, et, quand elle est partie, il convient qu\u2019elle preingne son\nbruit, ne jamais ne reviendra \u00e0 la corde jusques \u00e0 tant qu\u2019elle ait f\u00e9ru\nquelle chose que ce soit, tout aussi est-il de la parole qui ist de la\nbouche, car puis qu\u2019elle en est yssue elle n\u2019y puet rentrer qu\u2019elle ne\nsoyt ouye et entendue, soit bien, soit mal. Et pour ce est-ce belle\nchose, si comme le sage Salemon dit, que l\u2019on doit penser deux fois ou\ntrois la chose avant que la dire, et penser \u00e0 quelle fin elle pourroit\ntourner, et ainsi le doivent faire toutes saiges femmes. Car trop de\nmaulx en ont est\u00e9 fais et engendrez, de descouvrir conseil et choses qui\nont est\u00e9 dictes en conseil. Sy vous pry, belles filles, qu\u2019il vous\nvueille souvenir de cest exemple, car tout bien et tout honneur vous en\npuet venir, et si est une vertu qui eschi\u00e8ve moult de haynes et de\nmaulx. Car je s\u00e7ais et cognois plusieurs qui ont moult perdu et ont\nsouffert moult de mal et de tr\u00e8s grans haynes pour trop legierement\nparler d\u2019autruy et pour recorder les maulx qu\u2019ils oyent dire d\u2019autruy,\ndont ilz n\u2019ont que faire. Car nul ne scet que luy est \u00e0 venir, Et cellui\net celles sont saiges de sens naturel qui ne sont mie nouveliers, c\u2019est\n\u00e0 dire qui se gardent de recorder la faulte ne le mespris d\u2019autrui. Car\nDieux aime celui qui desblasme ceux que l\u2019on blasme, soit \u00e0 tort, soit \u00e0\ndroit, car \u00e0 taire le mal d\u2019autrui ne puet venir que tout bien, si comme\nil est contenu ou livre des saiges, et aussi en une evangille.\nCy fine le Livre du Chevalier de La Tour.\n_Deo gratias._\nNOTES ET VARIANTES[106].\n [106] L. signifie le manuscrit de Londres; P. 1, P. 2, les mss. de\nPag. 2, lig. 20. Ce qu\u2019il faut entendre par cette reine Prines ou Prives\nde Hongrie et par son livre me paro\u00eet fort douteux. Legrand d\u2019Aussy\npropose d\u2019y voir \u00abElisabeth de Bosnie, femme de Louis Ier, surnomm\u00e9 le\nGrand, et m\u00e8re de trois filles, dont Catherine, l\u2019a\u00een\u00e9e, fut accord\u00e9e en\n1374 \u00e0 Louis de France, comte de Valois\u00bb; mais il n\u2019a pas vu que son\nexplication \u00e9toit inadmissible d\u00e8s le point de d\u00e9part, puisqu\u2019il est\ncertain que le livre de notre auteur n\u2019est pas post\u00e9rieur \u00e0 1372, date\nant\u00e9rieure \u00e0 cet accord. A prendre une reine contemporaine, il vaudroit\nmieux y voir Jeanne de Boh\u00eame, premi\u00e8re femme du roi de France Jean II,\ndont il est question dans le commencement de Saintr\u00e9, et qui mourut en\n1349, avant l\u2019av\u00e8nement de son mari \u00e0 la couronne. Mais il est plus\njuste de croire que, jusqu\u2019\u00e0 nouvel ordre, l\u2019allusion de ce passage\nreste inexpliqu\u00e9e.\nPag. 13, lig. 5, _demenoient_: L., espinoient; P. 2, espigoient.\nPag. 22, lig. 9, _felons_: L., foulons.--Lig. 16, _esprevier sauvaige_:\nL., ramage; P. 1, ramaige; P. 2, privage.--Lig. 25, _Messire Pierre de\nCraon_: P. 1, messire de Craon; P. 2, monseigneur de Craon.\nLe pr\u00e9nom de Pierre, qui se trouve dans le seul ms. de L., montre qu\u2019il\ns\u2019agit de Pierre de Craon, seigneur de la Suse, de Chantoce, de Briol\u00e9\net d\u2019Ingrande, 3e fils d\u2019Amaury 3e du nom, mort le 15 septembre 1376.\nCf. P. Anselme, VIII, 573, c.\nPag. 24, lig. 8, vertiller, et plus loin l\u2019adjectif, viennent de\n_vertere_, tourner.\nPag. 29, lig. 20: P. 1 est le seul ms. qui ait le mot de _pucelles_.\nPag. 35, lig. 8, _faisoit garder une anguille en un vaissel_: P. 2 a le\nterme technique: en un bouteron.\nPag. 37, lig. 14, _Dame de Languillier_: P. 2, Langallier. Voyez sur ce\nnom l\u2019introduction, p. xi-xij. Il est remarquable que, dans la 37e\nnouvelle de son Heptam\u00e9ron, Marguerite de Navarre raconte pr\u00e9cis\u00e9ment le\nm\u00eame fait, sans nom et comme une chose contemporaine, et en mettant\naussi la sc\u00e8ne dans l\u2019Anjou.\nPag. 40, lig. 16, _anvieusement_: P. 1, ataineusement.\nPag, 41, lig. 8, _homme de Dieu_: P. 2, homme de bien.\nPag. 42, lig. 29, _saul sur table_: P. 1, sal sur table.\nPag. 44, lig. 17-19. Cette phrase manque \u00e0 L. et \u00e0 P. 1.\nPag. 46, lig. 15: Ce Beaumanoir, \u00able p\u00e8re de cestuicy qui de present\nest\u00bb, a \u00e9t\u00e9 bien d\u00e9sign\u00e9 par M. Paris (V, 30) comme \u00e9tant Jean III,\nchevalier, mar\u00e9chal de Bretagne, celui qui combattit avec les trente\nBretons. Il eut deux femmes: Tiphaine de Chemill\u00e9 en Anjou, celle sans\ndoute dont il s\u2019agit ici, et Marguerite de Rohan. Celui \u00abqui est de\npresent\u00bb est Jean IV, mort en 1385, et mari de la fille de Duguesclin.\nCf. P. Anselme, VII, 380-1.\nPag. 47, lig. 14. Par _gens des compaignes_ il faut peut-\u00eatre entendre\nles grandes compagnies.--Lig. 20, _la princesse et autres dames\nd\u2019Angleterre_: \u00absans doute la princesse de Galles, Jeanne de Kent, femme\ndu Prince Noir.\u00bb P. Paris, V, 81.\nPag. 50, lig. 3. Jean de Clermont, seigneur de Chantilly, mar\u00e9chal de\nFrance, et tu\u00e9 \u00e0 la bataille de Poitiers. (Anselme, VI, 750-1.)--Lig.\n14, _beau maintieng_: P. 1 et P. 2, bien mentir.\nPag. 51, lig. 19. Il ne s\u2019agit pas ici du fameux Jean le Maingre de\nBoucicaut, mar\u00e9chal de France et gouverneur de Gennes, qui naquit \u00e0\nTours en 1368, mais de son p\u00e8re, qui mourut le 15 mars 1367 \u00e0 Dijon, o\u00f9\nil avoit \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 vers le duc de Bourgogne par Charles V. Cf. Anselme,\nPag. 54, chap. 24. L\u2019aventure et la r\u00e9ponse du chevalier sont les m\u00eames\nque celle qu\u2019on pr\u00eate au po\u00e8te Jean de Meung.\nPag. 55, lig. 17, _son seigneur lui donnoit grans eslargissemens_: L.,\ngrans helles (P. 1 et 2, elles) et eslargissement.\nPag. 57, lig. 2. Malgr\u00e9 la bizarrerie du fait, _couchast_ est bien la\nle\u00e7on des deux bons ms., et il ne me paro\u00eet pas aussi impossible de\nl\u2019expliquer que l\u2019ont trouv\u00e9 quelques personnes. Il est possible de\npenser que, dans une circonstance ou de f\u00eate ou de guerre, la dame, pour\ndonner \u00e0 coucher au sire de Craon, ait eu \u00e0 lui donner un asile dans son\nlit, ce qui se seroit d\u2019autant mieux su qu\u2019elle ne s\u2019en seroit pas\ncach\u00e9e. Je ne vois pas l\u2019avantage qu\u2019il y auroit \u00e0 lire: _je ne dis pas\nqu\u2019il ne me touchat en mon lit_; car l\u00e0 il y auroit d\u00e9j\u00e0 complaisance et\nbonne volont\u00e9.\nPag. 58, lig. 14, _sa damoyselle_: L. et P. 2, chamberi\u00e8re.\nPag. 59, lig. 15, _gens d\u2019estat_: L. et P. 1, gens dehors d\u2019estat.--Lig.\n16, _regars_: P. 1, regrez.\nPag. 64, lig. 19, _espinguer_: P. 1, pignier; P. 2, eingnier.\nPag. 65, lig. 18, _esloingner_: P. 2, alanguir.--Lig. 20, _la masi\u00e8re_:\nP. 2, le mur.\nPag. 66, lig. 2, _ne le per omnia_: P. 2, ne la pr\u00e9fasse.--Lig. 16,\n_paroissiens_: P. 2, prouchains.--Lig. 17, _personne_: L., le\ncur\u00e9.--Lig. 25, _au chapelain_: P. 1 et 2, \u00e0 la personne.\nPag. 68, lig. 20, _matz_: P. 2, morts.--Lig. 29, _sur son peril_: P. 2,\nsans pais.\nPag. 69, lig. 19, _vostre personne_: P. 2, prestre. Quoique dans tout ce\nchapitre _personne_ soit toujours le pr\u00eatre, je ne crois pas qu\u2019il\nfaille y voir un sens analogue \u00e0 celui de l\u2019anglais _parson_; cela veut\ndire l\u2019homme qui est au Seigneur, et par suite seulement le pr\u00eatre qui\nest au Seigneur.\nPag. 70, lig. 18, _\u00e0 rebours_: P. 2, au bort.\nPag. 71, lig. 8, _de corps_: L. et P. 1, de cuer.\nPag. 73, lig. 26, _au bon de la messe_: P. 2, au bout.\nPag. 75, lig. 5, _souspir_: P. 1, effroy.\nPag. 78, lig. 4, _haschie_: L., douleur.\nPag. 79, lig. 22, _l\u2019eglise de Nostre-Dame de Beaulieu_ peut \u00eatre \u00e0\nBeaulieu pr\u00e8s Loches, ou plut\u00f4t \u00e0 Beaulieu pr\u00e8s du Mans. (Cf.\nSainte-Marthe, _Gallia christiana_, IV, 149 et 154.)\nPag. 80, lig. 3. Les mots \u00ab\u00e0 une vigilles\u00bb manquent au ms. de L.--Lig.\n4, _sergent de Cande en la mer_: L., sergent de Cande; P. 1, sergent de\ngarde en l\u2019ann\u00e9e.\nPag. 81, lig. 3. Chievrefaye, abbaye de Poitou.--Lig. 6, _Pigi\u00e8re_: L.,\nPiger\u00e9e; P. 2, Pig\u00e8re.--Lig. 22. Pour comprendre la r\u00e9flexion du\nchevalier, que dans l\u2019\u00e9glise il ne faut pas \u00abs\u2019entreregarder par amour,\nfors par amour de mariage\u00bb, il faut se rappeler que, depuis les temps\nbarbares, l\u2019\u00e9glise servoit de refuge dans les guerres; et, comme on y\nvivoit comme dans une maison, l\u2019\u00e9glise avoit accord\u00e9 aux gens mari\u00e9s une\npermission qui auroit \u00e9t\u00e9 trop enfreinte si elle e\u00fbt \u00e9t\u00e9 refus\u00e9e.\nPag. 92, lig. 13, _comme les poisons et le venin_: L., poissons; P. 2,\nprisons.\nPag. 93, lig. 21. Apr\u00e8s _les mauvais laissa_, P. 2 ajoute: \u00abet encore y\nsont.\u00bb\nPag. 94, lig. 14, _angels_: L. et P. 2, angles.\nPag. 96, lig. 23, _pollicent_: L. et P. 2, polissent.\nPag. 97, lig. 6, _o\u00f9 l\u2019en muce_: L., o\u00f9 l\u2019en le cuite.--Lig. 9, _se muce\net reboute_: L., se cuite et repout.\nPag. 98, lig. 11, _au temps de No\u00eb_: L. et P. 2, No\u00ebl. No\u00eb et No\u00ebl se\nsont prononc\u00e9s de la m\u00eame fa\u00e7on; qu\u2019on se rappelle le refrain des No\u00ebls:\n Chantons tous No\u00eb, No\u00eb.\nLig. 19, _coud\u00e9es_: P. 1, co\u00fbtes; P. 2, cordes.--Lig. 20, _perilli\u00e9_: P.\n2, par Helye. Nous pourrions citer souvent du ms. P. 2 des fautes aussi\ngrossi\u00e8res, mais il suffit d\u2019en indiquer la nature par quelques\nexemples.\nPag. 99, lig. 2. La phrase feroit penser qu\u2019il s\u2019agit de la braguette;\nmais elle n\u2019\u00e9toit pas encore en usage.--Lig. 23, _enamourer_: P. 2,\namoureuser.\nPag. 101, lig. 8, _ratiss\u00e8rent \u00e0 cousteaulx_: L., esrachirent de\ncousteaulx. Cette histoire est la 16e de la _Disciplina clericalis_ et\ndu Castoiement en vers fran\u00e7ois.--Lig. 32, lisez: mais nulle ne voit en\nsa folie sens. L. unit \u00e0 tort la premi\u00e8re phrase du chapitre suivant en\ndisant: nulle ne voit en sa folie fors celle, etc. Ces non-sens ne se\nrencontrent pour ainsi dire jamais dans ce ms.\nPag. 102, lig. 24, _jolie_: P. 1, jolive.\nPag. 103, lig. 23, _en cest an qui est l\u2019an mil trois cens lxxij_: L.,\nen cest an de l\u2019an mil, etc.; P. 2, l\u2019an mil iij.c iiijxx et xij. Ce\nqui, de la gr\u00e2ce du copiste, feroit croire que le chevalier de la\nTour-Landry auroit \u00e9t\u00e9 vingt ans \u00e0 travailler \u00e0 son livre!--Lig. 25. La\nf\u00eate de Sainte-Marguerite est le 20 juillet.\nPag. 104, lig. 4, _ne l\u2019atour plaisant_: L., mais l\u2019atour lui plaisoit;\nP. 2, et l\u2019estour lui plaisoit bien.--Lig. 7, _la venoient veoir comme\npetis enfans_: P. 1 et 2, comme les petis oyseaulx.\nPag. 105. Cette sc\u00e8ne du p\u00e8sement de l\u2019\u00e2me et de ses bonnes actions dans\nun plateau de la balance, pendant que l\u2019autre plateau est charg\u00e9 du\ndiable, des m\u00e9chantes actions, et surtout des belles robes, auroit \u00e9t\u00e9\nbonne \u00e0 citer dans le tr\u00e8s excellent et tr\u00e8s complet travail sur la\nPsychostasie publi\u00e9 par M. Maury dans la _Revue arch\u00e9ologique_.\nPag. 106, lig. 2, _fourr\u00e9es de vair et de gris et lettic\u00e9es de\nhermines_: L., et de letisses et de hermines.--Lig. 3, _que longues, que\ncourtes, que cotes hardies_: L., que longues, que cors\u00e8s, etc.--Lig. 12,\n_cottes_: P. 2, robes.--Lig. 14, _du forfait de ses robes_: Lisez \u00abdu\nsurfait\u00bb, donn\u00e9 par L.--Lig. 19, _de nuies et de maulvaises parolles_:\nP. 2, de menues, etc.\nPag. 107, lig. 21, _commis ce delit_: L. et P. 2, fait le fait.\nPag. 109, lig. 14, _griffes_: L., graffes; P. 2, gaffes; ce seroit alors\nune perche garnie d\u2019un croc.--Lig. 23, _arrachi\u00e9 son peil_: L., muchi\u00e9\nses pertuis; P. 1, arrachiez ses peulz.\nPag. 110, lig. 5, _maschier_: P. 2, deffouler.\nPag. 111, lig. 5, _foible_: P. 2, flebe, plaintive, de _flebilis_.--Lig.\n15, _meccredy_: L., mardi; P. 2, samedy.\nPag. 112, lig. 22, _Nostre-Dame-de-Rochemadour_, dans le Quercy, pr\u00e8s de\nCahors. Sur ce p\u00e8lerinage fameux, voyez le livre du p\u00e8re Odo de Gissey,\nimprim\u00e9 pour la premi\u00e8re fois en 1631, et celui tout r\u00e9cent de l\u2019abb\u00e9\nCaillau, chanoine du Mans, intitul\u00e9 _Histoire critique et religieuse de\nNotre-Dame de Roc-Amadour_, Paris, Lecl\u00e8re, 1834, in-8\u00ba. Odo de Gissey\ndit tenir les anciens miracles qu\u2019il raconte d\u2019un ouvrage latin\nmanuscrit d\u2019Hugues de Farsit, et M. Caillau, n\u2019ayant pu le retrouver,\nn\u2019a plus pour auteur que le r\u00e9sum\u00e9 d\u2019Odo de Gissey. Je crois avoir\nretrouv\u00e9 l\u2019ouvrage de Hugues de Farsit: car dans un ms. de la\nBiblioth\u00e8que imp\u00e9riale se trouve, entre autres choses, et notamment, un\npo\u00e8me fran\u00e7ois en quatrains monorimes, sur le miracle de Th\u00e9ophile, un\nouvrage latin sur les miracles de Notre-Dame de Roc-Amadour. Le ms. est\ndu 13e si\u00e8cle, et excellent; il seroit tr\u00e8s curieux, tout \u00e0 fait en\ndehors du point de vue miraculeux, mais comme document d\u2019histoire et de\ng\u00e9ographie, de publier, avec les notes historiques n\u00e9cessaires, ces\nr\u00e9cits pleins de noms de personnes et de lieux, et de d\u00e9tails sur les\nanciennes m\u0153urs.\nPag. 113, lig. 20, _Sainct Martin de Verto_: P. 1, Vertus; P. 2, Verto.\nVoir, sur Martin de Verto, sa vie dans _Annales sanctorum ordinis sancti\nBenedicti_, s\u0153cul. I, une premi\u00e8re vie, 375-8, et une seconde plus\ncompl\u00e8te, p. 681-92. Dans celle-ci, ce qui se rapporte \u00e0 la ville\nd\u2019Herbanges (dans la vie de l\u2019anonyme latin _Herbadilla_) occupe les\nparagraphes 5 \u00e0 11. Dans la prose pour la f\u00eate de ce saint, qui se\nc\u00e9l\u00e9broit le 24 octobre, on n\u2019a pas manqu\u00e9 de rappeler ce fait:\n Dum non credit, casum dedit\n Herbadilla funditus.\nLe r\u00e9cit vient d\u2019autant mieux dans l\u2019histoire de la femme de Loth, que,\ndans la l\u00e9gende, la femme de l\u2019h\u00f4te de Saint-Martin fut de m\u00eame chang\u00e9e\nen pierre.\n--Ligne 21, _Herbanges_...: L., Arbanges; P. 2, Berbanges.\nPag. 116, lig. 11, _en espie_: P. 2, esgart.--Lig. 26, _avez est\u00e9 cause\nde ma tristesse_: P. 1, ma tra\u00eetresse; P. 2, maquerelle.\nPag. 118, lig. 16, _pervers_: P. 1, punais.--Lig. 26, _Amon_: P. 1,\nZazam.\nPag. 119, lig. 3, _successeurs_: L., successions, qui est\nexcellent.--Lig. 25, _Hoir_: L., air; c\u2019est une fa\u00e7on d\u2019\u00e9crire\ndiff\u00e9rente, mais arrivant au m\u00eame son.\nPag. 121, chap. 58e. Une main un peu post\u00e9rieure a, dans le ms. P. 1,\nr\u00e9tabli, par quelques petits changements, la v\u00e9rit\u00e9 de l\u2019histoire.\nToutes les fois qu\u2019il y a _le roy Pharaon_, elle a corrig\u00e9 en _le prince\ndu roy Pharaon_, chang\u00e9 _reine_ en _princesse_, et remplac\u00e9 _tous les\nbiens de son royaume_ par _tous ses biens_. Quelque juste que f\u00fbt la\ncorrection, nous avons laiss\u00e9 leur erreur aux chapelains du chevalier.\nPag. 121, lig. 25, _l\u2019Envengile_: P. 2, saint Jehan l\u2019Evangeliste.--Lig.\n29: _poest\u00e9_; de _potestas_.\nPag. 123, lig. 22, _Fin\u00e9es_: L., Furies.\nPag. 124, lig. 3, _Zambry_: L., Janbry; P. 2, Jambri.\nPag. 126, lig. 6, _qui faisoit cables et cordes \u00e0 gros vaisseaulx de\nmer_: P. 1, cables et fuseaulx et grans vaisseaux sur mer; P. 2, cables\net fuisiaux agues et agus vaisseaulx.--Lig. 24, _le luitin_: P. 1,\nluton; P. 2, luisoon.\nPag. 129, lig. 26, _couste_: P. 2, coeste. On dit encore dans certaines\nprovinces _coitte_ ou _couette_ pour dire un _lit de plumes_.\nPag. 130, lig. 22, _cruche_: P. 1, buire; P. 2, bue.--Lig. 26,\n_houli\u00e8re_: P. 2, maquerelle.\nPag. 131, lig. 21, _sainte Justine_: P. 2, sainte Cristine.\nPag. 132, lig. 15, _B\u00e9jart_: L., B\u00e9rut; P. 2, Baries.\nPag. 133, lig. 3, _l\u2019endictement_: L., l\u2019ennoitement; P. 2,\nl\u2019utissement.--Lig. 8, _buchetes_: L., branchettes.--Lig. 18, _pierre\nvire_: P. 1, pierre vierre.\nPag. 136, lig. 13, _il eust tant de bien_: L., il eust la court\nempoign\u00e9; P. 2, il eust beaucoup empoign\u00e9.--Lig. 16, _Mardocius_: L.,\nEmardachin: P. 2, Mardochin.\nPag. 139, lig. 6, _faulx temoings_: P. 1, faulx tesmoingnages.\nPag. 140, lig. 8. P. 2 ajoute _de Dieu_ apr\u00e8s _des serviteurs_.\nPag. 141, lig. 7. Nous n\u2019avons trouv\u00e9 ces vers de la sibylle ni dans\nl\u2019ancienne \u00e9dition d\u2019Opsop\u0153us, ni dans la nouvelle de M. Alexandre, ni\ndans la publication du cardinal Ma\u00ef. Il est certain que notre chevalier\nn\u2019a pas eu affaire \u00e0 d\u2019anciens textes, mais \u00e0 des reman\u00eements latins ou\nfran\u00e7ois qu\u2019il seroit difficile de retrouver.\nPag. 143, lig. 6, _Phenomia_: P. 2, Pheronna.\nPag. 147, lig. 29, _adoulcir_: P. 1, advertir.\nPag. 148, lig. 7, _depiteuse_: L. 1, engoff\u00e9e; P. 2, agoff\u00e9e.\nPag. 149, lig. 3, _de grerie_: L., de flateurs; P. 2, de grieux.--Lig.\n20. Le nom de _Jouel_ manque dans P. 1.\nPag. 150, lig. 20. Sur l\u2019\u00e9poque du si\u00e9ge d\u2019Aiguillon, voyez la pr\u00e9face,\npage xiij.--Lig. 32, _gr\u00e9e aux seigneurs_: L. et P. 2, graye les\nseigneurs.\nPag. 152. Dans l\u2019histoire du mari qui a pondu des \u0153ufs, que, depuis La\nFontaine, il faut appeler les Femmes et le Secret, et qui se retrouve\ndans _le M\u00e9nagier de Paris_ et ailleurs (Cf. La Fontaine, \u00e9d. de Robert,\nII, 127), le ms. de L. met \u00e0 tort _cinq_ au lieu de _cent_.\nPag. 153, lig. 12, _en la compaignie_: L., \u00e0 l\u2019encontre.\nPag. 155. Cf. le livre _des Juges_, L., cap. II, pour comprendre le\ncommencement du chapitre.\nPag. 157, lig. 16. Le ms. P. 2 a ici une lacune d\u2019un feuillet qui\ncommence au mot _empetrast_, et ne reprend que page 162, lig. 6, au mot\n_bon exemple_.\nPag. 158, lig. 13, _Sennacherip_: L., Sepnacherim.\nPag. 162, lig. 20, _convint_: P. 1 et 2, esconvint.\nPag. 164, lig. 1, _puisn\u00e9_: L., mainsn\u00e9; P. 2, pesn\u00e9.\nPag. 165, lig. 17. La correction d\u2019Alia en Lia est si \u00e9vidente que j\u2019ai\npr\u00e9f\u00e9r\u00e9 respecter le texte du chevalier.\nPag. 167, lig. 5, _pery_: L., pire.--Lig. 21, _sainte Elisabel, qui fut\nfille au roy de Hongrie et femme \u00e0 Londegume_, lisez: _femme \u00e0\nlendegrave_. Son mari, Louis IV, \u00e9toit, en effet, landgrave de\nThuringe.--Lig. 28, _l\u2019effroi_, lisez: _l\u2019offroit_.\nPag. 168, chap. 86. Ce chapitre a \u00e9t\u00e9 extrait du ms. 7403, par M. de Mas\nLatrie, pour son _Histoire de l\u2019\u00eele de Chypre sous le r\u00e8gne des princes\nde la maison de Lusignan_, t. II, documents, partie I, Paris, 1852,\nin-8\u00ba, p. 132. Il met le fait vers l\u2019ann\u00e9e 1324, et ajoute cette note:\n\u00abConstance d\u2019Aragon, femme de Henri II de Lusignan, morte sans enfants,\nest la seule reine de Chypre \u00e0 qui je puisse rapporter cette anecdote,\nqui n\u2019a laiss\u00e9 aucune trace dans les chroniques cypriotes.\u00bb\nPag. 169, lig. 5, _renvoys\u00e9e_: L., ordonn\u00e9e.--Lig. 8, _abri\u00e9_: P. 1,\nplain.\nPag. 171, lig. 4, _muire_: P. 2, meurge.--Lig. 24, _la ville de Jerico_:\nL., la ville de la Charit\u00e9; P. 2, la ville de Charit\u00e9.\nPag. 172, lig. 30, _d\u2019en faire_: L., et n\u2019en feront mie.--Lig. 32:\nsainte Arragonde est sainte Radegonde, sur laquelle on peut voir le\nrecueil des Bollandistes, au 13 ao\u00fbt (Augusti, t. III, p. 46-96), et,\npour les renvois bibliographiques, la Biblioth\u00e8que de la France, du p\u00e8re\nPag. 173, lig. 4, _doubte_: P. 1, paour.\nPag. 175, lig. 11, _les autres vij vices mortelz_: L. et P. 2, les\nautres vij vices de vij pechez mortelz.--Lig. 18, _vin_: P. 1, un.--Lig.\n20, _narilles_: P. 1, narines.\nPag. 176, lig. 10, _en avisa_: P. 1 et 2, en encointa.\nPag. 177, lig. 25, _payens_: P. 2, p\u00e9ans.\nPag. 181, lig. 5. P. 1 et 2 ne donnent pas _des Romains_ apr\u00e8s _des\ncroniques_. C\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s la traduction du titre des _Gesta\nRomanorum_.\nPag. 183, lig. 25, _se met_: L., sourt.\nPag. 189, lig. 4, _felon_: L., fer; P. 2, fel.\nPag. 190, lig. 7, _cremeteux_: L., cremilleux; P. 2, cremeilleur.\nPag. 191, lig. 8, _Chetivoison_ pour _Chevetoison_, capitainerie,\ngouvernement.--Lig. 27, _sa loy_: P. 1, la foy.\nPag. 192, lig. 2, _soubs quel arbre_: L., ombre.\nPag. 195, lig. 23, _des peulx les essuya_.--Le copiste du ms. de L., ne\ncomprenant peut-\u00eatre pas bien, a \u00e9crit: et depuis les essuya; P. 2, et\ndepuis juna.\nPag. 196, lig. 15, _soubzporte_: L., supporte.\nPag. 196, lig. 24, _sent_: P. 2, soit pour sait.\nPag. 197, lig. 1, _besilleroit_: L., exilleroit.--Lig. 15,\n_tribulacion_: P. 1 et 2, tribouil.\nPag. 199, lig. 16, en livre, lisez: ou livre, et le ms. P. 1, ajoute ici\nen marge: \u00abNo. qu\u2019il fist ung livre pour ses fils.\u00bb\nPag. 200, lig. 6, _hommeaux_: P. 1, hommasses.--Lig. 13. La comtesse\nd\u2019Anjou qui fonda l\u2019abbaye de Bourgueil est Emma, femme de Guillaume duc\nd\u2019Aquitaine et comte de Poitiers; elle fonda ce monast\u00e8re en 990. (Cf.\nle _Gallia Christiana_ de Sainte-Marthe, in-fol, IV, 201-7.)\nPag. 201, lig. 9, _preigne_: L., surprengne; P. 2, subzprengne.\nPag. 203, lig. 17, _crapout_: L., crepoust.\nPag. 207, lig. 7, _salaire_: P. 1, loier; P. 2, louer.\nPag. 210, lig. 10, _processions_: L. et P. 2, professions.\nPag. 216, lig. 25, _adira_: L., esdira.\nPag. 217, lig. 4, _adir\u00e9_: L., esgar\u00e9. Il est inutile de remarquer que\nle bon chevalier se trompe en mettant les noces de Cana avant la sc\u00e8ne\nde J\u00e9sus-Christ parmi les docteurs.\nPag. 218, lig. 7, _Cecille_: P. 2, Sezille.\nPag. 219, lig. 3, _s\u2019appareille_: L., s\u2019acomparaige.\nPag. 220. La reine Jeanne de France n\u2019est pas la femme de Charles V,\nmari\u00e9e en 1349 et morte en 1377, cinq ans apr\u00e8s la composition du livre\ndes Enseignements; ni Jeanne, fille du comte de Boulogne, seconde femme\nde Jean II, mari\u00e9e en 1349 et morte en 1361, dix ans avant que le\nchevalier \u00e9criv\u00eet; mais Jeanne, fille de Louis, comte d\u2019Evreux,\ntroisi\u00e8me femme du roi de France Charles IV, dit le Bel, mari\u00e9e en 1325,\nveuve en 1328, et morte en 1370, apr\u00e8s avoir pass\u00e9 la fin de sa vie dans\nla plus fervente pratique des bonnes \u0153uvres; le mot du chevalier de La\nTour _morte n\u2019a gaires_ prouve qu\u2019il n\u2019a pu penser qu\u2019\u00e0 celle-l\u00e0.\nSi la phrase relative \u00e0 la duchesse d\u2019Orl\u00e9ans, \u00abqui moult a eu \u00e0\nsouffrir et s\u2019est toujours tenue sainctement devant et apr\u00e8s\u00bb, \u00e9toit une\ninterpolation, on la rapporteroit naturellement \u00e0 la belle et touchante\nValentine de Milan. Si elle est bien du chevalier de La Tour Landry,\ncela est impossible, car Valentine n\u2019\u00e9pousa le duc Louis d\u2019Orl\u00e9ans qu\u2019en\n1389. Avant elle il y a eu une autre duchesse d\u2019Orl\u00e9ans, Blanche, fille\nde Charles IV le Bel et de la reine Jeanne dont nous venons de parler,\nn\u00e9e en 1327 et morte le 7 f\u00e9vrier 1392, apr\u00e8s avoir \u00e9pous\u00e9, le 18\njanvier 1344, Philippe duc d\u2019Orl\u00e9ans, dernier fils de Philippe VI de\nValois, et mort le 1er septembre 1375 sans enfants l\u00e9gitimes. Ce qui me\nparo\u00eet supporter cette interpr\u00e9tation, c\u2019est que le ms. de L. est le\nseul qui dise _la duchesse d\u2019Orl\u00e9ans_, et les autres _la duchesse\nderreni\u00e8re de ceste royne_, ce qui ne peut se comprendre que derni\u00e8re\nfille de la reine Jeanne, et cette premi\u00e8re duchesse d\u2019Orl\u00e9ans est en\nr\u00e9alit\u00e9 sa derni\u00e8re fille.--Sur ce Philippe d\u2019Orl\u00e9ans, on peut voir un\narticle de Polluche dans le _Mercure de France_, num\u00e9ro de juillet 1749,\nPag. 221, lig. 5, _il y a xxvj ans_: L., et n\u2019a environ.--Lig. 20,\n_bachelier_: L. et P. 2, chevalier. Mais bachelier ne s\u2019appliquoit pas\nseulement aux degr\u00e9s litt\u00e9raires, et est le vrai terme. Voyez la\nPr\u00e9face, xvj.--Lig. 24, _maladie bien laide_: P. 1, encheoite; P. 2,\nenchoate.\nPag. 222, lig. 11, _\u00e0 malaise_: P. 1, m\u00e9saisi\u00e9.\nPag. 224, lig. 10, _Messire de Dorval_: lisez Derval. Dans l\u2019armorial de\nGilles le Bouvier, dit Berry, premier h\u00e9rault d\u2019armes de Charles VII\n(fonds Colbert, n\u00ba 9,653.5.5, je vois dans le Poitou, au nom de sire de\nDerval, qu\u2019il portoit d\u2019argent \u00e0 deux fasces de gueules. Dans L. et P.\n2, toute cette phrase du texte est au pr\u00e9sent.--Lig. 15, _de la bourde_:\nP. 1, d\u2019estre ainsi bourd\u00e9; P. 2, la bourdais.\nPag. 226, lig. 5, _perle_: L., pelle.--Lig. 30. Le Charny dont il est\nquestion ici doit \u00eatre Geoffroy de Charny, seigneur de Lirey, qu\u2019on voit\ndans les guerres depuis 1337, et qui mourut \u00e0 la bataille de Poitiers.\nSon fils, qui fut porte-oriflamme de France, mourut le 22 mai 1398. (Cf.\nAnselme, VIII, 200-2.) C\u2019est de l\u2019un des deux que doivent \u00eatre les\nmanuscrits indiqu\u00e9s dans le catalogue de la biblioth\u00e8que de Bourgogne.\nInventaire de Viglius, n\u00ba 542, ung petit trait\u00e9 de Charny, en rime, dont\nle num\u00e9ro actuel est 10,549. Les autres sont en prose et avec le nom de\nGodefroi: n\u00ba 11,124, le Livre de chevalerie; n\u00ba 11,125, les Demandes\npour joustes et tournois; n\u00ba 11,126, l\u2019Etat des gens d\u2019armes.--Lig. 30,\n_Saintr\u00e9_: P. 1, Caintr\u00e9; L., Saint-Tref.\nPag. 227, lig. 10, _Sy arriva_: P. 2 ajoute stupidement: un\n\u00e9cuyer.--Lig. 24, _un menestrel_: L., un menasterel.--Lig. 27,\n_forvoye_: P. 2, forsvaye.\nPag. 230, lig. 31, _Gieffroy de Lugre_: L. a seulement Gieffroy; P. 1\n\u00e9crit Lugne, et P. 2, Luge.\nPag. 231, lig. 6, _escrisist_: L., P. 2, escripsit.--Lig. 32,\n_Rommenie_: P. 2, Romanie.\nPag. 235, lig. 19, _comme j\u2019ai dit en l\u2019autre livre_: Il veut dire dans\nle commencement de son ouvrage, qu\u2019il vouloit diviser en livres,\ndivision qui n\u2019a pas subsist\u00e9 ou qui n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 faite.\nPag. 238, lig. 11, _pars_: L., fois.\nPag. 239, chap. 121. Messire Foulques de Laval \u00e9toit le fils de Guy IX\nde Montmorency Laval, l\u2019\u00e9poux de Jeanne Chabot, dame de Rais, et le chef\nde la branche de Laval-Rais; il mourut en 1360. (Cf. Paris, V. 85.)\nPag. 242, lig. 3, _chappeau_: P. 1, chappel; P. 2, taquoer.--Lig. 8,\nfraillon: P. 2, _frallon_.--Lig. 22, _plus de povoir_: P. 1, plus point\nde povoir.--Lig. 30, _tostoier_: P. 2, toustaier.\nPag. 243, lig. 7, _soufferte_: P. 1, trait.--Lig. 18, _et soustient_:\nL., en subtillant.\nPag. 244, lig. 9, _court_: P. 1, cueurt.\nPag. 246, lig. 19, _le chevalier qui fist ce livre_: P. 1, le chevalier\nde La Tour. La femme qu\u2019il fait ainsi parler avec tant de sens et de\nfinesse est sa premi\u00e8re femme, Jeanne de Roug\u00e9, puisqu\u2019on a vu (pr\u00e9face,\np. xiv) qu\u2019elle vivoit encore en 1383.--Lig. 28, _Comme en esperance de\nmariage_ ne se trouve que dans le manuscrit P. 1, qui l\u2019ajoute en marge.\nPag. 249, lig. 1, _agaitier_: L., caquetier.--Lig. 30, _xl roys_: L., lx\nroys.\nPag. 250, lig. 21, _desvoy\u00e9es_: L., desv\u00e9es.\nPag. 252, lig. 9, _de grans gogu\u00e8s_: P. 1, gogais.--Lig. 23, _il esbat\nsa jeunesse_: P. 1, il s\u2019esbat.\nPag. 255, lig. 17. Le ms. de L. rep\u00e8te ici \u00e0 tort: La dame\nrespond.--Lig. 26, _houli\u00e8res_: L., houliers.\nPag. 260, lig. 5. On conno\u00eet les histoires de la dame de Coucy et de la\nch\u00e2telaine de Vergy; il n\u2019est pas aussi simple de savoir ce qu\u2019est\nl\u2019histoire de la duchesse. J\u2019avois pens\u00e9 au roman de Parise la Duchesse;\nmais il ne convient nullement.\nPag. 261, lig. 2, _jouoient au Roy qui ne ment_: P. 2, qui ne\npeut.--Lig. 28. Seroit-ce Marguerite, dame de la Jaille, femme de\nHardouin de la Porte, seigneur de Vezins en Anjou, des enfants de qui le\np\u00e8re Anselme indique deux mariages, dont l\u2019un est du 9 juillet 1388.\nPag. 261, lig. 28, _aguigna_: L., fist signe \u00e0.\nPag. 262, lig. 3, _je la tiens \u00e0 aussy malle ou plus comme vous:_ L., \u00e0\naussy malle et plus que vous.\nPag. 263, lig. 23, _le poetriner_: P. 1, patiner.--Lig. 25, _la royne de\nSabba_: P. 2, la royne Sebille.\nPag. 264, lig. 4, _de paille en paille_: P. 2, de paillaz en paillaz.\nPag. 265. On pourroit aussi bien lire Bavi\u00e8re; mais ce doit \u00eatre un nom\nfran\u00e7ois, et Bani\u00e8re paro\u00eet meilleur que Bavi\u00e8re. Le ms. de Gaigni\u00e8res a\nBevi\u00e8re, et P. 2, Bessi\u00e8re; L. dit simplement: une dame baronnesse.\nPag. 265, lig. 5, _grans joyaulx_: L., lons joyaulx.--Lig. 12, _le\ndenier xij_: P. 2, \u00e0 double.--Lig. 15, _envieusement_: P. 1,\nenvoiseement.\nPag. 266, chap. 125e, Cf. la m\u00eame histoire en vers et plus ancienne,\npubli\u00e9e par M\u00e9on, suppl\u00e9ment \u00e0 ses fabliaux, II.\nPag. 268, lig. 19, _sublant_: P. 2, friblant.\nPag. 269, lig. 6, _comment il lui estoit_: L., comment il le\nfaisoit.--Lig. 13, _et l\u2019estamine_: L., de la sepmaine.--Lig. 30. Le ms.\nP. 2 a ici une nouvelle lacune d\u2019un feuillet qui commence au mot:\n_bonnes_, et reprend dans la seconde histoire.\nPag. 271, lig. 11: P. 1, \u00e0 un baron double; P. 2, \u00e0 un grant baron.\nPag. 272, lig. 32, _si demandoit aux gens_. Lisez: si demanday aux gens.\nPag. 273, lig. 8, _car je le vy et y fus_, ne se trouve que dans P. 1.\nPag. 276, lig. 8, _moult bonne femme_: P. 2, moult belle\ndamoiselle.--Lig. 14, _venelle_: P. 1, ruelle.--Lig. 18, _Madame Olive\nde Belle Ville_: P. 2, l\u2019appelle Aline; dans la traduction angloise du\ntemps de Henry VI (Cf. _Retrosp. Review_, p. 193), elle est appel\u00e9e\n\u00abCecyle of Ballevylle.\u00bb Dans ce passage il y a une faute de lecture ou\nd\u2019impression; il ne falloit pas _she held in Dowaye_, mais _she held in\ndowage_.--Dans l\u2019armorial d\u00e9j\u00e0 cit\u00e9 de Gilles le Bouvier, on trouve,\ndans la partie consacr\u00e9e au Poitou, l\u2019\u00e9cu du seigneur de Belleville,\nquatre de gueules et quatre vair\u00e9s d\u2019azur et d\u2019argent.--Elle \u00e9toit\npeut-\u00eatre de la famille de Jean de Harpedenne, 3e du nom, seigneur de\nBelleville, en Poitou, que Charles VII maria \u00e0 Marguerite, sa s\u0153ur\nnaturelle, fille de Charles VI et d\u2019Odette de Champdivers, la petite\nreine.\nPag. 277, chap. 128e. L\u2019histoire de Cathonnet.--Dans L. le nom est\ntoujours \u00e9crit Chatonnet.\nPag. 281, lig. 27, _l\u2019emperi\u00e8re_: P. 1, l\u2019empereis.\nPag. 284, lig. 29, _le pendart_: L., le pendant.\nPag. 286, lig. 13, _du donneur \u00e0 entendre_, seulement dans P. 1.\nPag. 287, lig. 11, _par espoir_: L., P. 1, P. 2, car espoir, qui ne\ndonne aucun sens.\nPag. 289, lig. 1, _prouffis_: L., promesses.--Lig. 10, _ce que l\u2019en\ndeffault_: L., ce que l\u2019on deffent.", "source_dataset": "gutenberg", "source_dataset_detailed": "gutenberg - Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de\n"} +] \ No newline at end of file