diff --git "a/C013/Y01289.json" "b/C013/Y01289.json" new file mode 100644--- /dev/null +++ "b/C013/Y01289.json" @@ -0,0 +1,3 @@ +[ +{"source_document": "", "creation_year": 1289, "culture": " French\n", "content": "INSTRUCTIONS DE LA BIENHEUREUSE ANG\u00c8LE DE FOLIGNO ***\n LE LIVRE\n DES VISIONS ET INSTRUCTIONS\n DE LA BIENHEUREUSE\n ANG\u00c8LE DE FOLIGNO\n TRADUIT PAR\n Ernest HELLO\n Avec Avertissement\n de\n Georges GOYAU, de l\u2019Acad\u00e9mie fran\u00e7aise\n A. TRALIN, \u00c9DITEUR\n 12, rue du Vieux-colombier, 12\n PARIS, VIe\n Tous droits r\u00e9serv\u00e9s\nA. TRALIN, \u00c9DITEUR, 12, RUE DU VIEUX-COLOMBIER, PARIS VIe\nDu m\u00eame auteur:\n Ernest HELLO.--_Le Jour du Seigneur_. Nouvelle \u00e9dition avec\n Avant-Propos de Georges Goyau de l\u2019Acad\u00e9mie Fran\u00e7aise.\nIl y a juste un demi-si\u00e8cle lorsque la France vaincue faisait effort\npour se reconstruire et cherchait dans la tradition m\u00eame les assises\nd\u2019un renouveau, Ernest Hello avec cet accent de proph\u00e8te qui lui \u00e9tait\ncomme inn\u00e9 et qui attestait que le surnaturel avait en lui la vertu\nd\u2019une seconde nature, \u00e9leva la voix en faveur d\u2019une de ces assises: la\nloi du repos dominical.\nEt dans un premier hymne car, c\u2019est toujours en hymne, qu\u2019expirait sa\npens\u00e9e, il en c\u00e9l\u00e9bra les exigences, il en glorifia les opportunit\u00e9s, au\nnom du droit social de Dieu.\nPuis un second hymne s\u2019ajouta, exaltant le droit social des travailleurs\net la lib\u00e9ration qui leur est promise, assur\u00e9e, par le divin\ncommandement du repos du dimanche.\nLe dimanche c\u2019est le jour de Dieu et c\u2019est le jour de l\u2019ouvrier, le jour\nque tous deux aiment, le jour o\u00f9 les hommes se sentent fr\u00e8res les uns\ndes autres, o\u00f9 leur filiation se nuance d\u2019une sorte de fraternit\u00e9 \u00e0\nl\u2019endroit de l\u2019Homme-Dieu, Fils avec eux du P\u00e8re Commun.\nAu moment o\u00f9 les ruines, qui achet\u00e8rent notre victoire, requi\u00e8rent non\nmoins imp\u00e9rieusement qu\u2019il y a cinquante ans, de nouvelles architectures\nsociales, les enseignements d\u2019Hello qui n\u2019ont rien perdu de leur\n\u00e9loquence, retrouvent toute leur opportunit\u00e9.\n(_Extrait de l\u2019Avant-Propos_).\nNous d\u00e9clarons, pour nous conformer aux d\u00e9crets d\u2019Urbain VIII en date du\n13 mars 1625, du 5 juin 1631, du 5 juillet 1634, concernant la\ncanonisation des saints et la b\u00e9atification des bienheureux, que nous ne\npr\u00e9tendons donner \u00e0 aucun des faits ou des mots contenus dans cet\nouvrage, plus d\u2019autorit\u00e9 que ne lui en donne ou ne lui en donnera\nl\u2019Eglise catholique, \u00e0 laquelle nous nous faisons gloire d\u2019\u00eatre tr\u00e8s\nhumblement soumis.\nERNEST HELLO\nNIHIL OBSTAT\nA. POULAIN.\nIMPRIMATUR\nParisiis, die 17a aprilis 1914\nH. ODELIN\nAVERTISSEMENT DE LA SIXI\u00c8ME EDITION\nTrente-cinq ans ont pass\u00e9 depuis la mort d\u2019Ernest Hello; et la gloire\nqu\u2019il sut assurer au petit livre de la bienheureuse Ang\u00e8le de Foligno\ndemeure si durable, qu\u2019une nouvelle \u00e9dition en est devenue n\u00e9cessaire.\nDans les r\u00e9gions sublimes o\u00f9 l\u2019entra\u00eenait le texte de la bienheureuse\nAng\u00e8le, Hello traducteur n\u2019\u00e9tait pas d\u00e9pays\u00e9; pour \u00eatre fid\u00e8le \u00e0 la\npens\u00e9e de son auteur, il avait \u00e0 prendre \u00e9lan, mais la vie\nintellectuelle d\u2019Hello fut-elle jamais autre chose qu\u2019une ascension\nvertigineuse vers l\u2019infini?\nTout ce qu\u2019on sait d\u2019Ang\u00e8le se trouve contenu dans les prologues du\nfr\u00e8re Arnaud et dans les r\u00e9v\u00e9lations personnelles de la bienheureuse.\nLes biographes qui, en 1909, \u00e0 l\u2019occasion de son sixi\u00e8me centenaire,\ns\u2019essay\u00e8rent \u00e0 parler d\u2019elle, n\u2019ont pu faire rien de plus de commenter\nces maigres d\u00e9tails, comme le fit d\u00e8s 1747, dans les Vies des saints de\nl\u2019Ombrie, le bon pr\u00eatre Jacobilli, concitoyen d\u2019Ang\u00e8le.\nFoligno fut en liesse, en f\u00e9vrier 1909; plusieurs jours durant, Ang\u00e8le y\nfut f\u00eat\u00e9e. Le chanoine C\u00e9lestin Bordoni, sous le titre: _Magistrat\ntheologorum, Angela da Foligno_, publia sur l\u2019illustre mystique une\n\u00e9tude nouvelle, attachante pour la piti\u00e9.\nEt Foligno poss\u00e8de un pr\u00e9lat qui depuis de longues ann\u00e9es, avec une\n\u00e9rudition minutieuse qu\u2019aucune recherche ne fatigue, s\u2019est fait\nl\u2019historien de la gloire d\u2019Ang\u00e8le. Je veux parler de Mgr Michele Faloci\nPulignani. D\u00e8s 1889, il faisait para\u00eetre dans les _Miscellanea\nFrancescana_, dont il est directeur, un essai bibliographique sur la vie\net les opuscules de la bienheureuse; il y cataloguait, sous\nquarante-cinq rubriques, les imprim\u00e9s la concernant, et, sous huit\nrubriques, les manuscrits dont la collation serait utile pour une\n\u00e9dition d\u00e9finitive de ses \u0153uvres; et nous croyons savoir que, dans la\nsuite, les listes de Mgr Faloci Pulignani se sont enrichies.\nD\u00e9j\u00e0 l\u2019\u00e9dition des _R\u00e9v\u00e9lations_, imprim\u00e9e \u00e0 Foligno en 1714, marquait\nun progr\u00e8s sur celle qui, d\u00e8s 1643, fut donn\u00e9e par Bolland dans les\n_Acta Sanctorum_. Il est vraisemblable que les doctes efforts de Mgr\nFaloci Pulignani aideront des \u00e9diteurs ult\u00e9rieurs \u00e0 pr\u00e9f\u00e9rer, pour\ncertains passages, une version plus impeccable; il est possible\nqu\u2019ensuite des traducteurs surviennent, plus attach\u00e9s que ne fut Hello \u00e0\nsuivre mot \u00e0 mot le texte d\u00e9finitif de la bienheureuse.\nMais aucun, assur\u00e9ment, ne pourra rivaliser avec Hello dans ce qu\u2019il\nappelle \u00abl\u2019exactitude selon l\u2019esprit, qui infuse le sang de l\u2019auteur\nd\u2019une langue dans une autre\u00bb,--l\u2019exactitude selon l\u2019esprit, qui essaie\nm\u00eame \u00abde traduire les larmes\u00bb.\nGEORGES GOYAU\nF\u00e9vrier 1921\nPR\u00c9FACE\nDe loin toutes les \u00e9toiles se ressemblent. Nos yeux sont si faibles, que\nces mondes, cach\u00e9s par la distance, sont pour nous des points d\u2019or, qui,\ndans les nuits d\u2019\u00e9t\u00e9, tremblent dans l\u2019azur noir du m\u00eame tremblement.\nMais, s\u2019il \u00e9tait permis d\u2019approcher, s\u2019il \u00e9tait possible de regarder,\nnous apercevrions avec des admirations inconnues des diff\u00e9rences\ninconnues. Nous verrions que la distance qui s\u00e9pare les soleils \u00e9tablit\nentre eux des rapports et des contrastes singuliers. Nous verrions que\nla main du Cr\u00e9ateur a sem\u00e9 dans ses champs des graines diff\u00e9rentes, que\nses pieds n\u2019ont pas laiss\u00e9 partout la m\u00eame trace dans la poussi\u00e8re que\nsa voix faisait sortir du n\u00e9ant.\nDe loin tous les \u00e9lus se ressemblent, et l\u2019opinion vulgaire croit\npouvoir les confondre dans une m\u00eame indiff\u00e9rence. L\u2019ignorance, qui\naffirme toujours, croit, que la vie des \u00e9lus est une chose monotone,\nque, pour \u00eatre \u00e9lu, il faut \u00eatre coul\u00e9 dans un certain moule, et que ce\nmoule, toujours le m\u00eame, promet l\u2019uniformit\u00e9 aux figures qu\u2019il\nconfectionne.\nOr rien n\u2019est plus faux.\nLe monde des \u00e9lus est un univers; plus grand que l\u2019univers mat\u00e9riel,\nmais compos\u00e9, comme celui-ci, d\u2019unit\u00e9, et de vari\u00e9t\u00e9. Pour nommer\nl\u2019univers, il faut nommer ces deux \u00e9l\u00e9ments.\nLes \u00e9lus sont tous \u00e9lus; mais chacun a sa vertu propre. J\u00e9sus-Christ,\nqui est leur unit\u00e9, leur paix, leur type universel marque sur eux, comme\nun sceau royal, l\u2019unit\u00e9 sacr\u00e9e de l\u2019Esprit. Mais se souvenant d\u2019avoir\nfait les violettes, les lis et les roses diff\u00e9remment capables de\ns\u2019assimiler les rayons du m\u00eame soleil, il a laiss\u00e9 \u00e0 chacun sa marque,\nson caract\u00e8re, sa forme et son nom. Il n\u2019y a pas dans le monde deux\nfeuilles d\u2019arbre qui soient semblables exactement. Toutes les pierres de\nl\u2019\u00e9ternel temple sont les pierres de la J\u00e9rusalem qui ne finira pas;\nmais pas une d\u2019entre elles n\u2019est taill\u00e9e comme sa voisine.\nSi sainte Gertrude fut, dit Oler, la sainte de l\u2019humanit\u00e9 de\nJ\u00e9sus-Christ et sainte Catherine de G\u00eanes la sainte de sa divinit\u00e9, il\nsemble que la bienheureuse Ang\u00e8le de Foligno r\u00e9unit ces deux genres de\ncontemplation, de lumi\u00e8re et d\u2019adoration. Il semble qu\u2019elle p\u00e9n\u00e9tra dans\nles ab\u00eemes de la hauteur, comme dans ceux de la profondeur. Le double\nab\u00eeme, dont elle parle quelquefois, nommant sans s\u2019en apercevoir un des\ndouze ap\u00f4tres, Thomas Didyme[1], le double ab\u00eeme fut la demeure o\u00f9 elle\npassa sa vie terrestre. Ce fut son palais, son temple, sa r\u00e9sidence\nroyale. Quand elle interroge la profondeur, la Passion de J\u00e9sus-Christ\nlui dit des secrets redoutables. Elle plonge dans ses douleurs humaines,\net m\u00eame dans ses douleurs physiques, un regard effray\u00e9 et effrayant.\nElle voit comme elle aime, c\u2019est pourquoi elle voit jusqu\u2019\u00e0 la forme des\nclous; elle mesure la douleur au nombre de leurs facettes. Elle calcule\nles aggravations de cette douleur d\u2019apr\u00e8s les d\u00e9tails qu\u2019elle a\nd\u00e9couverts.\n [1] Thomas Didyme en h\u00e9breu signifie _double ab\u00eeme_.\nParmi ces r\u00e9cits de la Passion, il y a des choses terribles, auxquelles\non oublie de penser. La vie de l\u2019homme, qui d\u2019ailleurs est beaucoup trop\ncourte pour jeter la sonde dans les ab\u00eemes, se passe en outre \u00e0 autre\nchose. Ang\u00e8le a eu avec les tortures physiques de la Passion de\nredoutables familiarit\u00e9s, qui ont permis \u00e0 ses yeux d\u00e9vorants de suivre\nla chair de J\u00e9sus, la chair des pieds et des mains dans l\u2019int\u00e9rieur du\nbois o\u00f9 les clous les enfon\u00e7aient. Elle assiste \u00e0 la tension atroce des\nbras, des jambes et des nerfs. Elle raconte comme si elle avait vu,\ncomme si elle avait vu ce que ne voyaient pas m\u00eame les bourreaux.\nL\u2019amour est plus per\u00e7ant que la haine. Il entend ce qu\u2019on dit. Il entend\nce qu\u2019on ne dit pas. Il entend le silence, lit ce qui n\u2019est pas \u00e9crit,\net devine ce qu\u2019il faut deviner pour grandir. Il s\u2019augmente de ses\nd\u00e9couvertes, s\u2019enrichit de ses tr\u00e9sors, et se plaint ensuite de sa\npauvret\u00e9, pour arracher de nouveaux secrets.\nQuand elle interroge l\u2019ab\u00eeme de la hauteur, sa parole n\u2019est qu\u2019un cri\nd\u2019impuissance, une lamentation \u00e9ternelle; elle pleure sur la limite qui\nl\u2019arr\u00eate dans son vol au moment du d\u00e9part. Son \u00e9loquence consiste \u00e0 se\nplaindre, de ne pouvoir dire ce qu\u2019elle sent, et cette plainte, \u00e0 chaque\ninstant r\u00e9p\u00e9t\u00e9e, n\u2019est jamais monotone, parce qu\u2019elle est toujours\nvraie.\nHeurtant dans son vol les secrets ineffables, les myst\u00e8res non r\u00e9v\u00e9l\u00e9s,\nelle a l\u2019air d\u2019un aigle qui, ayant pris son \u00e9lan du haut de la montagne\no\u00f9 la neige est \u00e9ternelle, arrive aux r\u00e9gions o\u00f9 il n\u2019y a plus, m\u00eame\npour lui, d\u2019air respirable. Ses pens\u00e9es lui font d\u00e9faut. Elle redescend,\nse d\u00e9bat contre les paroles qui manquent \u00e0 leur tour, engage contre\nelles une lutte corps \u00e0 corps, o\u00f9 elle est \u00e0 la fois vaincue et\nvictorieuse, et alors elle a l\u2019air d\u2019un aigle qui, les serrant et les\nsecouant dans ses griffes, car il se souvient de la montagne et du\nd\u00e9sert, \u00e9branle les barreaux de sa cage...\nAu vingt-septi\u00e8me chapitre, plusieurs \u00e2mes qui manquent de paroles\ntrouveront peut-\u00eatre du pain pour elles. Il y a l\u00e0 des ab\u00eemes entrevus,\nde magnifiques tentatives pour dire l\u2019Ineffable, suivies d\u2019un repentir\nplus magnifique qu\u2019elles-m\u00eames; le pardon qu\u2019Ang\u00e8le demande pour ses\nblasph\u00e8mes, apr\u00e8s avoir balbuti\u00e9 les choses du ravissement, d\u00e9chire\nl\u2019horizon, comme l\u2019\u00e9clair dans la nuit noire. Les ab\u00eemes s\u2019ouvrent\nderri\u00e8re les ab\u00eemes; l\u2019intelligence humaine appara\u00eet courte et br\u00e8ve, et\nl\u2019\u00e2me se rassure dans sa soif. Car Dieu se d\u00e9clare infini, et les\ntr\u00e9sors de l\u2019\u00e9ternit\u00e9 ne s\u2019\u00e9puiseront pas.\nLe P. Faber parle de cette vie intime de Dieu, cette vie qu\u2019il appelle\ninimaginable, o\u00f9 fonctionnent les attributs qui n\u2019ont pas de nom ici\nbas. Au-del\u00e0, dit-il, de _ce qui est probable_, Dieu vit sa vie de\ngloire. C\u2019est l\u2019infinie r\u00e9union des choses ignor\u00e9es.\nSi les myst\u00e8res que nous connaissons, dit-il quelque part, sont d\u00e9j\u00e0 si\nredoutables, que devons-nous penser de ces myst\u00e8res, plus grands encore,\ndont la moindre pens\u00e9e n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 donn\u00e9e \u00e0 l\u2019homme?\nC\u2019est de cette autorit\u00e9 sublime, que jaillissaient les foudres dont les\nreflets lointains, \u00e9blouissant le c\u0153ur d\u2019Ang\u00e8le, jetaient son corps \u00e0\nterre sans mouvement dans sa chambre. Heurtant dans son vol superbe les\nmyst\u00e8res non r\u00e9v\u00e9l\u00e9s, vivant dans la redoutable familiarit\u00e9 de l\u2019ombre,\nelle en jouissait sans les conna\u00eetre. Foudroy\u00e9e \u00e0 chaque instant par\nquelque joie terrible, c\u2019est toujours, dit-elle, pour la premi\u00e8re fois;\ncar le dernier \u00e9clair \u00e9clipse tous les autres. Toutes les lumi\u00e8res sont\ndes ombres aupr\u00e8s de la derni\u00e8re lumi\u00e8re. Les tr\u00e9sors o\u00f9 fouille son\nregard sont in\u00e9puisables \u00e0 jamais, et l\u2019\u00e9ternit\u00e9 promet \u00e0 sa joie\ntoujours renouvel\u00e9e des fra\u00eecheurs qui ne finiront pas. Quand apr\u00e8s\navoir entass\u00e9 les montagnes de bonheur dont les \u00e9lus ont joui sur les\nmontagnes de bonheur dont tous les hommes auraient joui, si toutes les\njoies fausses \u00e9taient chang\u00e9es en joies vraies, et duraient, sans\ninterruption, jusqu\u2019\u00e0 la fin du monde, elle fouille de tous les c\u00f4t\u00e9s,\navec l\u2019inqui\u00e9tude de l\u2019impuissance, pour atteindre, s\u2019il \u00e9tait possible,\nl\u2019exag\u00e9ration, et quand, apr\u00e8s avoir additionn\u00e9 toutes les joies connues\net inconnues, elle se d\u00e9clare pr\u00eate \u00e0 les abandonner toutes, s\u2019il\nfallait choisir entre elles et une seconde de la gloire ineffable pour\nlaquelle il n\u2019y a pas de mot, cette gloire qui est sa gloire \u00e0 elle, son\n\u00e9blouissement et son foudroiement, quand elle frappe l\u2019air de ses l\u00e8vres\ncomme pour lui arracher des sons qu\u2019il ne contient pas, ce qu\u2019il faut\nadmirer le plus dans sa parole, c\u2019est le silence, qui est au del\u00e0.\nAu soixante et uni\u00e8me chapitre, creusant la Passion, comme si elle\ninterrogeait la profondeur pour lui arracher cette raison inconnue\nd\u2019adorer qui se d\u00e9robe dans la hauteur, elle compte un \u00e0 un les\ninstruments de la Passion, et comme les r\u00e9cits ne disent pas tout, comme\nl\u2019Evangile est tr\u00e8s sobre, comme les d\u00e9tails connus augmentent sa soif\nau lieu de l\u2019apaiser, elle aborde face \u00e0 face la croix du Christ, dans\nle secret de l\u2019oraison. L\u00e0, comme dans un champ clos, seul \u00e0 seul, dans\nle secret de la vision elle demande \u00e0 chaque \u00e9pine de la croix comment\ncoulait le sang du front du Fils de l\u2019Homme. Interrogeant chaque\ninstrument de torture sur la nature des supplices, devinant par la\ndivination de l\u2019amour, derri\u00e8re les tortures connues, plusieurs tortures\ninconnues, appelant successivement \u00e0 son secours la parole et le\nsilence, elle raconte quelques-unes des compassions qui accompagn\u00e8rent\nla Passion, compassion de J\u00e9sus pour lui-m\u00eame, pour ses disciples, pour\nsa m\u00e8re, pour son p\u00e8re. Les inventions de l\u2019amour, qui est le plus grand\ndes inventeurs, conduisent Ang\u00e8le, si on ose ainsi parler, dans\nl\u2019int\u00e9rieur des plaies de J\u00e9sus; avec l\u2019audace de l\u2019adoration elle\nregarde fixement, et son \u0153il ne se trouble pas. Car l\u2019amour est plus\nfort que la mort, et s\u2019il conna\u00eet les tremblements du d\u00e9sir, il ignore\nceux de la peur.\nLe P. Faber remarque que les douleurs de la Vierge furent augment\u00e9es par\nla puissance qu\u2019elle avait de les regarder en face sans distraction, au\nlieu de les fuir, comme font les autres cr\u00e9atures, secourues par leur\nfaiblesse.\nAng\u00e8le de Foligno voit l\u2019ineffable douleur de J\u00e9sus, qui lui fut\naccord\u00e9e et dispens\u00e9e, avec la lumi\u00e8re divine, par la main de Dieu.\nCette lumi\u00e8re, par laquelle il voyait lui-m\u00eame ce qu\u2019il \u00e9tait en\nlui-m\u00eame, ce que le p\u00e9ch\u00e9 avait fait de lui, cette lumi\u00e8re terrible par\nlaquelle il voyait dans toute leur horreur sa mort et le crime de sa\nmort, et le p\u00e9ch\u00e9 et le Calvaire, cette lumi\u00e8re qui transforma,\ndit-elle, J\u00e9sus-Christ en douleur, et en douleur ineffable, semble avoir\nr\u00e9v\u00e9l\u00e9 \u00e0 la contemplatrice quelque chose de ce qu\u2019elle r\u00e9v\u00e9la \u00e0 l\u2019\u00e2me\nhumaine de J\u00e9sus. Et, dans la soif qui la d\u00e9vore, d\u2019autant plus alt\u00e9r\u00e9e\nde science et d\u2019amour qu\u2019elle en a bu davantage, tour \u00e0 tour\ninterrogeant toutes les cr\u00e9atures sur la Passion de leur Dieu crucifi\u00e9,\net tour \u00e0 tour les d\u00e9fiant de la lui raconter telle qu\u2019elle la voit,\nelle lance ce cri sublime:\n\u00abSi quelqu\u2019un me la racontait, je lui dirais: C\u2019est toi, c\u2019est toi qui\nl\u2019as soufferte.\u00bb Et dans la s\u00e9curit\u00e9 de ses transports, si un ange lui\npr\u00e9disait la mort de son amour, elle r\u00e9pondrait: \u00abC\u2019est toi qui es tomb\u00e9\ndu ciel.\u00bb\nSaint Denys l\u2019Ar\u00e9opagite, ayant \u00e9prouv\u00e9 les insuffisances de la parole\net de la lumi\u00e8re, s\u2019adresse \u00e0 l\u2019obscurit\u00e9 pour adorer, au fond d\u2019elle,\nle Dieu inconnu: _Obscurit\u00e9 tr\u00e8s lumineuse_, dit-il, _obscurit\u00e9\nmerveilleuse qui rayonne en splendides \u00e9clairs, et qui, ne pouvant \u00eatre\nni vue, ni saisie, inonde de la beaut\u00e9 de ses feux les esprits\nsaintement aveugl\u00e9s[2]._\n [2] Saint Denys l\u2019Ar\u00e9opagite, _Trait\u00e9 de la Th\u00e9ologie mystique_,\n traduction de Mgr Darboy, p. 466.\nCeux qui sont familiers avec les grands docteurs de la th\u00e9ologie\nmystique, avec saint Denys l\u2019Ar\u00e9opagite, avec saint Jean de la Croix,\netc., reconna\u00eetront dans Ang\u00e8le de Foligno la pratique ardente et pure\ndes sublimes th\u00e9ories qui ont illustr\u00e9 la haute science.\nLa parole manque toujours \u00e0 Ang\u00e8le et toujours de plus en plus, parce\nque la gloire qu\u2019elle contemple recule en s\u2019\u00e9levant toujours et toujours\nde plus en plus. La parole est un blasph\u00e8me \u00e0 ses yeux, parce qu\u2019au del\u00e0\ndes choses que cette parole d\u00e9termine, son \u0153il contemple celles qu\u2019elle\nne peut pas d\u00e9terminer.\nCela ressemble un peu \u00e0 ces tra\u00een\u00e9es aper\u00e7ues dans les nuits d\u2019\u00e9t\u00e9 qui\nse d\u00e9terminent en n\u00e9buleuses, quand les t\u00e9lescopes se perfectionnent.\nPuis au-dessus appara\u00eet une autre tra\u00een\u00e9e de lumi\u00e8re vague, qui va\ndevenir un nouvel amas d\u2019\u00e9toiles au prochain perfectionnement du\nt\u00e9lescope.\nApr\u00e8s chaque explosion de lumi\u00e8re et d\u2019amour, Ang\u00e8le demande pardon. Le\nsentiment qu\u2019elle a de Dieu fait que son adoration est un blasph\u00e8me aux\nyeux de son \u00e2me.\nLe ciel est une figure, superbe quoique limit\u00e9e, immense quoique finie.\nComme la p\u00e9cheresse du d\u00e9sert, il \u00e9tale une chevelure d\u2019or.\nOn dirait que la lumi\u00e8re ne se trouvant pas assez pure pour subsister\ndevant la face de Dieu, voudrait essuyer avec ses cheveux les pieds du\ntr\u00f4ne, et porter plus haut que les regards le repentir des soleils.\nLa traduction est toujours une \u0153uvre difficile. La traduction d\u2019une\nchose intime est une \u0153uvre tr\u00e8s difficile. Quand il s\u2019agit d\u2019une oraison\nfun\u00e8bre, d\u2019un discours d\u2019apparat, on peut, jusqu\u2019\u00e0 un certain point,\nremplacer les p\u00e9riodes latines par des p\u00e9riodes fran\u00e7aises. Mais quand\nil s\u2019agit de p\u00e9n\u00e9trer dans les ab\u00eemes de l\u2019\u00e2me, quand il s\u2019agit de\nlutter avec l\u2019intimit\u00e9 des forces inf\u00e9rieures, quand ce sont, non pas\nseulement des paroles, mais des cris qu\u2019il faut rendre, des cris, des\nsilences et des sanglots, la t\u00e2che devient redoutable: l\u2019exactitude est\nla loi de la traduction. Mais il y a deux sortes d\u2019exactitudes:\nl\u2019exactitude selon la lettre, qui rend les mots les uns apr\u00e8s les\nautres; l\u2019exactitude selon l\u2019esprit, qui infuse le sang de l\u2019auteur\nd\u2019une langue dans une autre. Sans n\u00e9gliger la premi\u00e8re de ces deux\nexactitudes, j\u2019ai essay\u00e9 surtout de m\u2019attacher \u00e0 la seconde. J\u2019ai essay\u00e9\nde faire vivre en fran\u00e7ais le livre qui vivait en latin. J\u2019ai essay\u00e9 de\nfaire crier en fran\u00e7ais l\u2019\u00e2me qui criait en latin. J\u2019ai essay\u00e9 de\ntraduire les larmes.\nLe fr\u00e8re Arnaud, qui \u00e9crivait sous la dict\u00e9e d\u2019Ang\u00e8le, a mis en t\u00eate de\nson livre les deux prologues qu\u2019on va lire. J\u2019ai essay\u00e9 de conserver\naussi \u00e0 cet excellent homme les caract\u00e8res qui le distinguent, son\nprofond respect et son admirable sinc\u00e9rit\u00e9.\nLa vie d\u2019Ang\u00e8le est un drame o\u00f9 la vie spirituelle se d\u00e9clare comme une\nr\u00e9alit\u00e9 visible. La v\u00e9rit\u00e9 secr\u00e8te devient quelque chose de tangible et\nde palpable. Il n\u2019est plus possible de la prendre pour un r\u00eave; elle est\nun drame plein de sang et de feu. En revanche, la vie ext\u00e9rieure des\nhommes menteurs, la vie sans lumi\u00e8re, sans v\u00e9rit\u00e9, la vie loin de\nl\u2019Esprit, appara\u00eet comme une ombre, comme une figure, comme un fant\u00f4me\net comme un cauchemar.\nL\u2019affinit\u00e9 des choses intimes et des choses sublimes est la lumi\u00e8re qui\n\u00e9claire ce drame, o\u00f9 la hauteur et la profondeur se donnent le baiser de\nla paix.\nCe drame a pour th\u00e9\u00e2tre l\u2019Ineffable. C\u2019est un \u00e9clair qui d\u00e9chire une\nnu\u00e9e. Le langage d\u2019Ang\u00e8le est une lutte corps \u00e0 corps avec les choses\nqui ne peuvent pas se dire. Dans l\u2019atmosph\u00e8re o\u00f9 elle est introduite,\ncomme un profane \u00e9pouvant\u00e9 par le voisinage du sanctuaire, le\nvocabulaire des hommes recule silencieusement. Captive dans la parole\nhumaine, Ang\u00e8le fait comme Samson. Manu\u00e9 en h\u00e9breu veut dire repos.\nComme Samson, fils de Manu\u00e9, Ang\u00e8le fille de l\u2019Extase, prend sur ses\n\u00e9paules les portes de sa prison, et les emporte sur la Hauteur.\n--Vous qui lirez ce livre, ne portez pas sur lui le regard froid de la\ncuriosit\u00e9. Souvenez-vous des r\u00e9alit\u00e9s glorieuses, souvenez-vous des\nr\u00e9alit\u00e9s terribles, et priez le Dieu d\u2019Ang\u00e8le pour le traducteur de son\nlivre.\nERNEST HELLO\nPROLOGUE DU FR\u00c8RE ARNAUD\nDe peur que l\u2019enflure de la sagesse du monde ne re\u00e7\u00fbt pas du Dieu\n\u00e9ternel la confusion qu\u2019elle m\u00e9rite, le Seigneur a suscit\u00e9 une femme\nhabitu\u00e9e aux choses du si\u00e8cle, li\u00e9e par les obligations du monde, qui\navait un mari, des enfants, une fortune; une femme simple, d\u00e9pourvue de\nscience et de force; mais qui, ayant re\u00e7u et accept\u00e9 au fond\nd\u2019elle-m\u00eame, avec la croix de J\u00e9sus-Christ, la puissance infuse de Dieu,\nbrisa les liens du monde, gravit le sommet de la perfection \u00e9vang\u00e9lique,\nrenouvela dans sa pl\u00e9nitude absolue la folie de la croix, sagesse des\nparfaits, et montra, dans la voie abandonn\u00e9e du bon J\u00e9sus, dans cette\nvoie d\u00e9clar\u00e9e impossible et insupportable par la parole et l\u2019exemple de\nquiconque fait le grand personnage, montra, disais-je, non pas seulement\nune vie possible, non pas seulement une vie facile, mais les d\u00e9lices\ninou\u00efes, les d\u00e9lices de la hauteur.\nO Sagesse divine et parfaite, comme vous avez r\u00e9v\u00e9l\u00e9 dans votre servante\nla folie de toute sagesse humaine! Vous avez oppos\u00e9 aux hommes une\nfemme, aux enfl\u00e9s une humble, aux habiles une simple, aux savants une\nignorante, aux hypocrites qui s\u2019admirent une cr\u00e9ature qui se m\u00e9prise,\naux langues pleines de paroles, aux mains vides d\u2019actions, le silence\ndes l\u00e8vres et l\u2019activit\u00e9 d\u00e9vorante, br\u00fblante, stup\u00e9fiante de la vie! Et\nla sagesse de la chaleur a \u00e9t\u00e9 confront\u00e9e avec la sagesse de l\u2019esprit,\nqui est la science de J\u00e9sus, et de J\u00e9sus crucifi\u00e9! Dans une femme forte,\nDieu a manifest\u00e9 sa lumi\u00e8re, qui \u00e9tait enterr\u00e9e, comme dans un s\u00e9pulcre\nde chair humaine, sous l\u2019aveuglement des th\u00e9oriciens.\nEnfants de notre m\u00e8re sacr\u00e9e, prenez garde au respect humain! Apprenez\nde notre Ang\u00e8le, apprenez de notre ange, apprenez de l\u2019Ange du grand\nconseil, la voix de la magnificence et la sagesse de la croix! Apprenez\nla pauvret\u00e9, les douleurs, les opprobres et l\u2019ob\u00e9issance de J\u00e9sus;\napprenez J\u00e9sus-Christ, apprenez sa M\u00e8re, et quand vous aurez appris,\nenseignez cette science aux hommes, enseignez-la aux femmes,\nenseignez-la \u00e0 toute cr\u00e9ature dans le langage des actes r\u00e9els, effectifs\net puissants! Et pour que la gloire de votre vocation, enfants de la\nhaute science, apparaisse \u00e0 vos yeux, sachez, mes biens-aim\u00e9s, que celle\nqui nous a enseign\u00e9 Dieu a fait ce qu\u2019elle a enseign\u00e9. Souvenez-vous,\nmes biens-aim\u00e9s, que les ap\u00f4tres ont appris d\u2019une femme la vie mortelle\ndu Sauveur, et d\u2019une femme sa r\u00e9surrection.\nAinsi, cher fils de notre m\u00e8re sacr\u00e9e, venez apprendre avec moi la loi\nposs\u00e9d\u00e9e, la loi pr\u00each\u00e9e par saint Fran\u00e7ois d\u2019Assise et ses compagnons,\nla loi immortalis\u00e9e par la pratique d\u2019Ang\u00e8le.\nIl n\u2019est pas dans l\u2019ordre ordinaire de la Providence qu\u2019une femme\nenseigne et confonde la grossi\u00e8ret\u00e9 des savants. Mais saint J\u00e9r\u00f4me,\nparlant de la proph\u00e9tesse Olda, vers qui se faisait le concours des\npeuples, dit que, pour confondre la fiert\u00e9 de l\u2019homme et la science\npr\u00e9varicatrice, le Seigneur a transport\u00e9 sur la t\u00eate d\u2019une femme le don\nde proph\u00e9tie.\nFr\u00e8re ARNAUD\nDEUXI\u00c8ME PROLOGUE DU FR\u00c8RE ARNAUD\nAu nom de la tr\u00e8s sainte Trinit\u00e9, au nom du Dieu tout-puissant, au nom\nde J\u00e9sus-Christ et de la Vierge,\nVoici la manifestation des dons du Tr\u00e8s-Haut faite sur l\u2019esprit de ma\nm\u00e8re, Ang\u00e8le de Foligno. Suivant la parole et la promesse qu\u2019il a faite\ndans son Evangile:\n\u00abSi quelqu\u2019un m\u2019aime, il gardera ma parole, et mon p\u00e8re l\u2019aimera, et\nnous viendrons \u00e0 lui, et nous demeurerons en lui\u00bb;\nEt:\n\u00abCelui qui m\u2019aime, je me manifesterai moi-m\u00eame \u00e0 lui\u00bb (_Joannes_, XIV,\nLe Seigneur nous a permis d\u2019\u00e9prouver nous-m\u00eame la v\u00e9rit\u00e9 de cette\nparole. Il s\u2019est manifest\u00e9 r\u00e9cemment \u00e0 quelques \u00e2mes d\u00e9vou\u00e9es, mais tr\u00e8s\nparticuli\u00e8rement \u00e0 l\u2019esprit de ma m\u00e8re Ang\u00e8le.\nMoi, fr\u00e8re Arnaud, de l\u2019ordre des Mineurs, \u00e0 force de supplications, je\nlui arrachai le secret de ses yeux et de son \u00e2me. Intimement uni \u00e0 elle\npar une familiarit\u00e9 quotidienne et par la charit\u00e9 du Christ, j\u2019eus\ncependant besoin, pour lui faire violence, des raisons les plus graves,\nles plus sacr\u00e9es qui soient au monde.\nLes dons de Dieu \u00e9taient enferm\u00e9s en elle par un sceau redoutable et\nquand j\u2019approchais, quand j\u2019allais demander, elle r\u00e9pondait: \u00abMon secret\nest \u00e0 moi.\u00bb Que de fois j\u2019ai entendu cette parole! Selon toute\nprobabilit\u00e9, j\u2019aurais \u00e9chou\u00e9 pour toujours, et les hommes eussent \u00e9t\u00e9\nfrustr\u00e9s, si Ang\u00e8le n\u2019e\u00fbt vu mon immense douleur. Ang\u00e8le eut piti\u00e9 de\nmoi: la compassion fut ce qui l\u2019\u00e9branla d\u2019abord; puis vint l\u2019int\u00e9r\u00eat des\n\u00e2mes humaines, et l\u2019amour qu\u2019elle avait pour le prochain; mais enfin et\nsurtout elle re\u00e7ut un ordre d\u2019en haut: elle fut forc\u00e9e, et se rendit.\nJ\u2019\u00e9crivis ce qu\u2019on va lire.\nAng\u00e8le dictait, et j\u2019\u00e9crivais; mais elle parlait malgr\u00e9 elle. Au milieu\nde ses r\u00e9v\u00e9lations, elle s\u2019interrompait pour me dire:\n\u00abTout ce que je viens d\u2019articuler n\u2019est rien! tout cela n\u2019a pas de sens!\nje ne peux pas parler.\u00bb\nQuelquefois, dans les instants les plus sublimes, quand la parole lui\nmanquait, vaincue par la hauteur des choses, comparant ce qu\u2019elle disait\navec ce qu\u2019elle aurait voulu dire, elle s\u2019arr\u00eatait et me criait:\n\u00abJe blasph\u00e8me! fr\u00e8re, je blasph\u00e8me! Notre pauvre langage humain,\ndisait-elle, ne convient gu\u00e8re que dans les occasions o\u00f9 il s\u2019agit des\ncorps et des id\u00e9es; au del\u00e0, il n\u2019en peut plus. S\u2019il s\u2019agit des choses\ndivines et de leurs influences, la parole meurt absolument.\u00bb\nQuelquefois elle se servait de paroles qui m\u2019\u00e9taient absolument\ninconnues et \u00e9trang\u00e8res: c\u2019\u00e9tait immense, c\u2019\u00e9tait puissant, c\u2019\u00e9tait\n\u00e9blouissant, c\u2019\u00e9tait mille fois plus admirable que tout ce que j\u2019ai\n\u00e9crit. Elle ne pouvait rien formuler. J\u2019entrevoyais quelque chose\nd\u2019inou\u00ef; mais, ne sachant pas quoi, je restais l\u00e0 sans \u00e9crire.\nQuelquefois j\u2019ai vu Ang\u00e8le dans une douleur profonde, parce qu\u2019il lui\n\u00e9tait impossible de rien manifester.\nQuant \u00e0 moi, pour dire la v\u00e9rit\u00e9, je ne comprenais de ses paroles qu\u2019une\ntr\u00e8s petite partie. Je me comparais souvent \u00e0 un crible qui laisse\npasser et qui jette au vent ce qu\u2019il y a de plus pr\u00e9cieux dans la\nsubstance, ne retenant que ce qu\u2019il y a de plus grossier. Je suis\n\u00e9videmment un homme tout \u00e0 fait incapable; je n\u2019entends pas les choses\ndivines: en voici la preuve. Apr\u00e8s avoir \u00e9crit sous sa dict\u00e9e, je\nrelisais \u00e0 Ang\u00e8le, afin de soumettre l\u2019\u0153uvre \u00e0 ses corrections. Tr\u00e8s\nsouvent elle me disait: \u00abC\u2019est singulier! c\u2019est \u00e9tonnant! Qu\u2019avez-vous\ndonc \u00e9crit? Je ne reconnais pas cela.\u00bb\nUn jour elle me dit:\n\u00abJe ne sais comment vous faites: ce que vous avez \u00e9crit l\u00e0 n\u2019a aucune\nsaveur.\u00bb\nUne autre fois, elle me fit cette remarque:\n\u00abLes paroles que vous avez \u00e9crites servent tout au plus \u00e0 me rappeler de\nloin le souvenir de celles que j\u2019ai entendues. Mais si je ne voyais les\nchoses dans la lumi\u00e8re int\u00e9rieure, ce que vous avez \u00e9crit l\u00e0 ne m\u2019en\ndonnerait pas la moindre id\u00e9e.\u00bb\n\u00abTout ce qu\u2019il a de bas et d\u2019insignifiant dans mes paroles, me dit-elle,\nvous l\u2019avez \u00e9crit, mais la substance pr\u00e9cieuse, la chose de l\u2019\u00e2me, vous\nn\u2019en avez pas dit un mot.\u00bb\nVous voyez quel homme je suis. Mille choses ont \u00e9t\u00e9 perdues par mon\nincapacit\u00e9. J\u2019\u00e9tais l\u00e0 comme un idiot, \u00e9coutant et ne comprenant pas.\nPar exemple je n\u2019ai pas ajout\u00e9 un mot qui v\u00eent de moi.\nC\u2019est l\u2019intelligence qui me manque. Quelquefois je n\u2019ai pu suivre en\n\u00e9crivant sa parole, et, dans le moment qui suivait celui-l\u00e0, le temps ou\nla m\u00e9moire m\u2019a fait d\u00e9faut pour r\u00e9tablir le texte.\nMille autres causes ont encore alt\u00e9r\u00e9 mon \u0153uvre. Quelquefois j\u2019allais\npr\u00e8s d\u2019elle avec une conscience troubl\u00e9e; dans ce cas, tout mon travail\n\u00e9tait absolument manqu\u00e9. Je ne pouvais \u00e9crire deux mots avec suite. Je\npris alors l\u2019habitude de recourir, avant d\u2019aborder Ang\u00e8le, au sacrement\nde p\u00e9nitence. Il me semble qu\u2019apr\u00e8s l\u2019absolution j\u2019\u00e9tais moins incapable\nd\u2019entendre et de reproduire: je sentais le secours de la gr\u00e2ce.\nTel qu\u2019il est, mon travail manque d\u2019ordre. Et cependant, tel que je me\nconnais, je trouve merveilleux d\u2019avoir fait le peu que voil\u00e0. L\u2019ordre\nqui s\u2019y trouve, si insuffisant qu\u2019il soit, est d\u00fb \u00e0 mes secours\nsurnaturels.\nUne des grandes sollicitudes, une des grandes douleurs de ma vie, c\u2019est\nde n\u2019avoir pas r\u00e9ussi plus pleinement. Et pourtant je sentais, par les\nm\u00e9rites de ma m\u00e8re bienheureuse, je sentais une gr\u00e2ce spirituelle,\nabsolument inconnue, sans exemple dans ma vie.\nJe me rends ce t\u00e9moignage de n\u2019avoir rien mis qui f\u00fbt de moi; j\u2019affirme\nque je n\u2019ai pas ajout\u00e9 un mot. J\u2019ai mis le peu de paroles que j\u2019ai\ncomprises, mais je n\u2019ai pas mis autre chose.\nEpouvant\u00e9 de mon redoutable minist\u00e8re, j\u2019\u00e9crivais avec un grand\ntremblement.\nSouvent je me faisais r\u00e9p\u00e9ter plusieurs fois le mot que je devais\n\u00e9crire. Je t\u00e2chais de reproduire les mots dont elle s\u2019\u00e9tait servie, dans\nla crainte d\u2019alt\u00e9rer l\u2019id\u00e9e en alt\u00e9rant l\u2019expression. Quelquefois Ang\u00e8le\ndisait, en relisant mon travail:\n\u00abJe me repentirais d\u2019avoir divulgu\u00e9 ces choses, si je n\u2019avais entendu\ncette parole: \u00abPlus tu donneras la lumi\u00e8re, plus tu la garderas.\u00bb\n\u00abEcoutez-bien disait-elle encore, \u00e9coutez-bien, fr\u00e8re Arnaud. La voix du\nCiel m\u2019a ordonn\u00e9 plusieurs fois de faire \u00e9crire \u00e0 la fin de chaque\nchapitre: \u00ab_Que le lecteur rende gr\u00e2ces \u00e0 Dieu, puisque ce chapitre est\n\u00e9crit._\u00bb\nA trois lieues d\u2019Assise, \u00e0 Foligno, vivait une femme qui venait de se\nconvertir. Elle avait mari et enfants. Elle entra dans la voie d\u2019une\np\u00e9nitence inou\u00efe; j\u2019en ai la preuve. En outre, elle souffrit dans son\n\u00e2me et dans son corps tentations et tourments. Elle souffrit\ninvisiblement certaines tortures auxquelles plusieurs autres \u00e2mes ont\n\u00e9t\u00e9 soumises visiblement. Elle souffrit cruellement, car les d\u00e9mons\nsavent torturer beaucoup mieux que les hommes. Un homme digne de foi\ntomba un jour dans un \u00e9tonnement \u00e9pouvantable, parce qu\u2019il avait entendu\nde la bouche d\u2019Ang\u00e8le les tortures que lui faisait subir son ennemi\ninfernal. Cet homme eut une r\u00e9v\u00e9lation divine qui lui confirma la\nr\u00e9alit\u00e9 du fait. Il est impossible de dire de quelle compassion il fut\ntouch\u00e9.\nAng\u00e8le \u00e9tait profonde et ardente dans la pri\u00e8re, tr\u00e8s sage dans la\nconfession. Un jour elle me confessa tous les p\u00e9ch\u00e9s de sa vie avec une\ntelle perfection de connaissance, un si profond discernement, avec une\ntelle contrition, avec de telles larmes, et ces larmes ne cess\u00e8rent pas\nun instant de couler depuis la premi\u00e8re jusqu\u2019\u00e0 la derni\u00e8re parole, avec\nune telle puissance d\u2019humilit\u00e9, que je pleurais dans mon c\u0153ur: \u00abO mon\nDieu, disais-je, Seigneur mon Dieu, quand vous abandonneriez le monde\nentier \u00e0 l\u2019erreur, vous ne permettriez pas qu\u2019une telle sinc\u00e9rit\u00e9, une\ntelle v\u00e9racit\u00e9, une telle droiture f\u00fbt tromp\u00e9e jamais!\u00bb\nLa nuit suivante, elle fut malade \u00e0 la mort. Le lendemain matin, elle se\ntra\u00eena tr\u00e8s difficilement \u00e0 l\u2019\u00e9glise des Fr\u00e8res; je dis la messe et je\nlui donnai la communion. Je sais que jamais elle n\u2019a communi\u00e9 sans\nrecevoir quelque gr\u00e2ce immense et chaque fois une gr\u00e2ce nouvelle. Telle\n\u00e9tait la puissance des illuminations, des illustrations et des joies\ndont son \u00e2me \u00e9tait enivr\u00e9e, que tout cela rejaillissait \u00e0 chaque instant\nsur le corps. Tr\u00e8s souvent, quand je voulais lui relire ce que j\u2019avais\n\u00e9crit sous sa dict\u00e9e, le ravissement l\u2019emportait, et elle n\u2019entendait\nplus un mot. Quand elle causait avec le Seigneur, la joie donnait \u00e0\nAng\u00e8le une autre figure et un autre corps; la d\u00e9lectation du\nSaint-Esprit mettait sa chair en feu: j\u2019ai vu ses yeux ardents comme la\nlampe de l\u2019autel; j\u2019ai vu sa figure ressembler \u00e0 une rose pourpre.\nSa t\u00eate avait par moments une richesse, une pl\u00e9nitude de vie, une\nsplendeur, une magnificence ang\u00e9liques qui l\u2019\u00e9levaient au-dessus de la\ncondition humaine; elle oubliait alors de boire et de manger; on e\u00fbt dit\nun esprit sans corps, et pourtant le corps \u00e9tait \u00e9blouissant.\nElle avait pour compagne une vierge chr\u00e9tienne qui vivait avec elle;\ncette femme m\u2019a racont\u00e9 qu\u2019un jour elle \u00e9tait en route avec Ang\u00e8le. Je\nne sais o\u00f9 elles allaient. Tout \u00e0 coup, dans le chemin, voici la t\u00eate\nd\u2019Ang\u00e8le qui devient resplendissante, ses joues changent de couleur;\ntransfigur\u00e9e par la joie, elle n\u2019offre plus avec elle-m\u00eame aucun trait\nde ressemblance. Ses yeux, plus grands qu\u2019\u00e0 l\u2019ordinaire, \u00e9taient\n\u00e9blouissants \u00e0 regarder. Sa compagne \u00e9tait une femme extraordinairement\nna\u00efve, et qui, \u00e0 cette \u00e9poque, ne connaissait pas encore les coups de\nfoudre de Dieu et les habitudes d\u2019Ang\u00e8le. Ignorant tout cela, cette\nbonne femme avait peur de rencontrer quelqu\u2019un. Dans l\u2019exc\u00e8s de sa\nna\u00efvet\u00e9, elle se couvrit elle-m\u00eame la t\u00eate.\n\u00abFaites comme moi, disait-elle \u00e0 Ang\u00e8le; couvrez-vous, couvrez-vous.\nVous ne savez donc pas que vos yeux sont comme deux cand\u00e9labres.\u00bb Et la\npauvre femme se lamentait, se frappait la poitrine et disait: \u00abMais\nqu\u2019est-ce donc, qu\u2019est-ce donc qui vous est arriv\u00e9 l\u00e0! D\u00e9sormais\ncachez-vous aux hommes. Eh! qu\u2019est-ce donc que nous allons devenir!\n--Ne craignez pas, r\u00e9pondit Ang\u00e8le; si nous rencontrons quelqu\u2019un, Dieu\nveillera sur la rencontre.\u00bb\nSa compagne finit par s\u2019habituer, car la transfiguration d\u2019Ang\u00e8le\narrivait \u00e0 tout instant. Un jour, je tiens ce fait de la m\u00eame personne,\nAng\u00e8le \u00e9tait \u00e9tendue et en extase. Son amie vit sur son c\u00f4t\u00e9 une \u00e9toile\nmagnifique, qui, sans \u00eatre tr\u00e8s grande, r\u00e9unissait un nombre immense de\ncouleurs \u00e9blouissantes. Puis elle lan\u00e7a des rayons d\u2019une beaut\u00e9 inou\u00efe,\nles uns tr\u00e8s fins, les autres plus gros: ils sortaient du c\u0153ur d\u2019Ang\u00e8le,\nse repliaient vers lui, puis remontaient au ciel. Ce ph\u00e9nom\u00e8ne dura\ntrois heures.\nQuand Ang\u00e8le \u00e9tait tourment\u00e9e par la tentation, ou saisie par les\nlangueurs d\u2019amour, elle p\u00e2lissait, elle s\u00e9chait sur pied, elle faisait\ncompassion.\nCette femme avait un corps d\u00e9bile.\nMoi, fr\u00e8re Arnaud, apr\u00e8s avoir \u00e9crit ce livre, je priai Ang\u00e8le de\ndemander \u00e0 Dieu si je n\u2019avais rien \u00e9crit de faux ou d\u2019inutile.\nJ\u2019\u00e9prouvais le besoin que Dieu lui-m\u00eame, dans sa mis\u00e9ricorde, me d\u00eet si\nje ne m\u2019\u00e9tais pas tromp\u00e9.\nElle r\u00e9pondit:\n\u00abJ\u2019ai demand\u00e9 plusieurs fois \u00e0 Dieu si dans ce que j\u2019ai dit et dans ce\nque tu as \u00e9crit il y avait mensonge ou inutilit\u00e9. Or, voici quelle\nr\u00e9ponse me fut faite et quelle certitude me fut donn\u00e9e: \u00abTout ce que\nj\u2019ai dit, tout ce que vous avez \u00e9crit, tout cela est vrai; il n\u2019y a rien\nde faux, il n\u2019y a rien d\u2019inutile, mais il y a insuffisance. Les choses\nn\u2019ont pas trouv\u00e9 la perfection dans nos paroles. La hauteur et la\ndouceur des visions ne pouvaient \u00eatre renferm\u00e9es dans le langage humain.\n\u00abTout cela, avait dit le Seigneur, est selon ma volont\u00e9; tout cela vient\nde moi, et je poserai mon sceau sur ce livre (_Sigillabo_).\u00bb Et comme\nAng\u00e8le ne comprenait pas ce mot: \u00abJe poserai mon sceau\u00bb, la voix reprit,\net se servit d\u2019un autre mot: \u00abJe confirmerai ma parole (_Firmabo_).\u00bb\nMoi, fr\u00e8re Arnaud, qui \u00e9crivais sous sa dict\u00e9e, je r\u00e9p\u00e8te que je n\u2019ai\nrien ajout\u00e9, mais que j\u2019ai beaucoup omis; j\u2019ai omis beaucoup de choses\ntrop hautes pour entrer dans mon mis\u00e9rable entendement.\nPar la volont\u00e9 de Dieu, mon livre a \u00e9t\u00e9 examin\u00e9 par deux fr\u00e8res mineurs\ndignes de foi; ils l\u2019ont examin\u00e9 dans la compagnie d\u2019Ang\u00e8le; ils ont\neux-m\u00eames entendu ce que j\u2019ai \u00e9crit; ils ont conf\u00e9r\u00e9 de toutes ces\nchoses avec Ang\u00e8le elle-m\u00eame afin d\u2019avoir des renseignements plus\ncertains. Un nouvel examen eut encore lieu plus tard. Ce fut le seigneur\nJacques de la Colonne qui s\u2019en chargea. Il prit pour l\u2019aider huit fr\u00e8res\nmineurs fameux entre tous. Parmi eux il y avait des lecteurs, des\ninquisiteurs, des custodes. Ils \u00e9taient tous dignes de foi, modestes et\nspirituels. Pas un n\u2019attaqua un seul mot du livre. Ils ne firent que\nv\u00e9n\u00e9rer humblement et embrasser tendrement.\nJ\u2019engage le lecteur \u00e0 ne pas s\u2019\u00e9tonner si les paroles ardentes de\nl\u2019amour remplissent ce livre. La Sainte Ecriture en est pleine aussi.\n_Le Cantique des Cantiques_ est l\u00e0 pour l\u2019attester. Le lecteur sentira,\nd\u2019ailleurs, qu\u2019au milieu des transports et des sublimit\u00e9s, la gr\u00e2ce\ndivine pr\u00e9serva si parfaitement Ang\u00e8le de l\u2019orgueil, que la hauteur des\nr\u00e9v\u00e9lations approfondit l\u2019\u00e2me de son humilit\u00e9.\nJ\u2019ai encore une observation \u00e0 faire.\nAng\u00e8le d\u00e9clare plusieurs fois, au milieu des transports et des\ntransformations, qu\u2019elle est \u00e9lev\u00e9e pour toujours \u00e0 un nouvel \u00e9tat de\nlumi\u00e8re, de joie et de d\u00e9lectation, et que cette joie sera \u00e9ternelle.\nVoici, je pense, dans quel sens il faut entendre ces paroles.\nUne nouvelle illustration divine la constitue dans un \u00e9tat nouveau de\ntransformation divine. Cet \u00e9tat est continuel. Elle entre dans une\nnouvelle lumi\u00e8re, dans un nouveau sentiment de Dieu. Elle entre dans une\nsolitude qu\u2019elle n\u2019a pas encore habit\u00e9e.\nBien que cette demeure soit permanente, et n\u2019affecte pas la ressemblance\nd\u2019un acte interrompu, cependant elle est susceptible d\u2019accroissements\ntoujours nouveaux, Ang\u00e8le y trouve \u00e0 chaque instant de nouvelles\nardeurs, de nouvelles joies, de nouvelles impressions, des suavit\u00e9s\nnouvelles; et cependant c\u2019est toujours la m\u00eame illustration qui dure,\nquant \u00e0 son principe immuable. La transformation en elle-m\u00eame n\u2019est pas\nun acte passager, elle est continuelle comme une habitude; mais des\ntransports de plus en plus sublimes, des suavit\u00e9s, des illustrations et\ndes visions de plus en plus hautes peuvent se produire en elle et par\nelle.\nFr\u00e8re ARNAUD\nANG\u00c8LE DE FOLIGNO\nMoi, dit Ang\u00e8le de Foligno, entrant dans la voie de la p\u00e9nitence, je fis\ndix-huit pas avant de conna\u00eetre l\u2019imperfection de la vie.\nPREMIER PAS\nANG\u00c8LE PREND CONNAISSANCE DE SES P\u00c9CH\u00c9S\nJe regardai pour la premi\u00e8re fois mes p\u00e9ch\u00e9s, j\u2019en acquis la\nconnaissance; mon \u00e2me entra en crainte; elle trembla \u00e0 cause de sa\ndamnation, et je pleurai, je pleurai beaucoup.\nDEUXI\u00c8ME PAS\nLA CONFESSION\nPuis je rougis pour la premi\u00e8re fois, et telle fut ma honte, que je\nreculais devant l\u2019aveu. Je ne me confessai pas, je n\u2019osais pas avouer,\net j\u2019allai \u00e0 la sainte table, et ce fut avec mes p\u00e9ch\u00e9s que je re\u00e7us le\ncorps de J\u00e9sus-Christ. C\u2019est pourquoi ni jour ni nuit ma conscience ne\ncessait de gronder. Je priai saint Fran\u00e7ois de me faire trouver le\nconfesseur qu\u2019il me fallait, quelqu\u2019un qui p\u00fbt comprendre et \u00e0 qui je\npusse parler. La m\u00eame nuit, le vieillard m\u2019apparut. \u00abMa s\u0153ur, dit-il, si\ntu m\u2019avais appel\u00e9 plus t\u00f4t, je t\u2019aurais exauc\u00e9e plus t\u00f4t. Ce que tu\ndemandes est fait.\u00bb\nLe matin, je trouvai dans l\u2019\u00e9glise de Saint F\u00e9licien un fr\u00e8re qui\npr\u00eachait.\nApr\u00e8s le sermon, je r\u00e9solus de me confesser \u00e0 lui. Je me confessai\npleinement; je re\u00e7us l\u2019absolution. Je ne sentis pas d\u2019amour; l\u2019amertume\nseulement, la honte et la douleur.\nTROISI\u00c8ME PAS\nLA SATISFACTION\nJe pers\u00e9v\u00e9rai dans la p\u00e9nitence qui me fut impos\u00e9e; j\u2019essayai de\nsatisfaire la justice, vide de consolation, pleine de douleur.\nQUATRI\u00c8ME PAS\nCONSID\u00c9RATION DE LA MIS\u00c9RICORDE\nJe jetai un premier regard sur la divine mis\u00e9ricorde; je fis\nconnaissance avec celle qui m\u2019avait retir\u00e9e de l\u2019enfer, avec celle qui\nm\u2019avait fait la gr\u00e2ce que je raconte. Je re\u00e7us sa premi\u00e8re illumination;\nla douleur et les pleurs redoubl\u00e8rent. Je me livrai \u00e0 une p\u00e9nitence\ns\u00e9v\u00e8re; mais je ne veux pas dire laquelle.\nCINQUI\u00c8ME PAS\nCONNAISSANCE PROFONDE D\u2019ELLE-M\u00caME\nAinsi \u00e9clair\u00e9e, je n\u2019aper\u00e7us en moi que des d\u00e9fauts, je vis avec une\ncertitude pleine que j\u2019avais m\u00e9rit\u00e9 l\u2019enfer; je g\u00e9missais dans\nl\u2019amertume, et je pronon\u00e7ai ma condamnation.\nComprenez que tous ces pas ne se suivirent pas sans intervalle. Ayez\ndonc piti\u00e9 d\u2019une pauvre \u00e2me, qui se meut si lourdement, qui tra\u00eene vers\nDieu son grand poids, sa grande lourdeur, et qui a fait \u00e0 peine un petit\nmouvement. Je me souviens qu\u2019\u00e0 chaque pas je m\u2019arr\u00eatais pour pleurer, et\nje ne recevais pas d\u2019autre consolation que celle-ci, le pouvoir de\npleurer; c\u2019\u00e9tait la seule, celle-l\u00e0 \u00e9tait am\u00e8re.\nSIXI\u00c8ME PAS\nELLE SE RECONNAIT COUPABLE ENVERS TOUTES LES CR\u00c9ATURES\nUne illumination me donna la vue de mes p\u00e9ch\u00e9s dans la profondeur. Ici\nje compris qu\u2019en offensant le Cr\u00e9ateur, j\u2019avais offens\u00e9 toutes les\ncr\u00e9atures, qui toutes \u00e9taient faites pour moi. Tous mes p\u00e9ch\u00e9s me\nrevenaient profond\u00e9ment \u00e0 la m\u00e9moire, et dans la confession que je\nfaisais \u00e0 Dieu, je les pesais tr\u00e8s profond\u00e9ment. Par la sainte Vierge et\npar tous les saints j\u2019invoquais la mis\u00e9ricorde de Dieu, et me sentant\nmorte, je demandais \u00e0 genoux la vie. Et je suppliais toutes les\ncr\u00e9atures que je sentais avoir offens\u00e9es, de ne pas prendre la parole\npour m\u2019accuser devant Dieu. Tout \u00e0 coup je crus sentir sur moi la piti\u00e9\nde toutes les cr\u00e9atures, et la piti\u00e9 de tous les saints. Et je re\u00e7us\nalors un don: c\u2019\u00e9tait un grand feu d\u2019amour, et la puissance de prier\ncomme jamais je n\u2019avais pri\u00e9.\nSEPTI\u00c8ME PAS\nVUE DE LA CROIX\nIci je re\u00e7us la gr\u00e2ce sp\u00e9ciale du regard sur la croix sur laquelle je\ncontemplais avec l\u2019\u0153il du c\u0153ur et celui du corps, J\u00e9sus-Christ mort pour\nnous. Mais cette vision \u00e9tait insipide, quoique tr\u00e8s douloureuse.\nHUITI\u00c8ME PAS\nCONNAISSANCE DE J\u00c9SUS-CHRIST\nJe re\u00e7us, avec le regard sur la croix, une plus profonde connaissance de\nla fa\u00e7on dont J\u00e9sus-Christ \u00e9tait mort pour nos p\u00e9ch\u00e9s. J\u2019eus de mes\npropres p\u00e9ch\u00e9s un sentiment tr\u00e8s cruel, et je m\u2019aper\u00e7us que l\u2019auteur du\ncrucifiement c\u2019\u00e9tait moi. Mais l\u2019immensit\u00e9 du bienfait de la croix, je\nne m\u2019en doutais pas encore. Mon salut, ma conversion, sa mort, je ne\np\u00e9n\u00e9trais pas dans le _comment_ de ces choses. La profondeur de\nl\u2019intelligence me fut donn\u00e9e plus tard. Dans le regard que je raconte il\nn\u2019y avait que du feu, feu d\u2019amour et de regret, feu tel, que, debout au\npied de la croix, je me d\u00e9pouillai de toutes choses par la volont\u00e9 et\nm\u2019offris tout enti\u00e8re, et avec tremblement, je fis v\u0153u de chastet\u00e9, et\naccusant mes membres, l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre, je promis de les garder sans\ntache d\u00e9sormais. Et je priais qu\u2019il me gard\u00e2t fid\u00e8le \u00e0 cette chastet\u00e9:\nd\u2019une part je tremblais de faire cette promesse; de l\u2019autre le feu me\nl\u2019arrachait, et il me fut impossible de r\u00e9sister.\nNEUVI\u00c8ME PAS\nLA VOIE DE LA CROIX\nIci le d\u00e9sir me fut donn\u00e9 de conna\u00eetre la voie de la croix, afin de\nsavoir me tenir debout \u00e0 ses pieds, et trouver le refuge, l\u2019universel\nrefuge des p\u00e9cheurs. La lumi\u00e8re vint, et voici comment me fut montr\u00e9e la\nvoie. Si tu veux aller \u00e0 la croix, me dit l\u2019Esprit, d\u00e9pouille-toi de\ntoutes choses, car il faut \u00eatre l\u00e9g\u00e8re et libre. Il fallut pardonner\ntoute offense, me d\u00e9pouiller de toute chose terrestre, hommes ou femmes,\namis, parents et toute cr\u00e9ature; et de la possession de moi, et enfin de\nmoi-m\u00eame, et donner mon c\u0153ur \u00e0 J\u00e9sus-Christ, de qui je tenais tout bien,\net marcher par la voie \u00e9pineuse, la voie de la tribulation. Je me d\u00e9fis\npour la premi\u00e8re fois de mes meilleurs v\u00eatements et des aliments les\nplus d\u00e9licats, et des coiffures les plus recherch\u00e9es. Je sentis beaucoup\nde peine, beaucoup de honte, peu d\u2019amour divin. J\u2019\u00e9tais encore avec mon\nmari, c\u2019est pourquoi toute injure qui m\u2019\u00e9tait dite ou faite avait un\ngo\u00fbt amer. Cependant je la portais comme je pouvais. Ce fut alors que\nDieu voulut m\u2019enlever ma m\u00e8re, qui m\u2019\u00e9tait, pour aller \u00e0 lui, d\u2019un grand\nemp\u00eachement. Mon mari et mes fils moururent aussi en peu de temps. Et\nparce que \u00e9tant entr\u00e9e dans la route, j\u2019avais pri\u00e9 Dieu qu\u2019il me\nd\u00e9barrass\u00e2t d\u2019eux tous, leur mort me fut une grande consolation[3]. Ce\nn\u2019\u00e9tait pas que je fusse exempte de compassion; mais je pensais qu\u2019apr\u00e8s\ncette gr\u00e2ce, mon c\u0153ur et ma volont\u00e9 seraient toujours dans le c\u0153ur de\nDieu, le c\u0153ur et la volont\u00e9 de Dieu toujours dans mon c\u0153ur.\n [3] Il est bien entendu que ces sentiments exceptionnels tiennent \u00e0 la\n voie exceptionnelle par o\u00f9 \u00e9tait conduite Ang\u00e8le de Foligno. Les\n derni\u00e8res lignes, du reste, ne laissent aucun doute \u00e0 cet \u00e9gard.\n (_Note du traducteur._)\nDIXI\u00c8ME PAS\nLARMES\nJe demandai \u00e0 Dieu la chose la plus agr\u00e9able ses yeux. Alors, dans sa\npiti\u00e9, il m\u2019apparut plusieurs fois dans le sommeil, ou dans la veille,\ncrucifi\u00e9. \u00abRegarde, disait-il, regarde vers mes plaies.\u00bb Et par un\nproc\u00e9d\u00e9 \u00e9tonnant il me montrait comment il avait tout souffert pour moi.\nCeci se renouvela plusieurs fois. Il me montrait chaque souffrance l\u2019une\napr\u00e8s l\u2019autre, en d\u00e9tail, et me disait: \u00abQue peux-tu faire pour moi qui\nme r\u00e9compense?\u00bb Il m\u2019appara\u00eet plusieurs fois dans le jour. Les visions\ndu jour \u00e9taient plus apais\u00e9es que celles de la nuit; toutes avaient\nl\u2019aspect de la plus horrible douleur. Il me montrait les tortures de sa\nt\u00eate, les poils de sourcils, les poils de barbe arrach\u00e9s! Il comptait\nles coups de la flagellation, me montrait en d\u00e9tail \u00e0 quelle place\nchacun d\u2019eux avait port\u00e9, et me disait: \u00abC\u2019est pour toi, pour toi, pour\ntoi.\u00bb Alors tous mes p\u00e9ch\u00e9s m\u2019\u00e9tant pr\u00e9sent\u00e9s \u00e0 la m\u00e9moire, je compris\nque l\u2019auteur de la flagellation, c\u2019\u00e9tait moi. Je compris quelle devait\n\u00eatre ma douleur. Je sentis celle que jamais je n\u2019avais sentie. Il\ncontinuait toujours, \u00e9talant sa Passion devant moi, et disant: \u00abQue\npeux-tu faire qui me r\u00e9compense?\u00bb Je pleurai, je pleurai, je pleurai, je\nsanglotai \u00e0 ce point que je vis mes larmes br\u00fbler ma chair; quand je vis\nque je br\u00fblais, j\u2019allai chercher de l\u2019eau froide.\nONZI\u00c8ME PAS\nP\u00c9NITENCE\nJe me portai vers une p\u00e9nitence trop rude pour que je la dise; et je\nm\u2019effor\u00e7ai de la pratiquer. Mais comme elle \u00e9tait incompatible avec les\nchoses du si\u00e8cle, je r\u00e9solus de tout quitter pour suivre l\u2019inspiration\ndivine qui me poussait vers la croix. Ce projet fut une gr\u00e2ce \u00e9tonnante,\net voici comment elle me fut donn\u00e9e. Le d\u00e9sir de la pauvret\u00e9 me vint, et\nje craignis de mourir avant d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 pauvre: d\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, j\u2019\u00e9tais\ncombattue de mille tentations, j\u2019\u00e9tais jeune, la mendicit\u00e9 \u00e9tait\nentour\u00e9e de p\u00e9rils et de hontes. Il me faudra, disais-je, mourir de\nfaim, mourir de froid et mourir nue: personne au monde ne m\u2019approuvera.\nEnfin Dieu eut piti\u00e9, et la lumi\u00e8re se fit dans mon c\u0153ur, et\nl\u2019illumination fut si puissante, que jamais elle ne s\u2019\u00e9teindra; je\nr\u00e9solus de pers\u00e9v\u00e9rer dans mon dessein, duss\u00e9-je mourir de faim, de\nfroid, de honte. Je r\u00e9solus d\u2019aller en avant, euss\u00e9-je la certitude de\ntous les maux possibles. Je sentis qu\u2019au milieu d\u2019eux je mourrais pour\nDieu, et je me d\u00e9cidai r\u00e9solument.\nDOUZI\u00c8ME PAS\nLA PASSION\nJe priai la m\u00e8re du Christ et son \u00e9vang\u00e9liste saint Jean, par la douleur\nqu\u2019ils ont support\u00e9e, de m\u2019obtenir un signe qui grav\u00e2t pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9\ndans ma m\u00e9moire la Passion de J\u00e9sus-Christ.\nTREIZI\u00c8ME PAS\nLE C\u0152UR\nAu milieu du d\u00e9sir je fus saisie par un songe o\u00f9 le C\u0153ur du Christ me\nfut montr\u00e9, et j\u2019entendis ces paroles: \u00abVoici le lieu sans mensonge, le\nlieu o\u00f9 tout est v\u00e9rit\u00e9.\u00bb Il me sembla que cela se rapportait aux\nparoles d\u2019un certain pr\u00e9dicateur dont je m\u2019\u00e9tais beaucoup moqu\u00e9e.\nQUATORZI\u00c8ME PAS\nAGRANDISSEMENT DE LA P\u00c9NITENCE\nComme j\u2019\u00e9tais debout dans la pri\u00e8re, le Christ se montra \u00e0 moi et me\ndonna de lui une connaissance plus profonde. Je ne dormais pas. Il\nm\u2019appela et me dit de poser mes l\u00e8vres sur la plaie de son c\u00f4t\u00e9. Il me\nsembla que j\u2019appuyais mes l\u00e8vres, et que je buvais du sang, et dans ce\nsang encore chaud je compris que j\u2019\u00e9tais lav\u00e9e. Je sentis pour la\npremi\u00e8re fois une grande consolation, m\u00eal\u00e9e \u00e0 une grande tristesse, car\nj\u2019avais la Passion sous les yeux. Et je priai le Seigneur de r\u00e9pandre\nmon sang pour lui comme il avait r\u00e9pandu le sien pour moi. Je d\u00e9sirais\npour chacun de mes membres une passion et une mort plus terrible et plus\nhonteuse que la sienne. Je r\u00e9fl\u00e9chissais, cherchant quelqu\u2019un qui voul\u00fbt\nbien me tuer; je voulais seulement mourir pour la foi, pour son amour,\net puisqu\u2019il \u00e9tait mort sur une croix, je demandais \u00e0 mourir ailleurs,\net par un plus vil instrument. Je me sentais indigne de la mort des\nmartyrs; j\u2019en voulais une plus vile et plus cruelle. Mais je ne pouvais\nen imaginer une assez honteuse pour me satisfaire, ni assez diff\u00e9rente\nde la mort des saints, auxquels je me trouvais indigne de ressembler.\nQUINZI\u00c8ME PAS\nMARIE ET JEAN\nJe fixai mon d\u00e9sir sur la Vierge et saint Jean; ils habitaient dans ma\nm\u00e9moire, et je les suppliais par la douleur qu\u2019ils re\u00e7urent au jour de\nla Passion de m\u2019obtenir les douleurs de J\u00e9sus-Christ, ou au moins celles\nqui leur furent donn\u00e9es, \u00e0 eux. Ils m\u2019acquirent et m\u2019obtinrent cette\nfaveur, et saint Jean m\u2019en combla tellement un jour, que ce jour-l\u00e0\ncompte parmi les plus terribles de ma vie. J\u2019entrevis, dans un moment de\nlumi\u00e8re, que la compassion de saint Jean en face de J\u00e9sus et de Marie\nfit de lui plus qu\u2019un martyr. De l\u00e0 un nouveau d\u00e9sir de me d\u00e9pouiller de\ntout avec une pleine volont\u00e9. Le d\u00e9mon s\u2019y opposa; les hommes aussi,\ntous ceux de qui je prenais conseil, sans excepter les Fr\u00e8res Mineurs;\nmais tous les biens, ni tous les maux du monde r\u00e9unis n\u2019auraient pu\nm\u2019emp\u00eacher de donner ma fortune aux pauvres, ou du moins de la planter\nl\u00e0, si on m\u2019e\u00fbt \u00f4t\u00e9 les moyens de m\u2019en d\u00e9barrasser autrement. Je sentis\nque je ne pouvais rien r\u00e9server sans offenser Celui de qui venait\nl\u2019illumination. Cependant je restais encore dans l\u2019amertume, ne sachant\nsi Dieu agr\u00e9ait mes sacrifices; mais je pleurais, je criais et je disais\n\u00abSeigneur, si je suis damn\u00e9e, je n\u2019en veux pas moins faire p\u00e9nitence, et\nme d\u00e9pouiller et vous servir.\u00bb Je restais dans l\u2019amertume du repentir,\nvide de douceur divine. Voici comment je fus chang\u00e9e.\nSEIZI\u00c8ME PAS\nL\u2019ORAISON DOMINICALE\nEntr\u00e9e dans une \u00e9glise, je demandai \u00e0 Dieu une gr\u00e2ce quelconque. Je\npriai: je disais le _Pater_; tout \u00e0 coup Dieu \u00e9crivit de sa main le\n_Pater_ dans mon c\u0153ur avec une telle accentuation de sa bont\u00e9 et de mon\nindignit\u00e9, que la parole me manque pour en dire un seul mot. Chacune des\nparoles du _Pater_ se dilatait dans mon c\u0153ur; je les disais l\u2019une apr\u00e8s\nl\u2019autre avec une grande lenteur et contrition profonde, et malgr\u00e9 les\nlarmes que m\u2019arrachait une connaissance plus vive de mes fautes et de\nmon indignit\u00e9, je commen\u00e7ai \u00e0 go\u00fbter quelque chose de la douceur divine.\nLa bont\u00e9 divine se fit sentir \u00e0 moi dans le _Pater_ mieux que nulle part\nailleurs, et cette impression dure au moment o\u00f9 je parle. Cependant,\ncomme le _Pater_ me r\u00e9v\u00e9lait en m\u00eame temps mes crimes, mon indignit\u00e9, je\nn\u2019osais lever les yeux ni vers le ciel, ni vers le crucifix, ni vers\nrien; mais je suppliai la Vierge de demander gr\u00e2ce pour moi, et\nl\u2019amertume persistait.\nO p\u00e9cheurs! avec quelle lourdeur l\u2019\u00e2me part pour la p\u00e9nitence! Que ces\ncha\u00eenes sont pesantes! Que de mauvais conseillers! Que d\u2019emp\u00eachements!\nLe monde, la chair et le d\u00e9mon!\nEt \u00e0 chacun de ces pas, j\u2019\u00e9tais retard\u00e9e un certain temps avant de me\ntra\u00eener un pas plus loin tant\u00f4t l\u2019arr\u00eat \u00e9tait plus long, tant\u00f4t il \u00e9tait\nmoindre.\nDIX-SEPTI\u00c8ME PAS\nL\u2019ESP\u00c9RANCE\nIl me fut ensuite montr\u00e9 que la Vierge bienheureuse m\u2019avait acquis un\nprivil\u00e8ge par lequel une autre foi me fut donn\u00e9e que la foi qui est\ndonn\u00e9e aux hommes. Alors mon ancienne foi me parut morte, et mes\nanciennes larmes m\u2019apparurent comme de petites choses. Une compassion me\nfut donn\u00e9e sur J\u00e9sus et sur Marie plus efficace qu\u2019auparavant, et tout\nce que je faisais de plus grand m\u2019apparut comme petit, et je con\u00e7us le\nd\u00e9sir d\u2019une p\u00e9nitence plus \u00e9norme. Mon c\u0153ur fut enferm\u00e9 dans la Passion\ndu Christ, et l\u2019esp\u00e9rance me fut donn\u00e9e de mon salut par cette Passion.\nJe re\u00e7us pour la premi\u00e8re fois la consolation par la voie des songes.\nMes songes \u00e9taient beaux, et la consolation m\u2019\u00e9tait donn\u00e9e en eux. La\ndouceur de Dieu me p\u00e9n\u00e9tra pour la premi\u00e8re fois au dedans dans le c\u0153ur,\nau dehors dans le corps. Eveill\u00e9e ou endormie, je la sentais\ncontinuellement. Mais comme je n\u2019avais pas encore la certitude,\nl\u2019amertume se m\u00ealait \u00e0 ma joie; mon c\u0153ur n\u2019\u00e9tait pas en repos, il me\nfallait autre chose.\nVoici un de ces songes, choisi entre beaucoup d\u2019autres. Je m\u2019\u00e9tais\nenferm\u00e9e pendant le car\u00eame dans une retraite profonde, j\u2019aimais, je\nm\u00e9ditais, j\u2019\u00e9tais arr\u00eat\u00e9e sur une parole de l\u2019Evangile, parole de\nmis\u00e9ricorde et d\u2019amour: il y avait un livre \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de moi, c\u2019\u00e9tait le\nMissel: j\u2019eus soif de voir \u00e9crite la parole qui me tenait fix\u00e9e. Je\nm\u2019arr\u00eatai, je me contins, craignant d\u2019agir par amour-propre; je r\u00e9sistai\n\u00e0 la soif excessive, et mes mains n\u2019ouvrirent pas le livre. Je\nm\u2019endormis dans le d\u00e9sir. Je fus conduite dans le lieu de la vision: et\nil me fut dit que l\u2019intelligence de l\u2019Ecriture contient de telles\nd\u00e9lices, que l\u2019homme qui la poss\u00e9derait oublierait le monde. \u00abEn veux-tu\nla preuve? me dit mon guide.--Oui, oui\u00bb, r\u00e9pondis-je. Et j\u2019avais soif,\nj\u2019avais soif. La preuve me fut donn\u00e9e: je compris, j\u2019oubliai le monde.\nMon guide reprit: \u00abIl n\u2019oublierait pas seulement le monde, celui qui\ngo\u00fbterait la d\u00e9lectation inou\u00efe de l\u2019intelligence \u00e9vang\u00e9lique, il\ns\u2019oublierait lui-m\u00eame.\u00bb Il parla, et j\u2019\u00e9prouvai. Je compris, je sentis,\net je demandai \u00e0 ne plus sortir de l\u00e0 jamais. \u00abIl n\u2019est pas encore\ntemps\u00bb, dit-il, et il me conduisit. J\u2019ouvris les yeux; je sentais \u00e0 la\nfois la joie immense de la vision donn\u00e9e, la douleur immense de la\nvision perdue. Je garde encore aujourd\u2019hui la d\u00e9lectation du souvenir.\nAlors la certitude me vint et me resta; c\u2019\u00e9tait une lumi\u00e8re, c\u2019\u00e9tait une\nardeur dans laquelle je vis, et j\u2019affirme avec une science parfaite que\ntout ce qu\u2019on pr\u00eache sur l\u2019amour de Dieu n\u2019est absolument rien: les\npr\u00e9dicateurs ne sont pas capables d\u2019en parler, et ne comprennent\nseulement pas ce qu\u2019ils disent. Mon guide me l\u2019avait dit pendant la\nvision.\nDIX-HUITI\u00c8ME ET DERNIER PAS\nLE SENTIMENT DE DIEU\nIci je commen\u00e7ai \u00e0 sentir Dieu, et saisie dans la pri\u00e8re par l\u2019immense\nd\u00e9lectation, je ne me souvenais plus de la nourriture, et j\u2019aurais voulu\nne plus manger pour \u00eatre toujours debout dans la pri\u00e8re. La tentation de\nne plus manger se m\u00eala \u00e0 mon \u00e9tat nouveau, de ne plus manger, ou de\nmanger trop peu; mais je compris que ceci \u00e9tait une illusion. Tel \u00e9tait\nle feu dans mon c\u0153ur qu\u2019aucune g\u00e9nuflexion ou qu\u2019aucune p\u00e9nitence ne me\nfatiguait. Et pourtant je fus conduite vers un plus grand feu et une\nardeur plus br\u00fblante. Alors je ne pouvais plus entendre parler de Dieu\nsans r\u00e9pondre par un cri, et quand j\u2019aurais vu sur ma t\u00eate une hache\nlev\u00e9e, je n\u2019aurais pas pu retenir ce cri. Ceci m\u2019arriva pour la premi\u00e8re\nfois le jour o\u00f9 je vendis mon ch\u00e2teau pour en donner le prix aux\npauvres. C\u2019\u00e9tait la meilleure de mes propri\u00e9t\u00e9s.\nA partir de ce moment, quand on parlait de Dieu, mon cri m\u2019\u00e9chappait,\nm\u00eame en pr\u00e9sence des gens de toute esp\u00e8ce. On me crut poss\u00e9d\u00e9e. Je ne\ndis pas le contraire; c\u2019est une infirmit\u00e9 disais-je; mais je ne peux pas\nfaire autrement.\nJe ne pouvais donner satisfaction \u00e0 ceux qui d\u00e9testaient mon cri:\ncependant une certaine pudeur me g\u00eanait. Si je voyais la Passion du\nChrist repr\u00e9sent\u00e9e par la peinture, je pouvais \u00e0 peine me soutenir; la\nfi\u00e8vre me prenait et je me trouvais faible; c\u2019est pourquoi ma compagne\nme cachait les tableaux de la Passion. A cette \u00e9poque j\u2019eus plusieurs\nilluminations, sentiments, visions, consolations, dont quelques-unes\nseront \u00e9crites plus loin.\nDIX-NEUVI\u00c8ME CHAPITRE\nTENTATIONS ET DOULEUR\nDe peur que la grandeur et la multitude des r\u00e9v\u00e9lations et des visions\nne m\u2019enfl\u00e2t, de peur que leur d\u00e9lectation ne m\u2019exalt\u00e2t, il me fut donn\u00e9\nun tentateur \u00e0 mille formes qui multiplie autour de moi les tentations\net les peines: peines du corps et peines de l\u2019\u00e2me. D\u2019innombrables\ntourments d\u00e9chirent mon corps: ils viennent des d\u00e9mons, qui les excitent\nde mille mani\u00e8res. Je ne crois pas qu\u2019on puisse exprimer les douleurs de\nmon corps. Il ne me reste pas un membre qui ne souffre horriblement. Je\nne suis jamais sans douleur et sans langueur, toujours d\u00e9bile et\nfragile, au point de rester couch\u00e9e, pleine de souffrance. Je n\u2019ai pas\nun membre qui ne soit frapp\u00e9, tordu, afflig\u00e9 par les d\u00e9mons. Je suis\nfaible, gonfl\u00e9e, remplie dans tous mes membres d\u2019une sensibilit\u00e9\ndouloureuse. Je ne me remue qu\u2019avec la plus grande peine; je suis\nfatigu\u00e9e du lit, et je ne peux manger suffisamment.\nQuant aux tourments de l\u2019\u00e2me, sans comparaison plus nombreux et plus\nterribles, les d\u00e9mons me les infligent \u00e0 peu pr\u00e8s sans rel\u00e2che. Je ne\npeux mieux me comparer qu\u2019\u00e0 un homme suspendu par le cou qui, les mains\nli\u00e9es derri\u00e8re le dos, et les yeux couverts d\u2019un voile, resterait\nattach\u00e9 par une corde \u00e0 la potence, et vivrait l\u00e0, sans secours, sans\nrem\u00e8de, sans appui. Je crois m\u00eame que ce que je subis de la part des\nd\u00e9mons est plus cruel et plus d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9. Les d\u00e9mons ont pendu mon \u00e2me:\net de m\u00eame que le pendu n\u2019a pas de soutien, mon \u00e2me pend sans appui, et\nmes puissances sont renvers\u00e9es, au vu et au su de mon esprit. Quand mon\n\u00e2me voit ce renversement et cet abandon de mes puissances sans pouvoir\ns\u2019y opposer, il se fait une telle souffrance que je peux \u00e0 peine\npleurer, par l\u2019exc\u00e8s de la douleur, de la rage et du d\u00e9sespoir;\nquelquefois aussi je pleure sans rem\u00e8de. Quelquefois ma fureur est\ntelle, que c\u2019est beaucoup pour moi de ne pas me mettre en pi\u00e8ces.\nQuelquefois je ne peux m\u2019emp\u00eacher de me frapper horriblement, au point\nde me gonfler la t\u00eate et les membres. Quand mon \u00e2me assiste au d\u00e9part et\n\u00e0 la chute de ses puissances, le deuil se fait en elle, et je vocif\u00e8re \u00e0\nDieu, et je crie sans rel\u00e2che: Mon Dieu, mon Dieu, ne m\u2019abandonnez pas!\nJe souffre un autre tourment: c\u2019est le retour, au moins apparent, des\nanciens vices. Ce n\u2019est pas qu\u2019ils soumettent r\u00e9ellement mon \u00e2me \u00e0 leur\nempire, mais ils me torturent cruellement. Les vices m\u00eame que je n\u2019eus\njamais viennent en moi, s\u2019allument et me d\u00e9chirent. Mais ils ne vivent\npas toujours, et leur mort me donne une grande joie. Je suis livr\u00e9e \u00e0 de\nnombreux d\u00e9mons qui ressuscitent en moi les vices que j\u2019avais, et en\nproduisent d\u2019autres que je n\u2019eus jamais. Mais quand je me souviens que\nDieu fut afflig\u00e9, m\u00e9pris\u00e9 et pauvre, je voudrais voir tous mes maux\nredoubler.\nQuelquefois, il se produit une affreuse et infernale obscurit\u00e9 o\u00f9\ndispara\u00eet toute esp\u00e9rance, et cette nuit est horrible. Et les vices que\nje sens morts dans mon \u00e2me ressuscitent dans mon corps; mais les d\u00e9mons\nles r\u00e9veillent en dehors de l\u2019\u00e2me, et en excitent d\u2019autres qui n\u2019y\nfurent jamais. Je souffre alors particuli\u00e8rement dans trois endroits du\ncorps: le feu de la concupiscence est tel dans ces moments-l\u00e0, qu\u2019avant\nd\u2019en avoir re\u00e7u la d\u00e9fense, je me br\u00fblais avec le feu mat\u00e9riel, dans\nl\u2019espoir d\u2019\u00e9teindre l\u2019autre. Ah! j\u2019aimerais mieux \u00eatre br\u00fbl\u00e9e vive! Je\ncrie, j\u2019appelle la mort, la mort quelle qu\u2019elle soit, et je dis \u00e0 Dieu:\n\u00abSi je suis damn\u00e9e, eh bien! tout de suite: pas de retard; puisque vous\nm\u2019avez abandonn\u00e9e, achevez, achevez, et que l\u2019ab\u00eeme m\u2019engloutisse.\u00bb Et,\nje comprends alors que ces vices ne sont pas dans l\u2019\u00e2me, puisqu\u2019elle n\u2019y\nconsent jamais, et que c\u2019est le corps qui souffre violence. L\u2019ennui se\njoint \u00e0 la douleur et, si cela durait, le corps n\u2019y tiendrait pas. L\u2019\u00e2me\nse voit d\u00e9pourvue de ses puissances, et quoiqu\u2019elle ne consente pas aux\nvices, elle se voit sans force contre eux: elle voit entre Dieu et elle\nune effroyable contradiction; elle voit sa chute et sent son martyre. Un\nvice que je n\u2019eus jamais vient en moi par une permission sp\u00e9ciale: je\nsens clairement et je connais qu\u2019il y vient par permission. Il surpasse,\nje crois, tous les autres; la vertu par laquelle je le combats est un\ndon manifeste du Dieu lib\u00e9rateur, et si je doutais de Dieu, dans la\nruine de toutes mes croyances, ce don senti me rendrait la foi. Il y a\nl\u00e0 une esp\u00e9rance assur\u00e9e, tranquille, et le doute est impossible; la\nforce l\u2019emporte; le vice a le dessous; la force me tient suspendue\nau-dessus de l\u2019ab\u00eeme. Telle est cette force et telle est la puissance\ncommuniqu\u00e9e par elle, que tous les hommes, tous les d\u00e9mons, toutes les\nruses de la terre et de l\u2019enfer ne peuvent obtenir de moi-m\u00eame le plus\nl\u00e9ger mouvement, et c\u2019est elle qui garde la foi. Et pourtant ce vice que\nje n\u2019ose nommer m\u2019alt\u00e8re si cruellement, que si la force divine se cache\nun instant et menace de me quitter, aucune puissance comme aucune honte\net aucun ch\u00e2timent ne m\u2019emp\u00eacheraient de me ruer sur lui. Mais la force\ndivine survient et me d\u00e9livre: tous les biens et tous les maux de ce\nmonde ne peuvent plus rien contre lui. Et j\u2019ai souffert ainsi pendant\nplus de deux ans!\nDans mon \u00e2me une certaine humilit\u00e9 et un certain orgueil se combattent\ndouloureusement, et j\u2019ai d\u00e9go\u00fbt de toutes ces choses. Ce genre\nd\u2019humilit\u00e9, qui me montre destitu\u00e9e de tout bien, chass\u00e9e de toute vertu\net de toute gr\u00e2ce, qui me montre en moi la multitude des vices et des\nvides, m\u2019enl\u00e8ve toute esp\u00e9rance et me cache toute mis\u00e9ricorde. Je me\nvois alors comme la maison du diable, sa dupe, sa fille et son agent,\nchass\u00e9e de toute rectitude, de toute v\u00e9racit\u00e9, digne du dernier fond de\nl\u2019enfer inf\u00e9rieur. Cette mis\u00e9rable humilit\u00e9 n\u2019est pas l\u2019autre, la vraie,\ncelle qui \u00e9crase l\u2019\u00e2me sous la bont\u00e9 divine sentie. La fausse humilit\u00e9\nentra\u00eene tous les maux. Engloutie en elle, je me vois entour\u00e9e de\nd\u00e9mons; dans mon \u00e2me et dans mon corps je ne vois que des d\u00e9fauts: Dieu\nm\u2019est ferm\u00e9; puissance et gr\u00e2ce, tout est cach\u00e9. Le souvenir m\u00eame du\nSeigneur m\u2019est interdit; me voyant damn\u00e9e, je ne m\u2019inqui\u00e8te que de mes\ncrimes, que je voudrais n\u2019avoir pas commis au prix de tous les biens et\nde tous les maux qui peuvent \u00eatre nomm\u00e9s. Au souvenir de mes crimes, je\nme raidis tout enti\u00e8re pour combattre le d\u00e9mon et triompher de mes\nvices. Mais je ne vois, pour me sauver, ni porte, ni fen\u00eatre, et je\nmesure la profondeur de l\u2019ab\u00eeme o\u00f9 je suis tomb\u00e9e. L\u2019humilit\u00e9 m\u2019a\nengloutie comme un Oc\u00e9an sans rivage. Je contemple dans l\u2019ab\u00eeme la\nsurabondance de mes iniquit\u00e9s; je cherche inutilement par o\u00f9 les\nd\u00e9couvrir et les manifester au monde: je voudrais aller nue par les\ncit\u00e9s et par les places, des viandes et poissons pendus \u00e0 mon cou, et\ncrier: Voil\u00e0 la vile cr\u00e9ature, pleine de malice et de mensonge! Voil\u00e0 la\ngraine de vice, voil\u00e0 la graine du mal. Je faisais le bien aux yeux des\nhommes; je faisais dire: Elle ne mange ni poisson, ni viande.\nEcoutez-moi: j\u2019\u00e9tais gourmande et ivrogne: je faisais semblant de ne\nvouloir que le n\u00e9cessaire; je jouais \u00e0 la pauvret\u00e9 ext\u00e9rieure. Mais je\nme faisais un lit avec des tapis et des couvertures que j\u2019enlevais le\nmatin pour les cacher aux visiteurs. Voyez le d\u00e9mon de mon \u00e2me et la\nmalice de mon c\u0153ur! Ecoutez bien: je suis l\u2019hypocrisie, fille du diable:\nje me nomme _celle qui ment_; je me nomme l\u2019abomination de Dieu! Je me\ndisais fille d\u2019oraison, j\u2019\u00e9tais fille de col\u00e8re, et d\u2019enfer et\nd\u2019orgueil. Je me pr\u00e9sentais comme ayant Dieu dans mon \u00e2me, et sa joie\ndans ma cellule, j\u2019avais le diable dans ma cellule, et le diable dans\nmon \u00e2me. Sachez que j\u2019ai pass\u00e9 ma vie \u00e0 chercher une r\u00e9putation de\nsaintet\u00e9: sachez, en v\u00e9rit\u00e9, qu\u2019\u00e0 force de mentir et de d\u00e9guiser les\ninfamies de mon c\u0153ur, j\u2019ai tromp\u00e9 des nations.\nHomicide, voil\u00e0 mon nom!\nHomicide des \u00e2mes, homicide de mon \u00e2me!\nCouch\u00e9e dans l\u2019ab\u00eeme, je me roulais aux pieds de mes fr\u00e8res, ceux-l\u00e0\nqu\u2019on appelle mes fils, et je leur disais: \u00abNe me croyez plus; ne me\ncroyez plus. Est-ce que vous ne voyez pas que je suis poss\u00e9d\u00e9e? Vous qui\nvous appelez mes fils, priez la justice de Dieu pour que les d\u00e9mons\nsortis de mon \u00e2me manifestent mes actes dans toute leur horreur, et que\nDieu ne soit pas plus longtemps d\u00e9shonor\u00e9 par moi. Est-ce que vous ne\nvoyez pas que tout ce que je vous ai dit est mensonge? Est-ce que vous\nne voyez pas que si tout \u00e0 coup le monde devenait vide de malice, je le\nremplirais toute seule par la surabondance de la mienne? Ne me croyez\nplus. N\u2019adorez plus cette idole o\u00f9 est cach\u00e9 le diable; tout ce que je\nvous ai dit est mensonge, et mensonge diabolique. Suppliez la justice de\nDieu pour que l\u2019idole tombe et se brise, pour que ses \u0153uvres diaboliques\nsoient manifestes; car je me couvrais d\u2019or avec des paroles divines,\npour \u00eatre honor\u00e9e et ador\u00e9e \u00e0 la place de Dieu. Priez pour que le diable\nsorte de l\u2019idole, afin que le monde ne soit plus tromp\u00e9 par cette femme.\nC\u2019est pourquoi je supplie le Fils de Dieu, que je n\u2019ose nommer, que,\ns\u2019il ne me manifeste pas par lui-m\u00eame, il me manifeste par la terre qui\ns\u2019ouvre et m\u2019engloutisse, afin que, pos\u00e9e en spectacle et en exemple, je\nfasse dire aux hommes et aux femmes: \u00abOh! comme elle \u00e9tait dor\u00e9e, dor\u00e9e\nen dedans et dor\u00e9e au dehors!\u00bb Ah! que je voudrais avoir au cou un\ncollier ou un lacet, et me faire tra\u00eener par les places et par les\nvilles: et les enfants me tra\u00eeneraient et diraient: \u00abVoil\u00e0 la mis\u00e9rable\nqui a menti toute sa vie!\u00bb Et les hommes crieraient, ainsi que les\nfemmes: \u00abOh! voil\u00e0 le miracle, le miracle qu\u2019a fait Dieu! La malice\ncach\u00e9e de toute sa vie vient d\u2019\u00eatre manifest\u00e9e par elle-m\u00eame!\u00bb\nMais tout cela est peu de chose, et rien ne suffit. Voici un d\u00e9sespoir\nnouveau, un d\u00e9sespoir inconnu. J\u2019ai absolument d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 de Dieu et de\ntous ses biens. C\u2019est fini, c\u2019est r\u00e9gl\u00e9, r\u00e9gl\u00e9 entre lui et moi. J\u2019ai la\ncertitude que dans le monde entier l\u2019enfer n\u2019a pas une proie aussi\nparfaite que moi-m\u00eame; toutes les gr\u00e2ces de Dieu, toutes ses faveurs,\ntout cela est pour exasp\u00e9rer mon d\u00e9sespoir et mon enfer! Oh! je vous en\nsupplie, mettez-vous en pri\u00e8re; que la justice de Dieu fasse sortir les\nd\u00e9mons de l\u2019idole, que la justice de Dieu manifeste mon c\u0153ur; ma t\u00eate se\nfend, mon corps plie, mes yeux sont aveugl\u00e9s de larmes, mes membres se\ndisjoignent parce que je ne peux pas manifester mes mensonges! Sache,\ntoi qui \u00e9cris, que toutes mes paroles ne sont rien aupr\u00e8s de mes maux,\nde mes iniquit\u00e9s et de mes mensonges; j\u2019\u00e9tais toute petite quand j\u2019ai\ncommenc\u00e9!\nVoil\u00e0 ce que je suis forc\u00e9e de dire dans le gouffre de l\u2019abaissement. Et\npuis l\u2019orgueil arrive!\nEt je suis faite toute col\u00e8re, toute superbe, toute tristesse, toute\namertume et toute enflure: Les biens que m\u2019a faits Dieu se changent dans\nmon \u00e2me en amertume infinie. Ils ne me servent \u00e0 rien! Ils ne rem\u00e9dient\n\u00e0 rien! Ils excitent seulement une douloureuse admiration qui ressemble\n\u00e0 une insulte faite \u00e0 mon d\u00e9sespoir! Pourquoi toujours en moi ce vide de\nvertu? Pourquoi Dieu a-t-il permis cela? Et puis je doute et je me dis:\nEst-ce qu\u2019il m\u2019aurait tromp\u00e9e? Cette tentation ferme et cache tout bien.\nCol\u00e8re, orgueil, tristesse, amertume, enflure et peine, la parole ne\npeut rien exprimer de tout cela. Quand tous les sages du monde et tous\nles saints du paradis m\u2019accableraient de leurs consolations et de leurs\npromesses, et Dieu lui-m\u00eame de ses dons, s\u2019il ne me changeait pas\nmoi-m\u00eame, s\u2019il ne commen\u00e7ait au fond de moi une nouvelle op\u00e9ration, au\nlieu de me faire du bien, les sages, les saints et Dieu exasp\u00e9reraient\nau del\u00e0 de toute expression mon d\u00e9sespoir, ma fureur, ma tristesse, ma\ndouleur et mon aveuglement!\nAh! si je pouvais changer ces tortures contre tous les maux du monde, et\nprendre toutes les infirmit\u00e9s et toutes les douleurs qui sont dans tous\nles corps des hommes, je croirais tous ceux-ci plus l\u00e9gers et moindres.\nJe l\u2019ai dit souvent, que mes tourments soient chang\u00e9s contre le martyre,\nn\u2019importe de quelle esp\u00e8ce!\nMes tourments ont commenc\u00e9 quelque temps avant le pontificat du pape\nC\u00e9lestin (1294); ils ont dur\u00e9 plus de deux ans, et leurs acc\u00e8s \u00e9taient\nfr\u00e9quents. Je ne suis pas encore parfaitement gu\u00e9rie, quoique leur\natteinte soit maintenant l\u00e9g\u00e8re, et seulement ext\u00e9rieure. La situation\n\u00e9tant chang\u00e9e, je comprends que l\u2019\u00e2me, broy\u00e9e entre l\u2019humilit\u00e9 mauvaise\net l\u2019orgueil, subit une immense purgation, par laquelle j\u2019ai acquis\nl\u2019humilit\u00e9 vraie sans laquelle le salut n\u2019est pas. Et plus grande est\nl\u2019humilit\u00e9, plus grande la purgation de l\u2019\u00e2me. Entre l\u2019humilit\u00e9 et\nl\u2019orgueil, mon \u00e2me passe par le martyre et passe par le feu. Par la\nconnaissance de ses vides et de ses fautes qu\u2019elle acquiert par cette\nhumilit\u00e9, l\u2019\u00e2me est purg\u00e9e de l\u2019orgueil et purg\u00e9e des d\u00e9mons. Plus l\u2019\u00e2me\nest afflig\u00e9e, d\u00e9pouill\u00e9e et humili\u00e9e profond\u00e9ment, plus elle conquiert,\navec la puret\u00e9, l\u2019aptitude des hauteurs.\nL\u2019\u00e9l\u00e9vation dont elle devient capable se mesure \u00e0 la profondeur de\nl\u2019ab\u00eeme o\u00f9 elle a ses racines et ses fondations.\nVINGTI\u00c8ME CHAPITRE\nP\u00c8LERINAGE\nB\u00e9ni soit Dieu et le P\u00e8re de Notre-Seigneur J\u00e9sus, qui nous console en\ntoute tribulation.\nOui, il a daign\u00e9 consoler la p\u00e9cheresse en toute tribulation. Apr\u00e8s le\ndix-huiti\u00e8me pas, o\u00f9 le nom de Dieu me faisait crier, apr\u00e8s\nl\u2019illumination que m\u2019apporta le _Pater_, je sentis la douceur de Dieu,\net voici comment. Je consid\u00e9rai l\u2019union en J\u00e9sus-Christ de l\u2019humanit\u00e9 et\nde la divinit\u00e9. Absorb\u00e9e dans cette vue, buvant la contemplation et la\nd\u00e9lectation, j\u2019ob\u00e9issais dans mon \u00e2me \u00e0 des inspirations intim\u00e9es par\nl\u2019attrait. Ce fut \u00e0 cette \u00e9poque la plus grande joie de ma vie. Pendant\nla plus grande partie du jour je restai debout dans ma cellule, ab\u00eem\u00e9e\ndans la pri\u00e8re, enferm\u00e9e, seule et stup\u00e9faite. Et mon c\u0153ur re\u00e7ut si fort\nle coup de la joie que je tombai \u00e0 terre, incapable de parole. Ma\ncompagne courut \u00e0 moi, s\u2019agita et me crut morte; mais elle m\u2019ennuyait et\nme faisait obstacle.\nUn jour, au milieu des pers\u00e9v\u00e9rances de la pri\u00e8re, avant d\u2019avoir tout\ndonn\u00e9, quoiqu\u2019il s\u2019en fall\u00fbt de fort peu, pendant une oraison du soir,\npriv\u00e9e de sentiment divin, je me lamentais et je criais \u00e0 Dieu \u00abTout ce\nque je fais, je le fais pour vous trouver. Vous trouverai-je, quand je\nl\u2019aurai fini?...\u00bb La r\u00e9ponse vint. \u00abQue veux-tu? dit-elle.--Ni or, ni\nargent, ni le monde entier; vous seul.--Fais donc et h\u00e2te-toi; quand tu\nauras termin\u00e9, toute la Trinit\u00e9 viendra en toi.\u00bb Je re\u00e7us beaucoup\nd\u2019autres promesses; je fus arrach\u00e9e \u00e0 toute douleur, je fus cong\u00e9di\u00e9e\navec la suavit\u00e9 divine. Puis j\u2019attendis l\u2019ex\u00e9cution. Quand je racontai\nle fait \u00e0 ma compagne, je manifestai quelque doute, \u00e0 cause de la\ngrandeur des promesses: cependant la suavit\u00e9 de l\u2019adieu entretenait mon\nesp\u00e9rance.\nCe fut alors que je fis \u00e0 Assise le p\u00e8lerinage de saint Fran\u00e7ois, et ce\nfut pendant la route que la promesse s\u2019accomplit. Pourtant je n\u2019avais\npas tout donn\u00e9 aux pauvres. Peu s\u2019en fallait \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9; mais la mort\nd\u2019un saint homme, qui s\u2019\u00e9tait charg\u00e9 de mes affaires, en avait retard\u00e9\nla derni\u00e8re phase. Cet homme, converti par moi, voulut aussi tout\ndonner; pendant qu\u2019il allait et venait pour cette affaire, il mourut en\nchemin. Sa s\u00e9pulture est honor\u00e9e, et illustr\u00e9e par des miracles.\nRevenons \u00e0 moi. Je faisais donc mon p\u00e8lerinage: je priais en route, je\ndemandais entre autres choses au bienheureux Fran\u00e7ois l\u2019observation\nfid\u00e8le de sa r\u00e8gle, \u00e0 laquelle je venais de m\u2019astreindre; je demandais\nde vivre et de mourir dans la pauvret\u00e9.\nJ\u2019\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 all\u00e9e \u00e0 Rome pour demander au bienheureux saint Pierre la\ngr\u00e2ce et la libert\u00e9 qu\u2019il faut pour \u00eatre pauvre r\u00e9ellement. Par les\nm\u00e9rites de saint Pierre et de saint Fran\u00e7ois, je re\u00e7us, avec une\ncertitude sensible, le don de la vraie pauvret\u00e9. J\u2019\u00e9tais arriv\u00e9e \u00e0 cette\ngrotte au del\u00e0 de laquelle on monte \u00e0 Assise par un \u00e9troit sentier.\nJ\u2019\u00e9tais l\u00e0, quand j\u2019entendis une voix qui disait: \u00abTu as pri\u00e9 mon\nserviteur Fran\u00e7ois; mais j\u2019ai voulu t\u2019envoyer un autre missionnaire, le\nSaint-Esprit. Je suis le Saint-Esprit, c\u2019est moi qui viens, et je\nt\u2019apporte la joie inconnue. Je vais entrer au fond de toi, et te\nconduire pr\u00e8s de mon serviteur.\n\u00abJe vais te parler pendant toute la route; ma parole sera ininterrompue\net je te d\u00e9fie d\u2019en \u00e9couter une autre, car je t\u2019ai li\u00e9e, et je ne te\nl\u00e2cherai pas, que tu ne sois revenue ici une seconde fois, et je ne te\nl\u00e2cherai alors que relativement \u00e0 cette joie d\u2019aujourd\u2019hui; mais quant\nau reste, jamais, jamais, si tu m\u2019aimes.\u00bb\nEt il me provoquait \u00e0 l\u2019amour, et il disait: \u00abO ma fille ch\u00e9rie! \u00f4 ma\nfille et mon temple \u00f4 ma fille et ma joie! Aime-moi! car je t\u2019aime,\nbeaucoup plus que tu ne m\u2019aimes!\u00bb Et, parmi ces paroles, en voici qui\nrevenaient souvent \u00abO ma fille, ma fille et mon \u00e9pouse ch\u00e9rie!\u00bb Et puis\nil ajoutait: \u00abOh! je t\u2019aime, je t\u2019aime plus qu\u2019aucune autre personne qui\nsoit dans cette vall\u00e9e. O ma fille et mon \u00e9pouse! Je me suis pos\u00e9 et\nrepos\u00e9 en toi; maintenant pose-toi et repose-toi en moi. J\u2019ai v\u00e9cu au\nmilieu des ap\u00f4tres: ils me voyaient avec les yeux du corps et ne me\nsentaient pas comme tu me sens. Rentr\u00e9e chez toi, tu sentiras une autre\njoie, une joie sans exemple. Ce ne sera pas seulement comme \u00e0 pr\u00e9sent le\nson de ma voix dans l\u2019\u00e2me, ce sera moi-m\u00eame. Tu as pri\u00e9 mon serviteur\nFran\u00e7ois esp\u00e9rant obtenir avec lui et par lui. Fran\u00e7ois m\u2019a beaucoup\naim\u00e9, j\u2019ai beaucoup fait en lui mais si quelque autre personne m\u2019aimait\nplus que Fran\u00e7ois, je ferais plus en elle.\u00bb\nEt il se plaignait de la raret\u00e9 des fid\u00e8les et de la raret\u00e9 de la foi,\net il g\u00e9missait, et il disait \u00abJ\u2019aime d\u2019un amour immense l\u2019\u00e2me qui\nm\u2019aime sans mensonge. Si je rencontrais dans une \u00e2me un amour parfait,\nje lui ferais de plus grandes gr\u00e2ces qu\u2019aux saints des si\u00e8cles pass\u00e9s,\npar qui Dieu fit des prodiges qu\u2019on raconte aujourd\u2019hui. Or personne n\u2019a\nd\u2019excuse, car tout le monde peut aimer; Dieu ne demande \u00e0 l\u2019\u00e2me que\nl\u2019amour; car lui-m\u00eame aime sans mensonge, _et lui-m\u00eame est l\u2019amour de\nl\u2019\u00e2me_.\u00bb Pesez ces derni\u00e8res paroles; pesez-les. Elles sont profondes.\nQue Dieu soit l\u2019amour de l\u2019\u00e2me, il me le faisait sentir par une vive\nrepr\u00e9sentation de sa passion, et de sa croix qu\u2019il a port\u00e9e pour nous;\nLui, l\u2019immense; Lui, le glorieux, il m\u2019expliquait sa passion et tout ce\nqu\u2019il a fait pour nous, et il ajoutait: \u00abRegarde bien; trouves-tu en moi\nquelque chose qui ne soit pas amour?\u00bb Et mon \u00e2me comprenait avec\n\u00e9vidence qu\u2019il n\u2019y a rien en Lui qui ne soit pas amour. Il se plaignait\nde trouver en ce temps peu de personnes en qui il puisse d\u00e9poser sa\ngr\u00e2ce, et il promettait de faire \u00e0 ses nouveaux amis, s\u2019il en trouvait,\nde plus grandes gr\u00e2ces qu\u2019aux anciens. Et il reprenait: \u00abO ma fille\nch\u00eane, aime-moi; car je t\u2019aime beaucoup plus que tu ne m\u2019aimes.\nAime-moi, ma bien-aim\u00e9e; j\u2019aime d\u2019un amour immense l\u2019\u00e2me qui m\u2019aime sans\nmalice.\u00bb Et il voulait que l\u2019\u00e2me, suivant sa puissance et sa capacit\u00e9,\nl\u2019aim\u00e2t du m\u00eame amour, de l\u2019amour qu\u2019il a pour elle, lui promettant de\nse donner si seulement, elle le d\u00e9sire. Et il disait toujours \u00abO ma\nbien-aim\u00e9e, \u00f4 mon \u00e9pouse, aime-moi, mange, bois, dors; toute ta vie me\nplaira, pourvu que tu m\u2019aimes!\u00bb Il ajouta: \u00abJe ferai en toi de grandes\nchoses en pr\u00e9sence des nations, je serai connu en toi, glorifi\u00e9,\nclarifi\u00e9 en toi; le nom que je porte en toi sera ador\u00e9 \u00e0 la face des\nnations.\u00bb Il ajouta mille autres choses.\nMais moi, pendant que je l\u2019\u00e9coutais, consid\u00e9rant mes p\u00e9ch\u00e9s et mes\nd\u00e9fauts, je me disais: Tu n\u2019es pas digne de tous ces grands amours. Le\ndoute me prit, et mon \u00e2me dit \u00e0 Celui qui parlait: \u00abSi tu \u00e9tais le\nSaint-Esprit, tu ne me dirais pas ces choses inconvenantes; car je suis\nfragile et capable d\u2019orgueil.\u00bb Il r\u00e9pondit: \u00abEh bien, essaie! essaie de\ntirer vanit\u00e9 de mes paroles, essaie donc; t\u00e2che un peu; essaie de penser\n\u00e0 autre chose.\u00bb Je fis tous mes efforts pour concevoir un sentiment\nd\u2019orgueil; mais tous mes p\u00e9ch\u00e9s me revenant \u00e0 la m\u00e9moire, je sentis une\nhumilit\u00e9 telle que jamais dans toute ma vie. Je t\u00e2chai d\u2019avoir des\ndistractions; je regardai curieusement les vignes le long du chemin. Je\nt\u00e2chai d\u2019\u00e9chapper aux discours qu\u2019on me tenait; mais de quelque c\u00f4t\u00e9 que\ns\u2019\u00e9gar\u00e2t mon \u0153il, la voix disait toujours: \u00abRegarde, contemple; ceci est\nma cr\u00e9ature.\u00bb Et je sentais une douceur, une douceur ineffable.\nJ\u2019\u00e9tais tellement aim\u00e9e, disait la voix, que le Fils de Dieu et de la\nVierge Marie s\u2019\u00e9tait inclin\u00e9 vers moi pour me parler. Et J\u00e9sus-Christ me\ndisait: \u00abQuand le monde entier viendrait \u00e0 toi, je te d\u00e9fie de parler \u00e0\nun autre qu\u2019\u00e0 moi; mais, puisque me voici, tu poss\u00e8des le monde entier.\u00bb\nEt pour me tranquilliser, il me disait: \u00abC\u2019est moi qui ai \u00e9t\u00e9 crucifi\u00e9\npour toi, moi qui ai souffert pour toi la faim et la soif, moi qui t\u2019ai\naim\u00e9e jusqu\u2019\u00e0 l\u2019effusion du sang.\u00bb Il me racontait sa passion et me\ndisait: \u00abDemande une gr\u00e2ce pour toi, pour tes compagnes, pour qui tu\nvoudras, et pr\u00e9pare-toi \u00e0 recevoir; car je suis beaucoup plus pr\u00eat \u00e0\ndonner que toi \u00e0 recevoir.\u00bb Mon \u00e2me cria disant: \u00abJe ne veux pas\ndemander, parce que je ne suis pas digne.\u00bb Et tous mes p\u00e9ch\u00e9s me\nrevenaient \u00e0 la m\u00e9moire. Mon \u00e2me ajouta: \u00abSi toi qui me parles depuis le\ncommencement, tu \u00e9tais le Saint-Esprit, tu ne me dirais pas de telles\nparoles; d\u2019ailleurs si le Saint-Esprit \u00e9tait en moi, je devrais mourir\nde joie.\u00bb Il r\u00e9pondit: \u00abEst-ce que je ne suis pas le ma\u00eetre? Je te donne\nla joie que je veux, non pas une autre. Il y a un homme \u00e0 qui j\u2019en ai\ndonn\u00e9 une moindre. Ses yeux se sont ferm\u00e9s, et il est tomb\u00e9 sans\nconnaissance. Je vais te donner encore ce signe de ma pr\u00e9sence. Essaie\nde parler \u00e0 tes compagnes, essaie de penser \u00e0 quelque chose de bon ou de\nmauvais, n\u2019importe quoi; je te d\u00e9fie de penser \u00e0 autre chose qu\u2019\u00e0 Dieu.\nJe suis le seul qui puisse lier l\u2019esprit. Je n\u2019agis pas en vue de tes\nm\u00e9rites, mais en vue de ma bont\u00e9.\u00bb\nPendant qu\u2019il parlait, je me sentais digne de l\u2019enfer, et ce sentiment\navait pour la premi\u00e8re fois les caract\u00e8res de l\u2019\u00e9vidence. Il ajoutait\nque si mes compagnes de voyage avaient \u00e9t\u00e9 mal choisies, je n\u2019aurais pas\nentendu et \u00e9prouv\u00e9 ce que je venais d\u2019entendre et d\u2019\u00e9prouver. Quant \u00e0\nelles, elles s\u2019interrogeaient sur la langueur o\u00f9 elles me voyaient; car\nj\u2019\u00e9tais bris\u00e9e de douceur. J\u2019avais peur d\u2019arriver; j\u2019aurais voulu que la\nroute dur\u00e2t jusqu\u2019\u00e0 la fin du monde. Quant \u00e0 la joie que je sentais, je\nrenonce \u00e0 la dire, surtout quand j\u2019entendis:\n\u00abC\u2019est moi, le Saint-Esprit, c\u2019est moi qui suis en toi.\u00bb Et la douceur\nvenait avec chaque parole. Il m\u2019accompagna jusqu\u2019au tombeau de saint\nFran\u00e7ois, suivant sa parole, et ne me quitta pas, et resta avec moi\njusqu\u2019apr\u00e8s le d\u00eener, et me suivit dans ma seconde visite au tombeau.\nQuand j\u2019entrai pour la seconde fois dans l\u2019\u00e9glise, je fl\u00e9chis le genou,\net je vis un tableau qui repr\u00e9sentait Fran\u00e7ois serr\u00e9 contre la poitrine\nde J\u00e9sus. Alors il me dit: \u00abJe te tiendrai beaucoup plus serr\u00e9 que cela;\nje t\u2019embrasserai d\u2019un embrassement trop serr\u00e9 pour \u00eatre vu. Voici\npourtant l\u2019heure o\u00f9 je vais te quitter, \u00f4 ma fille ch\u00e9rie, \u00f4 mon temple\net mon amour, et ma d\u00e9lectation; je vais te remplir et te quitter, te\nquitter quant \u00e0 cette joie, non, non pas te quitter r\u00e9ellement, pourvu\nque tu m\u2019aimes!\u00bb\nEt bien que cette parole f\u00fbt am\u00e8re comme pr\u00e9diction, elle eut cependant\nen elle-m\u00eame une douceur inou\u00efe. Je regardai Celui qui parlait, pour le\nvoir des yeux de l\u2019esprit et des yeux du corps; je le vis! Vous me\ndemandez ce que je vis? C\u2019\u00e9tait quelque chose d\u2019absolument vrai, c\u2019\u00e9tait\nplein de majest\u00e9, c\u2019\u00e9tait immense, mais qu\u2019\u00e9tait-ce? Je n\u2019en sais rien;\nc\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre le souverain bien. Du moins cela me parut ainsi. Il\npronon\u00e7a encore des paroles de douceur; puis il s\u2019\u00e9loigna. Son d\u00e9part\nlui-m\u00eame eut les attitudes de la mis\u00e9ricorde. Il ne s\u2019en alla pas tout \u00e0\ncoup; il se retira lentement, majestueusement, avec une immense douceur.\nEt il disait encore: \u00abO ma fille ch\u00e9rie, que j\u2019aime plus qu\u2019elle ne\nm\u2019aime! tu portes au doigt l\u2019anneau de notre amour, et tu es ma fianc\u00e9e!\nD\u00e9sormais tu ne me quitteras plus: la b\u00e9n\u00e9diction du P\u00e8re, et du Fils,\net du Saint-Esprit est en toi et sur ta compagne!\u00bb Et mon \u00e2me cria:\n\u00abPuisque vous ne me quitterez plus, je ne crains plus le p\u00e9ch\u00e9 mortel!\u00bb\nMais l\u00e0-dessus il ne voulut pas r\u00e9pondre. Et comme, au moment du d\u00e9part,\nj\u2019avais demand\u00e9 une gr\u00e2ce pour ma compagne, il en promit une d\u2019un autre\ngenre. Il se retirait, il se retirait; je compris qu\u2019il m\u2019emp\u00eachait de\ntomber \u00e0 terre, et qu\u2019il me for\u00e7ait \u00e0 rester debout.\nMais, apr\u00e8s le d\u00e9part, lorsque tout fut consomm\u00e9, je tombai assise, et\nje criai \u00e0 haute voix, hurlant, vocif\u00e9rant, rugissant sans pudeur, et,\nau milieu des hurlements, je crois que je disais: \u00abAmour, amour, amour,\ntu me quittes et je n\u2019ai pas eu le temps de faire ta connaissance! Oh!\npourquoi me quitter?\u00bb Mais je ne pouvais plus parler. Et si je voulais\narticuler au lieu de paroles, il ne venait que des hurlements, et je\nrugissais, je rugissais; si j\u2019essayais de dire un mot, il \u00e9tait couvert\npar un cri; on cherchait \u00e0 m\u2019entendre, et on ne pouvait pas. Cela se\npassait \u00e0 la porte de l\u2019\u00e9glise de Saint Fran\u00e7ois. Tout le peuple\ns\u2019assembla, je rugissais en pr\u00e9sence du peuple. J\u2019\u00e9tais assise en criant\net j\u2019\u00e9tais languissante pendant que rugissais. Mes compagnons et mes\namis furent pris de honte et s\u2019\u00e9cart\u00e8rent en rougissant. On ne savait\npas ce qui m\u2019arrivait; on se trompa sur la cause. Quant \u00e0 moi, je\ndisais: \u00abC\u2019est Lui, je ne doute plus, c\u2019est Lui; j\u2019ai la certitude,\nc\u2019est Lui, c\u2019est le Seigneur qui m\u2019a parl\u00e9. Je hurlais de douceur et de\ndouleur, car c\u2019\u00e9tait Lui, mais il \u00e9tait parti. \u00abLa mort, criai-je, la\nmort!\u00bb Mais, \u00f4 douleur! je ne mourais pas, et je vivais, et il \u00e9tait\nparti! mes jointures se s\u00e9paraient.\nJe revins d\u2019Assise, et, chemin faisant, je parlais de Dieu avec une\ngrande douceur, et j\u2019avais grand\u2019peine \u00e0 me taire. Je me contenais\ncependant, car je n\u2019\u00e9tais pas seule. Or, pendant la route, J\u00e9sus me\nparla et me dit:\n\u00abMoi, J\u00e9sus-Christ, qui te parle et qui t\u2019ai parl\u00e9, je te donne ce signe\nque vraiment c\u2019est Moi; je te donne la croix et l\u2019amour de Dieu je te\nles donne pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9.\u00bb\nJe sentis dans mon \u00e2me la croix de l\u2019amour, et cela rejaillit sur mon\ncorps, et je sentis la croix corporellement, et mon \u00e2me fut liqu\u00e9fi\u00e9e.\nRevenue \u00e0 la maison, je sentais une douceur tranquille, paisible, trop\nimmense pour \u00eatre exprim\u00e9e. Alors vint le d\u00e9sir de la mort; car cette\ndouceur, cette paix, cette d\u00e9lectation au-dessus des paroles me rendait\ncruelle la vie de ce monde. Ah! la mort! la mort! et je serais parvenue\n\u00e0 la substance m\u00eame de la douceur, dont je sentais de loin quelque\nchose, et je l\u2019aurais touch\u00e9e pour toujours, et jamais, jamais perdue!\nAh! la mort! la mort! la vie m\u2019\u00e9tait une douleur au-dessus de la douleur\nde ma m\u00e8re et de mes enfants morts, au-dessus de toute douleur qui\npuisse \u00eatre con\u00e7ue. Je tombai \u00e0 terre languissante, et je restai l\u00e0 huit\njours et je criais: \u00abAh! Seigneur, Seigneur, ayez piti\u00e9 de moi!\nEnlevez-moi, enlevez-moi.\u00bb Je sentis alors des parfums qui ne sont pas\nde la terre, et des effets inexprimables. Quant \u00e0 la joie, elle fut au\ndel\u00e0 des paroles. Bien des paroles m\u2019ont \u00e9t\u00e9 dites souvent, mais non pas\navec une telle lenteur, ni une telle douceur, ni une telle profondeur.\nPendant que j\u2019\u00e9tais \u00e0 terre, ma compagne, admirable de simplicit\u00e9, de\npuret\u00e9, de virginit\u00e9, entendit une voix qui disait: \u00abLe Saint-Esprit est\ndans cette chambre.\u00bb Elle s\u2019approcha de moi, et m\u2019adressa ces paroles:\n\u00abDis-moi ce que tu as; car je viens d\u2019entendre une voix qui m\u2019a dit:\nApproche-toi d\u2019Ang\u00e8le.\u00bb Je lui r\u00e9pondis: \u00abCe qui t\u2019a \u00e9t\u00e9 dit ne me\nd\u00e9pla\u00eet pas.\u00bb\nEt depuis ce jour je lui communiquai quelques-uns de mes secrets.\nVINGT ET UNI\u00c8ME CHAPITRE\nLA BEAUT\u00c9\nUn jour que j\u2019\u00e9tais en oraison, \u00e9lev\u00e9e en esprit, Dieu me parlait dans\nla paix et dans l\u2019amour. Je regardai et je le vis.\nVous me demanderez ce que je vis? C\u2019\u00e9tait lui-m\u00eame, et je ne peux dire\nautre chose. C\u2019\u00e9tait une pl\u00e9nitude, c\u2019\u00e9tait une lumi\u00e8re int\u00e9rieure et\nremplissante pour laquelle ni parole ni comparaison ne vaut rien. Je ne\nvis rien qui e\u00fbt un corps. Il \u00e9tait ce jour-l\u00e0 sur la terre comme au\nciel: la beaut\u00e9 qui ferme les l\u00e8vres, la souveraine beaut\u00e9 contenant le\nsouverain bien. L\u2019assembl\u00e9e des saints se tenait debout, chantant des\nlouanges devant la majest\u00e9 souverainement belle. Tout cela m\u2019apparut en\nune seconde. Et Dieu me dit: \u00abO ma fille ch\u00e9rie, tr\u00e8s aimante et tr\u00e8s\naim\u00e9e, tous les saints ont pour toi un amour sp\u00e9cial, tous les saints et\nma M\u00e8re, et c\u2019est moi qui t\u2019associerai \u00e0 eux.\u00bb\nMalgr\u00e9 l\u2019importance de ces paroles, elles me parurent petites. Ce qu\u2019il\nme disait de sa M\u00e8re et de ses saints me touchait peu. L\u2019immensit\u00e9 de\nd\u00e9lectation, que je buvais en Lui, en lui-m\u00eame, dans sa source, me\nrendait aveugle vis-\u00e0-vis des saints et des anges. Toute leur bont\u00e9,\ntoute leur beaut\u00e9 \u00e9tait en Lui, \u00e9tait de Lui; il \u00e9tait le souverain\nbien; il \u00e9tait toute beaut\u00e9. Et mes yeux se fermaient sur la cr\u00e9ature,\nab\u00eem\u00e9s de joie dans l\u2019essence du beau. Et il me dit: \u00abJe t\u2019aime d\u2019un\namour immense, je ne te le montre pas, je te le cache.\u00bb Mon \u00e2me\nr\u00e9pondit: \u00abMais pourquoi donc mon Seigneur place-t-il ainsi sa joie et\nson amour dans une p\u00e9cheresse pleine de turpitudes?\u00bb Et Dieu r\u00e9pondait:\n\u00abJe te dis que j\u2019ai plac\u00e9 en toi mon amour. Mes yeux voient tes d\u00e9fauts,\nmais c\u2019est comme si je ne m\u2019en souvenais plus. J\u2019ai d\u00e9pos\u00e9 en toi, et\nj\u2019ai cach\u00e9 mon tr\u00e9sor.\u00bb\nEt ces paroles m\u2019apportaient le sentiment de leur pleine v\u00e9rit\u00e9; et je\nne doutais pas, et je sentais, et je voyais que les yeux de Dieu me\nregardaient; et mon \u00e2me puisa dans son regard la lumi\u00e8re. Qu\u2019un saint\ndescende du paradis, je lui porte le d\u00e9fi d\u2019exprimer ma joie. Et comme\nil me cachait, disait-il, son amour, \u00e0 cause de mon impuissance \u00e0 la\nporter: \u00abSi vous \u00eates le Dieu tout-puissant, vous pouvez me donner la\nforce de porter votre amour.\u00bb Il r\u00e9pondit: \u00abTu aurais alors ton d\u00e9sir,\net ta faim diminuerait. Ce que je veux, ton d\u00e9sir, ta faim, ta\nlangueur.\u00bb\nVINGT-DEUXI\u00c8ME CHAPITRE\nLA PUISSANCE\nUn jour j\u2019entendis une voix divine qui me disait: \u00abMoi qui te parle, je\nsuis la puissance divine, qui t\u2019apporte une gr\u00e2ce divine. Cette gr\u00e2ce,\nla voici: je veux que ta vue seule soit utile \u00e0 ceux qui te verront. Ah!\nce n\u2019est pas tout! je veux que ta pens\u00e9e, ton souvenir et ton nom,\nportent secours et faveur \u00e0 quiconque s\u2019en servira. Personne ne pensera\n\u00e0 toi en vain. Toute \u00e2me qui se souviendra de toi recevra une gr\u00e2ce\nproportionn\u00e9e \u00e0 l\u2019union divine qu\u2019elle poss\u00e9dera d\u00e9j\u00e0.\u00bb\nJe refusai, malgr\u00e9 ma joie, craignant la vaine gloire.\nMais il ajouta:\n\u00abTu n\u2019as rien \u00e0 tirer de l\u00e0, rien, quant \u00e0 la vanit\u00e9. Cette gloire n\u2019est\npas la tienne; c\u2019est un fardeau que tu porteras, et ce n\u2019est pas autre\nchose. Garde-le; porte-le; et restitue la gloire \u00e0 son propri\u00e9taire.\u00bb\nJe compris que j\u2019\u00e9tais en s\u00fbret\u00e9. \u00abEt cependant, me dit-il, ta crainte\nne m\u2019a pas d\u00e9plu.\u00bb\nJ\u2019entrai \u00e0 l\u2019\u00e9glise et j\u2019entendis une parole qui r\u00e9cr\u00e9a mon \u00e2me. La voix\ndisait: \u00abO ma fille ch\u00e9rie!\u00bb mais elle se servit d\u2019un bien autre nom que\nje n\u2019ose pas \u00e9crire; et elle ajouta: \u00abAucune cr\u00e9ature ne peut te donner\nconsolation; je tiens cela dans mes mains; je vais te montrer ma\npuissance.\u00bb\nLes yeux de l\u2019esprit furent ouverts en moi, je vis une pl\u00e9nitude divine\no\u00f9 j\u2019embrassais tout l\u2019univers, en de\u00e7\u00e0 et au del\u00e0 des mers, et l\u2019Oc\u00e9an,\net l\u2019ab\u00eeme, et toutes choses, et je ne voyais rien nulle part que la\npuissance divine; le mode de la vision \u00e9tait absolument in\u00e9narrable.\nDans un transport d\u2019admiration, je m\u2019\u00e9criai: \u00abMais il est plein de Dieu,\nil est plein de Dieu, cet univers.\u00bb Aussit\u00f4t l\u2019univers me sembla petit.\nJe vis la puissance de Dieu qui ne le remplissait pas seulement, mais\nqui d\u00e9bordait de tous les c\u00f4t\u00e9s.\n\u00abJe t\u2019ai montr\u00e9, dit-il, _quelque chose de ma puissance_.\u00bb\nEt je compris que, plus tard je pourrais peut-\u00eatre en recevoir une\nintelligence plus \u00e9lev\u00e9e.\n\u00abJe t\u2019ai montr\u00e9, dit-il, quelque chose de ma puissance; regarde mon\nhumilit\u00e9.\u00bb\nJe vis un ab\u00eeme \u00e9pouvantable de profondeur; c\u2019\u00e9tait le mouvement de Dieu\nvers l\u2019homme et vers toutes choses.\nMe souvenant de la puissance in\u00e9narrable, et voyant l\u2019ab\u00eeme de la\ndescente, je sentis ce que j\u2019\u00e9tais; c\u2019\u00e9tait le rien, absolument rien, un\nn\u00e9ant, et dans ce n\u00e9ant rien, rien, except\u00e9 l\u2019orgueil! Je tombai dans un\nab\u00eeme de m\u00e9ditation, et, \u00e9pouvant\u00e9e d\u2019\u00eatre indigne \u00e0 ce point je me dis:\nNon, non, je ne veux plus communier.\n\u00abMa fille, dit-il, le point o\u00f9 tu es mont\u00e9e est inaccessible \u00e0 la\ncr\u00e9ature! Il faut quelque gr\u00e2ce de Dieu tr\u00e8s sp\u00e9ciale pour qu\u2019un \u00eatre\nvivant soit transport\u00e9 l\u00e0.\u00bb\nCependant la messe avan\u00e7ait; le pr\u00eatre \u00e9levait l\u2019hostie.\n\u00abLa puissance, dit la voix, la puissance est sur l\u2019autel! je suis en\ntoi; si tu me re\u00e7ois, tu re\u00e7ois Celui que d\u00e9j\u00e0 tu poss\u00e8des. Communie\ndonc au nom du P\u00e8re, et du Fils, et du Saint-Esprit. Moi qui suis digne,\nje te fais digne.\u00bb\nJe sentis au fond de l\u2019\u00e2me l\u2019in\u00e9narrable douceur d\u2019une joie tellement\nimmense, qu\u2019elle remplira ma vie avant de s\u2019\u00e9puiser.\nVINGT-TROISI\u00c8ME CHAPITRE\nLA SAGESSE\nUn jour, une personne me demanda de prier Dieu pour obtenir certaines\nconnaissances qu\u2019elle voulait avoir. J\u2019h\u00e9sitais, sa demande me\nparaissait pleine de sottise et d\u2019orgueil.\nPendant que j\u2019\u00e9tais dans cette pens\u00e9e, je fus ravie en esprit. Je fus\npos\u00e9e dans ce ravissement pr\u00e8s d\u2019une table sans commencement ni fin; je\nne voyais pas la table, mais je voyais ce qui \u00e9tait plac\u00e9 sur elle.\nC\u2019\u00e9tait une pl\u00e9nitude divine, une pl\u00e9nitude in\u00e9narrable, qui n\u2019a aucun\nrapport avec aucune expression; c\u2019\u00e9tait la pl\u00e9nitude, la Sagesse divine\net le souverain bien.\nEt dans la vision de la divine Sagesse, je voyais qu\u2019il n\u2019est pas permis\nde l\u2019interroger sur certaines voies futures et secr\u00e8tes qu\u2019elle choisira\ndans l\u2019avenir; car il y a un manque de respect \u00e0 vouloir marcher devant\nelle. Quand j\u2019aper\u00e7ois des hommes livr\u00e9s \u00e0 ces investigations, leur\nerreur est visible pour moi. Le myst\u00e8re que j\u2019aper\u00e7us, sous la\nressemblance d\u2019un objet \u00e9tendu sur une table, m\u2019a laiss\u00e9 une\nintelligence profonde qui discerne, au premier mot que j\u2019entends, les\npersonnes et les choses spirituelles. Je ne juge plus comme autrefois de\nmon ancien jugement, qui \u00e9tait erreur et p\u00e9ch\u00e9. Je juge d\u2019un jugement\nvrai, qui me permet d\u2019entrevoir le d\u00e9faut de mon ancien jugement. Je ne\npeux pas raconter cette Vision; car _la table_ est le seul objet\nsensible dont l\u2019id\u00e9e o\u00f9 le nom m\u2019ait \u00e9t\u00e9 pr\u00e9sent\u00e9 \u00e0 l\u2019esprit. Quant au\nmyst\u00e8re m\u00eame de la vision, il \u00e9chappe \u00e0 la parole.\nVINGT-QUATRI\u00c8ME CHAPITRE\nLA JUSTICE\nUn jour, j\u2019\u00e9tais en oraison; je fis des questions, non pas pour sortir\nd\u2019un doute, mais parce que je br\u00fblais d\u2019en savoir plus sur Dieu, et je\nlui dis:\n\u00abPourquoi avez-vous cr\u00e9\u00e9 l\u2019homme? Pour quoi avez-vous permis sa chute?\nPourquoi la passion de votre Fils, quand vous aviez, pour nous racheter,\ntant d\u2019instruments dans les mains?\u00bb Je sentais jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9vidence qu\u2019en\neffet Dieu pouvait nous vivifier et nous sauver autrement. Je me sentais\npouss\u00e9e et forc\u00e9e \u00e0 faire des questions. J\u2019aurais voulu dans ce moment\nme fixer dans la pri\u00e8re pure et simple; mais Dieu me contraignit \u00e0\nl\u2019interroger. Je restai plusieurs jours ainsi, toujours interrogeant, et\ncependant la question ne venait pas du doute. Je comprenais que Dieu\navait choisi la voie la plus appropri\u00e9e \u00e0 sa bont\u00e9 et \u00e0 nos besoins mais\ncela ne suffisait pas, car je voyais clairement qu\u2019il e\u00fbt pu agir d\u2019une\ntout autre mani\u00e8re.\nIl vint un moment o\u00f9 je fus ravie en esprit; je vis alors que le myst\u00e8re\nde ses voies est un myst\u00e8re sans commencement ni fin. Ravie dans\nl\u2019immense t\u00e9n\u00e8bre, mon \u00e2me voulut r\u00e9trograder vers elle-m\u00eame.\nImpossible! Elle voulut aller plus avant. Impossible! Puis, enlev\u00e9e plus\nhaut, elle aper\u00e7ut la puissance in\u00e9narrable, puis la justice de Dieu, sa\nvolont\u00e9, sa bont\u00e9, et je d\u00e9couvris au fond d\u2019elles les choses que\nj\u2019avais cherch\u00e9es. Tout \u00e0 coup mon \u00e2me fut arrach\u00e9e \u00e0 l\u2019immense t\u00e9n\u00e8bre.\nPendant qu\u2019elle y avait \u00e9t\u00e9 ab\u00eem\u00e9e, mon corps \u00e9tait \u00e9tendu \u00e0 terre mais\nquand vint la lumi\u00e8re, je me relevai vivement, me tenant sur l\u2019extr\u00e9mit\u00e9\nde mes doigts de pied. L\u2019agilit\u00e9 de mon corps \u00e9tait inou\u00efe, et je crus\nsentir que j\u2019\u00e9tais cr\u00e9\u00e9e pour la seconde fois. Je plongeai mon regard\navec une joie immense dans la volont\u00e9 de Dieu, dans sa puissance, dans\nsa justice, et au del\u00e0 de mes esp\u00e9rances, je buvais avec transport\nl\u2019intelligence des myst\u00e8res; mais leur manifestation est interdite aux\nparoles, parce qu\u2019ils d\u00e9passent la nature.\nJe savais bien que Dieu pouvait nous sauver autrement; mais je n\u2019avais\njamais compris comment le mode de r\u00e9demption qu\u2019il a choisi constitue de\nlui \u00e0 nous la plus haute manifestation de sa bont\u00e9, et l\u2019union la plus\nintime, celle qui se fait par la bouche, l\u2019union eucharistique.\nCe jour-l\u00e0 j\u2019arrivai \u00e0 une telle connaissance de la justice de Dieu et\nde la rectitude de ses jugements, \u00e0 une telle satisfaction, \u00e0 une telle\ntranquillit\u00e9, que dans aucune hypoth\u00e8se, je n\u2019\u00e9prouverais ni douleur, ni\nn\u00e9gligence, ni rel\u00e2chement dans la pri\u00e8re. Cette vision m\u2019a laiss\u00e9 dans\nl\u2019\u00e2me une paix, un repos, une tranquillit\u00e9 sans exemple, une\ntranquillit\u00e9 \u00e9ternelle. Mais je n\u2019ai pas tout dit.\nApr\u00e8s avoir contempl\u00e9 la volont\u00e9 de Dieu, sa puissance et sa justice, je\nfus ravie \u00e0 une plus grande hauteur o\u00f9 je ne vis plus rien de tout cela,\net le mode de vision fut chang\u00e9. Je vis une unit\u00e9 \u00e9ternelle,\ninexprimable, dont je ne puis rien dire, sinon qu\u2019elle est le tout bien.\nEt mon \u00e2me, dans le d\u00e9lire de sa joie, ne distinguait plus l\u2019amour et\ncontemplait l\u2019in\u00e9narrable. J\u2019\u00e9tais sortie de ma premi\u00e8re vision, j\u2019\u00e9tais\nentr\u00e9e dans l\u2019in\u00e9narrable: avec mon corps ou sans mon corps, je l\u2019ignore\npleinement. Tous les \u00e9tats que j\u2019avais connus \u00e9taient moins grands que\ncelui-ci. Cette vision laissa en moi la mort des vices et la s\u00e9curit\u00e9\ndes vertus. J\u2019aime tous les biens et tous les maux, les bienfaits et les\nforfaits. Rien ne rompt pour moi l\u2019harmonie. Je suis dans une grande\npaix, dans une grande v\u00e9n\u00e9ration des jugements divins. Le matin et le\nsoir, dans mes pri\u00e8res, je dis: Par votre justice, d\u00e9livrez-moi,\nSeigneur; par vos jugements, d\u00e9livrez-moi, Seigneur; j\u2019ai la m\u00eame\nconfiance et la m\u00eame d\u00e9lectation que quand je dis: Par votre av\u00e8nement,\nd\u00e9livrez-moi, Seigneur; par votre Nativit\u00e9, d\u00e9livrez-moi, Seigneur; par\nvotre Passion, d\u00e9livrez-moi, Seigneur. Je ne vois pas mieux la bont\u00e9 de\nDieu dans un saint ou dans tous les saints, que dans un damn\u00e9 ou dans\ntous les damn\u00e9s. Mais cet ab\u00eeme ne me fut montr\u00e9 qu\u2019une fois; le\nsouvenir et la joie qu\u2019il m\u2019a laiss\u00e9s sont \u00e9ternels. Si, par un malheur\nimpossible, toutes les v\u00e9rit\u00e9s de la foi m\u2019abandonnaient, il me\nresterait, dans mon naufrage, une certitude de Dieu, et de ses\njugements, et de la justice de ses jugements.\nMais, \u00f4 profondeur! \u00f4 profondeur! \u00f4 profondeur! \u00f4 profondeur! toute\ncr\u00e9ature sert au salut des pr\u00e9destin\u00e9s: C\u2019est pourquoi l\u2019\u00e2me, qui,\ndescendue dans l\u2019ab\u00eeme, a jet\u00e9 un coup d\u2019\u0153il sur les justices de Dieu,\nregardera d\u00e9sormais toutes les cr\u00e9atures comme les servantes de sa\ngloire.\nVINGT-CINQUI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019AMOUR\nC\u2019\u00e9tait pendant le car\u00eame; j\u2019\u00e9tais s\u00e8che et sans amour. Je priais Dieu\nde me donner quelque chose de lui-m\u00eame; car, moi, je n\u2019avais rien. Les\nyeux int\u00e9rieurs furent ouverts en moi, et je vis l\u2019amour qui venait \u00e0\nmoi. Je vis son principe, mais non sa fin. Ce que je voyais avait un\nprolongement, sans avoir de limite. Les couleurs ne me fourniraient\naucun terme de comparaison. Quand l\u2019amour arriva \u00e0 moi, je le vis avec\nles yeux de l\u2019\u00e2me beaucoup plus clairement que je n\u2019ai jamais rien vu\navec les yeux du corps.\nJe dirai, si vous voulez, que l\u2019amour prit, en me touchant, la\nressemblance d\u2019une faux. Je vous supplie de ne pas croire qu\u2019il s\u2019agisse\nd\u2019une ressemblance commensurable. Mais il me sembla qu\u2019un instrument\ntranchant me touchait, puis il se retirait, ne p\u00e9n\u00e9trant pas autant\nqu\u2019il se laissait entrevoir. Je fus remplie d\u2019amour; je fus rassasi\u00e9e\nd\u2019une pl\u00e9nitude inestimable. Mais \u00e9coutez le secret: cette sati\u00e9t\u00e9\nengendrait une faim inexprimable, et mes membres se brisaient et se\nrompaient de d\u00e9sir, et je languissais, je languissais, je languissais\nvers ce qui est au del\u00e0. Ni voir, ni entendre, ni sentir la cr\u00e9ature.\nOh! silence! silence!\nMais il y avait un cri au dedans. Oh! ne me faites plus languir! Oh! la\nmort! la mort! car la vie m\u2019est une mort. La mort! bienheureuse Vierge!\nPrenez avec vous les ap\u00f4tres! Allez ensemble, ensemble, ensemble devant\nle Tr\u00e8s-Haut; et puis \u00e0 genoux, \u00e0 genoux tous \u00e0 la fois, pour qu\u2019il ne\nveuille plus, pour qu\u2019il ne permette plus que je souffre. A genoux tous,\npour que j\u2019arrive vers Celui que je sens! Saint Fran\u00e7ois, \u00e0 genoux! \u00e0\ngenoux, Evang\u00e9liste! Je criais, je conjurais: il approche, pensais-je,\nil approche. Voil\u00e0 que je deviens tout amour! Il y en a beaucoup qui se\ncroient dans l\u2019amour, et qui sont dans la haine; d\u2019autres, qui se\ncroient dans la haine, et qui sont dans l\u2019amour. Je d\u00e9sirais voir ceci\nd\u2019une vue claire, Dieu me donna l\u2019\u00e9vidence, je demeurai satisfaite. Je\nfus remplie d\u2019un amour auquel je ne crains pas de promettre l\u2019\u00e9ternit\u00e9;\net si une cr\u00e9ature me pr\u00e9disait la mort de mon amour, je lui dirais: \u00abTu\nmens\u00bb; et si c\u2019\u00e9tait un ange, je lui dirais: \u00abJe te connais; c\u2019est toi\nqui es tomb\u00e9 du ciel.\u00bb\nJe vis en moi deux parts, comme si une d\u00e9chirure m\u2019avait coup\u00e9e en deux.\nIci ce qui est de Dieu, l\u2019amour et le souverain bien; et l\u00e0, ma part,\ns\u00e9cheresse et vide, vide absolu.\nEt, dans cette lumi\u00e8re, je vis que ce n\u2019\u00e9tait pas moi qui aimais. Je me\nvoyais pourtant dans l\u2019amour; mais c\u2019\u00e9tait en vertu d\u2019un don.\nL\u2019amour se rapprocha; il me fit une plus ardente br\u00fblure; et puis, voici\nle d\u00e9sir, le d\u00e9sir d\u2019aller l\u00e0 o\u00f9 il est. Je ne sais pas si au-dessus de\ncet amour il y en a un autre, \u00e0 moins de parvenir \u00e0 l\u2019amour mortel; car\nil y en a un qui donne la mort. Entre l\u2019amour g\u00e9n\u00e9reux et l\u2019amour\nmortel, il y a un amour interm\u00e9diaire qui ferme les l\u00e8vres, parce que sa\njoie et son ab\u00eeme sont au del\u00e0 des paroles. On m\u2019e\u00fbt fait un mal\nhorrible, si on m\u2019e\u00fbt cont\u00e9 la Passion, et si on e\u00fbt nomm\u00e9 Dieu devant\nmoi, parce qu\u2019\u00e0 ce nom, je suis d\u00e9lect\u00e9e d\u2019une si infinie jouissance,\nque je suis crucifi\u00e9e de langueur et d\u2019amour.\nEt pourtant, tout ce qui est moins grand que ce Nom me devient un autre\nsupplice.\nAh! qu\u2019on ne me parle plus ni de l\u2019Evangile, ni de la vie de\nJ\u00e9sus-Christ, ni d\u2019aucune parole divine! tout cela ne me para\u00eetrait plus\nrien. Je vois en Dieu de plus grandes grandeurs!\nSilence devant l\u2019incomparable!\nEt quand je reviens de cet amour, je suis dans une joie immense; je suis\nang\u00e9lique et j\u2019aime jusqu\u2019aux d\u00e9mons[4].\n [4] Ces paroles demandent \u00e0 \u00eatre entendues dans le sens mystique o\u00f9\n elles sont prononc\u00e9es. L\u2019horreur du p\u00e9ch\u00e9, l\u2019horreur du d\u00e9mon est\n l\u2019\u00e9l\u00e9ment fondamental et essentiel de toute v\u00e9rit\u00e9, de toute\n saintet\u00e9 par cons\u00e9quent; mais dans un \u00e9tat d\u2019\u00e2me qu\u2019on pourrait\n appeler transcendant, le sentiment de la justice accomplie\n r\u00e9concilie l\u2019\u00e2me divinis\u00e9e non pas avec le mal, avec le p\u00e9ch\u00e9, avec\n le d\u00e9mon, mais avec l\u2019ordre absolu, qui, par le moyen de l\u2019enfer\n \u00e9ternel, les fait rentrer dans son sein immense. L\u2019\u00e2me d\u00e9iforme, ne\n voyant plus dans l\u2019enfer, comme dans le ciel, que la v\u00e9rit\u00e9, la\n justice et l\u2019ordre, adore autant Dieu peur avoir creus\u00e9 l\u2019ab\u00eeme que\n pour avoir \u00e9lev\u00e9 les cieux. C\u2019est ce que j\u2019ai voulu expliquer au\n cinqui\u00e8me chapitre de l\u2019ouvrage intitul\u00e9: _M. Renan, l\u2019Allemagne et\n l\u2019ath\u00e9isme au XIXe si\u00e8cle_.\n (_Note du traducteur._)\nEn cet \u00e9tat le p\u00e9ch\u00e9 me pla\u00eet, quand je le vois commis par d\u2019autres,\nparce que je sens que Dieu le permet justement. En cet \u00e9tat, si un chien\nme mordait, je n\u2019y ferais aucune attention, et je ne sentirais pas la\ndouleur. En cet \u00e9tat, la Passion de J\u00e9sus-Christ ne me laisse ni\nsouvenir, ni douleur. En cet \u00e9tat, je n\u2019ai plus de larmes.\nOr cette attitude me transporte au-dessus des r\u00e9gions qu\u2019habitait saint\nFran\u00e7ois. Il v\u00e9cut au pied de la croix, par un souvenir continuel.\nSouvent j\u2019habite \u00e0 la fois diff\u00e9rents degr\u00e9s de l\u2019\u00e9chelle; je d\u00e9sire\nvoir cette chair morte pour nous et parvenir \u00e0 elle. Cet amour, \u00e9perdu\nde d\u00e9lices, se souvient de la Passion sans \u00e9prouver aucune douleur. Une\nfois le souvenir du pr\u00e9cieux sang, du sang inestimable avec qui le salut\ncoula sur le monde, se m\u00eala avec l\u2019amour sans parole et sup\u00e9rieur. Je\nm\u2019\u00e9tonnai, je m\u2019en souviens, de voir ces amours debout ensemble, au m\u00eame\nmoment; mais la douleur \u00e9tait totalement absente. La Passion n\u2019est plus\npour moi qu\u2019une lumi\u00e8re qui me conduit.\nVINGT-SIXI\u00c8ME CHAPITRE\nLA GRANDE T\u00c9N\u00c8BRE\nUn jour mon \u00e2me fut ravie et je vis Dieu dans une clart\u00e9 sup\u00e9rieure \u00e0\ntoute clart\u00e9 connue, et dans une pl\u00e9nitude sup\u00e9rieure \u00e0 toute pl\u00e9nitude.\nAu lieu o\u00f9 j\u2019\u00e9tais, je cherchai l\u2019amour, et ne le trouvai plus. Je\nperdis m\u00eame Celui que j\u2019avais tra\u00een\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 ce moment, et je fus faite\nle non-amour [5].\n [5] Cette parole sublime a pour commentaire tout le trait\u00e9 de saint\n Denys l\u2019Ar\u00e9opagite sur les _Noms divins_. Le grand docteur, apr\u00e8s\n avoir \u00e9puis\u00e9 les affirmations, les trouvant inf\u00e9rieures \u00e0 Celui qui\n s\u2019est d\u00e9sign\u00e9, dans la langue humaine, par le _Tetragrammaton_,\n trois fois myst\u00e9rieux, le nom terrible et ineffable, le grand\n docteur ajoute:\n \u00abQuoique l\u2019on approprie \u00e0 la Divinit\u00e9, qui d\u00e9passe toutes choses,\n les noms d\u2019Unit\u00e9 et de Trinit\u00e9, toutefois, cette Trinit\u00e9 et cette\n Unit\u00e9 ne peuvent \u00eatre connues ni de nous ni d\u2019aucun \u00eatre; mais, afin\n de glorifier saintement cette essence indivisible et f\u00e9conde, nous\n d\u00e9signons par les noms divins de Trinit\u00e9 et d\u2019Unit\u00e9 ce qui est plus\n sublime qu\u2019aucun nom, plus sublime qu\u2019aucune substance; car il n\u2019est\n ni unit\u00e9 ni trinit\u00e9; il n\u2019est ni nombre, ni singularit\u00e9, ni\n f\u00e9condit\u00e9; il n\u2019est aucune existence, ni aucune chose connue qui\n puisse d\u00e9voiler l\u2019essence divine si excellemment \u00e9lev\u00e9e par-dessus\n toutes choses, d\u00e9voiler un myst\u00e8re sup\u00e9rieur \u00e0 toute raison, \u00e0 toute\n intelligence. Et Dieu ne se nomme pas, et ne s\u2019explique pas; sa\n majest\u00e9 est absolument inaccessible... De l\u00e0 vient que les\n th\u00e9ologiens ont pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 s\u2019\u00e9lever \u00e0 Dieu par la voie des locutions\n n\u00e9gatives.\u00bb (St Denys, _Des Noms divins_, ch. XIII, traduction de\n Mgr Darboy.)\n Peut-\u00eatre Ang\u00e8le de Foligno atteignit la pratique inf\u00e9rieure des\n th\u00e9ories de l\u2019Ar\u00e9opagite, peut-\u00eatre arriva-t-elle \u00e0 un \u00e9tat mystique\n qui correspondait aux grandeurs m\u00e9taphysiques qu\u2019entrevoyait le\n disciple de saint Paul. R\u00e9alisant la nuit noire sur laquelle saint\n Denys fixait son \u0153il d\u2019aigle, Ang\u00e8le vit Dieu dans l\u2019immense\n t\u00e9n\u00e8bre, et fut faite le non-amour.\n (_Note du traducteur._)\nAlors je vis Dieu dans une t\u00e9n\u00e8bre, et n\u00e9cessairement dans une t\u00e9n\u00e8bre,\nparce qu\u2019il est situ\u00e9 trop haut au-dessus de l\u2019esprit, et tout ce qui\npeut devenir l\u2019objet d\u2019une pens\u00e9e est sans proportion avec lui.\nIl me fut alors donn\u00e9 une confiance parfaite, une esp\u00e9rance certaine,\nune s\u00e9curit\u00e9 sans ombre et sans obscurcissement, continuelle et\ngarantie.\nDans le bien infini, qui m\u2019apparut, dans la t\u00e9n\u00e8bre, je me recueillis\ntout enti\u00e8re, et au fond je trouvais la paix, la certitude de Dieu avec\nmoi, je trouvai l\u2019Emmanuel.\nSouvent je vois Dieu ainsi suivant le mode ineffable et sans la\npl\u00e9nitude absolue, qui ne peut \u00eatre ni exprim\u00e9e par la bouche, ni con\u00e7ue\npar le c\u0153ur. Dans le bien certain et secret, que j\u2019aper\u00e7ois avec une\nimmense t\u00e9n\u00e8bre, est enfouie mon esp\u00e9rance; en Lui je sais et je poss\u00e8de\ntout ce que je veux voir et poss\u00e9der, en Lui est le tout bien. Je ne\npuis craindre ni son d\u00e9part, ni le mien, ni aucune s\u00e9paration. C\u2019est une\nd\u00e9lectation ineffable dans le bien qui contient tout, et rien l\u00e0 ne peut\ndevenir l\u2019objet ni d\u2019une parole ni d\u2019une conception. Je ne vois rien, je\nvois tout: la certitude est puis\u00e9e dans la t\u00e9n\u00e8bre. Plus la t\u00e9n\u00e8bre est\nprofonde, plus le bien exc\u00e8de tout; c\u2019est le myst\u00e8re r\u00e9serv\u00e9. Ensuite je\nvois avec t\u00e9n\u00e8bre que Celui qui est l\u00e0, au-dessus de tout, surpasse\njusqu\u2019au bien absolu. Et tout le reste est t\u00e9n\u00e8bre, et tout ce qu\u2019on\npeut penser est tout petit \u00e0 c\u00f4t\u00e9.\nFaites attention. La divine puissance, sagesse et volont\u00e9, que j\u2019ai vue\nailleurs merveilleusement, para\u00eet moindre que ceci.\nCelui-ci c\u2019est un tout; les autres, on dirait des parties; les autres,\nquoique in\u00e9narrables, donnent une joie qui rejaillit dans le corps.\nMais quand Dieu para\u00eet dans la t\u00e9n\u00e8bre, ni rire, ni ardeur, ni d\u00e9votion,\nni amour, rien sur la face, rien dans le c\u0153ur, pas un tremblement, pas\nun mouvement. Le corps ne voit rien les yeux de l\u2019\u00e2me sont ouverts. Le\ncorps repose et dort, la langue coup\u00e9e et immobile toutes les amiti\u00e9s\nque Dieu m\u2019a faites, nombreuses et in\u00e9narrables, et ses douceurs et ses\ndons, et ses paroles et ses actions, tout cela est petit \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de Celui\nque je vois dans l\u2019immense t\u00e9n\u00e8bre et si tout me trompait, il me\nresterait la paix supr\u00eame, \u00e0 cause de l\u2019immense t\u00e9n\u00e8bre o\u00f9 repose le\ntout bien.\nA l\u2019altitude ineffable de voir Dieu dans l\u2019immense t\u00e9n\u00e8bre, mon \u00e2me fut\nravie trois fois. Je l\u2019ai vu mille fois avec t\u00e9n\u00e8bre, mais trois fois\nseulement dans l\u2019obscurit\u00e9 supr\u00eame. Mon corps est travaill\u00e9 par les\ninfirmit\u00e9s; le monde me poursuit avec ses \u00e9preuves et ses amertumes; les\nd\u00e9mons m\u2019affligent et me pers\u00e9cutent presque continuellement; ils ont\npuissance sur moi. Dieu leur a permis d\u2019affliger mon \u00e2me et mon corps,\net je vois presque mat\u00e9riellement les assauts qu\u2019ils me livrent.\nDe l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 Dieu m\u2019entra\u00eene \u00e0 lui, par le bien supr\u00eame que je vois\ndans la nuit noire. Dans l\u2019immense t\u00e9n\u00e8bre, je vois la Trinit\u00e9 sainte,\net dans la Trinit\u00e9, aper\u00e7ue dans la nuit, je me vois moi-m\u00eame, debout,\nau centre.\nVoil\u00e0 l\u2019attrait supr\u00eame, pr\u00e8s de qui tout n\u2019est rien, voil\u00e0\nl\u2019incomparable.\nMes paroles me font l\u2019effet d\u2019un n\u00e9ant; qu\u2019est-ce que je dis? mes\nparoles me font horreur, \u00f4 supr\u00eame obscurit\u00e9! mes paroles sont des\nmal\u00e9dictions, mes paroles sont des blasph\u00e8mes. Silence! silence!\nsilence! silence! Quand j\u2019habite dans l\u2019ombre noire, je ne me souviens\nplus de l\u2019humanit\u00e9 de J\u00e9sus-Christ, du Dieu-homme, ni de quoi que ce\nsoit qui ait une forme. Je vois tout et je ne vois rien.\nSortant de l\u2019obscurit\u00e9, je recommence voir l\u2019Homme-Dieu; il attire mon\n\u00e2me avec douceur, et il dit quelquefois: _Tu es moi, et je suis toi._\nJe vois ses yeux; je vois sa face mis\u00e9ricordieuse; il embrasse mon \u00e2me,\nil la serre contre lui, il la serre d\u2019un embrassement immens\u00e9ment serr\u00e9.\nCe qui proc\u00e8de de ses yeux et de sa face est le bien qu\u2019on voit dans la\nnuit noire. C\u2019est la chose qui sort du fond, et l\u2019in\u00e9narrable\nd\u00e9lectation vient avec elle. Dans l\u2019Homme-Dieu mon \u00e2me puise la vie,\nelle se maintient en lui plus longtemps que dans la vision obscure. Mais\nl\u2019attrait de l\u2019immense t\u00e9n\u00e8bre est incomparablement sup\u00e9rieur, au moins\npour moi, \u00e0 l\u2019attrait de l\u2019Homme-Dieu. J\u2019habite d\u00e9sormais dans\nl\u2019Homme-Dieu presque continuellement. Un jour je re\u00e7us de lui cette\nassurance qu\u2019entre lui et moi il n\u2019y a rien qui ressemble \u00e0 un\ninterm\u00e9diaire. Depuis ce moment, de son humanit\u00e9 sur moi la joie coule\nnuit et jour.\nLa louange chante en moi, et je dis: \u00abGloire \u00e0 vous, Seigneur! votre\ncroix est en mon lit; j\u2019ai pour oreiller la pauvret\u00e9; j\u2019\u00e9tends et repose\nmes membres dans la douleur et le m\u00e9pris. C\u2019est sur ce lit qu\u2019il est n\u00e9,\nqu\u2019il a v\u00e9cu, qu\u2019il est mort. Dieu a tant aim\u00e9 la soci\u00e9t\u00e9 de la douleur\net du m\u00e9pris, qu\u2019il l\u2019a choisie pour son Fils, et le Fils s\u2019est couch\u00e9\ndans ce lit, et il s\u2019est accord\u00e9 avec le P\u00e8re dans cet amour. C\u2019est dans\nce lit que je me suis repos\u00e9e et que je me repose; j\u2019esp\u00e8re y mourir et\n\u00eatre sauv\u00e9e par lui. O J\u00e9sus! la joie que j\u2019attends de ces pieds et de\nces mains est une joie in\u00e9narrable. Quand je le vois, au lieu de\nrevenir, je voudrais approcher toujours, toujours, et ma vie est une\nmort. A son souvenir, je deviens muette ma langue est coup\u00e9e. Quand je\nle quitte, le monde et tout ce que je rencontre augmente ma faim et ma\nsoif. La longueur de l\u2019attente fait de mon d\u00e9sir une peine mortelle.\nDans ces visions et consolations, tr\u00e8s souvent mon \u00e2me est ravie et\nenchant\u00e9e par le Dieu tr\u00e8s doux \u00e0 qui soit honneur et gloire dans les\nsi\u00e8cles des si\u00e8cles. _Amen_.\u00bb\nVINGT-SEPTI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019INEFFABLE\nJe fus ravie en esprit et je me trouvai en Dieu suivant un mode inconnu.\nJe me sentais au milieu de la Trinit\u00e9 par un mode de pr\u00e9sence plus grand\net plus \u00e9lev\u00e9. Je recevais des biens plus \u00e9normes qu\u2019\u00e0 l\u2019ordinaire, et\nde ces biens coulaient des joies, des d\u00e9lices, des d\u00e9lectations\nin\u00e9narrables, au-dessus de mes habitudes, et sup\u00e9rieures \u00e0 mon\nexp\u00e9rience.\nLes op\u00e9rations divines qui se faisaient dans mon \u00e2me \u00e9taient trop\nineffables pour \u00eatre racont\u00e9es par un saint ou par un ange quelconque.\nLa divinit\u00e9 de ces op\u00e9rations et la profondeur de leur ab\u00eeme \u00e9crase la\ncapacit\u00e9 et l\u2019intelligence de toute \u00e2me et de toute cr\u00e9ature. Si je\nparle d\u2019elles, ma parole me fait l\u2019effet d\u2019un blasph\u00e8me. Je suis\narrach\u00e9e \u00e0 mes anciennes habitudes. Adieu, vie cach\u00e9e du Christ que j\u2019ai\ntant aim\u00e9e autrefois; adieu, contemplation profonde de la profondeur, de\nla profondeur ch\u00e9rie du P\u00e8re, qui de toute \u00e9ternit\u00e9 pr\u00e9destina l\u2019ab\u00eeme \u00e0\nson Fils, pour lui tenir compagnie; adieu, pauvret\u00e9, souffrances,\nabjection, qui f\u00fbtes la Vie du Fils de Dieu, et qui f\u00fbtes aussi mon\nrepos sur la terre. Adieu, t\u00e9n\u00e8bres sacr\u00e9es o\u00f9 j\u2019ai vu la face du\nSeigneur; adieu, mon antique joie.\nOr, mon ancienne vie m\u2019a \u00e9t\u00e9 arrach\u00e9e avec une telle onction, et parmi\nles oublis d\u2019un si profond sommeil, que je ne sais comment cela s\u2019est\nfait; je ne me souviens que d\u2019une chose, c\u2019est que j\u2019ai eu ces choses,\net que je ne les ai plus.\nDans les biens ineffables et les nouvelles op\u00e9rations que subit mon \u00e2me,\nDieu fait d\u2019abord mon op\u00e9ration, puis il se manifeste, et au moment o\u00f9\nil se d\u00e9couvre \u00e0 mon \u00e2me, il l\u2019accable sous des dons plus \u00e9normes,\naccompagn\u00e9s d\u2019une plus haute, d\u2019une plus ineffable lumi\u00e8re.\nOr, il se pr\u00e9sente de deux mani\u00e8res.\nVoici le premier mode de manifestation. Il se manifeste dans l\u2019intime de\nl\u2019\u00e2me: je comprends alors sa pr\u00e9sence dans toute nature, dans toute\ncr\u00e9ature qui a re\u00e7u le don de l\u2019\u00eatre, dans le d\u00e9mon, dans l\u2019ange, dans\nle paradis, dans l\u2019adult\u00e8re, dans l\u2019homicide, dans toute bonne action,\ndans tout ce qui a re\u00e7u, \u00e0 un degr\u00e9 quelconque, le don d\u2019exister, dans\ntoute beaut\u00e9, dans toute turpitude. Quand je suis dans cette v\u00e9rit\u00e9, ma\njoie n\u2019est pas plus immense \u00e0 contempler Dieu dans une vertu que dans un\ncrime, dans un ange que dans un d\u00e9mon; le mode de pr\u00e9sence est devenu\nl\u2019habitude de mon \u00e2me. Cette pr\u00e9sence est une illustration pleine de\ngr\u00e2ce et de v\u00e9rit\u00e9, et l\u2019\u00e2me qui la poss\u00e8de est inaccessible au choc des\nchoses! Elle apporte les joies divines; le sentiment profond du Dieu qui\nest l\u00e0 souffle l\u2019humilit\u00e9 et la confusion; on se souvient qu\u2019on est\np\u00e9cheur. Avec la consolation et la joie divine, l\u2019\u00e2me re\u00e7oit la sagesse\net la gravit\u00e9.\nQuant au second mode de pr\u00e9sence, il est tout \u00e0 fait diff\u00e9rent, et la\njoie qu\u2019il apporte n\u2019est pas la m\u00eame joie.\nCette pr\u00e9sence inconnue recueille profond\u00e9ment l\u2019\u00e2me en elle, et l\u00e0,\ndans le fond, elle accomplit l\u2019op\u00e9ration divine, avec une gr\u00e2ce\nincomparablement plus grandiose. Tel est l\u2019ab\u00eeme o\u00f9 elle s\u2019accomplit,\nl\u2019ab\u00eeme in\u00e9narrable des d\u00e9lectations et des illustrations divines, que\ncette manifestation de Dieu, sans autre bien que lui-m\u00eame, est le\nsouverain bien, celui que les saints poss\u00e8dent pendant l\u2019\u00e9ternit\u00e9. Dans\nla vie \u00e9ternelle, les \u00e9lus sont trait\u00e9s diff\u00e9remment; les uns ont plus,\nles autres ont moins. Si j\u2019essaie de parler de la vie \u00e9ternelle, il me\nsemble qu\u2019au lieu de parler, je blasph\u00e8me et qu\u2019au lieu de cultiver je\nd\u00e9vaste. S\u2019il faut dire quelque chose, je dirai que les dons que\nre\u00e7oivent les saints dans la vie \u00e9ternelle sont des d\u00e9lectations de\nl\u2019\u00e2me par lesquelles Dieu augmente sa capacit\u00e9 pour le saisir et pour le\ntenir. Oh! quand Dieu se pr\u00e9sente \u00e0 l\u2019\u00e2me, quand le Seigneur d\u00e9couvre sa\nface, il dilate l\u2019\u00e2me et verse dans cette capacit\u00e9 subitement agrandie\ndes joies et des richesses inconnues; et cela se passe dans un ab\u00eeme\ndont je n\u2019ai pas encore parl\u00e9; celui-ci est plus profond. L\u2019\u00e2me est\narrach\u00e9e \u00e0 toute t\u00e9n\u00e8bre: la connaissance de Dieu d\u00e9passe les\npossibilit\u00e9s pr\u00e9vues par l\u2019intelligence; et telle est cette lumi\u00e8re, et\ntelle est cette joie, et telle est cette \u00e9vidence, et tel est cet ab\u00eeme\nnouveau qu\u2019il est inaccessible \u00e0 tout c\u0153ur cr\u00e9\u00e9. Apr\u00e8s l\u2019ab\u00eeme, mon c\u0153ur\nignore; incapable de rien comprendre, de rien penser des choses de\nl\u2019ab\u00eeme, il ne sait rien, si ce n\u2019est peut-\u00eatre l\u2019impossibilit\u00e9\nnaturelle o\u00f9 il \u00e9tait d\u2019aller l\u00e0. Des choses de l\u2019ab\u00eeme, il est\nimpossible de rien dire; pas un mot dont le son donne une id\u00e9e de la\nchose; pas une pens\u00e9e, pas une intelligence qui puisse s\u2019aventurer l\u00e0.\nElles restent dans leurs domaines, dans les domaines inf\u00e9rieurs. Pas un\nmot, pas une id\u00e9e qui ressemble au Dieu de l\u2019ab\u00eeme.\nL\u2019Ecriture sainte est si profonde, que l\u2019homme le plus sage du monde\nentier, trop faible pour la comprendre, est surpass\u00e9 par la profondeur;\nl\u2019intelligence est trop courte.\nMais s\u2019il s\u2019agit des op\u00e9rations absolument ineffables qui sont et se\nfont dans l\u2019\u00e2me, dans l\u2019instant supr\u00eame, dans l\u2019\u00e9blouissement de Dieu,\nil n\u2019y a plus m\u00eame \u00e0 balbutier. Mon \u00e2me est souvent ravie aux secrets\ndivins. Je comprends alors pourquoi l\u2019Ecriture est facile et difficile;\npourquoi elle para\u00eet se contredire; par o\u00f9 l\u2019homme \u00e9chappe au salut qui\nvient d\u2019elle; comment elle condamne, comment elle sauve Je sais ces\nchoses, et je me tiens debout sur elles, pleine de science, et quand je\nreviens des secrets divins, je puis prononcer quelques petits mots avec\nassurance. Maie s\u2019il s\u2019agit des op\u00e9rations ineffables, s\u2019il s\u2019agit de\nl\u2019\u00e9blouissement de gloire, n\u2019approchez pas, parole humaine; et ce que\nj\u2019articule en ce moment me fait l\u2019effet d\u2019une ruine, et j\u2019ai l\u2019\u00e9pouvante\nqu\u2019on a quand on blasph\u00e8me. Si toutes les consolations spirituelles, si\ntoutes les joies c\u00e9lestes, si toutes les d\u00e9lectations divines qui ont\n\u00e9t\u00e9 senties depuis le commencement du monde; allions plus loin, disons\nautre chose, que dirais-je bien? Si tous les saints, qui ont v\u00e9cu\navaient sans cesse parl\u00e9 de Dieu, et si toutes les d\u00e9lectations, bonnes\nou mauvaises, qu\u2019a jamais senties la cr\u00e9ature terrestre \u00e9taient chang\u00e9es\nen d\u00e9lices pures, en d\u00e9lices spirituelles, en d\u00e9lices \u00e9ternelles, et si\nces d\u00e9lices devaient me conduire \u00e0 l\u2019in\u00e9narrable joie de voir Dieu\nmanifest\u00e9; si l\u2019on m\u2019offrait tout cela r\u00e9uni, et si, pour le tenir, il\nme fallait donner et changer un instant de ma joie supr\u00eame, un instant\nde mon \u00e9blouissement, le temps qu\u2019il faut pour lever ou pour fermer les\nyeux, je dirais: Non, non, non. Tout ce que je viens d\u2019\u00e9num\u00e9rer n\u2019est\nrien, rien aupr\u00e8s de l\u2019in\u00e9narrable. Entre ces choses et la mienne, la\ndistance est infinie. Je te le dis, pour essayer de d\u00e9poser un mot dans\nton c\u0153ur. J\u2019ai parl\u00e9 du temps qu\u2019il faut pour ouvrir ou fermer les yeux;\nmais ma jouissance est beaucoup plus longue, elle dure longtemps, elle\nrevient souvent, elle op\u00e8re avec sa puissance.\nQuant \u00e0 l\u2019autre mode de pr\u00e9sence, la pr\u00e9sence int\u00e9rieure, dont j\u2019avais\nparl\u00e9 d\u2019abord, je l\u2019ai presque continuellement.\nLes joies et les tristesses du dehors peuvent, jusqu\u2019\u00e0 un certain point\net dans une faible mesure, m\u2019affecter int\u00e9rieurement; mais j\u2019ai dans\nl\u2019\u00e2me un sanctuaire o\u00f9 n\u2019entre ni joie, ni tristesse, ni d\u00e9lectation, ni\nvertu, ni quoi que ce soit qui ait un nom, c\u2019est le sanctuaire du\nsouverain bien.\nCette manifestation de Dieu (c\u2019est J\u00e9sus-Christ que je veux dire, mais\nje blasph\u00e8me au lieu de parler, parce que les expressions me manquent),\ncette manifestation de Dieu contient toute v\u00e9rit\u00e9, en elle je comprends\net poss\u00e8de toute v\u00e9rit\u00e9, toute v\u00e9rit\u00e9 qui soit au ciel, sur terre ou en\nenfer, ou enfouie dans une cr\u00e9ature quelconque, et je la poss\u00e8de avec\nune telle certitude, une telle \u00e9vidence que si le monde entier se levait\npour me contredire, au lieu d\u2019\u00eatre troubl\u00e9e, je rirais.\nC\u2019est l\u00e0 que je vois l\u2019Etre de J\u00e9hovah. Je vois aussi comment il a\nagrandi ma capacit\u00e9 de le conna\u00eetre, depuis les jours d\u2019autrefois,\ndepuis les jours o\u00f9 je le voyais dans cette t\u00e9n\u00e8bre qui fit les d\u00e9lices\nde mes ann\u00e9es d\u2019apprentissage. A pr\u00e9sent je me vois seule avec Dieu,\ntoute pure, toute sanctifi\u00e9e, toute vraie, toute droite, toute certaine,\ntoute c\u00e9leste en lui; et quand je suis dans cet \u00e9tat, j\u2019oublie les\nmondes. Et quelquefois alors, Dieu m\u2019a dit \u00abO fille de la divine\nsagesse, temple du Bien-Aim\u00e9, son temple et ses d\u00e9lices; \u00f4 fille de la\npaix, en toi repose la Trinit\u00e9; en toi est toute v\u00e9rit\u00e9; tu me tiens, et\nje te tiens.\u00bb\nUne des op\u00e9rations que Dieu fait dans l\u2019\u00e2me, c\u2019est le don d\u2019une immense\ncapacit\u00e9, pleine d\u2019intelligence et de d\u00e9lices, pour sentir comment Dieu\nvient dans le sacrement de l\u2019autel avec sa grande et noble soci\u00e9t\u00e9. Or,\nquand je redescends, quand je quitte le point culminant, je me vois tout\np\u00e9ch\u00e9, tout ob\u00e9issance au p\u00e9ch\u00e9, oblique et immonde, tout mensonge et\ntout erreur; mais je suis tranquille; car l\u2019onction divine me demeure\nfid\u00e8le pour toujours, l\u2019onction la plus \u00e9lev\u00e9e que je me souvienne\nd\u2019avoir eue pendant les jours de ma vie terrestre. Ce n\u2019est pas moi-m\u00eame\nqui m\u2019embarque sur cet oc\u00e9an; non, je suis conduite par le Seigneur,\nconduite et enlev\u00e9e. Je ne suis pas m\u00eame capable de d\u00e9sirer cette\nb\u00e9atitude; je ne sais m\u00eame pas comment je ferais pour la demander. Et\ncependant elle ne me quitte plus. Dieu ravit mon \u00e2me sans me demander\nmon consentement. Au moment o\u00f9 j\u2019y pense le moins, mon Seigneur et mon\nDieu m\u2019emporte tout \u00e0 coup. Et j\u2019embrasse le monde, et il ne me semble\nplus \u00eatre sur terre, mais dans le ciel, et en Dieu. Les hauteurs de ma\nvie pass\u00e9e, sont bien basses pr\u00e8s de celles-ci. O pl\u00e9nitude, pl\u00e9nitude!\n\u00f4 lumi\u00e8re remplissante, certitude, majest\u00e9 et dilatation, rien\nn\u2019approche de votre gloire! Or, cet \u00e9blouissement de Dieu, je l\u2019ai eu\nplus de mille fois, et jamais il n\u2019a ressembl\u00e9 \u00e0 lui-m\u00eame, \u00e9ternellement\nvari\u00e9 et nouveau \u00e0 jamais.\nDans une f\u00eate de la Chandeleur, Dieu me donna l\u2019\u00e9blouissement de gloire,\net, pendant l\u2019acte int\u00e9rieur, mon \u00e2me eut la repr\u00e9sentation d\u2019elle-m\u00eame,\net elle se vit. O altitude! \u00f4 majest\u00e9! Ni sur terre, ni au ciel, je\nn\u2019aurais pu ni croire, ni soup\u00e7onner, ni inventer une telle gloire. Et\nmon \u00e2me, trop \u00e9troite pour elle-m\u00eame, ne put s\u2019embrasser ni se\ncomprendre. Si l\u2019\u00e2me cr\u00e9\u00e9e et finie ne peut se comprendre, jusqu\u2019o\u00f9\ngrandira son impuissance en face de l\u2019immense et de l\u2019infini, en face de\nl\u2019incirconscrit?\nMon \u00e2me se pr\u00e9senta devant la face de Dieu avec une immense s\u00e9curit\u00e9,\nsans ombre et sans nuage; elle se pr\u00e9senta avec une joie inconnue, avec\nun transport jeune, sup\u00e9rieur, au-dessus de toute excellence: la\nnouveaut\u00e9 et la splendeur du prodige que j\u2019\u00e9tais d\u00e9passa mon\nintelligence.\nDans la rencontre que j\u2019eus avec le Seigneur, je sentis l\u2019ineffable, la\nchose dont j\u2019ai parl\u00e9, l\u2019\u00e9blouissement de Dieu; puis des paroles me\nfurent dites, paroles sorties des l\u00e8vres du Tr\u00e8s-Haut. Mais je ne veux\npas qu\u2019elles soient \u00e9crites.\nQuand, apr\u00e8s cela, l\u2019\u00e2me revient en elle-m\u00eame, elle y trouve une\ndisposition \u00e0 jouir de toute peine et de toute injure port\u00e9e pour Dieu\nelle sent l\u2019impossibilit\u00e9 d\u2019une s\u00e9paration. Aussi je criai: \u00abO doux\nSeigneur, qu\u2019est-ce qui pourra me s\u00e9parer de vous?\u00bb Et j\u2019entendis cette\nr\u00e9ponse: \u00abRien, avec ma gr\u00e2ce.\u00bb\nMais j\u2019ai piti\u00e9 des paroles que je rapporte; ce qu\u2019il y a d\u2019admirable,\nc\u2019est la mani\u00e8re dont elles furent dites, et je ne peux pas rapporter\nceci. La voix me dit que cette chose que j\u2019appelle l\u2019\u00e9blouissement de\nDieu est la chose qu\u2019ont les saints dans la vie \u00e9ternelle; que c\u2019est\ncelle-l\u00e0, et non pas une autre; que les uns l\u2019ont \u00e0 un degr\u00e9 sup\u00e9rieur,\nles autres \u00e0 un degr\u00e9 inf\u00e9rieur; que le moindre \u00e9blouissement du ciel\nsurpasse le plus grand \u00e9blouissement de la terre, et ce fut dans\nl\u2019instant m\u00eame de l\u2019\u00e9blouissement que j\u2019appris cela.\nVINGT-HUITI\u00c8ME CHAPITRE\nLA CERTITUDE\nQuelque temps apr\u00e8s ma conversion, c\u2019\u00e9tait ce jour-l\u00e0 une des f\u00eates de\nla Vierge, je la suppliai de m\u2019obtenir cette gr\u00e2ce immense, la certitude\nde n\u2019\u00eatre pas tromp\u00e9e par les voix qui me parlaient. Je re\u00e7us une\nr\u00e9ponse qui \u00e9tait une promesse, et la voix qui parlait ajouta:\n\u00abDieu s\u2019est manifest\u00e9 \u00e0 toi, il t\u2019a parl\u00e9, il t\u2019a donn\u00e9 de Lui le\nsentiment qu\u2019il en a lui-m\u00eame. Evite donc de parler, de voir et\nd\u2019entendre, autrement que selon Lui.\u00bb\nJe sentais dans celui qui parlait une discr\u00e9tion et une maturit\u00e9\ninexprimables. Je demeurai dans la joie et dans l\u2019esp\u00e9rance, avec le\nsentiment de la pri\u00e8re exauc\u00e9e. Il me fut dit au m\u00eame instant que je\nn\u2019agirais plus autrement que par la conduite de Dieu. Voir, parler,\nentendre selon Lui! Je commen\u00e7ai \u00e0 faire ces trois choses; tout \u00e0 coup\nmon c\u0153ur fut soulev\u00e9 de la terre et pos\u00e9 en Dieu, et quand il fallut\ndescendre aux choses de la vie, comme parler ou manger, rien ne d\u00e9rangea\nmon c\u0153ur de sa position; je ne pouvais ni penser, ni voir, ni sentir que\nDieu. Quand, \u00e0 la fin de l\u2019oraison, j\u2019allais prendre de la nourriture,\nj\u2019en demandais la permission: \u00abVa, disait la voix, mange avec la\nb\u00e9n\u00e9diction du P\u00e8re, et du Fils, et du Saint-Esprit.\u00bb Quelquefois la\npermission se faisait attendre, quelquefois non. Cela dura trois jours\net trois nuits.\nEnfin, ravie en esprit, pendant la messe, je vis Dieu au moment de\nl\u2019\u00e9l\u00e9vation. Apr\u00e8s cette vision, il resta en moi une douceur in\u00e9narrable\net une joie immense qui durera toute ma vie. C\u2019est dans cette vision que\nje re\u00e7us l\u2019assurance demand\u00e9e, et le doute prit la fuite. Je re\u00e7us\npleine satisfaction; j\u2019eus la certitude de Dieu m\u2019ayant parl\u00e9.\nVINGT-NEUVI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019ONCTION\nUne autre fois, j\u2019\u00e9tais en oraison. J\u2019entendis des paroles de paix: \u00abO\nma fille ch\u00e9rie, disait la voix, je t\u2019aime beaucoup plus que tu ne\nm\u2019aimes; \u00f4 mon temple choisi, le c\u0153ur du Dieu tout-puissant est appliqu\u00e9\nsur ton c\u0153ur.\u00bb\nUn sentiment inconnu et inexprimablement d\u00e9licieux coula dans tous mes\nmembres, et je tombai \u00e0 terre, et je restai \u00e9tendue. La voix reprit:\n\u00abLe Dieu tout-puissant t\u2019a \u00e9lue par-dessus toutes les femmes de cette\nville, et a pos\u00e9 son amour en toi. Il fait ses d\u00e9lices en toi, en toi et\nen ta compagne. Que votre vie soit donc lumi\u00e8re et mis\u00e9ricorde pour\nquiconque la regardera; qu\u2019elle soit justice et jugement pour quiconque\nne la regardera pas.\u00bb\nEt mon \u00e2me vit dans une lumi\u00e8re que ce jugement serait plus terrible\npour les pr\u00eatres que pour les la\u00efques, parce que le m\u00e9pris qu\u2019ils font\ndes choses divines est rendu plus effroyable par la connaissance qu\u2019ils\nont des Ecritures.\nLa voix reprit: \u00abL\u2019amour que le Tout-Puissant a pos\u00e9 en vous est si\ngrand que sa pr\u00e9sence est continuelle dans votre \u00e2me, quoique le\nsentiment ne soit pas le m\u00eame toujours. En ce moment, ses yeux sont sur\nvous.\u00bb\nAlors des yeux de l\u2019esprit je vis... comment dirai-je... pour parler un\nlangage quelconque? Je dirai, parmi les transports d\u2019une joie\nin\u00e9narrable, je vis, des yeux de mon esprit, les yeux de l\u2019Esprit\ndivin... Mais qu\u2019est-ce que mes mis\u00e9rables paroles? J\u2019en suis d\u00e9go\u00fbt\u00e9e,\nj\u2019en ai honte; elles me font l\u2019effet d\u2019indignes plaisanteries.\nAu milieu de ma joie, mes p\u00e9ch\u00e9s revinrent \u00e0 ma m\u00e9moire, et aucun bien\nne me paraissait \u00eatre en moi, et je ne voyais rien dans ma vie qui f\u00fbt\npr\u00e9sentable devant Dieu.\nLa chose \u00e9tait si grande, que je ne pouvais y croire: et je r\u00e9pondis:\n\u00abSi Celui qui me parle \u00e9tait le Fils de Dieu, rua joie ne serait-elle\npas plus \u00e9norme? si j\u2019\u00e9tais s\u00fbre que c\u2019est bien vous qui \u00eates en moi, en\nmoi, telle que je me connais, je ne pourrais pas supporter ce d\u00e9lire.\nComment se fait-il que je ne meure pas de joie?\u00bb\nIl r\u00e9pondit: \u00abTu as la joie que je veux; si elle n\u2019est pas plus \u00e9norme,\nc\u2019est que je ne veux pas; mais la voici qui va devenir plus \u00e9norme.\nRegarde! le monde entier est plein de moi.\u00bb\nEt je vis que toute cr\u00e9ature \u00e9tait pleine de Dieu.\n\u00abJe peux tout, dit-il; tout, et m\u00eame ceci: je peux faire que tu me voies\navec les yeux du corps, comme les ap\u00f4tres m\u2019ont vu, et que tu n\u2019aies\naucun plaisir, ni aucun sentiment.\u00bb\nIl ne disait rien de tout cela dans un langage humain; mais mon \u00e2me\ncomprenait tout! elle comprenait cela, et beaucoup de choses plus\ngrandes, et elle sentait la v\u00e9rit\u00e9 des choses.\nPourtant elle voulut de cette v\u00e9rit\u00e9 une preuve, une manifestation, et\nelle cria: \u00abOh! puisqu\u2019il en est ainsi, puisque vous \u00eates le Dieu\ntout-puissant, vous qui dites les grandes choses: oh! donnez-moi un\nsigne, un signe que c\u2019est vous, un signe, Seigneur, que c\u2019est bien\nvous.\u00bb\nJe pensais \u00e0 un signe mat\u00e9riel et visible, une chandelle allum\u00e9e dans la\nmain, une pierre pr\u00e9cieuse, n\u2019importe quoi. Un signe! un signe! tout ce\nque vous voudrez, pourvu que ce soit un signe; personne ne le verra sans\nvotre permission.\nCelui qui me parle r\u00e9pondit:\n\u00abLe signe que tu demandes ne te donnerait qu\u2019un moment de joie, le temps\nde voir et de toucher; mais le doute reviendrait, et l\u2019illusion serait\npossible dans un signe de cette nature.\n\u00abLaisse-moi le choix. Je te donnerai un signe d\u2019un ordre sup\u00e9rieur, qui\nvivra \u00e9ternellement dans ton \u00e2me, et tu le sentiras \u00e9ternellement. Ce\nsigne, le voici: Tu seras illumin\u00e9e et embras\u00e9e, maintenant et toujours,\nbr\u00fblante d\u2019amour, et dans l\u2019amour, maintenant et \u00e0 jamais. Voil\u00e0 le\nsigne le plus assur\u00e9 qui soit, le signe de ma pr\u00e9sence, le signe\nauthentique, et personne ne peut le contrefaire.\n\u00abJe t\u2019en fais pr\u00e9sent, qu\u2019il descende au fond de toi. Je te donne plus\nque tu ne m\u2019as demand\u00e9. Voici que je plonge l\u2019amour en toi: Tu seras\nchaude, embras\u00e9e, ivre, ivre sans rel\u00e2che; tu supporteras pour mon amour\ntoutes les tribulations. Si quelqu\u2019un t\u2019offense en paroles ou en actes,\ntu crieras que tu es indigne, indigne d\u2019une telle gr\u00e2ce. Cet amour que\nje te donne pour moi, c\u2019est celui que j\u2019ai eu pour vous quand je portai\npour vous jusqu\u2019\u00e0 la croix la patience et l\u2019humilit\u00e9. Tu sauras que je\nsuis en toi, si toute parole et toute action ennemie provoquent en toi,\nnon pas la patience, mais la reconnaissance et le d\u00e9sir. Ceci est le\nsigne certain de ma gr\u00e2ce. En ce moment, je te fais une onction que je\nfis \u00e0 saint Cyr et \u00e0 plusieurs autres.\u00bb\nJe sentis l\u2019onction; je la sentis, je la sentis avec une douceur\ntellement inexprimable, que je d\u00e9sirais mourir, mais mourir dans toutes\nles tortures possibles. Je ne comptais plus pour rien les tourments des\nmartyrs; j\u2019en d\u00e9sirais de plus terribles. J\u2019aurais voulu que le monde\nentier me f\u00eet don, avec toutes les injures possibles, de toutes les\ntortures dont il dispose. Il m\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 si doux de prier pour ceux qui\nm\u2019en auraient fait cadeau. Au lieu de m\u2019\u00e9tonner de ces saints qui ont\npri\u00e9 pour leurs pers\u00e9cuteurs et leurs bourreaux, ils devaient, me\ndis-je, insister aupr\u00e8s de Dieu et lui arracher pour eux quelque gr\u00e2ce\nsp\u00e9ciale. Oh! comme j\u2019aurais pri\u00e9 pour ceux qui m\u2019auraient donn\u00e9 ce que\nje demandais! de quel amour je les aurais aim\u00e9s! comme j\u2019aurais compati\n\u00e0 leurs mis\u00e8res! Ni peu, ni beaucoup, dans aucune mesure, je ne puis\nexprimer la douceur de cette onction qui m\u2019\u00e9tait inconnue. Dans d\u2019autres\nconsolations, j\u2019aurais d\u00e9sir\u00e9 une mort prompte. Mais dans celle-ci, qui\n\u00e9tait tout autre et d\u2019une autre nature, j\u2019ambitionnais une mort horrible\net lente, accompagn\u00e9e de tous les tourments possibles. J\u2019appelais ainsi\ntoutes les tortures du monde entier, et je les appelais sur celui de mes\nmembres qu\u2019elles auraient voulu choisir; et, r\u00e9unies, elles \u00e9taient peu\nde chose devant les yeux de mon d\u00e9sir. Mon \u00e2me comprenait leur petitesse\naupr\u00e8s des biens promis pour la vie \u00e9ternelle. Et elle comprenait dans\nla certitude; et si tous les sages du monde venaient me dire le\ncontraire, je ne les croirais pas. Et je jurerais le salut \u00e9ternel de\ntous ceux qui vont par cette voie; je jurerais sans peur. Le signe a\nplong\u00e9 dans le fond de mon \u00e2me illustr\u00e9e d\u2019une telle splendeur, qu\u2019elle\nserait invincible \u00e0 tout amour. Et je suis le signe sans interruption;\net il est lui-m\u00eame la voie du salut, l\u2019amour de Dieu et de la souffrance\nd\u00e9sir\u00e9e pour son nom.\u00bb\nDieu parla encore et me dit:\n\u00abFais \u00e9crire ce que je viens de faire en toi et \u00e0 la fin du r\u00e9cit, je\nveux qu\u2019on ajoute ces mots: Que gr\u00e2ces soient rendues au Seigneur Que\ndans la joie comme dans la tristesse, quiconque veut conserver la gr\u00e2ce\ntienne les yeux fix\u00e9s sur la croix.\u00bb\nQuant au signe et \u00e0 ce qui le concerne, mon \u00e2me comprenait ce que la\nparole ne peut rendre, et elle comprenait avec une pl\u00e9nitude qui la\nplongeait dans les choses qu\u2019on ne peut pas dire, et l\u2019inexprimable joie\nde cette pl\u00e9nitude \u00e9chappe \u00e0 toute expression et \u00e0 toute tentative\nd\u2019expression, et le premier mot de cela ne sera jamais dit dans une\nlangue humaine.\nQue Dieu me pardonne mes mis\u00e9rables paroles! Qu\u2019il ne m\u2019impute pas,\nqu\u2019il ne me reproche pas le vide et le d\u00e9faut de ce mauvais r\u00e9cit!\nTRENTI\u00c8ME CHAPITRE\nJ\u00c9SUS-CHRIST\nJe m\u00e9ditais un jour sur la Passion du Fils de Dieu et sur sa pauvret\u00e9.\nOr, le Christ me donna la _vision_ de sa pauvret\u00e9. Il me la montra\nimmense dans mon c\u0153ur. Sa volont\u00e9 \u00e9tait empress\u00e9e; il m\u2019ordonnait de la\nvoir et de la bien consid\u00e9rer. Et je voyais ceux pour lesquels il se fit\npauvre. J\u2019eus un tel sentiment de reproche et de douleur, que mon c\u0153ur\ntomba en d\u00e9faillance.\nPuis il augmenta en moi la lumi\u00e8re qui donnait sur sa Passion. Je le vis\npauvre d\u2019amis, pauvre de parents; enfin je le vis pauvre de lui-m\u00eame, et\nrelativement \u00e0 son humanit\u00e9, incapable de s\u2019aider. On dit quelquefois\nque sa puissance divine \u00e9tait cach\u00e9e, \u00e0 cause de son humanit\u00e9; elle\nn\u2019\u00e9tait pas cach\u00e9e, j\u2019en ai re\u00e7u de Dieu l\u2019assurance; mais quand je vis\no\u00f9 J\u00e9sus fut r\u00e9duit quant \u00e0 son humanit\u00e9, je commen\u00e7ai \u00e0 entrevoir pour\nla premi\u00e8re fois les dimensions de mon orgueil: je sentis une douleur\nque je ne connaissais pas, plus grande que jamais, et tellement\nprofonde, que je me crois d\u00e9sormais incapable de la joie. J\u2019\u00e9tais debout\ndans ma m\u00e9ditation, debout dans ma douleur, et il lui plut de me\nd\u00e9couvrir, dans l\u2019ab\u00eeme de sa Passion, des choses que je ne savais pas.\nJe compris de quel \u0153il il voyait tous ces c\u0153urs de bourreaux obstin\u00e9s\ncontre lui. Il voyait tous leurs membres conspirer ensemble dans\nl\u2019unique sollicitude d\u2019abolir son nom et sa m\u00e9moire. Il voyait leur\ncol\u00e8re rassembler leurs souvenirs et ramasser leurs forces pour d\u00e9truire\nle Sauveur; il voyait leurs subtilit\u00e9s, leurs ruses, leurs machinations;\nil voyait tous leurs conseils et la multitude de leurs calomnies, et\nleur rage, et leur atroce col\u00e8re; il comptait un \u00e0 un leurs pr\u00e9paratifs;\nil assistait \u00e0 leurs pens\u00e9es, aux recherches int\u00e9rieures et ext\u00e9rieures\nque faisait leur cruaut\u00e9 pour pr\u00e9parer \u00e0 son supplice des raffinements\ninconnus. Leur f\u00e9rocit\u00e9 eut d\u2019innombrables inventions. Il voyait les\ntortures qu\u2019on lui pr\u00e9parait, et les injures, et les ignominies.\nDans cette lumi\u00e8re mon \u00e2me vit, de la Passion du Christ, plus de choses\nque je ne puis et m\u00eame que je ne veux en d\u00e9clarer. J\u2019ai fait certaines\nd\u00e9couvertes pour lesquelles je demande la permission de me taire.\nEt alors mon \u00e2me cria:\n\u00abO M\u00e8re d\u00e9sol\u00e9e, sainte Marie, dites-moi quelque chose de la Passion du\nFils; car vous en avez vu plus que tout autre saint, \u00e0 cause de votre\ngrand amour. Vous l\u2019avez vu avec les yeux du corps et avec ceux de\nl\u2019\u00e2me; vous avez beaucoup vu, parce que vous avez beaucoup aim\u00e9.\u00bb\nEt mon \u00e2me redoubla ses cris.\nIl y a encore un autre saint qui pourrait me dire un mot de la Passion.\nEt je criai dans mon d\u00e9lire:\n\u00abTout ce qu\u2019on dit de cette Passion, tout ce qu\u2019on raconte, tout cela\nn\u2019est rien pr\u00e8s de ce qu\u2019a vu mon \u00e2me. Et je ne peux pas beaucoup plus\nque les autres la dire comme je l\u2019ai vue. J\u2019ai vu dans ma vision, trois\nfois \u00e9pouvantable, que la M\u00e8re des douleurs, bien qu\u2019elle ait plong\u00e9\ndans la Passion plus \u00e0 fond que tout autre saint, plus \u00e0 fond que le\ndisciple aim\u00e9, j\u2019ai vu de mille mani\u00e8res, qu\u2019elle est incapable de\nraconter la chose comme elle est; le disciple bien-aim\u00e9 en est incapable\naussi.\nEt si quelqu\u2019un me racontait la Passion telle qu\u2019elle fut, je lui\nr\u00e9pondrais: _C\u2019est toi, c\u2019est toi qui l\u2019as soufferte!!!_\nCette vision me fit faire connaissance avec les douleurs que je ne\nconnaissais pas. Je commen\u00e7ai \u00e0 souffrir ce que je n\u2019avais pas souffert.\nJe ne sais pas comment mon corps ne tombe pas par morceaux. Ce souvenir\nm\u2019interdit la l\u00e9g\u00e8ret\u00e9; j\u2019ai perdu depuis ce jour une certaine\ndisposition d\u2019\u00e2me; ayant su ce que c\u2019\u00e9tait que l\u2019infirmit\u00e9 totale, les\njours se sont \u00e9coul\u00e9s sans m\u2019apporter les joies qu\u2019ils m\u2019apportaient\njadis.\nTRENTE ET UNI\u00c8ME CHAPITRE\nLE CALVAIRE\nUne autre fois encore, la douleur de J\u00e9sus-Christ fut mise devant mes\nyeux. Ni la langue ne suffit pour dire ce que j\u2019ai vu, ni le c\u0153ur pour\nle sentir. Tout sentiment me devient impossible, except\u00e9 le sentiment\nd\u2019une douleur sans exemple dans ma vie. Et je fus transform\u00e9e en\ndouleur.\nEt mon \u00e2me vit dans l\u2019\u00e2me du Christ quelques-unes de ses douleurs avec\nleurs causes.\nCette \u00e2me \u00e9tait sans tache, absolument sainte, et ne devait, quant \u00e0\nelle, jamais conna\u00eetre le ch\u00e2timent.\nIl ne souffrait donc que pour nous, que pour nous tr\u00e8s ingrats, tr\u00e8s\nindignes, qui nous moquions de lui dans le moment m\u00eame o\u00f9 il nous\nrachetait. Le p\u00e9ch\u00e9 de ses bourreaux \u00e9tant sans proportion, J\u00e9sus, qui\nha\u00efssait le p\u00e9ch\u00e9 d\u2019une haine infinie, ne sentait pas seulement sa\nPassion en tant que supplice, il la sentait en tant que p\u00e9ch\u00e9 et\nsouffrait d\u2019elle en tant que p\u00e9ch\u00e9 plus que des autres crimes. Le p\u00e9ch\u00e9\navait pour auteur des peuples entiers, les Gentils, les Juifs, ou plut\u00f4t\nle genre humain r\u00e9uni contre Dieu dans un jour de grande f\u00eate. Sa\ndouleur sans mesure, digne du crime et des criminels, de leur nombre et\nde son \u00e9normit\u00e9, se r\u00e9pandait sur les nations. Il souffrait\ninexprimablement de la malice de ses ennemis; leur z\u00e8le \u00e0 abolir son\nsouvenir, son nom et ses \u00e9lus lui per\u00e7ait le c\u0153ur. Il compatissait \u00e0 ses\ndisciples, pers\u00e9cut\u00e9s \u00e0 cause de lui, qui tombaient du haut de la foi.\nIl compatissait aux douleurs de sa m\u00e8re. Il \u00e9tait abandonn\u00e9 dans sa\nd\u00e9tresse, sans secours, sans consolation. Cette \u00e2me tr\u00e8s sainte et tr\u00e8s\nnoble recevait la douleur de partout \u00e0 la fois. Toutes les tortures de\nson corps tr\u00e8s d\u00e9licat, tr\u00e8s pur, tr\u00e8s sensible, retombaient avec toutes\nles amertumes, toutes les angoisses, tous les d\u00e9chirements spirituels,\nretombaient sur son \u00e2me d\u00e9chir\u00e9e \u00e0 la fois, par la souffrance sans\nrestriction, par la souffrance universelle.\nNe croyez pas que ce soit l\u00e0 tout. La lumi\u00e8re de la vision me montra la\nfoule des autres tortures pour lesquelles j\u2019ai demand\u00e9 la permission du\nsilence.\nC\u2019est pourquoi, arrach\u00e9e \u00e0 moi-m\u00eame par la douleur, ravie hors de moi\ndans l\u2019extase de la douleur,\n_Je fus transform\u00e9e en la douleur de J\u00e9sus-Christ crucifi\u00e9._\nCe fut pour cette compassion que Dieu m\u2019accorda une gr\u00e2ce double:\nd\u2019abord il fortifia tellement ma volont\u00e9, que je ne peux plus vouloir\nautre chose que ce qu\u2019il veut; puis il \u00e9tablit mon \u00e2me dans un \u00e9tat \u00e0\npeu pr\u00e8s immuable. Je poss\u00e8de Dieu avec une telle pl\u00e9nitude, que j\u2019ai\n\u00e9t\u00e9 transport\u00e9e dans un lieu nouveau. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 ravie avec mon c\u0153ur, ma\nchair et mon \u00e2me, sur les montagnes de la paix, et je suis contente de\ntoutes choses.\nTRENTE-DEUXI\u00c8ME CHAPITRE\nLES CLOUS\nUne autre fois je songeais \u00e0 la douleur incommensurable de J\u00e9sus-Christ\nsur la croix, et je pensais \u00e0 ces clous qui, d\u2019apr\u00e8s une certaine\nparole, avaient port\u00e9 la chair des mains et des pieds dans l\u2019int\u00e9rieur\ndu bois, et je d\u00e9sirais voir au moins cette petite partie de la chair du\nChrist que ces clous avaient port\u00e9e dans l\u2019int\u00e9rieur du bois. Cette\nsouffrance du Christ me donna une telle douleur, que je ne fus plus\ncapable de me tenir debout. Je baissai la t\u00eate et je tombai. Alors je\nvis J\u00e9sus-Christ incliner sa t\u00eate sur mes bras, qui \u00e9taient \u00e9tendus \u00e0\nterre; il me montra les siens, et en m\u00eame temps son cou. Aussit\u00f4t ma\ndouleur se changea en une joie telle, que je perdis le sentiment et la\nvue de tout ce qui n\u2019\u00e9tait pas lui. Le cou \u00e9tait d\u2019une beaut\u00e9 \u00e0 faire\nmourir la parole humaine. Je compris que cette beaut\u00e9 inou\u00efe \u00e9tait le\nrejaillissement de la divinit\u00e9, et cependant mes yeux ne voyaient que\nson cou, dans une splendeur merveilleuse. Beaut\u00e9 incomparable, qui n\u2019a\npas de pareille en ce monde, couleur qui ne ressemble \u00e0 aucune couleur\nconnue, si quelque chose se rapproche de vous, c\u2019est la lumi\u00e8re dans\nlaquelle quelquefois \u00e0 la messe j\u2019aper\u00e7ois le corps du Christ, \u00e0\nl\u2019\u00e9l\u00e9vation!\nTRENTE-TROISI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019AMOUR VRAI ET L\u2019AMOUR MENTEUR\nUne autre fois, c\u2019\u00e9tait le quatri\u00e8me jour de la semaine sainte, j\u2019\u00e9tais\nplong\u00e9e dans une m\u00e9ditation sur la mort du Fils de Dieu, et je m\u00e9ditais\navec douleur, et je m\u2019effor\u00e7ais de faire le vide dans mon \u00e2me, pour la\nsaisir et la tenir tout enti\u00e8re recueillie dans la Passion et dans la\nmort du Fils de Dieu, et j\u2019\u00e9tais ab\u00eem\u00e9e tout enti\u00e8re dans le d\u00e9sir de\ntrouver la puissance de faire le vide, et de m\u00e9diter plus efficacement.\nAlors cette parole me fut dite dans l\u2019\u00e2me: \u00abCe n\u2019est pas pour rire que\nje t\u2019ai aim\u00e9e.\u00bb\nCette parole me porta dans l\u2019\u00e2me un coup mortel, et je ne sais comment\nje ne mourus pas; car mes yeux s\u2019ouvrirent, et je vis dans la lumi\u00e8re de\nquelle v\u00e9rit\u00e9 cette parole \u00e9tait vraie. Je voyais les actes, les effets\nr\u00e9els de cet amour, jusqu\u2019o\u00f9 en v\u00e9rit\u00e9 il avait conduit le Fils de Dieu.\nJe vis ce qu\u2019il supporta dans sa vie et dans sa mort pour l\u2019amour de\nmoi, par la vertu r\u00e9elle de cet amour indicible qui lui br\u00fblait les\nentrailles, et je sentais dans son inou\u00efe v\u00e9rit\u00e9 la parole que j\u2019avais\nentendue; non, non, il ne m\u2019avait pas aim\u00e9e pour rire, mais d\u2019un amour\n\u00e9pouvantablement s\u00e9rieux, vrai, profond, parfait, et qui \u00e9tait dans les\nentrailles.\nEt alors mon amour \u00e0 moi, mon amour pour lui, m\u2019apparut comme une\nmauvaise plaisanterie, comme un mensonge abominable. Ici ma douleur\ndevint intol\u00e9rable, et je m\u2019attendis \u00e0 mourir sur place.\nEt d\u2019autres paroles vinrent, qui augment\u00e8rent ma souffrance: \u00abCe n\u2019est\npas pour rire que je t\u2019ai aim\u00e9e; ce n\u2019est pas par grimace que je me suis\nfait ton serviteur; ce n\u2019est pas de loin que je t\u2019ai touch\u00e9e!\u00bb\nMa douleur, d\u00e9j\u00e0 mortelle, allait toujours en augmentant, et je criais:\n\u00abEh bien! moi, c\u2019est tout le contraire. Mon amour n\u2019a \u00e9t\u00e9 que\nplaisanterie, mensonge, affectation. Je n\u2019ai jamais voulu approcher de\nvous, en v\u00e9rit\u00e9, pour partager les travaux que vous avez soufferts pour\nmoi, et que vous avez voulu souffrir; je ne vous ai jamais servi dans la\nv\u00e9rit\u00e9 et dans la perfection, mais dans la n\u00e9gligence et dans la\nduplicit\u00e9.\u00bb\nLorsque je vis ces choses, lorsque, je vis de mes yeux la v\u00e9rit\u00e9 de son\namour et les signes de cette v\u00e9rit\u00e9, comment il s\u2019\u00e9tait livr\u00e9 tout\nentier et totalement \u00e0 mon service, comment il s\u2019\u00e9tait approch\u00e9 de moi,\ncomment il s\u2019\u00e9tait vraiment fait homme pour porter et sentir en v\u00e9rit\u00e9\nmes douleurs; quand je vis en moi tout le contraire absolument, je crus\nmourir de douleur. Il me semblait que ma poitrine allait se disjoindre\net mon c\u0153ur \u00e9clater. Et comme j\u2019\u00e9tais occup\u00e9e sp\u00e9cialement de cette\nparole: \u00abCe n\u2019est pas de loin que je t\u2019ai touch\u00e9e\u00bb, il en ajouta une\nautre, et j\u2019entendis qu\u2019il disait:\n\u00abJe suis plus intime \u00e0 ton \u00e2me qu\u2019elle-m\u00eame.\u00bb\nEt ma douleur augmenta. Plus je voyais Dieu intime \u00e0 moi, plus je me\nvoyais \u00e9loign\u00e9e de lui. Il ajouta d\u2019autres paroles qui me firent voir\nles entrailles de l\u2019\u00e9ternel amour:\n\u00abSi quelqu\u2019un voulait me sentir dans son \u00e2me, je ne me soustrairais pas\n\u00e0 lui; si quelqu\u2019un voulait me voir, je lui donnerais avec transport la\nvision de ma face; si quelqu\u2019un voulait me parler, nous causerions\nensemble avec d\u2019immenses joies.\u00bb\nCes paroles excit\u00e8rent en moi un d\u00e9sir: ne rien sentir, ne rien voir, ne\nrien dire, ne rien faire qui p\u00fbt d\u00e9plaire \u00e0 Celui qui parlait. Je sentis\nque Dieu demande sp\u00e9cialement \u00e0 ses fils, \u00e0 ses \u00e9lus, aux \u00e9lus de sa\nvision et de la parole divine, de n\u2019avoir pas l\u2019ombre d\u2019un rapport avec\nson ennemi.\nIl me fut encore dit:\n\u00abCeux qui aiment et suivent la voie que j\u2019ai suivie, la voie des\ndouleurs, ceux-l\u00e0 sont mes fils l\u00e9gitimes. Ceux dont l\u2019\u0153il int\u00e9rieur est\nfix\u00e9 sur ma Passion et sur ma mort, sur ma mort, vie et salut du monde,\nsur ma mort, et non pas ailleurs, ceux-l\u00e0 sont mes enfants l\u00e9gitimes, et\nles autres ne le sont pas.\u00bb\nTRENTE-QUATRI\u00c8ME CHAPITRE\nLA CROIX ET LA B\u00c9N\u00c9DICTION\nUn jour j\u2019\u00e9tais \u00e0 la messe dans l\u2019\u00e9glise Saint Fran\u00e7ois. On approchait\nde l\u2019\u00e9l\u00e9vation et le ch\u0153ur des Anges retentissait: _Sanctus, Sanctus,\nSanctus_, etc.; mon \u00e2me fut emport\u00e9e et ravie dans la lumi\u00e8re incr\u00e9\u00e9e;\nelle fut attir\u00e9e, elle fut absorb\u00e9e, et voici une pl\u00e9nitude ineffable,\nineffable, en v\u00e9rit\u00e9.\nRegardez comme rien, comme absolument rien, tout ce qui peut \u00eatre\nexprim\u00e9 en langue humaine.\nO cr\u00e9ation in\u00e9narrable du Dieu incr\u00e9\u00e9 et tout-puissant, les louanges\nqu\u2019on peut chanter sont de la poussi\u00e8re aupr\u00e8s de vous. Absorption\nsacr\u00e9e de l\u2019ab\u00eeme o\u00f9 me plonge la main du Dieu ravissant, apr\u00e8s votre\ntransport, mais encore sous l\u2019influence qui l\u2019avait pr\u00e9c\u00e9d\u00e9, m\u2019apparut\nl\u2019image du Dieu crucifi\u00e9, comme un instant apr\u00e8s la descente de croix;\nle sang \u00e9tait frais et rouge et coulant encore des blessures et les\nplaies \u00e9taient r\u00e9centes. Alors dans les jointures je vis les membres\ndisloqu\u00e9s; j\u2019assistai au brisement int\u00e9rieur qu\u2019avait produit sur la\ncroix l\u2019horrible tiraillement du corps, je vis ce qu\u2019elles avaient fait,\nles mains homicides. Je vis les nerfs, je vis les jointures, je vis le\nrel\u00e2chement, l\u2019allongement contre nature qu\u2019avaient fait dans le\nsupplice, quand ils avaient tir\u00e9 sur les bras et sur les jambes, les\nd\u00e9icides. Mais la peau s\u2019\u00e9tait tellement pr\u00eat\u00e9e \u00e0 cette tension, que je\nn\u2019y voyais aucune rupture.\nCette dissolution des jointures, cette horrible tension des nerfs, qui\nme permit de compter les os, me per\u00e7a le c\u0153ur d\u2019un trait plus douloureux\nque la vue des plaies ouvertes. Le secret de la Passion, le secret des\ntortures de J\u00e9sus, le secret de la f\u00e9rocit\u00e9 des bourreaux, m\u2019\u00e9tait\nmontr\u00e9 plus intimement dans la douleur des nerfs que dans l\u2019ouverture\ndes plaies, dans le dedans que dans le dehors. Alors je sentis le\nsupplice de la compassion; alors, au fond de moi-m\u00eame, je sentis dans\nles os et dans les jointures une douleur \u00e9pouvantable, et un cri qui\ns\u2019\u00e9levait comme une lamentation, et une sensation terrible, comme si\nj\u2019avais \u00e9t\u00e9 transperc\u00e9e tout enti\u00e8re, corps et \u00e2me.\nAinsi absorb\u00e9e et transform\u00e9e en la douleur du Crucifi\u00e9, j\u2019entendis sa\nvoix b\u00e9nir les d\u00e9vou\u00e9s qui imitaient sa Passion et qui avaient piti\u00e9 de\nlui.\n\u00abSoyez b\u00e9nis, disait-il, soyez b\u00e9nis par la main du P\u00e8re, vous qui avez\npartag\u00e9 et pleur\u00e9 ma Passion, vous qui avez lav\u00e9 vos robes dans mon\nSang. Soyez b\u00e9nis, vous qui, rachet\u00e9s de l\u2019enfer par les immenses\ndouleurs de ma croix, avez eu piti\u00e9 de moi; soyez b\u00e9nis, vous qui avez\n\u00e9t\u00e9 trouv\u00e9s dignes de compatir \u00e0 ma torture, \u00e0 mon ignominie, \u00e0 ma\npauvret\u00e9. Soyez b\u00e9nies, \u00f4 fid\u00e8les m\u00e9moires! Vous qui gardez au fond de\nvous le souvenir de ma Passion! Ma Passion, unique refuge des p\u00e9cheurs,\nma Passion, vie des morts, ma Passion, miracle de tous les si\u00e8cles, vous\nouvrira les portes du royaume \u00e9ternel que j\u2019ai conquis pour vous, par\nelle. Dans les si\u00e8cles des si\u00e8cles, vous qui avez eu piti\u00e9, vous\npartagerez la gloire! Soyez b\u00e9nis par le P\u00e8re, soyez b\u00e9nis par\nl\u2019Esprit-Saint, b\u00e9nis en esprit et en v\u00e9rit\u00e9 par la b\u00e9n\u00e9diction que je\ndonnerai au dernier jour; car je suis venu chez moi, et au lieu de me\nrepousser comme un pers\u00e9cuteur, vous avez offert au Dieu d\u00e9sol\u00e9\nl\u2019hospitalit\u00e9 sacr\u00e9e de votre amour! J\u2019\u00e9tais nu sur la croix, j\u2019avais\nfaim, j\u2019avais soif, je souffrais, je mourais, j\u2019\u00e9tais pendu par leurs\nclous, vous avez eu piti\u00e9! Soyez b\u00e9nis, ouvriers de mis\u00e9ricorde! A\nl\u2019heure terrible, \u00e0 l\u2019heure \u00e9pouvantable, je vous dirai; Venez, les\nbien-aim\u00e9s de mon P\u00e8re; car j\u2019avais faim sur la terre, et vous m\u2019avez\noffert le pain de la piti\u00e9...\u00bb\nIl ajouta des choses \u00e9tonnantes; mais ce qui est absolument impossible,\nc\u2019est d\u2019exprimer l\u2019amour qui brillait sur ceux qui ont piti\u00e9... \u00abO\nbienheureux! \u00f4 b\u00e9nis! Suspendu \u00e0 la croix, j\u2019ai cri\u00e9, pleur\u00e9 et pri\u00e9\npour mes bourreaux: \u00abP\u00e8re, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu\u2019ils\nfont\u00bb, qu\u2019est-ce que je ferai, qu\u2019est-ce que je dirai pour vous, pour\nvous qui avez eu piti\u00e9, pour vous qui m\u2019avez tenu compagnie, pour vous\nmes d\u00e9vou\u00e9s, qu\u2019est-ce que je dirai pour vous, quand j\u2019appara\u00eetrai, non\npas sur la croix, mais dans la gloire, pour juger le monde?\u00bb\nJe demeurai frapp\u00e9e au fond, beaucoup plus \u00e9mue que je ne puis le dire;\nles affections qui me venaient de la croix sont au-dessus des paroles.\nIl ajouta plusieurs paroles qui me mirent en feu; mais je n\u2019ai ni la\nvolont\u00e9 ni le pouvoir de les \u00e9crire.\nTRENTE-CINQUI\u00c8ME CHAPITRE\nLES VOIES DE LA D\u00c9LIVRANCE\nUn autre jour j\u2019\u00e9tais en pri\u00e8re. Je m\u00e9ditais avec une douleur profonde,\nabsolument int\u00e9rieure, sur la Passion. Je cherchais \u00e0 mesurer, \u00e0 peser\nmes crimes, puisque leur r\u00e9demption n\u2019a pas co\u00fbt\u00e9 au Fils de Dieu\nseulement des pri\u00e8res ou seulement des larmes, mais la mort et cette\nmort! Je t\u00e2chais de calculer ce que peut peser la damnation, puisque,\npour soulever ce poids, il n\u2019a fallu ni la mort d\u2019un ange, ni celle d\u2019un\narchange, mais celle du vrai Dieu! Et je me plongeais dans la pens\u00e9e de\nl\u2019enfer et de ses tourments immenses, et de sa mis\u00e8re infinie, et de ses\ntortures innombrables! Puis je t\u00e2chais de peser mon ingratitude. Pour le\nbienfait sans nom ni mesure, qu\u2019est-ce que j\u2019apporte en retour? le\np\u00e9ch\u00e9. Le p\u00e9ch\u00e9 quotidien, l\u2019oubli de la r\u00e9surrection, le refus de\ncoop\u00e9rer. La mis\u00e9ricorde de Dieu contempl\u00e9e dans un ab\u00eeme, dans l\u2019autre\nmon injustice et ma d\u00e9mence, tout cela me conduisit \u00e0 une esp\u00e8ce de\nsagesse. Dans cet \u00e9tat, j\u2019eus la r\u00e9v\u00e9lation des p\u00e9ch\u00e9s de toute esp\u00e8ce,\net des tortures, et des supplices dont la Passion de J\u00e9sus nous a\nsauv\u00e9s. J\u2019\u00e9tais dans la foule; mais telle fut la lumi\u00e8re de cette vision\n\u00e9pouvantable, que ce fut \u00e0 peine si je pus m\u2019emp\u00eacher de rugir au milieu\ndes hommes.\nJ\u2019eus l\u2019apparition du Christ crucifi\u00e9. Il me montra comment il avait \u00e9t\u00e9\nsuspendu \u00e0 la croix, et comment l\u2019homme qui se perd est sans excuse \u00e0\njamais. Car le salut exige de l\u2019homme ce que le m\u00e9decin exige du malade;\nil faut avouer son mal, et ex\u00e9cuter l\u2019ordonnance. Il n\u2019y a pas de\nd\u00e9pense \u00e0 faire pour le traitement. Il n\u2019y a qu\u2019\u00e0 se montrer au m\u00e9decin,\nfaire les choses prescrites, et se garder des choses d\u00e9fendues.\nMon \u00e2me eut alors l\u2019intelligence de l\u2019antidote qui r\u00e9side dans le sang\ndu Christ. L\u2019antidote se distribue gratis, et n\u2019exige qu\u2019une\ndisposition. Alors tous mes p\u00e9ch\u00e9s furent \u00e9tal\u00e9s devant mon \u00e2me, et je\nreconnus dans chacun de mes membres une infirmit\u00e9 spirituelle.\nAlors, conform\u00e9ment \u00e0 ce que je venais d\u2019apprendre, je m\u2019effor\u00e7ai\nd\u2019\u00e9taler devant Dieu toutes les mis\u00e8res de mon \u00e2me et de mon corps, et\nje criai: \u00abO Seigneur, mon Dieu, qui tenez dans vos mains ma gu\u00e9rison\n\u00e9ternelle, puisque vous avez promis de me gu\u00e9rir si seulement j\u2019\u00e9tale\ndevant vos yeux mes plaies, Seigneur, puisque je suis l\u2019infirmit\u00e9 m\u00eame;\npuisqu\u2019il n\u2019y a pas en moi un atome qui ne soit une infection et une\npourriture, du fond de mon ab\u00eeme, j\u2019\u00e9tale devant vos yeux mes mis\u00e8res\nune \u00e0 une et tous les p\u00e9ch\u00e9s de tous mes membres, et toutes les plaies\nde mon \u00e2me, et toutes les plaies de mon corps. Alors, je comptai, je\nd\u00e9signai chaque mis\u00e8re, et je dis: Seigneur mis\u00e9ricordieux, qui tenez\ndans vos mains ma gu\u00e9rison, regardez ma t\u00eate: je l\u2019ai couverte mille\nfois des insignes de l\u2019orgueil; j\u2019ai donn\u00e9 \u00e0 mes cheveux, en les\ntordant, des formes contre nature; et, disant cela, je ne dis pas tout.\nSeigneur, regardez mes mis\u00e9rables yeux, pleins d\u2019impudicit\u00e9 et inject\u00e9s\nd\u2019envie, etc.\u00bb\nJe continuais \u00e0 accuser chacun de mes membres et \u00e0 raconter leur\nlamentable histoire.\nJ\u00e9sus \u00e9couta tout avec une grande patience, et r\u00e9pondit avec une grande\njoie. Il montra pour chaque chose le rem\u00e8de dans sa main et l\u2019ordre qui\npr\u00e9sidait \u00e0 la r\u00e9demption, et je vis sa compassion immense pour mon \u00e2me,\net il disait:\n\u00abMa fille, ne crains ni ne d\u00e9sesp\u00e8re. Quand tu serais infect\u00e9e de toutes\nles putr\u00e9factions, et morte de toutes les morts, je suis puissant pour\nte gu\u00e9rir, si tu veux appliquer sur ton \u00e2me et sur ton corps ce que je\nte donnerai. Tu m\u2019as longuement d\u00e9taill\u00e9 les infirmit\u00e9s spirituelles de\nla t\u00eate: tu t\u2019es lament\u00e9e au fond de moi. Les attentats que tu as\ncommis, dans tes parures, par les couleurs contre nature que tu as\ndonn\u00e9es \u00e0 tes joues et les torsions contre nature que tu as donn\u00e9es \u00e0\ntes cheveux, toute ta fiert\u00e9 honteuse, tout ton orgueil, toute la vaine\ngloire avec laquelle tu t\u2019es montr\u00e9e devant les hommes et contre Dieu,\ntoutes ces mis\u00e8res pour lesquelles il te semble qu\u2019une honte \u00e9ternelle\nt\u2019attend en enfer, dans l\u2019endroit du lac le plus profond, tout cela est\nexpi\u00e9! J\u2019ai satisfait, j\u2019ai port\u00e9 ta p\u00e9nitence, j\u2019ai souffert\nhorriblement. Pour toutes ces peintures et ces onguents, qui ont\nd\u00e9shonor\u00e9 ta t\u00eate, la mienne fut tir\u00e9e par la barbe, d\u00e9pouill\u00e9e de\ncheveux, perc\u00e9e d\u2019\u00e9pines, frapp\u00e9e \u00e0 coups de roseau, ensanglant\u00e9e,\nmoqu\u00e9e, m\u00e9pris\u00e9e, m\u00e9pris\u00e9e jusqu\u2019au couronnement!\n\u00abTu te peignais les joues pour les montrer \u00e0 des hommes malheureux et\nmendier leurs faveurs; sois tranquille; ma face a \u00e9t\u00e9 couverte par les\ncrachats de ces mis\u00e9rables; elle a \u00e9t\u00e9 d\u00e9form\u00e9e et gonfl\u00e9e de leurs\nsoufflets; elle a \u00e9t\u00e9 cach\u00e9e sous un voile honteux. Tu t\u2019es servie de\ntes yeux pour regarder en vain, pour regarder ce qui nuit, pour te\nr\u00e9jouir contre Dieu; mais les miens ont \u00e9t\u00e9 voil\u00e9s, ils ont \u00e9t\u00e9 noy\u00e9s\ndans mes larmes d\u2019abord, et dans mon sang ensuite. Le sang qui coulait\nde ma t\u00eate les aveuglait.\n\u00abPour les crimes de tes oreilles, qui ont entendu l\u2019inutile et le\nmauvais, et qui ont pris plaisir dans les paroles nuisibles, j\u2019ai fait\nl\u2019\u00e9pouvantable p\u00e9nitence qui a fait p\u00e9n\u00e9trer en moi une tristesse\nabondante et immense. J\u2019ai entendu les fausses accusations, les paroles\nd\u00e9nigrantes, les insultes, les mal\u00e9dictions, les moqueries, les rires,\nles blasph\u00e8mes, la sentence de mort port\u00e9e par le juge inique, et les\npleurs de ma m\u00e8re! J\u2019ai entendu sa compassion. Tu as connu les plaisirs\nde la gourmandise, et tu as m\u00eame abus\u00e9 des choses qu\u2019on boit; mais j\u2019ai\neu la bouche dess\u00e9ch\u00e9e par la faim, la soif et le je\u00fbne. On m\u2019a pr\u00e9sent\u00e9\nle fiel et le vinaigre. Tu as m\u00e9dit, tu as calomni\u00e9, tu t\u2019es moqu\u00e9e, tu\nas blasph\u00e9m\u00e9, tu as menti, et menti jusqu\u2019au parjure. Ce n\u2019est pas tout.\nTu as fait autre chose; mais j\u2019ai gard\u00e9 le silence devant les juges et\nles faux t\u00e9moins, et mes l\u00e8vres closes ne m\u2019ont pas excus\u00e9. Mais j\u2019ai\ntoujours annonc\u00e9 la v\u00e9rit\u00e9, et pri\u00e9 Dieu de tout mon c\u0153ur pour mes\nbourreaux. Ton odorat n\u2019est pas pur; tu te souviens de certains plaisirs\ndus \u00e0 de certains parfums; mais j\u2019ai senti l\u2019odeur infecte des crachats;\nje les ai support\u00e9s sur ma face, sur mes yeux, sur mes narines.\n\u00abTon cou s\u2019est agit\u00e9 par les mouvements de la col\u00e8re et de la\nconcupiscence, et de l\u2019orgueil; souviens-toi qu\u2019il s\u2019est dress\u00e9 contre\nDieu. Mais le mien a \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 et meurtri par les soufflets. Pour les\np\u00e9ch\u00e9s de tes \u00e9paules, les miennes ont port\u00e9 la croix. Pour les p\u00e9ch\u00e9s\nde tes mains et de tes bras, qui ont fait ce que tu sais bien, mes mains\nont \u00e9t\u00e9 perc\u00e9es de gros clous, fix\u00e9es au bois, et j\u2019\u00e9tais suspendu par\nelles, et elles supportaient mon corps. Pour les p\u00e9ch\u00e9s de ton c\u0153ur, o\u00f9\nse sont d\u00e9cha\u00een\u00e9es la haine, l\u2019envie et la tristesse, de ton c\u0153ur\nposs\u00e9d\u00e9 par la concupiscence et par l\u2019amour mauvais, le mien a \u00e9t\u00e9 perc\u00e9\nd\u2019un coup de lance, et c\u2019est de ma blessure qu\u2019a coul\u00e9 ton rem\u00e8de, l\u2019eau\npour \u00e9teindre le mauvais feu, le sang pour la r\u00e9demption des col\u00e8res et\nla r\u00e9demption des tristesses. Pour les p\u00e9ch\u00e9s de tes pieds, pour les\ndanses inutiles, pour leurs marches lascives, pour leurs courses vaines,\nles miens, qu\u2019on aurait pu attacher seulement, ont \u00e9t\u00e9 perc\u00e9s et clou\u00e9s\n\u00e0 la croix. Au lieu de tes chaussures \u00e0 jour, \u00e9l\u00e9gamment fa\u00e7onn\u00e9es, ils\nont \u00e9t\u00e9 couverts de sang. Le sang sortait de leurs blessures, le sang de\ntout le corps tombait sur eux.\n\u00abPour les p\u00e9ch\u00e9s de tout ton corps, pour toute ta sensualit\u00e9 dans la\nveille et dans le sommeil, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 clou\u00e9 \u00e0 la croix, frapp\u00e9\nhorriblement, tiraill\u00e9 \u00e0 la fa\u00e7on d\u2019une peau, et \u00e9tendu sur la croix.\nJ\u2019ai \u00e9t\u00e9 mouill\u00e9 des pieds \u00e0 la t\u00eate par la sueur de sang, qui a coul\u00e9\njusqu\u2019\u00e0 terre; j\u2019ai \u00e9t\u00e9 serr\u00e9 tr\u00e8s fortement contre le bois tr\u00e8s dur,\nsouffrant d\u2019atroces tortures, criant, soupirant, pleurant, g\u00e9missant et\nje suis mort dans mon g\u00e9missement, tu\u00e9 par ces tigres! Pour la\nr\u00e9demption de tes parures vaines, choisies et port\u00e9es sans but, j\u2019ai \u00e9t\u00e9\nnu sur la croix. Ces mis\u00e9rables se disputaient ma robe et mes v\u00eatements;\nils les jouaient sous mes yeux. Nu comme je suis sorti du sein de la\nVierge, livr\u00e9 \u00e0 l\u2019air, au froid, au vent, aux regards des hommes et des\nfemmes, au haut d\u2019une croix, pour \u00eatre mieux vu, mieux moqu\u00e9, mieux\nd\u00e9shonor\u00e9, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 \u00e9tendu et \u00e9tal\u00e9.\n\u00abPour tes richesses mal acquises, que tu as retenues ou d\u00e9pens\u00e9es, j\u2019ai\nport\u00e9 la pauvret\u00e9, sans palais, sans maison, sans abri pour na\u00eetre ni\npour vivre, ni pour mourir, et je n\u2019aurais pas eu de s\u00e9pulcre, et\nj\u2019aurai \u00e9t\u00e9 livr\u00e9 aux chiens et aux oiseaux de proie, si quelqu\u2019un par\npiti\u00e9 pour ma grande mis\u00e8re, ne m\u2019e\u00fbt donn\u00e9 place dans un s\u00e9pulcre \u00e0\nlui. J\u2019ai d\u00e9pens\u00e9 pour les p\u00e9cheurs mon sang et ma vie, et je n\u2019ai rien\ngard\u00e9 pour moi. La pauvret\u00e9 m\u2019a tenu compagnie dans la vie et dans la\nmort.\u00bb\nLe Christ parle ainsi, et parce que mon \u00e2me avait re\u00e7u la d\u00e9lectation\ndes p\u00e9ch\u00e9s du corps, je vis les douleurs de toute nature port\u00e9es par\nl\u2019\u00e2me du Christ, je les vis dans leur diversit\u00e9 et dans leur horreur. Je\nvis son \u00e2me tortur\u00e9e par la passion de son corps, par la douleur de sa\nm\u00e8re, par notre refus d\u2019adorer, par notre refus de compatir.\nEt il ajouta:\n\u00abTu ne trouveras ni p\u00e9ch\u00e9 ni maladie de l\u2019\u00e2me, dont je n\u2019aie port\u00e9 la\npeine et offert le rem\u00e8de. A cause des immenses douleurs que vos \u00e2mes\nmis\u00e9rables devaient subir en enfer, j\u2019ai voulu \u00eatre tortur\u00e9 pleinement\net totalement. Ne t\u2019afflige donc pas; mais tiens-moi compagnie dans la\ndouleur, dans l\u2019opprobre et dans la pauvret\u00e9.\n\u00abMarie-Magdeleine \u00e9tait malade, elle fit ce que j\u2019ai dit et d\u00e9sira sa\nd\u00e9livrance, et fut d\u00e9livr\u00e9e de tout, parce qu\u2019elle l\u2019avait d\u00e9sir\u00e9. Celui\nqui d\u00e9sirerait serait d\u00e9livr\u00e9 comme elle.\u00bb\nLe Crucifi\u00e9 ajouta:\n\u00abQuand mes fils, abandonnant mon royaume, se sont faits enfants du\ndiable, s\u2019ils reviennent au P\u00e8re, le P\u00e8re a une grande joie et leur fait\nsentir la d\u00e9lectation sup\u00e9rieure. Le P\u00e8re a une telle joie, qu\u2019il leur\ndonne une certaine d\u00e9lectation qu\u2019il ne donne pas aux vierges fid\u00e8les.\nCeci vient de l\u2019immense amour qu\u2019il a pour eux, et de l\u2019immense\nmis\u00e9ricorde qu\u2019excite la vue de leur mis\u00e8re. Ceci vient encore de ce que\nle p\u00e9cheur, devant la majest\u00e9 et la cl\u00e9mence du Seigneur, se reconna\u00eet\ndigne de l\u2019enfer. C\u2019est pourquoi plus grand l\u2019homme aura \u00e9t\u00e9 dans le\np\u00e9ch\u00e9, plus grand il pourra \u00eatre aussi dans l\u2019autre ab\u00eeme.\u00bb\nEt il ajouta:\n\u00abL\u2019homme qui veut trouver la gr\u00e2ce doit toujours, soit dans la joie,\nsoit dans la tristesse, tenir ma croix de bois immobile devant ses\nyeux.\u00bb\nTRENTE-SIXI\u00c8ME CHAPITRE\nLA JOIE\nUn jour, je regardais la croix, et sur elle le Crucifi\u00e9; je le voyais\navec les yeux du corps. Tout \u00e0 coup mon \u00e2me fut embras\u00e9e d\u2019une telle\nardeur, que la joie et le plaisir p\u00e9n\u00e9tr\u00e8rent tous mes membres\nintimement. Je voyais et je sentais le Christ embrasser mon \u00e2me avec ce\nbras qui fut crucifi\u00e9, et ma joie m\u2019\u00e9tonna; car elle sortait de mes\nhabitudes, et, au degr\u00e9 qu\u2019elle atteignit, je ne la connaissais pas\nencore. Depuis cet instant, il me reste une joie et une lumi\u00e8re sublime\ndans laquelle mon \u00e2me voit le secret de notre chair en communion avec\nDieu. Cette d\u00e9lectation de l\u2019\u00e2me est in\u00e9narrable; cette joie est\ncontinuelle; cette illustration est \u00e9blouissante au del\u00e0 de tous mes\n\u00e9blouissements. Depuis cet instant, il m\u2019est rest\u00e9 une telle certitude,\nune telle s\u00e9curit\u00e9 quant aux op\u00e9rations divines qui se font en moi, que\nje m\u2019\u00e9tonne d\u2019avoir autrefois connu le doute, et si tous les mondes\ncr\u00e9\u00e9s prenaient une voix pour essayer de le faire rena\u00eetre, ils\nparleraient inutilement; car je vois, dans les transports d\u2019un plaisir\nqui ne se raconte pas, je vois cette main qu\u2019il m\u2019a montr\u00e9e avec la\nmarque des clous, et qu\u2019il montrera le jour o\u00f9 il dira:\n\u00abVoil\u00e0 ce que j\u2019ai souffert pour vous.\u00bb\nMaintenant encore, quand je suis dans cette vision et dans cet\nembrassement, une telle joie est communiqu\u00e9e \u00e0 mon \u00e2me, que j\u2019essaierais\ninutilement de souffrir des souffrances de J\u00e9sus; cependant je vois sa\nmain et la plaie de sa main. Toute ma joie est d\u00e9sormais dans ce Dieu\ncrucifi\u00e9. Quelquefois l\u2019embrassement est si serr\u00e9 qu\u2019il semble \u00e0 mon \u00e2me\nqu\u2019elle entre dans la plaie du c\u00f4t\u00e9. Elle y est illustr\u00e9e par des joies\ndont la parole humaine n\u2019a pas le droit d\u2019approcher. Foudroyante joie,\nqui enl\u00e8ve \u00e0 mes jambes la force de me porter, qui me jette \u00e0 terre, qui\nme renverse, qui m\u2019\u00e9tend l\u00e0, couch\u00e9e et sans parole! Ceci m\u2019arriva une\nfois sur la place Sainte-Marie. On repr\u00e9sentait la Passion! on aurait pu\ncroire que j\u2019allais pleurer. Je fus touch\u00e9e et inond\u00e9e d\u2019une joie qui\nn\u2019\u00e9tait pas naturelle; la joie grandit, elle grandit; je perdis la\nparole, et je tombai \u00e0 terre, foudroy\u00e9e: je venais d\u2019avoir la chose\nin\u00e9narrable, l\u2019\u00e9blouissement de gloire.\nJ\u2019avais eu soin de m\u2019\u00e9carter de ceux qui m\u2019entouraient, \u00e9tonn\u00e9e moi-m\u00eame\nde ma joie en face de la Passion. Alors je perdis l\u2019usage de mes\nmembres, je tombai \u00e0 terre, sans parole, foudroy\u00e9e. Et il me sembla que\nmon \u00e2me entrait dans la plaie du Christ, la plaie du c\u00f4t\u00e9. Et dans cette\nplaie, au lieu de la douleur, je buvais une joie dont il m\u2019est\nimpossible de dire un seul mot.\nTRENTE-SEPTI\u00c8ME CHAPITRE\nLES TRONES\nC\u2019\u00e9tait pendant la messe; je t\u00e2chais de me plonger dans les ab\u00eemes o\u00f9 me\njettent l\u2019humilit\u00e9 et la bont\u00e9 de Dieu, quand il veut bien s\u2019approcher\nde nous dans le saint Sacrement de l\u2019autel.\nJe fus ravie en esprit, et j\u2019eus pour la premi\u00e8re fois une vision\nintellectuelle relative au saint Sacrement. Il me fut dit d\u2019abord que le\ncorps du Christ peut \u00eatre en m\u00eame temps sur tous les autels du monde,\npar la vertu de la Toute-Puissance, qui ne peut entrer dans la mesure\n\u00e9troite des pens\u00e9es d\u2019un homme vivant sur cette terre.\n\u00abL\u2019Ecriture, disait la voix, parle beaucoup de cette puissance; mais\nceux qui lisent comprennent peu. Ceux \u00e0 qui j\u2019accorde un certain\nsentiment de moi-m\u00eame comprennent plus, mais ceux-l\u00e0 m\u00eame comprennent\nfort peu. Mais un instant viendra o\u00f9 vous verrez la lumi\u00e8re.\u00bb\nEnsuite, je vis dans un \u00e9clair comment Dieu vient dans le saint\nSacrement. Ni avant, ni depuis, je n\u2019ai rien \u00e9prouv\u00e9 de semblable.\nPuis je vis comment J\u00e9sus-Christ vient avec une arm\u00e9e d\u2019anges, et la\nmagnificence de son escorte se laissa savourer par mon \u00e2me avec une\nimmense d\u00e9lectation. Je m\u2019\u00e9tonnai un moment d\u2019avoir pu prendre plaisir \u00e0\nregarder des anges. Car habituellement toute ma joie est condens\u00e9e en\nJ\u00e9sus-Christ seul. Mais bient\u00f4t j\u2019aper\u00e7us dans mon \u00e2me deux joies\nparfaitement distinctes: l\u2019une venant de Dieu, l\u2019autre des anges, et\nelles ne se ressemblaient pas. J\u2019admirais la magnificence dont le\nSeigneur \u00e9tait entour\u00e9. Je demandais le nom de ceux que je voyais. \u00abCe\nsont des Tr\u00f4nes\u00bb, dit la voix. Leur multitude \u00e9tait \u00e9blouissante et si\nparfaitement innombrable, que, si le nombre et la mesure n\u2019\u00e9taient pas\nles lois de la cr\u00e9ation, j\u2019aurais cru sans nombre et sans mesure la\nsublime foule que je voyais. Je ne voyais finir cette multitude ni en\nlargeur ni en longueur; je voyais des foules sup\u00e9rieures \u00e0 nos chiffres.\nTRENTE-HUITI\u00c8ME CHAPITRE\nLES ANGES\nC\u2019\u00e9tait en septembre, \u00e0 la f\u00eate des saints anges. J\u2019\u00e9tais \u00e0 l\u2019\u00e9glise de\nFoligno et je voulais communier. Je priais les anges, surtout saint\nMichel et les s\u00e9raphins, et je disais:\n\u00abO anges administrateurs, qui avez re\u00e7u de Dieu l\u2019office et le pouvoir\nde le communiquer par la connaissance et l\u2019amour, je vous supplie de me\nle pr\u00e9senter tel que le P\u00e8re des mis\u00e9ricordes l\u2019a donn\u00e9 aux hommes, tel\nqu\u2019il veut lui-m\u00eame \u00eatre re\u00e7u et ador\u00e9, pauvre, souffrant, m\u00e9pris\u00e9,\nbless\u00e9, ensanglant\u00e9, crucifi\u00e9 et mort.\u00bb\nLes anges me r\u00e9pondirent avec une douceur et une complaisance indicible:\n\u00abPuisque tu as trouv\u00e9 gr\u00e2ce devant le Seigneur, le voici; tu le\nposs\u00e8des. Nous te le pr\u00e9sentons; et par-dessus ce que tu as demand\u00e9,\nnous te donnons la puissance de le pr\u00e9senter et de le communiquer aux\nautres.\u00bb\nEn effet, je vis, dans le saint Sacrement, avec les yeux de l\u2019esprit, la\npr\u00e9sence r\u00e9elle; je vis Celui que j\u2019avais voulu voir, tel que j\u2019avais\nvoulu le voir, souffrant, ensanglant\u00e9, crucifi\u00e9 et mort; je ressentis\nune telle douleur que mon c\u0153ur me sembla pr\u00eat \u00e0 \u00e9clater; et, de l\u2019autre\nc\u00f4t\u00e9, la pr\u00e9sence des anges m\u2019inonda d\u2019une telle joie, que si je ne\nl\u2019avais pas sentie, je n\u2019aurais pas cru la vue des anges capable de la\ndonner.\nPendant ces temps-l\u00e0, une messe se disait. Le pr\u00eatre approchait de la\ncommunion. Comme il rompait l\u2019hostie pour la prendre, j\u2019entendis une\nvoix lamentable qui disait:\n\u00abOh! combien il y en a qui, rompant l\u2019hostie, font couler le sang de mes\nveines!\u00bb\nJe pensai que ce pr\u00eatre n\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre pas ce qu\u2019il aurait d\u00fb \u00eatre,\net je dis: \u00abSeigneur, que ce pauvre fr\u00e8re ne soit plus ainsi.\u00bb\nLa voix me r\u00e9pondit:\n\u00abIl ne sera pas ainsi pendant l\u2019\u00e9ternit\u00e9.\u00bb\nTRENTE-NEUVI\u00c8ME CHAPITRE\nMARIE\nUn jour j\u2019entendais la messe; et au moment de l\u2019\u00e9l\u00e9vation, \u00e0 l\u2019instant\no\u00f9 les assistants se mettaient \u00e0 genoux, je fus ravie en esprit: la\nVierge m\u2019apparut et me dit:\n\u00abMa fille, la bien-aim\u00e9e de Dieu, et ma bien-aim\u00e9e, mon Fils est d\u00e9j\u00e0\nvenu \u00e0 toi, et tu as re\u00e7u sa b\u00e9n\u00e9diction.\u00bb\nElle me fit comprendre que son Fils \u00e9tait sur l\u2019autel apr\u00e8s la\ncons\u00e9cration de l\u2019hostie. J\u2019entendis ce que je n\u2019avais jamais entendu;\nj\u2019entendis qu\u2019il s\u2019agissait d\u2019une joie nouvelle absolument. En effet, la\njoie qui r\u00e9sulta des paroles entendues fut telle, que si l\u2019on me disait:\n\u00abExiste-t-il une cr\u00e9ature qui puisse l\u2019exprimer par une parole\nquelconque?\u00bb je r\u00e9pondrais: \u00abJe ne sais pas et je ne crois pas.\u00bb La\nVierge parlait avec une grande humilit\u00e9, et d\u00e9posait dans mon \u00e2me un\nsentiment nouveau d\u2019une douceur inconnue. Une chose m\u2019\u00e9tonnait c\u2019\u00e9tait\nd\u2019avoir pu rester debout. Je ne tombai pas \u00e0 terre, et je n\u2019y comprends\nrien.\nElle ajouta:\n\u00abApr\u00e8s la visite et la b\u00e9n\u00e9diction du Fils, il est convenable que tu\nre\u00e7oives celle de la M\u00e8re. Sois b\u00e9nie par mon Fils et par moi. Que ton\ntravail soit d\u2019aimer dans toute la mesure de tes puissances; car tu es\nbeaucoup aim\u00e9e, et tu arriveras vers l\u2019objet sans fin.\u00bb\nJ\u2019\u00e9prouvai une joie nouvelle, qui n\u2019\u00e9tait surpass\u00e9e par aucune joie\nconnue, mais elle fut bient\u00f4t surpass\u00e9e par elle-m\u00eame; car elle augmenta\nau moment de l\u2019\u00e9l\u00e9vation. Je ne vis pas le corps de J\u00e9sus-Christ sur\nl\u2019autel; je le vois souvent; je ne le vis pas ce jour-l\u00e0. Mais je sentis\nla pr\u00e9sence de J\u00e9sus-Christ dans mon \u00e2me; je la sentis en v\u00e9rit\u00e9.\nJ\u2019appris alors que, pour embraser une \u00e2me, il n\u2019y a pas d\u2019embrasement\nsemblable \u00e0 la pr\u00e9sence du Christ; ce n\u2019\u00e9tait pas le feu qui me br\u00fble\nordinairement; celui-l\u00e0 \u00e9tait extraordinairement doux.\nQuand cette flamme est dans l\u2019\u00e2me, je r\u00e9ponds de la pr\u00e9sence de Dieu;\nlui seul peut l\u2019allumer.\nDans les moments comme celui-l\u00e0, mes membres croient qu\u2019ils vont se\ns\u00e9parer. J\u2019entends m\u00eame le bruit qu\u2019ils font; on dirait un d\u00e9bo\u00eetement.\nJ\u2019\u00e9prouve surtout cette impression-l\u00e0 au moment de l\u2019\u00e9l\u00e9vation. Mes\ndoigts se s\u00e9parent et mes mains s\u2019ouvrent.\nQUARANTI\u00c8ME CHAPITRE\nPL\u00c9NITUDE\nUn jour je m\u2019approchais de la sainte table, et j\u2019entendis la voix, et\nelle me disait:\n\u00abBien-aim\u00e9e, tout bien est en toi, et tu vas recevoir tout bien.\u00bb\nJe me dis int\u00e9rieurement: \u00abSi le bien est en toi, pourquoi vas-tu le\nrecevoir?\u00bb\nEt la voix r\u00e9pliqua:\n\u00abL\u2019un n\u2019emp\u00eache pas l\u2019autre.\u00bb\nLe moment de la communion approchait, et j\u2019entendis:\n\u00abLe Fils de Dieu est maintenant sur l\u2019autel, et selon son humanit\u00e9 et\nselon sa divinit\u00e9. La multitude des anges est unie \u00e0 lui.\u00bb\nJe d\u00e9sirai voir, et je vis. Je ne voyais J\u00e9sus sous aucune forme; mais\nje voyais une pl\u00e9nitude et une beaut\u00e9; je voyais le souverain Bien.\n\u00abO bien-aim\u00e9e, dit la voix, tu seras ainsi devant lui pendant\nl\u2019\u00e9ternit\u00e9.\u00bb\nJe renonce encore une fois \u00e0 raconter ma joie.\nDepuis peu, quand je communie, l\u2019hostie s\u2019\u00e9tend dans ma bouche; elle n\u2019a\nni la saveur du pain, ni celle d\u2019aucune chair connue; mais une certaine\nsaveur de chair inconnue, saveur tr\u00e8s prononc\u00e9e et d\u00e9licieuse, qui ne\npeut se comparer absolument \u00e0 rien. L\u2019hostie n\u2019est pas dure comme\nautrefois, et ne descend pas par fragments, suivant l\u2019ancienne habitude.\nMais elle reste enti\u00e8re, et sa suavit\u00e9 est tellement divine que, si on\nne m\u2019avait recommand\u00e9 de l\u2019avaler sans tarder trop, je la garderais\nlonguement dans ma bouche. Et elle descend tout enti\u00e8re, et elle a la\nsaveur inconnue dont j\u2019ai parl\u00e9, sans en rien dire. Quand elle descend,\nelle me donne un plaisir inexprimable, qui se manifeste m\u00eame au dehors.\nMon corps tremble, et l\u2019immobilit\u00e9 m\u2019est extr\u00eamement difficile.\nMaintenant, quand je fais le signe de la croix, quand je porte la main\nau front, disant: Au nom du P\u00e8re, je ne sens rien de nouveau. Mais quand\nje porte la main \u00e0 la poitrine, disant: _Et du Fils_, j\u2019\u00e9prouve un tel\namour et une telle joie, qu\u2019il se r\u00e9v\u00e8le et que je le sens l\u00e0.\nSans ordre, je n\u2019aurais ni dit, ni permis d\u2019\u00e9crire, ni tout le reste, ni\nceci.\nQUARANTE ET UNI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019AUTEL DES ANGES\nC\u2019\u00e9tait la f\u00eate des Anges. J\u2019\u00e9tais malade, je voulais communier. Il n\u2019y\navait personne pour m\u2019apporter la communion. Ma tristesse \u00e9tait immense.\nTout \u00e0 coup, au plus profond de ma douleur et de mon d\u00e9sir, je fus\nport\u00e9e en esprit \u00e0 consid\u00e9rer la louange \u00e9ternelle des anges, et leur\noffice sublime, et leur assistance et leur minist\u00e8re. Et voici que je\nfus ravie, et la multitude immense des anges m\u2019apparut, et ils me\nconduisirent pr\u00e8s d\u2019un autel, et ils me dirent: \u00abVoici l\u2019autel des\nAnges.\u00bb Et sur l\u2019autel ils me montr\u00e8rent la louange des Anges,\nc\u2019est-\u00e0-dire Celui-l\u00e0 qui est leur louange, et la louange universelle,\net la louange elle-m\u00eame. Et les anges dirent \u00e0 mon \u00e2me: \u00abDans Celui qui\nest sur l\u2019autel est la perfection et le compl\u00e9ment du sacrifice que tu\ncherches. Pr\u00e9pare-toi donc \u00e0 le recevoir. Tu as d\u00e9j\u00e0 au doigt l\u2019anneau\nde son amour; d\u00e9j\u00e0 tu es son \u00e9pouse. Mais l\u2019union qu\u2019il veut contracter\naujourd\u2019hui avec toi est une union nouvelle; c\u2019est un mode d\u2019union que\npersonne ne conna\u00eet.\u00bb\nJe n\u2019essaierai pas d\u2019exprimer la joie dans laquelle je fus ravie; car\nmon \u00e2me sentait tout cela dans le lieu m\u00eame de la v\u00e9rit\u00e9, et tout ce qui\npeut \u00eatre dit n\u2019est qu\u2019un vide aupr\u00e8s de cette pl\u00e9nitude inaccessible \u00e0\nnotre pauvre langue. Ceci me fut un signe de ma prochaine d\u00e9livrance;\nc\u2019\u00e9tait au commencement de la maladie dont je vais mourir.\nQUARANTE-DEUXI\u00c8ME CHAPITRE\nDOUZE ANS\nUn jour je vis J\u00e9sus-Christ dans l\u2019hostie consacr\u00e9e; je le vis sous\nforme d\u2019enfant. Mais cet immense enfant, Seigneur au-dessus des\nseigneurs, me semblait avoir en main le sceptre et le signe de la\ndomination. Que tenait-il donc dans sa main? Il m\u2019est impossible de le\ndire, et pourtant je voyais cela avec les yeux du corps. Le pr\u00eatre\n\u00e9levait l\u2019hostie; tous tomb\u00e8rent \u00e0 genoux, except\u00e9 moi. Je restai\ndebout; l\u2019exc\u00e8s de ma joie tenait mes yeux fix\u00e9s sur lui. Mais le pr\u00eatre\nreposa trop vite pour moi l\u2019hostie sur l\u2019autel. J\u2019eus un moment cruel de\ntristesse et d\u2019ennui. Si j\u2019essayais de dire la beaut\u00e9 et la splendeur de\nCelui que je vis, il me faudrait une langue que je ne sais pas. A sa\ntaille je lui aurais bien donn\u00e9 douze ans. La joie de cette vision fut\ntellement immense, que je la crois \u00e9ternelle. Sa r\u00e9alit\u00e9 fut si\ncertaine, qu\u2019elle ne laissa place \u00e0 aucun doute.\nDans l\u2019\u00e9blouissement de ma joie, je ne fus pas m\u00eame capable de crier,\ncomme \u00e0 mon ordinaire: Au secours! Je ne dis rien, ni de bon, ni de\nmauvais. Ravie par cette splendeur, je ne trouvai pas un mot \u00e0 dire.\nQUARANTE-TROISI\u00c8ME CHAPITRE\nSPLENDEUR\nUn autre jour, pendant la messe, je fus ravie en esprit, et je parlai au\nSeigneur, et je lui demandai: \u00abVous \u00eates dans le saint Sacrement; mais,\nSeigneur, o\u00f9 sont vos fid\u00e8les?\u00bb Mais lui, m\u2019ouvrant l\u2019intelligence,\nr\u00e9pondit, et me dit: \u00abL\u00e0 o\u00f9 je suis, l\u00e0 ils sont avec moi.\u00bb J\u2019ouvris les\nyeux de l\u2019\u00e2me, et je vis cela \u00eatre ainsi; et parmi les fid\u00e8les je me\ndistinguai clairement; mais cet \u00eatre que nous avions l\u00e0 n\u2019\u00e9tait pas en\ndedans de la Divinit\u00e9, il \u00e9tait en dehors. Il est seul en lui-m\u00eame\npartout o\u00f9 il est; seulement il comprend toutes choses. J\u2019ai vu le corps\nde J\u00e9sus-Christ dans le saint Sacrement, souvent et sous divers aspects.\nQuelque fois j\u2019ai vu le cou de J\u00e9sus-Christ, mais avec une telle\nsplendeur et un telle magnificence, qu\u2019aupr\u00e8s de lui le soleil en avait\nbien peu. C\u2019est cette beaut\u00e9 qui m\u2019a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 Dieu. Que le soleil est p\u00e2le\n\u00e0 c\u00f4t\u00e9 de lui! J\u2019ai vu \u00e0 la maison la m\u00eame vision, plus belle encore.\nInexprimable joie qui sera, je pense, une joie \u00e9ternelle! Cette\nsplendeur que j\u2019ai vue \u00e0 la maison ne peut se comparer qu\u2019\u00e0 celle que je\nvois dans l\u2019hostie. Mais j\u2019\u00e9prouve une peine profonde je ne puis faire\nentendre ce que j\u2019ai vu. Il m\u2019est arriv\u00e9 aussi de voir deux yeux\n\u00e9blouissants, puis la bouche, et je ne voyais plus que cela. Ces visions\nressemblent \u00e0 des cr\u00e9ations nouvelles; c\u2019est la joie qui les op\u00e8re. Ces\njoies immenses et vari\u00e9es ne peuvent \u00eatre compar\u00e9es entre elles; mais\nchacune d\u2019elles, \u00e0 force d\u2019\u00eatre immense, para\u00eet devoir \u00eatre \u00e9ternelle.\nQUARANTE-QUATRI\u00c8ME CHAPITRE\nLA PRI\u00c8RE A LA SAINTE VIERGE\nCe jour-l\u00e0 je n\u2019\u00e9tais pas en pri\u00e8re: je venais de manger et je me\nreposais. Au moment o\u00f9 j\u2019y pensais le moins, je fus ravie en esprit, et\nje vis la Vierge dans sa gloire. Une femme pouvait donc \u00eatre plac\u00e9e sur\nun tel tr\u00f4ne et dans une telle majest\u00e9? Ce sentiment m\u2019inonda d\u2019une joie\nineffable. Cette gloire \u00e9tait possible \u00e0 une femme: cela est, et je l\u2019ai\nvu. Elle \u00e9tait debout, priant pour le genre humain; l\u2019aptitude qui vient\nde la bont\u00e9 et celle qui vient de la force donnaient \u00e0 sa pri\u00e8re des\nvertus in\u00e9narrables. J\u2019\u00e9tais transport\u00e9e de bonheur \u00e0 la vue de cette\npri\u00e8re; et pendant que je regardais la Vierge, tout \u00e0 coup J\u00e9sus-Christ\napparut pr\u00e8s d\u2019elle, rev\u00eatu de son humanit\u00e9 glorifi\u00e9e. J\u2019eus la notion\ndes douleurs que cette chair avait souffertes, des opprobres qu\u2019elle\navait subis, de la croix qu\u2019elle avait port\u00e9e; les tortures et les\nignominies de la Passion me furent mises dans l\u2019esprit. Mais voici ce\nqu\u2019il y eut de merveilleux: le sentiment des tourments inou\u00efs dont\nj\u2019avais connaissance, et que J\u00e9sus a soufferts pour nous; ce sentiment,\nau lieu de me briser de douleur, me brisait de joie. Transport\u00e9e d\u2019un\nbonheur in\u00e9narrable, je perdis la parole et j\u2019attendis la mort. Et\nj\u2019\u00e9prouvai une peine au-dessus de toute peine: car j\u2019attendis en vain.\nLa mort ne venait pas, et je ne parvenais pas imm\u00e9diatement, puisqu\u2019elle\nrefusait de briser mes liens, \u00e0 l\u2019in\u00e9narrable qui \u00e9tait sous mes yeux.\nCette vision dura trois jours sans interruption. Je mangeais, quoique\ntr\u00e8s peu, mais, languissante de d\u00e9sir, je ne pouvais pas parler; j\u2019\u00e9tais\nrenvers\u00e9e, prostern\u00e9e, surmont\u00e9e.\nSi j\u2019avais quelque chose \u00e0 faire, je le faisais; mais il ne fallait pas\nnommer Dieu devant moi, car ma joie devenait alors absolument\ninsupportable.\nQUARANTE-CINQUI\u00c8ME CHAPITRE\nLE 2 F\u00c9VRIER\nC\u2019\u00e9tait le jour de la Purification de la Vierge. J\u2019\u00e9tais \u00e0 Foligno, dans\nl\u2019\u00e9glise des Fr\u00e8res Mineurs. Et la voix parla, elle me dit: \u00abVoici\nl\u2019heure o\u00f9 Marie, Vierge et Reine, vint au temple avec son Fils.\u00bb\nMon \u00e2me \u00e9couta avec un grand amour, et, ayant \u00e9cout\u00e9, elle fut ravie; et\ndans son ravissement elle vit entrer la Reine, et elle alla au-devant\nd\u2019elle, tremblante de respect. J\u2019h\u00e9sitais pourtant; je craignais\nd\u2019approcher. Elle me rassura, et tendit vers moi J\u00e9sus, et me dit: \u00abO\ntoi qui aimes mon Fils, re\u00e7ois celui que tu aimes.\u00bb Elle le d\u00e9posa dans\nmes bras; il \u00e9tait envelopp\u00e9 de langes; il avait les yeux ferm\u00e9s comme\ndans le sommeil.\nLa Reine s\u2019assit, comme une femme fatigu\u00e9e. Ses gestes \u00e9taient si beaux,\nson attitude si merveilleuse, sa personne si noble, sa vue si sublime,\nque mes yeux ne pouvaient se fixer sur J\u00e9sus seul, et \u00e9taient forc\u00e9s de\nregarder sa m\u00e8re. Tout \u00e0 coup l\u2019enfant s\u2019\u00e9veilla dans mes bras: ses\nlanges \u00e9taient tomb\u00e9s, il ouvrit et leva les yeux. J\u00e9sus me regarda;\ndans ce coup d\u2019\u0153il il me surmonta, il me vainquit absolument. La\nsplendeur sortait de ses yeux, et sa joie brillait comme une flamme\naveuglante.\nAlors il apparut dans sa majest\u00e9 immense, ineffable, et il me dit:\n\u00abCelui qui ne m\u2019aura pas vu petit ne me verra pas grand.\u00bb Il ajouta: \u00abJe\nsuis venu \u00e0 toi, et je m\u2019offre \u00e0 toi pour que tu t\u2019offres \u00e0 moi.\u00bb\nAlors mon \u00e2me s\u2019offrit \u00e0 lui par un mode d\u2019oblation \u00e9tonnant, sans\nrapport avec les paroles: je m\u2019offris tout enti\u00e8re: j\u2019offris mes fils\navec moi d\u2019une oblation enti\u00e8re et parfaite, ne gardant rien pour moi,\nrien de leurs personnes, et rien de leurs choses.\nMon \u00e2me eut l\u2019intelligence de son oblation bien re\u00e7ue, et la joie de\nDieu, en l\u2019agr\u00e9ant, ne me resta pas inconnue. Quant \u00e0 la mienne, je\nn\u2019essaierai pas d\u2019en dire un mot. Quand je sentis mon oblation agr\u00e9\u00e9e,\nla d\u00e9lectation intime que j\u2019\u00e9prouvai fut trop grande, trop immense et\ntrop douce pour que la parole approche d\u2019elle. Une autre fois je vis la\nVierge; elle m\u2019exhorta \u00e0 la conna\u00eetre plus profond\u00e9ment elle me b\u00e9nit,\net me montra la douleur qu\u2019elle souffrit pendant la Passion.\nQUARANTE-SIXI\u00c8ME CHAPITRE.\nL\u2019EMBRASSEMENT\nUn jour je fus ravie en esprit; attir\u00e9e, \u00e9lev\u00e9e, absorb\u00e9e dans la\nlumi\u00e8re sans commencement ni fin, je voyais ce qui ne peut se dire.\nPendant cette influence, l\u2019image de l\u2019Homme-Dieu m\u2019apparut encore, \u00e0\nl\u2019instant de la descente de croix. Le sang \u00e9tait r\u00e9cent, frais, rouge;\nil coulait des blessures ouvertes; il venait de sortir du corps. Alors\ndans les jointures je vis de tels d\u00e9chirements, je vis les nerfs\ntellement \u00e9tendus, et les os tellement disloqu\u00e9s par l\u2019effort des\nbourreaux, qu\u2019un glaive me traversa, et mes entrailles furent perc\u00e9es;\net, quand je me souviens des douleurs que j\u2019ai subies dans ma vie, je\nn\u2019en trouve pas une qui soit \u00e9gale \u00e0 celle-ci.\nJ\u2019\u00e9tais l\u00e0, absorb\u00e9e dans ma douleur; autour du Crucifi\u00e9, j\u2019aper\u00e7us une\nfoule d\u00e9vou\u00e9e, qui pr\u00eachait en paroles et en actes la pauvret\u00e9,\nl\u2019opprobre et la douleur du Crucifi\u00e9. Cette foule, c\u2019\u00e9taient mes fils\nspirituels. J\u00e9sus les appela, les attira \u00e0 lui, les embrassa un \u00e0 un\navec un immense amour; puis il leur prit la t\u00eate avec ses mains, et leur\ndonna \u00e0 baiser la plaie sacr\u00e9e de son C\u0153ur. Je sentis quelque chose de\nl\u2019amour qu\u2019il avait dans les entrailles, et ma joie fut telle, que la\ndouleur dont je viens de parler, la douleur sans exemple, s\u2019\u00e9vanouit\ndans mon transport.\nL\u2019application que fit J\u00e9sus de mes enfants sur son C\u0153ur ne fut pas la\nm\u00eame pour eux tous. Pour quelques-uns d\u2019entre eux il la r\u00e9p\u00e9ta; pour les\nuns elle \u00e9tait plus compl\u00e8te, moins compl\u00e8te pour les autres.\nQuelques-uns d\u2019entre eux furent absorb\u00e9s tout entiers dans le C\u0153ur de\nDieu; la rougeur du sang vermeil \u00e9tait sur leurs l\u00e8vres; quelques-uns\nd\u2019entre eux avaient les joues color\u00e9es; il y a certaines figures que je\nvis couvertes et teintes tout enti\u00e8res, suivant les degr\u00e9s que\nj\u2019indiquais tout \u00e0 l\u2019heure; et J\u00e9sus prodiguait des b\u00e9n\u00e9dictions, et il\ndisait: \u00abO bien-aim\u00e9s fils, faites conna\u00eetre aux hommes le chemin de la\ncroix, par o\u00f9 j\u2019ai march\u00e9 dans la pauvret\u00e9, le m\u00e9pris et la douleur:\nprenez-y la grande part qui convient \u00e0 mes coop\u00e9rateurs; car je vous ai\nchoisis singuli\u00e8rement, pour manifester par la parole et l\u2019exemple, pour\nmettre au jour ma lumi\u00e8re cach\u00e9e et m\u00e9pris\u00e9e.\u00bb\nMon \u00e2me comprit que ces paroles s\u2019appliquaient \u00e0 mes fils, dans les\nm\u00eames diff\u00e9rences et les m\u00eames proportions que s\u2019\u00e9tait appliqu\u00e9e la\nplaie du c\u00f4t\u00e9. Quant \u00e0 l\u2019amour qui sortait de ses entrailles pour\nresplendir sur sa face et dans ses yeux; quant \u00e0 l\u2019amour qui p\u00e9n\u00e9tra\ntous ces baisers, toutes ces paroles, toutes ces b\u00e9n\u00e9dictions, il est\ndans le domaine de l\u2019ineffable, et le silence lui convient seul[6].\n [6] Celui qui \u00e9crivait sous sa dict\u00e9e pla\u00e7a ici une note.\n \u00abBien qu\u2019elle e\u00fbt vu les rangs que ses enfants occupaient, elle n\u2019en\n d\u00e9signa aucun. Elle ne voulut pas nous dire qui de nous \u00e9taient les\n plus aim\u00e9s, il ne nous parut pas convenable d\u2019insister pour le\n savoir. Chacun de nous n\u2019a qu\u2019\u00e0 faire, dans toute la mesure de ses\n forces, ce qu\u2019il faut pour s\u2019unir.\u00bb\nQUARANTE-SEPTI\u00c8ME CHAPITRE\nLES DEGR\u00c9S\nUn autre jour, j\u2019assistais \u00e0 une procession, je sentis l\u2019attrait de\nl\u2019ab\u00eeme. Le Dieu incr\u00e9\u00e9 m\u2019appela suivant le mode ineffable dont j\u2019ai\nparl\u00e9 plus haut.\nJe vis le Dieu un en trois personnes, et sa majest\u00e9 habitait l\u2019\u00e2me de\nmes fils, et les transformait en elle-m\u00eame suivant les degr\u00e9s dont j\u2019ai\nd\u00e9j\u00e0 constat\u00e9 les lois. Cette vue fut pour moi quelque chose comme une\nimmensit\u00e9 paradisiaque. Les entrailles de Dieu se r\u00e9pandaient sur mes\nenfants, et je ne pouvais pas me rassasier de voir. Et la profondeur de\nla b\u00e9n\u00e9diction qui tombait sur leur t\u00eate est un myst\u00e8re au-dessus des\nparoles[7]. Puis j\u2019entendis Dieu leur demander quelque chose: c\u2019\u00e9tait le\nsacrifice sans r\u00e9serve, l\u2019holocauste entier, parfait, de leurs corps et\nde leurs \u00e2mes.\n [7] Moi, qui \u00e9cris sous sa dict\u00e9e, je contemplais en secret sa figure;\n ce n\u2019\u00e9tait plus une figure humaine, c\u2019\u00e9tait quelque chose\n d\u2019ang\u00e9lique, c\u2019\u00e9tait la joie glorifi\u00e9e. La douceur et l\u2019immensit\u00e9 de\n la b\u00e9n\u00e9diction qu\u2019elle avait vue tomber du ciel est trop ineffable\n pour \u00eatre honor\u00e9e autrement que par le silence.\n (_Note du fr\u00e8re qui \u00e9crivait sous la dict\u00e9e d\u2019Ang\u00e8le._)\nPesez, mes fr\u00e8res, pesez. Comment faut-il aimer, comment faut-il servir\nce jaloux qui veut poss\u00e9der, ce Dieu qui se donne, ce Dieu qui demande?\nJ\u2019eus encore sous les yeux la repr\u00e9sentation du Dieu crucifi\u00e9, avec la\ntension des jointures que j\u2019avais d\u00e9j\u00e0 vue. Il \u00e9tait port\u00e9 \u00e0 travers\nl\u2019air, et volait l\u00e0 o\u00f9 marchait la procession; et cette image nous\nsuivait, sans qu\u2019aucune main humaine f\u00fbt l\u00e0 pour la soutenir. Je revis\nmes fils r\u00e9unis, et l\u2019application de leurs l\u00e8vres faite \u00e0 la plaie du\nc\u00f4t\u00e9; et J\u00e9sus leur disait:\n\u00abJe suis Celui qui enl\u00e8ve les p\u00e9ch\u00e9s du monde. J\u2019ai port\u00e9 les v\u00f4tres, et\n\u00e9ternellement ils ne vous seront pas imput\u00e9s. Ce sang que vous voyez est\nle bain de la purification vraie. Ce sang est le prix de votre\nr\u00e9demption. Ce c\u0153ur est le lieu de votre r\u00e9sidence. Ne craignez pas, mes\nenfants, de d\u00e9couvrir par vos paroles et vos actions cette v\u00e9rit\u00e9 de ma\nvoie et de ma vie, que les m\u00e9chants combattent; car je suis toujours\navec vous pour vous aider et vous secourir.\u00bb\nCe jour-l\u00e0, et plusieurs autres jours, je vis la purification de mes\nfils et les trois degr\u00e9s qu\u2019elle comporte.\nLa premi\u00e8re purification est une grande gr\u00e2ce de force qui rend facile\nl\u2019absence du mal.\nLa seconde est une grande gr\u00e2ce de joie dans l\u2019accomplissement du bien.\nLa troisi\u00e8me est la pl\u00e9nitude de la perfection, et la transformation de\nl\u2019\u00e2me en Dieu.\nDans toutes ces gr\u00e2ces de r\u00e9novation, l\u2019\u00e2me re\u00e7oit une beaut\u00e9 admirable.\nLa splendeur du second degr\u00e9 est immense et joyeuse. Quant au troisi\u00e8me,\nil est dans le domaine de ces exc\u00e8s qui me r\u00e9duisent au silence. Je ne\npeux pas en dire autre chose.\nLes \u00e9lus du troisi\u00e8me degr\u00e9 m\u2019apparaissaient transform\u00e9s en Dieu, de\nsorte qu\u2019en eux je ne vois plus que J\u00e9sus, tant\u00f4t souffrant, tant\u00f4t\nglorifi\u00e9; il me semble qu\u2019il les a transsubstanti\u00e9s et engloutis dans\nson ab\u00eeme.\nQUARANTE-HUITI\u00c8ME CHAPITRE\nLA LUMI\u00c8RE\nDans cette m\u00eame procession, nous approchions d\u2019une \u00e9glise d\u00e9di\u00e9e \u00e0 la\nsainte Vierge. Voici la Reine de gr\u00e2ce et de mis\u00e9ricorde qui s\u2019inclina\nsur ses fils et ses filles; elle \u00e9tait d\u2019abord sur la hauteur immense.\nElle s\u2019inclina et les b\u00e9nit d\u2019une b\u00e9n\u00e9diction inconnue, et les attirant\nsur son c\u0153ur, elle les embrassait in\u00e9galement. On e\u00fbt dit les bras\ntendus de l\u2019amour. Elle \u00e9tait lumineuse tout enti\u00e8re, et semblait les\nabsorber au-dedans d\u2019elle-m\u00eame dans une lumi\u00e8re immense. N\u2019allez pas\nvous figurer que je voyais des bras de chair: tout cela \u00e9tait lumi\u00e8re,\net lumi\u00e8re admirable; la Vierge, pressant les enfants contre son c\u0153ur,\npar la vertu de l\u2019amour, qui sortait du fond de ses entrailles, les\nabsorbait en elle-m\u00eame.\nQUARANTE-NEUVI\u00c8ME CHAPITRE\nLES MORTS\nUn autre jour, parmi des multitudes de visions, saint Fran\u00e7ois m\u2019apparut\ndans la gloire. Il me salua de sa salutation habituelle, et la voici:\n\u00abAvec toi soit la paix du Tr\u00e8s-Haut.\u00bb La voix de saint Fran\u00e7ois est\ntoujours tr\u00e8s pieuse, tr\u00e8s humble, tr\u00e8s gracieuse et tr\u00e8s tendre.\nChez ceux de mes fils qui observent, avec une ardeur de feu la loi de\npauvret\u00e9, il loua beaucoup l\u2019intention et demanda l\u2019agrandissement\npratique. Il ajouta:\n\u00abQue la b\u00e9n\u00e9diction \u00e9ternelle, parfaite et abondante, re\u00e7ue par moi du\nDieu sans commencement ni fin, tombe sur la t\u00eate de ces enfants ch\u00e9ris,\ntes fils et les miens: dis-leur qu\u2019ils vivent suivant la voix du Christ,\nqu\u2019ils la manifestent en paroles et en actions. Qu\u2019ils ne craignent pas;\ncar je suis avec eux, et le Dieu \u00e9ternel est leur soutien.\u00bb\nFran\u00e7ois louait mes fils de leurs bonnes intentions: il les fortifiait,\nil leur disait de marcher en paix, de l\u2019aider dans ses desseins; sa\nb\u00e9n\u00e9diction \u00e9tait si tendre, que ses entrailles avait l\u2019air de sortir de\nlui pour se r\u00e9pandre sur eux.\nJe re\u00e7us beaucoup d\u2019autres communications qui me concernaient, moi et\nmes filles; mais je ne puis les faire conna\u00eetre. Ce que je viens de\ndire, je l\u2019ai vu. J\u2019ai vu clairement tomber sur nous la b\u00e9n\u00e9diction de\nDieu et de sa M\u00e8re. J\u2019ai vu qu\u2019ils veulent porter le fardeau de notre\np\u00e9nitence. Ils vous demandent, mes enfants, d\u2019\u00eatre les exemplaires\nlumineux de leur vie lumineuse, et de suivre, dans la pauvret\u00e9, le\nm\u00e9pris et la souffrance, la route qu\u2019ils ont suivie. Leur volont\u00e9, leur\nd\u00e9sir est de vous voir morts et vivants, ayant votre habitation dans les\ncieux et votre corps sur la terre. Un mort n\u2019est remu\u00e9 ni par le m\u00e9pris\nni par l\u2019estime des hommes. Soyez donc immuables absolument. Que la vie\next\u00e9rieure du monde n\u2019atteigne pas jusqu\u2019\u00e0 vous. Pr\u00eachez la\nmortification plus par votre vie que par votre discussion. Que dans tous\nvos actes votre intention soit dans les cieux, immuable avec J\u00e9sus et\nJ\u00e9sus crucifi\u00e9. Que vous agissiez, que vous parliez, ou que vous\nmangiez, soyez toujours occup\u00e9s int\u00e9rieurement dans l\u2019int\u00e9rieur de\nl\u2019Homme-Dieu, qui veut vous porter partout, enferm\u00e9s en lui-m\u00eame, et\nvous assister dans toutes vos actions. Que Celui qui daigne demander ces\nchoses de vous, daigne aussi, \u00f4 mon Dieu, les accomplir en vous, par les\nm\u00e9rites de sa sainte M\u00e8re. _Amen_.\u00bb\nCINQUANTI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019INVITATION\nUn jour, je priais Dieu qu\u2019il me donn\u00e2t quelque chose de lui. Et je fis\nsur moi le signe de la croix. Et je le priais aussi de me montrer quels\nsont ses enfants. Entre autres r\u00e9ponses, cet exemple me fut donn\u00e9:\n\u00abUn homme qui a beaucoup d\u2019amis pr\u00e9pare un festin avec un soin immense\net les invite; mais beaucoup d\u2019entre eux ne viennent pas. Quelle sera la\ndouleur de celui qui a pr\u00e9par\u00e9 un festin tr\u00e8s abondant, et qui a\nimmens\u00e9ment d\u00e9pens\u00e9? Mais avec quelle joie il re\u00e7oit ceux qui se\npr\u00e9sentent! Il les re\u00e7oit tous avec transport. Mais il y a des places\nr\u00e9serv\u00e9es, des places voisines de lui, pour ses amis intimes: ceux-l\u00e0\nmangent avec lui, et boivent dans sa coupe.\n--Seigneur, dis-je avec joie, quel est le festin? Quand avez-vous invit\u00e9\ntout le monde? Oh! dites-moi, dites-moi!\u00bb Il r\u00e9pondit: \u00abJ\u2019ai invit\u00e9 tous\nles hommes \u00e0 la vie \u00e9ternelle: que ceux-l\u00e0 viennent qui veulent venir!\nPersonne ne peut s\u2019excuser et dire: Je ne suis pas invit\u00e9. Quelques-uns\nviennent et prennent place.\u00bb Ici J\u00e9sus me donnait \u00e0 entendre qu\u2019il est\nlui-m\u00eame la table et la nourriture des convives.\n\u00abEt ces appel\u00e9s, dis-je alors, par quelle voie sont-ils venus?\u00bb\n\u00abPar la voie de la tribulation, me fut-il r\u00e9pondu. La virginit\u00e9, la\nchastet\u00e9 ont leurs \u00e9preuves.\u00bb Et il appela par leur nom les pauvret\u00e9s et\nles douleurs de ceux qu\u2019il me montrait. Et ma joie fut immense; car je\ncompris l\u2019ordre et la raison de toutes ces choses. Tous ces \u00e9lus\nportaient le nom de fils. Je vis comment la virginit\u00e9, comment la\npauvret\u00e9 agissaient sur les enfants du Seigneur. Je vis comment la\nsouffrance se convertissait en action de gr\u00e2ces. On ne comprend pas\nd\u2019abord, mais ensuite on remercie. Je vis la route commune des \u00e9lus de\nla vie \u00e9ternelle, et il n\u2019y a pas d\u2019autre voie.\nMais les invit\u00e9s qui boivent \u00e0 la coupe du Seigneur sont ceux qui\nveulent conna\u00eetre la bont\u00e9 de leur P\u00e8re, ceux qui veulent l\u2019imiter et\npartager volontairement les fardeaux qu\u2019il porta. Dieu permet leurs\n\u00e9preuves, par une gr\u00e2ce sp\u00e9ciale, pour les admettre \u00e0 sa coupe. \u00abC\u2019est \u00e0\ncette table, me dit J\u00e9sus-Christ, que je fus invit\u00e9 \u00e0 boire le calice de\nla Passion, si terrible en lui-m\u00eame et si doux, tant je vous aimais!\u00bb\nAinsi, pour ces enfants, l\u2019amertume des tribulations se change tout\nenti\u00e8re en gr\u00e2ce, en douceur et en amour; car ils sentent le prix de\nleurs larmes. Ils sont attaqu\u00e9s, ils ne sont pas afflig\u00e9s; car plus ils\nsentent la tribulation, plus ils sentent Dieu, et plus leur joie\ngrandit.\nC\u2019est pourquoi je dis et j\u2019affirme que ceux qui passent par cette voie\ndivine en buvant le breuvage de la p\u00e9nitence, boivent des joies divines.\nCela m\u2019a \u00e9t\u00e9 dit, et je le sais d\u2019ailleurs par une exp\u00e9rience\npersonnelle, ind\u00e9finiment r\u00e9p\u00e9t\u00e9e.\nMes fr\u00e8res se sont beaucoup moqu\u00e9s de moi; il n\u2019y a pas de paroles pour\nrendre l\u2019onction divine des larmes de joie qui coulaient alors sur mes\njoues.\nUn jour j\u2019\u00e9tais si faible, malade et r\u00e9duite au silence, J\u00e9sus-Christ\nm\u2019apparut, les mains pleines de consolations; il me t\u00e9moigna une\ncompassion profonde et pronon\u00e7a cette parole:\n\u00abJe suis venu pour te servir.\u00bb\nOr ce service consista \u00e0 se tenir debout pr\u00e8s de mon lit, et \u00e0 me\nmontrer l\u2019apaisement de sa face, qui me plongea dans l\u2019ineffable. Je ne\nle voyais que des yeux de l\u2019esprit; mais je le voyais dans une lumi\u00e8re\net dans une \u00e9vidence que ne peuvent conna\u00eetre les yeux du corps, et je\nne dirai pas ma joie, car j\u2019\u00e9tais dans l\u2019ineffable.\nUn jour, c\u2019\u00e9tait le lundi saint, je dis \u00e0 ma compagne: \u00abCherchons-le, il\nfaut que j\u2019aille aujourd\u2019hui \u00e0 la recherche de J\u00e9sus-Christ.\u00bb Et\nj\u2019ajoutai: \u00abAllons \u00e0 l\u2019h\u00f4pital; c\u2019est peut-\u00eatre l\u00e0 que nous le\ntrouverons parmi les pauvres et les mis\u00e9rables.\u00bb Nous pr\u00eemes avec nous\ntoutes les coiffures que nous pouvions emporter (nous ne pr\u00eemes pas\nautre chose, parce que nous ne disposions pas d\u2019autres choses), et nous\npri\u00e2mes une servante de l\u2019h\u00f4pital d\u2019aller les vendre au profit des repas\ndes pauvres. Elle fit mille difficult\u00e9s; cependant, vaincue par notre\ngrande insistance, elle vendit ces objets et acheta des poissons. Quant\n\u00e0 nous, nous apport\u00e2mes des pains qui nous avaient \u00e9t\u00e9 donn\u00e9s \u00e0\nnous-m\u00eames pour l\u2019amour de Dieu. Apr\u00e8s avoir fait ces petites offrandes,\nnous nous m\u00eemes \u00e0 laver les pieds des femmes pauvres et les mains des\nhommes. Parmi ceux-ci se trouvait un l\u00e9preux dont les mains \u00e9taient\nhideuses, f\u00e9tides et pourries. Pour celui-ci, nous ne nous sommes pas\ncontent\u00e9es de le laver. La chose faite, nous avons bu de l\u2019eau qui\nvenait de nous servir. Ce breuvage nous inonda d\u2019une telle suavit\u00e9, que\nla joie nous suivit et nous ramena chez nous. Jamais je n\u2019avais bu avec\nde pareilles d\u00e9lices. Il s\u2019\u00e9tait arr\u00eat\u00e9 dans mon gosier un morceau de\npeau \u00e9cailleuse sorti des plaies du l\u00e9preux. Au lieu de le rejeter, je\nfis de grands efforts pour l\u2019avaler, j\u2019y r\u00e9ussis. Il me sembla que je\nvenais de communier. Jamais je n\u2019exprimerai les d\u00e9lices dans lesquelles\nj\u2019\u00e9tais noy\u00e9e. Si l\u2019homme trouve l\u2019anxi\u00e9t\u00e9 au commencement de la\np\u00e9nitence, je sais quelles joies l\u2019attendent quand il aura march\u00e9.\nUn jour j\u2019\u00e9tais d\u00e9vor\u00e9e par une peine d\u2019esprit, pendant un mois, il me\nsembla que je ne sentais plus rien de Dieu. La chose devint tellement\nhorrible, que je ne crus abandonn\u00e9e du Seigneur. Je n\u2019\u00e9tais plus m\u00eame en\n\u00e9tat de me confesser. D\u2019un c\u00f4t\u00e9, je voyais en moi un orgueil qui me\nsemblait la cause de mon malheur; de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, l\u2019ab\u00eeme de mes p\u00e9ch\u00e9s\ns\u2019ouvrit devant moi \u00e0 une telle profondeur, qu\u2019il me semblait impossible\nde les confesser avec une contrition digne de leur horreur, ou m\u00eame de\nles exprimer par la parole.\nJe suis condamn\u00e9e, disais-je, \u00e0 ne pas m\u00eame pouvoir me montrer dans mon\nhorreur. Impossible de me confesser. Impossible de louer Dieu.\nImpossible de prier. Je ne voyais plus de divin en moi que la volont\u00e9\nabsolue de ne pas p\u00e9cher. Ni tous les biens, ni tous les maux du monde\nn\u2019eussent \u00e9branl\u00e9 cela, et m\u00eame je ne me trouvais pas aussi malheureuse\nque j\u2019aurais m\u00e9rit\u00e9 de l\u2019\u00eatre.\nCela durait depuis un mois. J\u2019\u00e9tais tortur\u00e9e horriblement.\nEnfin Dieu eut piti\u00e9 et j\u2019entendis ces paroles:\n\u00abO ma fille et ma bien-aim\u00e9e, la bien-aim\u00e9e du paradis l\u2019amour de Dieu\nse repose en toi; et il n\u2019est pas de femme dans la vall\u00e9e de Spol\u00e8te o\u00f9\nil se repose si profond\u00e9ment.\u00bb\nEt mon \u00e2me cria:\n\u00abComment ferais-je pour vous croire, du fond de mon ab\u00eeme, quand je me\nsens abandonn\u00e9e?\u00bb\nIl r\u00e9pondit:\n\u00abPlus tu te crois abandonn\u00e9e, plus tu es aim\u00e9e de Dieu et serr\u00e9e contre\nlui.\u00bb\nIl ajouta:\n\u00abUn p\u00e8re qui aime beaucoup son fils, lui donne avec mesure les aliments,\nil lui interdit le poison, et m\u00eale de l\u2019eau \u00e0 son vin. Ainsi Dieu: il\nm\u00eale les tribulations aux joies, et dans la tribulation, c\u2019est encore\nlui qui les tient. S\u2019il ne la tenait pas, l\u2019\u00e2me s\u2019abandonnerait et\ntomberait en d\u00e9faillance; au moment o\u00f9 elle se croit abandonn\u00e9e, elle\nest aim\u00e9e plus qu\u2019\u00e0 l\u2019ordinaire.\u00bb\nCes paroles ne m\u2019en lev\u00e8rent pas ma douleur, elles ne firent que la\nmodifier un peu. Seulement le d\u00e9sir des sacrements, qui m\u2019avait\nabandonn\u00e9, me fut rendu.\nAu bout de quelque temps, la tentation me fut enlev\u00e9e totalement.\nAlors j\u2019entendis une voix qui me disait:\n\u00abVa communier. Si tu le fais, tu me re\u00e7ois; si tu ne le fais pas, tu me\nre\u00e7ois encore. Cependant communie avec la b\u00e9n\u00e9diction du P\u00e8re, et du\nFils, et du Saint-Esprit. Communie en l\u2019honneur du Dieu tout-puissant et\nde la Vierge bienheureuse et du saint don, tu c\u00e9l\u00e8bres la f\u00eate (c\u2019\u00e9tait\nce jour-l\u00e0 saint Antoine). Tu recevras une gr\u00e2ce nouvelle que tu n\u2019as\npas encore re\u00e7ue.\u00bb\nLa volont\u00e9 de communier m\u2019ayant \u00e9t\u00e9 rendue, je me confessai; mais,\npendant la messe, je me vis si horriblement pleine de p\u00e9ch\u00e9s et de\nd\u00e9fauts, que, r\u00e9duite au silence, je me dis int\u00e9rieurement: La communion\nque je vais faire sera ma condamnation.\nMais tout \u00e0 coup, je me trouvai dans une disposition admirable, et je\nre\u00e7us la puissance d\u2019entrer dans l\u2019int\u00e9rieur de J\u00e9sus-Christ; je me\npla\u00e7ai au fond de lui avec une s\u00e9curit\u00e9 nouvelle, je sentais une\nconfiance inconnue. Je me renfermai en lui comme une morte qui aurait la\ncertitude admirable d\u2019\u00eatre imm\u00e9diatement ressuscit\u00e9e. Je communiai dans\nla confiance et, apr\u00e8s la communion, j\u2019eus un sentiment merveilleux: je\nsentis que la tentation avait \u00e9t\u00e9 un bien pour moi. Cette communion fit\nna\u00eetre dans mon \u00e2me un d\u00e9sir nouveau de me donner toute \u00e0 Celui qui se\ndonnait tout \u00e0 moi, de me livrer \u00e0 J\u00e9sus-Christ. Et depuis ce moment, je\nsuis br\u00fbl\u00e9e d\u2019un feu nouveau; c\u2019est le d\u00e9sir du martyre: ce d\u00e9sir fait\nmes d\u00e9lices, et j\u2019\u00e9prouve dans les tribulations des joies que je n\u2019avais\npas encore connues.\nOui, Dieu console les mis\u00e9rables.\nUn autre jour, j\u2019\u00e9tais dans de telles douleurs que je me voyais\nabandonn\u00e9e; j\u2019entendis la m\u00eame voix, et elle disait:\n\u00abO ma bien-aim\u00e9e, sache qu\u2019en cet \u00e9tat Dieu et toi vous \u00eates plus\nintimes l\u2019un \u00e0 l\u2019autre que jamais.\u00bb\nEt mon \u00e2me cria:\n\u00abS\u2019il en est ainsi, qu\u2019il plaise au Seigneur d\u2019enlever de moi tout p\u00e9ch\u00e9\net de me b\u00e9nir, et de b\u00e9nir ma compagnie, et de b\u00e9nir celui qui \u00e9crit\nquand je parle.\u00bb\nLa voix r\u00e9pondit:\n\u00abTous les p\u00e9ch\u00e9s sont enlev\u00e9s, et je vous b\u00e9nis avec cette main qui fut\n\u00e9tendue sur la croix.\u00bb\nEt je vis une main \u00e9tendue sur nos t\u00eates pour nous b\u00e9nir, et la vue de\ncette main m\u2019inondait de joie, et vraiment cette main \u00e9tait capable\nd\u2019inonder de joie quand elle se montrait.\nEt il nous dit \u00e0 tous les trois:\n\u00abRecevez, gardez, poss\u00e9dez \u00e0 jamais la b\u00e9n\u00e9diction du P\u00e8re et du Fils et\ndu Saint-Esprit.\u00bb\nEt il ajouta en me parlant:\n\u00abDis au fr\u00e8re qui \u00e9crit quand tu parles de travailler \u00e0 se faire petit.\nIl est aim\u00e9 du Dieu tout-puissant. Dis-lui d\u2019aimer le Dieu\ntout-puissant.\u00bb\nCelui qui console les mis\u00e9rables m\u2019a consol\u00e9e bien des fois. Qu\u2019\u00e0 lui\nsoit honneur et gloire dans les si\u00e8cles des si\u00e8cles. _Amen_.\nCINQUANTE ET UNI\u00c8ME CHAPITRE\nLA MENACE\nUn jour j\u2019\u00e9tais en oraison dans ma cellule, et j\u2019entendis ces paroles:\n\u00abCeux qui ont le Seigneur Dieu pour illuminateur voient leur voie\nparticuli\u00e8re dans la lumi\u00e8re int\u00e9rieure et spirituelle. Mais\nquelques-uns d\u2019entre eux ferment les oreilles de peur d\u2019entendre, et les\nyeux de peur de voir. Ne voulant pas \u00e9couter la parole de Celui qui\nparle dans l\u2019\u00e2me, quoiqu\u2019ils sentent de ce c\u00f4t\u00e9-l\u00e0 la saveur divine, ils\nse d\u00e9tournent, malgr\u00e9 la voix intime, et suivent la voie commune.\nCeux-ci seront maudits par le Dieu tout-puissant.\u00bb\nJ\u2019entendis cette parole, non pas une fois mais mille fois. Mais, saisie\nd\u2019une tentation violente, je pris cet enseignement pour une illusion.\n\u00abComment, disais-je, voici une \u00e2me que Dieu \u00e9claire de sa lumi\u00e8re, qu\u2019il\ncomble de ses dons, et parce qu\u2019elle suit une route ordinaire, il la\nmaudit\u00bb. Cette parole me parut trop terrible. Je refusai avec horreur\nd\u2019\u00e9couter seulement la voix qui parlait.\nAlors, par complaisance pour ma faiblesse, un exemple grossier me fut\noffert, et je re\u00e7us plusieurs fois l\u2019ordre absolu de faire \u00e9crire et de\nne pas passer sous silence. Voici cette parabole.\n\u00abUn p\u00e8re voulait faire de son fils un savant. Le p\u00e8re n\u2019\u00e9pargne rien, il\nfait d\u2019\u00e9normes d\u00e9penses. Il fournit magnifiquement au fils de son amour\ntout ce qui est n\u00e9cessaire \u00e0 la grande figure qu\u2019il doit faire dans le\nmonde. Quand certaines \u00e9tudes sont termin\u00e9es sous la direction d\u2019un\npremier ma\u00eetre, le p\u00e8re fait transporter le bien-aim\u00e9 dans une autre\ndemeure, o\u00f9 un autre ma\u00eetre plus \u00e9lev\u00e9 lui donne de plus sublimes\nenseignements. Mais si le disciple ingrat, n\u00e9gligeant la haute science,\ns\u2019en va travailler dans la boutique d\u2019un artisan, et oublie chez un\nmercenaire ce qu\u2019il tenait de la sagesse de son ma\u00eetre et de la\nmagnificence de son p\u00e8re, celui-ci s\u2019ab\u00eemera dans une douleur et dans\nune indignation proportionn\u00e9es \u00e0 la grandeur et \u00e0 la profondeur de son\namour trahi.\u00bb\nLe fils, c\u2019est l\u2019\u00e2me qui, \u00e9clair\u00e9e d\u2019abord par la pr\u00e9dication et par\nl\u2019Ecriture, est admise dans le sanctuaire o\u00f9 retentit la parole de Dieu;\nil voit dans la lumi\u00e8re spirituelle comment il doit suivre la voie du\nChrist. Il est touch\u00e9 int\u00e9rieurement. Dieu, qui l\u2019a d\u2019abord confi\u00e9 aux\nhommes et aux livres, intervient directement et lui montre la lumi\u00e8re\nque lui seul peut montrer. Il donne la haute science, afin que celui qui\naura vu sa route si magnifiquement devienne la lumi\u00e8re des autres\nhommes. Mais si ce bien-aim\u00e9 n\u00e9glige le don de Dieu, s\u2019il s\u2019encro\u00fbte,\ns\u2019il s\u2019\u00e9paissit, s\u2019il repousse cette lumi\u00e8re qui est la sienne, et la\nscience de Dieu et son inspiration, Dieu lui soustrait la lumi\u00e8re et lui\ndonne sa mal\u00e9diction.\nJe re\u00e7us l\u2019ordre d\u2019\u00e9crire ces paroles et de les montrer au fr\u00e8re qui me\nconfessait, parce qu\u2019elles le regardent personnellement.\nUn autre jour Dieu me parla et me dit: \u00abIl y a une classe d\u2019hommes qui\nne connaissent le Seigneur que par les biens qu\u2019ils tiennent de lui.\nCeux-l\u00e0 le connaissent peu. Une autre classe d\u2019hommes, qui poss\u00e8de aussi\ncette connaissance, en poss\u00e8de une autre plus intime. Ceux-ci sentent au\nfond d\u2019eux la bont\u00e9 essentielle du Seigneur.\u00bb\nDans un autre entretien, je re\u00e7us une lumi\u00e8re, et j\u2019entendis une voix\nqui criait, et dans les cris je distinguai ces paroles:\n\u00abOh! qu\u2019ils sont grands! qu\u2019ils sont grands! Je ne parle pas de ceux qui\nlisent les Ecritures que j\u2019ai donn\u00e9es aux hommes. Je parle de ceux qui\nles accomplissent.\u00bb\nEt elle ajouta que toute l\u2019Ecriture est accomplie dans la vie du Christ.\nUn jour, je priais et je disais au Seigneur:\n\u00abJe sais que vous \u00eates mon P\u00e8re, je sais que vous \u00eates mon Dieu;\ndites-moi ce que je dois faire: montrez-moi la route qui est la mienne;\ncar je suis pr\u00eate \u00e0 ob\u00e9ir.\u00bb\nJ\u2019\u00e9tais arr\u00eat\u00e9e dans cette parole depuis le matin jusqu\u2019\u00e0 l\u2019heure de\ntierce...\nEt je vis et j\u2019entendis...\nMais ce que je vis et ce que j\u2019entendis, il m\u2019est absolument impossible\nde l\u2019exprimer. C\u2019\u00e9tait un ab\u00eeme absolument ineffable, et l\u2019ab\u00eeme me\nmontra ce qu\u2019est Dieu, quels hommes vivent en lui, quels hommes ne\nvivent pas en lui, et l\u2019ab\u00eeme me dit:\n\u00abJe te le dis en v\u00e9rit\u00e9, il n\u2019est pas d\u2019autre route droite que celle o\u00f9\nj\u2019ai march\u00e9: dans cette route, qui est la mienne, la d\u00e9ception n\u2019est\npas.\u00bb\nCette parole me fut dite souvent. Elle m\u2019apparut dans sa v\u00e9rit\u00e9 et me\nfut montr\u00e9e dans une lumi\u00e8re immense.\nCINQUANTE-DEUXI\u00c8ME CHAPITRE\nLES SIGNES\nIl est important de savoir \u00e0 quels signes on peut conna\u00eetre la pr\u00e9sence\nde Dieu dans l\u2019\u00e2me, et la reconna\u00eetre avec certitude.\nQuelquefois il arrive sans \u00eatre appel\u00e9, ni pri\u00e9, et apporte avec lui un\nfeu, un amour, une suavit\u00e9 inconnus. Dans ce feu l\u2019\u00e2me cueille la joie,\net croit reconna\u00eetre la pr\u00e9sence et l\u2019op\u00e9ration de Dieu; mais la\ncertitude lui manque encore. L\u2019\u00e2me voit que Dieu est en elle, bien\nqu\u2019elle ne l\u2019y voie pas, quand elle sent sa gr\u00e2ce et la joie de sa\ngr\u00e2ce. Mais rien de tout cela n\u2019est la certitude. L\u2019\u00e2me sent l\u2019arriv\u00e9e\nde Dieu quand elle entend de douces paroles portant avec elles leur\nd\u00e9lectation, quand elle sent la Divinit\u00e9 par un attouchement d\u00e9licieux;\nmais un doute peut rester encore, un l\u00e9ger doute. L\u2019\u00e2me ne sait pas\nencore parfaitement et absolument si Dieu est en elle; car un autre\nesprit peut apporter avec lui ces sentiments. Le doute vient ou des\nd\u00e9fauts de l\u2019\u00e2me, ou de la volont\u00e9 de Dieu, qui lui refuse la certitude.\nL\u2019\u00e2me poss\u00e8de la certitude de Dieu pr\u00e9sent quand il se manifeste par un\nsentiment absolument inconnu, nouveau pour elle, \u00e9tonnant et r\u00e9it\u00e9r\u00e9,\npar un feu qui arrache l\u2019amour que l\u2019homme a pour lui-m\u00eame; l\u2019\u00e2me\nposs\u00e8de la certitude quand elle re\u00e7oit des pens\u00e9es et des paroles et des\nconceptions qui ne viennent d\u2019aucune cr\u00e9ature, quand ces conceptions\nsont illustr\u00e9es de lumi\u00e8re, quand elle a de la peine \u00e0 les cacher, quand\nelle les cache de peur de blesser l\u2019amour, quand elle les cache par\ndiscr\u00e9tion, par humilit\u00e9, et pour ne pas divulguer un secret trop\nimmense.\nIl m\u2019est arriv\u00e9 quelquefois; port\u00e9e par une ardeur qui voulait sauver,\nil m\u2019est arriv\u00e9 de dire quelques secrets; on me r\u00e9pondait: \u00abMa s\u0153ur,\nrevenez \u00e0 la sainte Ecriture\u00bb; ou: \u00abNous ne vous comprenons pas.\u00bb Je\ncomprenais la le\u00e7on, et rentrais dans le silence.\nDans le sentiment dont je parle et qui garantit la pr\u00e9sence du Dieu\ntout-puissant, l\u2019\u00e2me re\u00e7oit le don de vouloir _parfaitement_. Elle est\ntout enti\u00e8re d\u2019accord avec elle-m\u00eame pour vouloir la v\u00e9rit\u00e9 vraiment et\nabsolument, en toutes choses et \u00e0 tous les points de vue, et tous les\nmembres du corps concordent avec elle et ne font plus qu\u2019un avec elle,\ndans la m\u00eame v\u00e9rit\u00e9 voulue, sans r\u00e9sistance et sans restriction. L\u2019\u00e2me\nveut _parfaitement_ les choses de Dieu qu\u2019elle ne voulait pas\nauparavant, dans toute la pl\u00e9nitude de toutes ses puissances r\u00e9unies. Le\ndon de vouloir absolument et parfaitement est conf\u00e9r\u00e9 par une gr\u00e2ce o\u00f9\nl\u2019\u00e2me sent la pr\u00e9sence du Dieu tout-puissant, qui lui dit: \u00abC\u2019est moi,\nne crains pas.\u00bb L\u2019\u00e2me re\u00e7oit le don de vouloir Dieu et les choses de\nDieu d\u2019une volont\u00e9 qui ressemble \u00e0 l\u2019amour absolument vrai dont Dieu\nnous a aim\u00e9s; et l\u2019\u00e2me sent que le Dieu immense s\u2019est immisc\u00e9 en elle et\nlui tient compagnie.\nQuand le Dieu tr\u00e8s haut visite l\u2019\u00e2me raisonnable, l\u2019\u00e2me re\u00e7oit\nquelquefois le don de le voir; elle le per\u00e7oit au fond d\u2019elle, sans\nforme corporelle, mais plus clairement qu\u2019un homme ne voit un homme. Les\nyeux de l\u2019\u00e2me voient une pl\u00e9nitude spirituelle, sans corps, de laquelle\nil est impossible de rien dire, parce que les paroles et l\u2019imagination\nfont d\u00e9faut.\nDans cette vue l\u2019\u00e2me, d\u00e9lect\u00e9e d\u2019une d\u00e9lectation ineffable, est tendue\ntout enti\u00e8re sur un m\u00eame point, et elle est remplie d\u2019une pl\u00e9nitude\ninestimable. Cette vue par laquelle l\u2019\u00e2me voit le Dieu tout-puissant\nsans pouvoir regarder autre chose est si profonde, que je regrette le\nsilence auquel me r\u00e9duit l\u2019ab\u00eeme. La chose ne peut \u00eatre ni touch\u00e9e, ni\nimagin\u00e9e; elle ne peut pas non plus \u00eatre appr\u00e9ci\u00e9e. La pr\u00e9sence de Dieu\na d\u2019autres signes, et je vais en citer deux.\nLe premier est une onction qui renouvelle subitement l\u2019\u00e2me, qui rend le\ncorps docile et doux, l\u2019esprit invuln\u00e9rable \u00e0 la cr\u00e9ature, et\ninaccessible au trouble. L\u2019\u00e2me sent et \u00e9coute les paroles que Dieu lui\ndit. Dans cette immense et ineffable onction, l\u2019\u00e2me re\u00e7oit la certitude\nque vraiment le Seigneur est l\u00e0: car il n\u2019y a ni saint ni ange qui\npuisse faire ce qui est fait en elle. Elles sont tellement ineffables,\nces op\u00e9rations, que j\u2019\u00e9prouve une vraie douleur de ne rien dire qui soit\ndigne d\u2019elles. Que Dieu me pardonne, car ne n\u2019est pas ma faute; je\nmanifesterais de tout mon c\u0153ur quelque chose de sa bont\u00e9, si je pouvais\net s\u2019il voulait.\nQuant \u00e0 l\u2019autre op\u00e9ration qui r\u00e9v\u00e8le \u00e0 l\u2019\u00e2me raisonnable la pr\u00e9sence du\nDieu tout-puissant, la voici: c\u2019est un embrassement. Dieu embrasse l\u2019\u00e2me\nraisonnable comme jamais p\u00e8re ni m\u00e8re n\u2019a embrass\u00e9 un enfant, comme\njamais cr\u00e9ature n\u2019a embrass\u00e9 une cr\u00e9ature. Indicible est l\u2019embrassement\npar lequel J\u00e9sus-Christ serre contre lui l\u2019\u00e2me raisonnable; indicible\nest cette douceur, cette suavit\u00e9. Il n\u2019est pas un homme au monde, qui\npuisse dire ce secret, ni le raconter, ni le croire, et quand quelqu\u2019un\npourrait croire quelque chose du myst\u00e8re, il se tromperait sur le mode.\nJ\u00e9sus apporte dans l\u2019\u00e2me un amour tr\u00e8s suave par lequel elle br\u00fble tout\nenti\u00e8re en lui; il apporte une lumi\u00e8re tellement immense, que l\u2019homme,\nquoiqu\u2019il \u00e9prouve en lui la pl\u00e9nitude immense de la bont\u00e9 du Dieu\ntout-puissant, en con\u00e7oit encore infiniment plus qu\u2019il n\u2019en \u00e9prouve.\nAlors l\u2019\u00e2me a la preuve et la certitude que J\u00e9sus-Christ habite en elle.\nMais qu\u2019est-ce que tout ce que je dis aupr\u00e8s de la r\u00e9alit\u00e9? L\u2019\u00e2me n\u2019a\nplus ni larmes de joie, ni larmes de douleur, ni larmes d\u2019aucune esp\u00e8ce\nla r\u00e9gion o\u00f9 l\u2019on pleure de joie est une r\u00e9gion bien inf\u00e9rieure \u00e0\ncelle-ci. Au-dessus de toute pl\u00e9nitude et de toute joie, Dieu apporte en\nlui la chose qui n\u2019a pas de nom, qui serait le paradis, et qui d\u00e9fie le\nd\u00e9sir de demander au-del\u00e0 d\u2019elle. Cette joie rejaillit sur le corps, et\ntoute injure qu\u2019on vous dit ou qu\u2019on vous fait est non avenue ou chang\u00e9e\nen douceur.\nLes contre coups que je re\u00e7ois dans le corps trahissent mes secrets; ils\nles livrent \u00e0 ma compagne ou \u00e0 d\u2019autres personnes. \u00abQuelquefois, dit ma\ncompagne, je deviens \u00e9clatante et resplendissante; mes yeux brillent\ncomme des flambeaux, ou bien je suis p\u00e2le comme une morte, suivant la\nnature des visions. Cette joie dure, sans s\u2019\u00e9puiser, bien des jours.\nJ\u2019en ai d\u2019autres qui dureront \u00e9ternellement: l\u2019\u00e9ternit\u00e9 ne les changera\npas; elle leur donnera pl\u00e9nitude et perfection. Mais je les ai d\u00e9j\u00e0, je\nles ai sur la terre. S\u2019il survient quelque tristesse, le souvenir de ces\njoies me d\u00e9fend contre le trouble.\u00bb Enfin tant de signes peuvent donner\n\u00e0 l\u2019\u00e2me la certitude de Dieu poss\u00e9d\u00e9, que je ne puis ni les dire, ni les\n\u00e9num\u00e9rer tous.\nCINQUANTE-TROISI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019HOSPITALIT\u00c9\nNous venons de dire comment l\u2019\u00e2me reconna\u00eet en elle la pr\u00e9sence de Dieu.\nMais nous n\u2019avons rien dit de l\u2019accueil qu\u2019elle lui fait, et tout ce qui\npr\u00e9c\u00e8de est peu de chose aupr\u00e8s de l\u2019instant o\u00f9 l\u2019\u00e2me reconna\u00eet Dieu\npour son h\u00f4te.\nQuand l\u2019\u00e2me a donn\u00e9 l\u2019hospitalit\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9tranger qui vient en elle, elle\nentre dans une si profonde connaissance de l\u2019infinie bont\u00e9 du Seigneur,\nque, souvent recueillie au fond de moi, j\u2019ai connu avec certitude que\nplus on a le sentiment de Dieu, moins on peut parler de lui. Plus on a\nle sentiment de l\u2019infini et de l\u2019indicible, plus on manque de paroles;\ncar aupr\u00e8s de ce qu\u2019on veut rendre, les mots font piti\u00e9.\nSi un pr\u00e9dicateur \u00e9tait introduit l\u00e0, s\u2019il sentait ce que j\u2019ai\nquelquefois senti, ses l\u00e8vres se fermeraient; il n\u2019oserait plus parler,\nil se tairait, il deviendrait muet. Dieu est trop au-dessus de\nl\u2019intelligence et de toute chose; il est trop au-dessus du domaine des\nparoles, des pens\u00e9es et des calculs, pour que la bouche essaie\nd\u2019expliquer parfaitement les myst\u00e8res de sa bont\u00e9. Ce n\u2019est pas que\nl\u2019\u00e2me ait quitt\u00e9 le corps, ou que le corps soit priv\u00e9 de ses sens, mais\nc\u2019est que l\u2019\u00e2me per\u00e7oit sans leur secours. L\u2019homme, \u00e0 force de voir\nl\u2019ineffable, arrive \u00e0 la stupeur, et si un pr\u00e9dicateur, au moment de\nparler, entrait dans cet \u00e9tat, il dirait au peuple \u00abAllez-vous-en, car\nje suis incapable de parler de Dieu je suis insuffisant.\u00bb Quant \u00e0 moi,\nje sens et j\u2019affirme que toutes les paroles sorties de la bouche des\nhommes depuis le commencement des si\u00e8cles, et que les paroles de\nl\u2019Ecriture sainte n\u2019ont pas touch\u00e9 la moelle de la bont\u00e9 divine, et ne\nsont pas, devant cette bont\u00e9, ce qu\u2019est un grain de millet devant la\ngrosseur de l\u2019univers. Quand l\u2019\u00e2me re\u00e7oit la s\u00e9curit\u00e9 de Dieu et est\nr\u00e9cr\u00e9\u00e9e par sa pr\u00e9sence, le corps, rassasi\u00e9 aussi, est rev\u00eatu d\u2019une\ncertaine noblesse, et partage, quoique \u00e0 moindre degr\u00e9, la joie de\nl\u2019\u00e2me. La raison et l\u2019\u00e2me, parlant au corps restaur\u00e9 et aux sens, leur\ndisent:\n\u00abVoyez quels sont les biens que Dieu vous fait par moi. Infiniment plus\ngrands sont ceux qui sont promis et seront donn\u00e9s si vous m\u2019ob\u00e9issez; et\nmaintenant comprenez quelle perte nous avons faite, vous et moi, quand\nvous m\u2019avez d\u00e9sob\u00e9i. Ob\u00e9is-moi donc d\u00e9sormais quand je te parlerai des\nchoses de Dieu.\u00bb\nAlors le corps et les sens, sentant qu\u2019ils partagent la d\u00e9lectation\ndivine de l\u2019\u00e2me, se soumettent et lui disent:\n\u00abMes plaisirs venaient d\u2019en bas parce que je suis le corps; mais toi qui\nposs\u00e8des ces immenses capacit\u00e9s de joie et de gloire, tu ne devais pas\nte faire mon esclave: tu ne devais pas te priver et me priver des biens\nimmenses que j\u2019ignorais.\u00bb Le corps se plaint de l\u2019\u00e2me, et la sensualit\u00e9\nde la raison; mais cette longue plainte ne manque pas de douceur. Car le\ncorps sent le plaisir et la d\u00e9lectation de l\u2019\u00e2me bien sup\u00e9rieurs \u00e0 tout\nce qu\u2019il aurait pu soup\u00e7onner, et la joie le conduit \u00e0 l\u2019ob\u00e9issance.\nCINQUANTE-QUATRI\u00c8ME CHAPITRE\nLES ILLUSIONS\nMais ceux qui m\u00e8nent une vie spirituelle peuvent quelquefois tomber dans\nl\u2019illusion. Une des causes d\u2019erreur, et la plus grande, c\u2019est un amour\nimpurs m\u00eal\u00e9 d\u2019amour-propre et de volont\u00e9 propre; cet amour a, dans une\ncertaine mesure, l\u2019esprit du monde.\nAussi le monde l\u2019approuve et l\u2019encourage. Cette approbation est un\npi\u00e8ge, cet encouragement est un mensonge. Dans cet \u00e9tat, l\u2019homme, que le\nmonde voit et approuve, semble br\u00fbler d\u2019amour; il a certaines larmes,\ncertaines douceurs, certains tremblements et certains cris qui portent\nles caract\u00e8res de l\u2019impuret\u00e9 spirituelle. Mais ces larmes et ces\ndouceurs, au lieu de venir du fond de l\u2019\u00e2me, sont des ph\u00e9nom\u00e8nes qui se\npassent dans le corps; cet amour ne p\u00e9n\u00e8tre pas dans le c\u0153ur; cette\ndouceur s\u2019\u00e9vanouit rapidement, s\u2019oublie facilement, et produit\nl\u2019amertume. J\u2019ai fait ces exp\u00e9riences; je manquais alors de\ndiscernement. Je n\u2019\u00e9tais pas parvenue \u00e0 la possession certaine de la\nv\u00e9rit\u00e9.\nQuand l\u2019amour est parfait, l\u2019\u00e2me, apr\u00e8s avoir senti Dieu, sent sa part\npropre, qui est le n\u00e9ant et la mort: elle se pr\u00e9sente avec sa mort, avec\nsa pourriture; elle s\u2019humilie, elle adore, elle oublie toute louange ou\ntout bien qui revienne \u00e0 elle-m\u00eame; elle a une telle conscience de ses\nvides et de ses maux qu\u2019elle sent sa d\u00e9livrance enti\u00e8re au-dessus de la\npuissance des saints, et r\u00e9serv\u00e9e \u00e0 Dieu seul. Elle appelle cependant\nles saints \u00e0 son secours; car du fond de son ab\u00eeme elle n\u2019ose parler \u00e0\nDieu: elle invoque la Vierge et les saints. Si dans cet \u00e9tat on vous\nadresse une louange, la chose vous fait l\u2019effet d\u2019une mauvaise\nplaisanterie. Cet amour droit et sans m\u00e9lange \u00e9claire l\u2019\u00e2me sur ses\nd\u00e9fauts en m\u00eame temps que sur la bont\u00e9 de Dieu. Les larmes et les\ndouceurs qui se produisent alors, au lieu d\u2019engendrer l\u2019amertume,\nengendrent la joie et la s\u00e9curit\u00e9. Cet amour introduit J\u00e9sus-Christ dans\nl\u2019\u00e2me, et l\u2019absence de toute illusion devient pour elle alors un fait\nd\u2019exp\u00e9rience.\nVoici une autre illusion o\u00f9 Dieu permet quelquefois que tombent les \u00e2mes\nint\u00e9rieures.\nQuand une personne d\u00e9vou\u00e9e \u00e0 l\u2019Esprit sent l\u2019amour de Dieu pour elle,\n\u00e9prouve, fait et raconte les \u0153uvres de l\u2019Esprit, si elle passe la mesure\nde la prudence, si cette \u00e2me perd la crainte, Dieu permet qu\u2019elle tombe\ndans quelque illusion, afin de conna\u00eetre qui elle est, et qui il est.\nVoici encore une cause d\u2019erreur.\nUne \u00e2me est dans la voie de l\u2019amour sans m\u00e9lange; elle sent Dieu; ses\nmains sont pures, son c\u0153ur est pur; elle renonce \u00e0 l\u2019estime du si\u00e8cle\nelle renonce \u00e0 passer pour sainte; elle veut plaire tout enti\u00e8re au\nChrist seul; elle se place tout enti\u00e8re dans le Christ, elle habite en\nlui elle \u00e9prouve la joie in\u00e9narrable, elle sent l\u2019embrassement de Dieu.\nOh! qu\u2019elle rende alors \u00e0 elle-m\u00eame ce qui est \u00e0 elle-m\u00eame, et \u00e0 Dieu ce\nqui est \u00e0 Dieu Autrement Dieu permet qu\u2019elle se trompe, il le permet\npour la garder, il le permet pour qu\u2019elle ne lui \u00e9chappe pas; car il\nl\u2019aime d\u2019un amour jaloux; il la plonge dans un ab\u00eeme o\u00f9 elle trouve deux\nsciences, la science d\u2019elle-m\u00eame et la science de Dieu; c\u2019est ici qu\u2019il\nn\u2019y a plus de place pour l\u2019erreur; l\u2019\u00e2me voit la v\u00e9rit\u00e9 pure. Dans cette\ncontemplation, elle \u00e9prouve une pl\u00e9nitude telle, qu\u2019elle ne se voit pas\ncapable d\u2019un plus immense ravissement. Absorb\u00e9e d\u2019abord dans la vue\nd\u2019elle-m\u00eame, elle se ferme \u00e0 toute autre pens\u00e9e, \u00e0 tout autre souvenir.\nTout \u00e0 coup la bont\u00e9 divine lui appara\u00eet. Puis elle voit simultan\u00e9ment\nles deux ab\u00eemes, et le mode de sa vision est un secret entre elle et\nDieu.\nMais ce n\u2019est pas tout. Dieu, qui est jaloux, lui permet encore les\ntribulations.\nCINQUANTE-CINQUI\u00c8ME CHAPITRE\nLA PAUVRET\u00c9 D\u2019ESPRIT\nIl y a une sauvegarde qui enl\u00e8ve toute place \u00e0 l\u2019illusion. Cette\nsauvegarde, c\u2019est la pauvret\u00e9 d\u2019esprit. Un jour, j\u2019entendis une parole\ndivine qui me recommanda la pauvret\u00e9 d\u2019esprit comme une lumi\u00e8re, et\ncomme un bonheur qui passe toutes les conceptions de l\u2019entendement\nhumain.\nVoici ce que dit le Seigneur:\n\u00abMoi, si la pauvret\u00e9 n\u2019e\u00fbt pas \u00e9t\u00e9 si heureuse, je ne l\u2019aurais pas\naim\u00e9e; et si elle e\u00fbt \u00e9t\u00e9 moins glorieuse, je ne l\u2019aurais pas prise. Car\nl\u2019orgueil ne peut trouver place qu\u2019en ceux qui poss\u00e8dent ou croient\nposs\u00e9der. L\u2019homme et l\u2019ange tomb\u00e8rent, et tomb\u00e8rent par orgueil car ils\ncrurent poss\u00e9der. Ni l\u2019homme ni l\u2019ange ne poss\u00e8dent rien. Tout\nappartient \u00e0 Dieu. L\u2019humilit\u00e9 n\u2019habite qu\u2019en ceux qui se voient\ndestitu\u00e9s de tout. La pauvret\u00e9 d\u2019esprit est le bien supr\u00eame.\u00bb\nDieu a donn\u00e9 \u00e0 son Fils, qu\u2019il aimait une pauvret\u00e9 telle, qu\u2019il n\u2019a\njamais eu et n\u2019aura jamais un pauvre \u00e9gal \u00e0 lui. Et, cependant, il a\npour propri\u00e9t\u00e9 l\u2019_Etre_. Il poss\u00e8de la substance, et elle est tellement\n\u00e0 lui, que cette appartenance est au-dessus de la parole humaine. Et\ncependant Dieu l\u2019a fait pauvre, comme si la substance n\u2019e\u00fbt pas \u00e9t\u00e9 \u00e0\nlui.\nCeci est folie aux yeux des p\u00e9cheurs et des aveugles. Les sages nomment\nla m\u00eame chose d\u2019un autre nom. Cette v\u00e9rit\u00e9 est si profonde, la pauvret\u00e9\nest si r\u00e9ellement la racine et la m\u00e8re de toute humilit\u00e9 et de tout\nbonheur, que l\u2019ab\u00eeme o\u00f9 je vois cela ne peut se d\u00e9crire. Le pauvre ne\npeut ni tomber ni p\u00e9rir par illusion. L\u2019homme qui verrait le bien de la\npauvret\u00e9, l\u2019amour de Dieu tomberait sur lui; si vous consid\u00e9riez\nl\u2019immense valeur de ce tr\u00e9sor, et comment il attira le c\u0153ur de Dieu,\nvous ne pourriez plus rien garder de p\u00e9rissable ni rien avoir en propre,\nrien.\nTel est l\u2019enseignement de la divine Sagesse qui montre \u00e0 l\u2019homme ses\nvides, sa pauvret\u00e9, qui le pr\u00e9sente \u00e0 lui-m\u00eame dans un miroir sans\nmensonge, destitu\u00e9 de tout m\u00e9rite et de tout bien; puis qui lui donne le\ndon de la lumi\u00e8re, et avec la lumi\u00e8re, l\u2019amour de la pauvret\u00e9. Puis\nl\u2019\u00e2me voit la divine bont\u00e9, et ne trouvant rien \u00e0 aimer en elle-m\u00eame,\nelle se tourne tout enti\u00e8re \u00e0 aimer le Dieu tout-puissant; elle fait\ncomme elle aime, ayant perdu toute confiance en elle, et pris toute\nconfiance en Dieu, et dans cette confiance elle trouve l\u2019illumination,\npar laquelle est chass\u00e9 le doute. Qui poss\u00e9derait cette v\u00e9rit\u00e9 serait\ninaccessible \u00e0 toute illusion diabolique ou humaine; car l\u2019esprit de\npauvret\u00e9 \u00e9claire l\u2019\u00e2me d\u2019une lumi\u00e8re immense, et \u00e0 cette lumi\u00e8re toute\nla vie lui appara\u00eet, avec tout son m\u00e9canisme, et l\u2019illusion est\nimpossible.\nJ\u2019ai vu cette lumi\u00e8re, j\u2019ai vu que la pauvret\u00e9, m\u00e8re des vertus, sort la\npremi\u00e8re des l\u00e8vres de la divine Sagesse. La divine Sagesse nous a dit\npar l\u2019incarnation du Verbe: \u00abVous \u00eates mortels\u00bb; par la pauvret\u00e9\nd\u2019esprit elle nous dit: \u00abVous \u00eates bienheureux.\u00bb\nC\u2019est pourquoi toute sagesse humaine qui n\u2019entre pas dans cette v\u00e9rit\u00e9\nest un n\u00e9ant qui conduit en enfer. Et tous les sages du monde, s\u2019ils\nn\u2019entrent pas dans cette v\u00e9rit\u00e9, sont des n\u00e9ants qui vont en enfer. Et\nquand l\u2019\u00e2me voit cette v\u00e9rit\u00e9, elle agit sans vaine gloire, et sans\nretour sur elle-m\u00eame.\nCINQUANTE-SIXI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019EXTASE\nTout ce que l\u2019\u00e2me con\u00e7oit ou saisit lorsqu\u2019elle est renferm\u00e9e dans ses\n\u00e9troites limites, n\u2019est rien aupr\u00e8s du ravissement. Mais quand elle est\n\u00e9lev\u00e9e au-dessus d\u2019elle-m\u00eame, illustr\u00e9e par la pr\u00e9sence de Dieu, quand\nDieu et elle sont entr\u00e9s dans le sein l\u2019un de l\u2019autre, elle con\u00e7oit,\nelle jouit, elle se repose dans les divins bonheurs qu\u2019elle ne peut\nraconter. Ils \u00e9crasent toute parole et toute conception. C\u2019est l\u00e0 que\nl\u2019\u00e2me nage dans la joie, dans la science; illustr\u00e9e \u00e0 la source de la\nlumi\u00e8re, elle p\u00e9n\u00e8tre les paroles obscures et embarrassantes de\nJ\u00e9sus-Christ. Elle comprend aussi pourquoi, et de quelle mani\u00e8re la\ndouleur sans adoucissement habita l\u2019\u00e2me du Christ.\nMon \u00e2me, ainsi illustr\u00e9e, et transform\u00e9e en J\u00e9sus-Christ souffrant,\nchercha s\u2019il y avait l\u00e0 quelque adoucissement, et trouva qu\u2019il n\u2019y en a\npoint. Quand mon \u00e2me se recueille dans les douleurs de l\u2019\u00e2me du Christ,\nelle ne trouve l\u00e0 aucune place pour la joie: il n\u2019en est pas ainsi quand\nelle se recueille dans les douleurs de son corps: dans ce dernier cas,\nelle trouve la joie apr\u00e8s la tristesse, et \u00e0 la hauteur o\u00f9 elle est\nport\u00e9e, elle d\u00e9couvre le myst\u00e8re de ces contrastes. Mon \u00e2me voit, \u00e0\ncette lumi\u00e8re, que J\u00e9sus-Christ souffrit autant, \u00e0 l\u2019exp\u00e9rience pr\u00e8s,\ndans le sein de sa m\u00e8re que sur la croix. Mon \u00e2me plonge alors dans les\njugements de Dieu et dans les secrets de l\u2019ineffable, vers lesquels Dieu\nla transporte. Souvent Dieu fait de tels prodiges dans mon \u00e2me que je le\nreconnais dans mes merveilles int\u00e9rieures; car aucune cr\u00e9ature n\u2019en est\ncapable, et Lui seul peut les op\u00e9rer.\nSouvent mon \u00e2me est \u00e9lev\u00e9e en Dieu \u00e0 de si foudroyantes joies que leur\ndur\u00e9e serait intol\u00e9rable au corps qui laisserait l\u00e0 sur place ses sens\net ses membres. Il y a un jeu que Dieu joue quelquefois dans l\u2019\u00e2me et\navec l\u2019\u00e2me, c\u2019est de se retirer, quand elle veut le retenir; mais la\njoie et la s\u00e9curit\u00e9 qu\u2019il laisse en se retirant disent \u00e0 l\u2019\u00e2me: \u00abC\u2019\u00e9tait\nbien Lui!\u00bb Oh! Quelle vue et quel sentiment! Ne me demandez ni\nexplication, ni analogie; il n\u2019y en a pas. Cette illustration, cette\njouissance, cette d\u00e9lectation, cette joie sont chaque jour diff\u00e9rentes\nd\u2019elles-m\u00eames.\nChaque extase est une extase nouvelle, et toutes les extases sont une\nseule chose in\u00e9narrable. Les r\u00e9v\u00e9lations et les visions se succ\u00e8dent\nsans se ressembler. D\u00e9lectation, plaisir, joie, tout se succ\u00e8de sans se\nressembler. Oh! ne me faites plus parler. Je ne parle pas, je blasph\u00e8me;\net si j\u2019ouvre la bouche, au lieu de manifester Dieu, je vais le trahir.\nCINQUANTE-SEPTI\u00c8ME CHAPITRE\nCONNAISSANCE DE DIEU ET DE SOI\nJe suis une aveugle, je vais dans les t\u00e9n\u00e8bres. La v\u00e9rit\u00e9 n\u2019est pas en\nmoi. Suspectez, \u00f4 mes enfants, les paroles de cette p\u00e9cheresse, et ne\nles suivez que quand elles ressemblent aux vestiges de J\u00e9sus-Christ et\nplacent vos pieds dans l\u2019endroit o\u00f9 il a mis les pieds.\nMes enfants, je ne suis plus dispos\u00e9e \u00e0 \u00e9crire, mais \u00e0 pleurer. Quand\npleurerai-je enfin mes p\u00e9ch\u00e9s et leur terrible r\u00e9demption? Quand\npleurerai-je la Passion du Fils de Dieu, du Juste, la Passion de\nl\u2019Immacul\u00e9? Mais vous m\u2019\u00e9crivez! Je suis oblig\u00e9e d\u2019\u00e9crire pour vous\nr\u00e9pondre. Ce que je vous dis, c\u2019est la plus r\u00e9cente impression de mon\nc\u0153ur. Sachez que rien ne vous est n\u00e9cessaire, rien, except\u00e9 Dieu.\nTrouver Dieu, recueillir en Lui vos puissances, voil\u00e0 l\u2019unique\nn\u00e9cessaire. Pour ce recueillement il faut couper toute habitude\nsuperflue, toute familiarit\u00e9 superflue avec les cr\u00e9atures, quelles\nqu\u2019elles soient, toute connaissance superflue, toute curiosit\u00e9\nsuperflue, toute op\u00e9ration et occupation superflues. En un mot, il faut\nque l\u2019homme se s\u00e9pare de tout ce qui divise. Il faut qu\u2019essayant de\np\u00e9n\u00e9trer dans l\u2019ab\u00eeme de ses mis\u00e8res, il se recueille dans son pass\u00e9,\ndans son pr\u00e9sent, dans les probabilit\u00e9s de son avenir \u00e9ternel. Que ceci\nsoit fait tous les jours, ou du moins toutes les nuits. Puisque l\u2019homme\ntourne et retourne son c\u0153ur, qu\u2019il t\u00e2che de p\u00e9n\u00e9trer dans la\nconnaissance du Dieu des mis\u00e9ricordes, dans la dispensation de sa piti\u00e9\nsupr\u00eame, r\u00e9alis\u00e9e par J\u00e9sus-Christ vis-\u00e0-vis de toutes nos mis\u00e8res;\nqu\u2019il veille sur sa m\u00e9moire, pour qu\u2019elle garde le souvenir du bienfait\ninfini. Se conna\u00eetre! conna\u00eetre Dieu! voil\u00e0 la perfection de l\u2019homme, et\nje n\u2019ai aucun go\u00fbt \u00e0 rien dire ou \u00e9crire en dehors de ces deux paroles:\nSe conna\u00eetre! conna\u00eetre Dieu! Contempler sa prison, sa prison sans\nissue, et si l\u2019homme ne trouve pas le bonheur dans cette prison, qu\u2019il\ns\u2019adresse \u00e0 un autre et ne se repose pas sur son grabat!\nO mes chers enfants, visions, r\u00e9v\u00e9lations, contemplations, tout n\u2019est\nrien sans la vraie connaissance de Dieu et de soi: je vous le dis en\nv\u00e9rit\u00e9, sans elle, rien ne vaut. Aussi je me demande pourquoi vous\nd\u00e9sirez mes lettres, puisque mes lettres ne peuvent rien pour votre\njoie, except\u00e9 si elles vous portent la vertu de mon cri: se conna\u00eetre!\nconna\u00eetre Dieu! Quel ennui de parler pour dire autre chose! Silence!\nsilence sur tout ce qui n\u2019est pas cela! Oh! priez Dieu qu\u2019il donne cette\nlumi\u00e8re \u00e0 tous mes enfants, et qu\u2019il fixe votre demeure en elle! Que la\nconnaissance de Dieu vous soit n\u00e9cessaire, ceci est \u00e9vident; mais comme\nnotre fin est le royaume des cieux, auquel nous ne pouvons ni ne devons\nparvenir, qu\u2019inform\u00e9s sur le type de l\u2019Homme-Dieu, il est n\u00e9cessaire de\nle conna\u00eetre, Lui, sa vie, ses \u0153uvres, et sa route vers la gloire, pour\nposs\u00e9der son royaume par ses m\u00e9rites, transform\u00e9s en lui-m\u00eame par la\ngr\u00e2ce de sa ressemblance.\nIl est absolument n\u00e9cessaire de conna\u00eetre l\u2019Homme-Dieu, sa croix, sa\nPassion, et la forme de vie qu\u2019il nous a donn\u00e9e. C\u2019est l\u00e0 que son\ninfinie charit\u00e9 et son amour inestimable ont \u00e9clat\u00e9 plus visiblement que\ndans toute autre gr\u00e2ce divine. C\u2019est pourquoi il est absolument\nn\u00e9cessaire, sous peine d\u2019ingratitude, de l\u2019aimer comme il nous a aim\u00e9s,\nd\u2019embrasser le prochain dans cet amour, de pleurer sur la croix, sur la\nPassion du Bien-Aim\u00e9, et d\u2019\u00eatre transform\u00e9s en la substance de son\namour. La connaissance de notre r\u00e9demption, et des choses immenses que\nDieu a faites pour nous, nous provoque, nous incite et nous appelle \u00e0\nconsid\u00e9rer notre noblesse immense, puisque Dieu nous a aim\u00e9s jusqu\u2019\u00e0\nmourir. Si cette cr\u00e9ature que je suis e\u00fbt \u00e9t\u00e9 moins noble, si ma valeur\ne\u00fbt \u00e9t\u00e9 moins immense, Dieu n\u2019e\u00fbt pas fait, en vue de moi, connaissance\navec la mort. Cette connaissance du Dieu crucifi\u00e9 d\u00e9couvre \u00e0 notre \u00e2me\nla n\u00e9cessit\u00e9 du salut. Puisque le Dieu tr\u00e8s haut, infiniment distant de\nla cr\u00e9ature, infiniment satisfait dans sa pl\u00e9nitude, inaccessible, s\u2019est\ninclin\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 notre salut, ne n\u00e9gligeons pas cette \u0153uvre, qu\u2019il n\u2019a\npas n\u00e9glig\u00e9e, et soyons, par la p\u00e9nitence, les coadjuteurs de ses\n\u00e9ternels d\u00e9crets. La connaissance du Dieu crucifi\u00e9 entra\u00eene un nombre\ninfini d\u2019autres bienfaits. Le sang qui sauve allume le feu.\nVoici encore une des n\u00e9cessit\u00e9s qui nous obligent \u00e0 descendre dans\nl\u2019ab\u00eeme o\u00f9 l\u2019on conna\u00eet le Dieu crucifi\u00e9. _L\u2019homme_, mes enfants, _aime\ncomme il voit_. Plus nous voyons de cet Homme-Dieu crucifi\u00e9, plus\ngrandit notre amour vers la perfection, plus nous sommes transform\u00e9s en\nCelui que nous voyons. Dans la mesure o\u00f9 nous sommes transform\u00e9s en son\namour, nous sommes transform\u00e9s en sa douleur; car notre \u00e2me voit cette\ndouleur. Plus l\u2019homme voit, plus il aime; plus il voit de la Passion,\nplus il est transform\u00e9, par la vertu de la compassion, en la substance\nm\u00eame de la douleur du Bien-Aim\u00e9. Plus l\u2019homme voit de la Passion, plus\nil aime, plus il est transform\u00e9 en Celui qu\u2019il aime, par la vertu de la\ndouleur. Comme il est transform\u00e9 en amour, il est transform\u00e9 en douleur\npar la vision de Dieu et de soi-m\u00eame.\nO perfection de la connaissance!\nO Dieu! quand l\u2019\u00e2me plonge dans l\u2019ab\u00eeme sans fond de l\u2019altitude divine\nque je blasph\u00e8me si je la nomme, quand l\u2019\u00e2me plonge dans l\u2019ab\u00eeme de son\nindignit\u00e9, de sa vilet\u00e9, de son p\u00e9ch\u00e9, quand l\u2019\u00e2me voit le Dieu tr\u00e8s\nhaut devenu l\u2019ami, le fr\u00e8re, la victime du p\u00e9cheur, verser pour ce\nmis\u00e9rable, dans une mort inf\u00e2me, le sang pr\u00e9cieux, plus elle plonge\nprofond\u00e9ment ses regards dans le double ab\u00eeme, plus profond\u00e9ment se\nr\u00e9alise dans l\u2019intime de ses entrailles le myst\u00e8re de l\u2019amour, la sacr\u00e9e\ntransformation.\nQuand l\u2019\u00e2me voit la cr\u00e9ature \u00e0 ce point remplie de d\u00e9fauts que sa\nlumi\u00e8re m\u00eame est un aveuglement; car elle en est tellement encombr\u00e9e\nqu\u2019aupr\u00e8s de la r\u00e9alit\u00e9 tout ce qu\u2019elle en voit n\u2019est rien; quand l\u2019\u00e2me\nse voit, \u00e0 la lumi\u00e8re que Dieu lui montre, quand elle se voit cause de\nla douleur inou\u00efe que J\u00e9sus-Christ a soufferte pour elle; quand elle\naper\u00e7oit cette immensit\u00e9 plus qu\u2019excellente, s\u2019inclinant vers cette vile\ncr\u00e9ature, naissant et mourant pour elle dans l\u2019ineffable crucifiement;\nquand l\u2019\u00e2me entre dans cette connaissance, elle se transforme en\ndouleur, et plus profonde est la connaissance, plus profonde est la\ndouleur. Si pendant sa vie un homme cherche \u00e0 en satisfaire un autre, au\nmoment de la mort il redouble de sollicitude.\nMais le Roi des rois, bien qu\u2019une douleur immense et continue l\u2019e\u00fbt\nd\u2019avance \u00e9tendu sur la croix depuis sa conception, au lieu d\u2019un lit de\npourpre et d\u2019un tapis dor\u00e9, quand vint l\u2019heure de sa mort il se trouva\nen face de cette croix si vile, si abominable qu\u2019il ne put \u00eatre soutenu\net attach\u00e9 \u00e0 elle que par le moyen des clous qui le per\u00e7aient; il fallut\nles clous des pieds et les clous des mains pour le retenir, autrement il\ntombait. Au lieu de serviteurs empress\u00e9s, il eut les satellites du\ndiable, s\u2019ing\u00e9niant \u00e0 rendre le supplice plus cruel, et aidant la\ntorture \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer plus profond\u00e9ment dans l\u2019intime des entrailles; et\nils lui refus\u00e8rent la goutte d\u2019eau qu\u2019il demandait, et qu\u2019il demandait\nen criant.\nOh! mon Dieu, quand l\u2019\u00e2me voit ces choses, quand elle s\u2019ab\u00eeme dans la\ncontemplation de sa mis\u00e8re, quand elle se conna\u00eet telle qu\u2019elle est,\nelle qui s\u2019est pr\u00e9cipit\u00e9e dans la mis\u00e8re infinie, qui a m\u00e9rit\u00e9 des\nsupplices \u00e9ternels, qui est devenue la ris\u00e9e de Dieu, des anges, des\nd\u00e9mons et de toute cr\u00e9ature; quand elle voit le Dieu tr\u00e8s haut, le\nSeigneur J\u00e9sus-Christ, Celui qui poss\u00e8de tout, ayant envahi la pauvret\u00e9,\npour relever l\u2019homme de cet opprobre! Lui qui trouve dans son essence\ntoutes d\u00e9lices et toute b\u00e9atitude, quand elle le voit plong\u00e9 dans la\ndouleur, pour nous arracher \u00e0 l\u2019\u00e9ternel tourment, satisfaire et porter\npour nous! Lui Dieu, au-dessus de la louange, \u00e0 qui seul appartient la\ngloire, dans l\u2019ob\u00e9issance, dans l\u2019humiliation, dans tous les m\u00e9pris,\ndans tous les opprobres; quand il appara\u00eet rev\u00eatu de honte, pour nous\ncommuniquer la gloire; quand l\u2019\u00e2me entre dans cette vue, elle est\ntransform\u00e9e en douleur, et sa transformation n\u2019a pour mesure que la\nprofondeur de sa contemplation.\nOui, oui, encore et toujours, plus profond\u00e9ment l\u2019\u00e2me conna\u00eet cette\naltitude divine, cette bont\u00e9 infinie, prouv\u00e9e par des faits, et ce vide\nhumain, cette ingratitude, cette vilet\u00e9 de la cr\u00e9ature, plus\nprofond\u00e9ment elle est bless\u00e9e d\u2019amour et de douleur, plus absolument\nelle est transform\u00e9e en Lui. Voil\u00e0 toute la perfection: se conna\u00eetre!\nconna\u00eetre Dieu! N\u00e9cessit\u00e9 supr\u00eame qui domine toute n\u00e9cessit\u00e9! Etre\n\u00e9ternellement pench\u00e9e sur le double ab\u00eeme, voil\u00e0 mon secret! O mon fils,\nje t\u2019en supplie de tout mon c\u0153ur, ne l\u00e8ve pas les yeux; tiens-les fix\u00e9s\nsur la Passion, parce que cette vue, si tu lui es fid\u00e8le, allume dans\nl\u2019\u00e2me lumi\u00e8re et feu!\nSi tes yeux s\u2019\u00e9garent essaie de les tenir et de les fixer l\u00e0. Je t\u2019en\nprie, je t\u2019en supplie! Quand ton \u00e2me n\u2019est pas lev\u00e9e \u00e0 la contemplation\nde l\u2019Homme-Dieu crucifi\u00e9, recommence, et rumine int\u00e9rieurement les voies\nde la croix. Si ceci est encore trop fort pour toi, prononce au moins\ndes l\u00e8vres les paroles qui repr\u00e9sentent la Passion; parce que l\u2019habitude\ndes l\u00e8vres finira par devenir une habitude du c\u0153ur: il prendra feu \u00e0 son\ntour. Sa vue, mon fils, sa vue! Si l\u2019homme voyait la Passion de\nl\u2019Homme-Dieu par une parfaite contemplation, s\u2019il embrassait d\u2019un regard\nprofond sa pauvret\u00e9, ses opprobres, ses douleurs, l\u2019an\u00e9antissement qu\u2019il\na subi pour nous; si, par la vertu de la gr\u00e2ce, il voyait ces choses\ntelles qu\u2019elles sont, il suivrait J\u00e9sus-Christ par la pauvret\u00e9, par une\ncontinuelle compassion, par la route du m\u00e9pris: il se compterait pour\nrien, j\u2019en suis certaine. Quant \u00e0 la gr\u00e2ce divine, tout le monde peut\nl\u2019avoir et la trouver; et l\u2019homme est sans excuse; car Dieu, dans sa\nmunificence, la donne g\u00e9n\u00e9reusement \u00e0 qui la veut et la cherche.\nJe d\u00e9sire, mon fils, que ton c\u0153ur soit vide de tout ce qui n\u2019est pas le\nDieu \u00e9ternel, sa connaissance et son amour, et que ton esprit n\u2019essaie\npas de se remplir de ce qui n\u2019est pas Lui. Si la chose est trop haute\npour toi, poss\u00e8de au moins et garde la connaissance du Dieu crucifi\u00e9; si\ncette seconde vue t\u2019est retir\u00e9e comme la premi\u00e8re, refuse le repos, mon\nfils, jusqu\u2019\u00e0 ce que tu aies retrouv\u00e9 et reconquis l\u2019un ou l\u2019autre de\nces deux rassasiements. Ecoute encore, mon fils, crois fermement ce que\nje vais te dire.\nCelui qui cherche la route et l\u2019approche de Dieu, celui qui veut jouir\nde Dieu dans ce monde et dans l\u2019autre, que celui-l\u00e0 connaisse Dieu en\nv\u00e9rit\u00e9, non pas par le dehors et superficiellement, qu\u2019il ne s\u2019arr\u00eate\npas aux paroles dites ou \u00e9crites, ou aux analogies tir\u00e9es des cr\u00e9atures.\nCette fa\u00e7on de conna\u00eetre, qui est en rapport avec la parole humaine, est\nune connaissance sans profondeur. Il faut conna\u00eetre Dieu en v\u00e9rit\u00e9 par\nune intelligence profonde de sa valeur absolue, de sa beaut\u00e9 absolue, de\nson absolue hauteur et douceur, et vertu, bont\u00e9, lib\u00e9ralit\u00e9, mis\u00e9ricorde\net tendresse; il faut le conna\u00eetre comme \u00e9tant le souverain Bien, dans\nl\u2019absolu. L\u2019homme sage et l\u2019homme vulgaire connaissent tous deux, mais\nbien diff\u00e9remment. Celui qui poss\u00e8de la sagesse conna\u00eet la chose dans\nson fond et dans sa r\u00e9alit\u00e9, l\u2019autre, dans son apparence. L\u2019homme\nvulgaire, qui trouve une pierre pr\u00e9cieuse, l\u2019appr\u00e9cie et la d\u00e9sire pour\nson \u00e9clat et pour sa beaut\u00e9, sans voir plus loin; le sage l\u2019aime et la\nd\u00e9sire, parce qu\u2019au del\u00e0 de son \u00e9clat et de sa beaut\u00e9 il voit sa valeur\nvraie et sa vertu cach\u00e9e. Ainsi l\u2019\u00e2me qui a la sagesse ne se soucie pas\nde conna\u00eetre Dieu par la consid\u00e9ration superficielle des apparences.\nElle veut le conna\u00eetre en v\u00e9rit\u00e9; elle veut exp\u00e9rimenter ce qu\u2019il vaut,\nsentir le go\u00fbt de sa bont\u00e9; il n\u2019est pas pour elle seulement un bien,\nmais le souverain Bien. Pour cette bont\u00e9 immense, en le connaissant elle\nl\u2019aime, en l\u2019aimant elle le d\u00e9sire. Et le souverain Bien se donne \u00e0\nelle, et l\u2019\u00e2me le sent: elle go\u00fbte sa douceur et jouit de sa\nd\u00e9lectation; et l\u2019\u00e2me participe au souverain Bien. Bless\u00e9e du souverain\nAmour, bless\u00e9e et br\u00fblante, elle d\u00e9sire tenir Dieu; elle l\u2019embrasse,\nelle le serre contre elle et se serre contre lui; et Dieu l\u2019attire avec\nl\u2019immense douceur, et la vertu de l\u2019amour les transforme l\u2019un dans\nl\u2019autre, l\u2019aimant et l\u2019aim\u00e9, l\u2019aim\u00e9 et l\u2019aimant. L\u2019\u00e2me embras\u00e9e par la\nvertu de l\u2019amour se transforme en Dieu, son amour. Comme le fer embras\u00e9\nre\u00e7oit en lui la chaleur, et la vertu, la puissance et la forme du feu,\net devient semblable au feu, et se donne tout entier au feu, et\ns\u2019arrache \u00e0 ses propres qualit\u00e9s, donnant asile au feu dans l\u2019intime de\nsa substance; ainsi l\u2019\u00e2me, unie \u00e0 Dieu par la gr\u00e2ce parfaite de l\u2019amour,\nse transforme en Dieu sans changer sa substance propre, mais par la\nvertu du mouvement qui transporte en Dieu sa vie divinis\u00e9e. Connaissance\nde Dieu! O joie des joies, Seigneur! c\u2019est elle qui pr\u00e9c\u00e8de, l\u2019amour\nvient apr\u00e8s, l\u2019amour transformateur! Qui conna\u00eet dans la v\u00e9rit\u00e9,\ncelui-l\u00e0 aime dans le feu.\nOr, cette connaissance profonde, l\u2019\u00e2me ne peut l\u2019avoir ni par elle-m\u00eame,\nni par l\u2019Ecriture, ni par la science, ni par aucune cr\u00e9ature; ces choses\next\u00e9rieures peuvent disposer l\u2019\u00e2me \u00e0 la connaissance; mais la lumi\u00e8re\ndivine et la gr\u00e2ce de Dieu peuvent seules l\u2019y introduire. Pour obtenir\nde Dieu, souverain bien, souveraine lumi\u00e8re et souverain amour, cette\nconnaissance, je ne connais pas de voie plus s\u00fbre et plus courte qu\u2019une\npri\u00e8re pure, continuelle, humble et violente; une pri\u00e8re qui ne sorte\npas seulement des l\u00e8vres, mais de l\u2019esprit et du c\u0153ur, et de toutes les\npuissances de l\u2019\u00e2me, et de tous les sens du corps; une pri\u00e8re pleine\nd\u2019immenses d\u00e9sirs, qui supplie et qui se pr\u00e9cipite sur son objet.\nQue l\u2019\u00e2me qui veut d\u00e9couvrir la Pierre pr\u00e9cieuse et conna\u00eetre en v\u00e9rit\u00e9\net voir la Lumi\u00e8re, prie, m\u00e9dite et lise continuellement le livre de\nvie, qui est la vie mortelle de J\u00e9sus-Christ. Notre P\u00e8re, le Dieu tr\u00e8s\nhaut, enseigne et montre \u00e0 l\u2019\u00e2me la forme, le mode et la voie de la\nconnaissance, cette voie qui est l\u2019amour; et cet exemplaire, ce mod\u00e8le,\nce type, c\u2019est dans le Fils que le P\u00e8re le montre.\nC\u2019est pourquoi, mes chers enfants, si vous d\u00e9sirez la lumi\u00e8re de la\ngr\u00e2ce, si vous voulez arracher votre c\u0153ur aux soucis, mettre des freins\naux funestes tentations, et devenir parfaits dans la voie de Dieu, fuyez\nsans paresse \u00e0 l\u2019ombre de la croix de J\u00e9sus-Christ. En v\u00e9rit\u00e9, il n\u2019est\npas d\u2019autre voie ouverte aux fils de Dieu: il n\u2019est pas d\u2019autre moyen\npour le trouver et le garder que la vie et la mort de J\u00e9sus-Christ\ncrucifi\u00e9: c\u2019est ce que j\u2019appelle le livre de vie. La lecture n\u2019est\npermise qu\u2019\u00e0 l\u2019oraison continuelle, laquelle illumine l\u2019\u00e2me, l\u2019\u00e9l\u00e8ve et\nla transforme. L\u2019\u00e2me illumin\u00e9e par la lumi\u00e8re de l\u2019oraison voit\nclairement la voie du Christ pr\u00e9par\u00e9e et foul\u00e9e par les pieds du\nCrucifi\u00e9. Quand elle court dans cette voie, l\u2019\u00e2me se sent non seulement\nd\u00e9livr\u00e9e du poids que p\u00e8sent le monde et ses soucis accablants, mais\n\u00e9lev\u00e9e vers la d\u00e9lectation et la douceur divine. Consum\u00e9e et br\u00fbl\u00e9e par\nl\u2019incendie que Dieu allume, elle est chang\u00e9e en lui-m\u00eame: l\u2019oraison\nassidue trouve tout dans la vue de la croix.\nFuis vers cette croix, mon fils, et mendie la lumi\u00e8re au Crucifi\u00e9\nqu\u2019elle soutient. Va lui demander de te conna\u00eetre, afin de puiser dans\nton ab\u00eeme la force de t\u2019\u00e9lever jusqu\u2019\u00e0 sa joie divine. Au pied de sa\ncroix, tu t\u2019appara\u00eetras incompr\u00e9hensible, quand tu verras quel mis\u00e9rable\nDieu a rachet\u00e9 et adopt\u00e9 pour fils. Ne sois pas ingrat; fais toujours,\ntoujours la volont\u00e9 d\u2019un tel P\u00e8re. Si les enfants l\u00e9gitimes de Dieu ne\nfont pas sa volont\u00e9, que feront les adult\u00e9rins? J\u2019appelle adult\u00e9rins\nceux qui, loin de la maison paternelle, s\u2019\u00e9garent dans la concupiscence.\nJ\u2019appelle enfants l\u00e9gitimes ceux qui, dans la pauvret\u00e9, la douleur et\nl\u2019opprobre, cherchent la ressemblance du Crucifi\u00e9. Ces trois choses, mon\nfils, sont le fondement et le sommet de la perfection. Ce sont elles qui\n\u00e9clairent l\u2019\u00e2me, l\u2019ach\u00e8vent et la pr\u00e9parent \u00e0 la transformation divine.\nConna\u00eetre Dieu, se conna\u00eetre, ici toute immensit\u00e9, toute perfection, et\nle bien absolu; l\u00e0, rien; savoir cela, voil\u00e0 la fin de l\u2019homme. Mais\ncette manifestation n\u2019est faite qu\u2019aux enfants l\u00e9gitimes de Dieu, aux\nfils de la pri\u00e8re, aux ardents lecteurs du livre de vie. C\u2019est devant\nleurs yeux que le Seigneur \u00e9tale les caract\u00e8res sacr\u00e9s du livre. C\u2019est\nl\u00e0 que sont \u00e9crites toutes les choses que le d\u00e9sir cherche; c\u2019est l\u00e0\nqu\u2019on boit la science qui n\u2019enfle pas, toute v\u00e9rit\u00e9 n\u00e9cessaire \u00e0 soi et\naux autres. Si tu veux la Lumi\u00e8re sup\u00e9rieure \u00e0 toute lumi\u00e8re, lis dans\nle livre; si tu ne lis pas l\u00e9g\u00e8rement, comme quelqu\u2019un qui court, tu\ntrouveras, pour toi et pour tout homme, ce qu\u2019il faut. Et si tu prends\nfeu dans cette fournaise, tu recevras toute tribulation comme une\nconsolation dont tu n\u2019\u00e9tais pas digne. Je vais dire quelque chose de\nplus fort. Si la prosp\u00e9rit\u00e9 et la louange viennent \u00e0 toi, attir\u00e9es par\nles dons de Dieu, tu ne seras ni enfl\u00e9, ni exalt\u00e9: car dans le livre de\nvie tu verras en v\u00e9rit\u00e9 que la gloire n\u2019est pas \u00e0 toi.\nUn des signes, mon fils, qui montrent \u00e0 l\u2019homme la gr\u00e2ce de Dieu\npr\u00e9sente \u00e0 lui, c\u2019est, en face de la gloire, le don d\u2019inventer un ab\u00eeme\npour s\u2019humilier de plus bas.\nAvant tout, mon fils, sache cela: le double ab\u00eeme et le livre de vie.\nCINQUANTE-HUITI\u00c8ME CHAPITRE\nLE LIVRE DE VIE\nSachez que ce livre de vie n\u2019est autre que J\u00e9sus-Christ, Fils de Dieu,\nVerbe et sagesse du P\u00e8re, qui a paru pour nous instruire par sa vie, sa\nmort et sa parole. Sa vie, quelle fut-elle? Elle est le type offert \u00e0\nqui veut le salut; or sa vie fut une am\u00e8re p\u00e9nitence. La p\u00e9nitence fut\nsa soci\u00e9t\u00e9 depuis l\u2019heure, o\u00f9, dans le sein de la Vierge tr\u00e8s pure,\nl\u2019\u00e2me cr\u00e9\u00e9e de J\u00e9sus entra dans son corps, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019heure derni\u00e8re o\u00f9\nson \u00e2me sortit de ce corps par la mort la plus cruelle. La p\u00e9nitence et\nJ\u00e9sus ne se quitt\u00e8rent pas.\nOr voici la soci\u00e9t\u00e9 que le Dieu tr\u00e8s haut, dans sa sagesse, donna en ce\nmonde \u00e0 son Fils bien-aim\u00e9: d\u2019abord, la pauvret\u00e9 parfaite, continuelle,\nabsolue; ensuite, l\u2019opprobre parfait, continuel, absolu; enfin, la\ndouleur parfaite, continuelle, absolue.\nTelle fut la soci\u00e9t\u00e9 que le Christ choisit sur la terre pour nous\nmontrer ce qu\u2019il faut aimer, choisir et porter jusqu\u2019\u00e0 la mort. En tant\nqu\u2019homme, c\u2019est par cette route qu\u2019il est mont\u00e9 au ciel; telle est la\nroute de l\u2019\u00e2me vers Dieu, et il n\u2019y a pas d\u2019autre voie droite. Il est\nconvenable et bon que la route choisie par la t\u00eate soit la route choisie\npar les membres, et que la soci\u00e9t\u00e9 \u00e9lue par la t\u00eate soit \u00e9lue par les\nmembres.\nCINQUANTE-NEUVI\u00c8ME CHAPITRE\nPREMI\u00c8RE COMPAGNE DE J\u00c9SUS-CHRIST: LA PAUVRET\u00c9\nLa premi\u00e8re compagne de J\u00e9sus fut une pauvret\u00e9 continuelle, parfaite,\nimmense. Elle a trois formes: l\u2019une grande, l\u2019autre plus grande, qui\ns\u2019unit \u00e0 la premi\u00e8re; la troisi\u00e8me, qui, jointe \u00e0 la premi\u00e8re et \u00e0 la\nseconde, fut parfaite. Voici le premier degr\u00e9. J\u00e9sus fut destitu\u00e9 de\ntous les biens de ce monde. Il n\u2019eut ni terre, ni vigne, ni jardin, ni\npropri\u00e9t\u00e9, ni or, ni argent il ne re\u00e7ut de secours humain que dans la\nmesure rigoureusement n\u00e9cessaire au soulagement de l\u2019extr\u00eame indigence.\nIl eut faim, il eut soif, il fut mis\u00e9rable, il eut froid, il eut chaud,\nil travailla; tout fut pour lui aust\u00e8re et dur; il ne voulut aucune des\nrecherches de la vie; il usa des choses communes et grossi\u00e8res qui se\nrencontraient dans cette province, o\u00f9, sans feu ni lieu, il vivait en\nmendiant. La seconde pauvret\u00e9, sup\u00e9rieure, \u00e0 la premi\u00e8re, fut la\npauvret\u00e9 de parents et d\u2019amis, l\u2019\u00e9loignement des grands, des puissants,\ndes amiti\u00e9s naturelles: il n\u2019eut ni du c\u00f4t\u00e9 de sa m\u00e8re, ni du c\u00f4t\u00e9 de\nJoseph, ni du c\u00f4t\u00e9 de ses disciples, personne qui lui \u00e9pargn\u00e2t un\nsoufflet, un coup de marteau, un coup de fouet ou une injure. Il voulut\nna\u00eetre d\u2019une m\u00e8re pauvre et humili\u00e9e; \u00eatre soumis \u00e0 un p\u00e8re putatif, un\ncharpentier pauvre. Il se d\u00e9pouilla de l\u2019amour et de la familiarit\u00e9 des\nrois, des pontifes, des scribes, des amis, des parents, et ne sacrifia\npour l\u2019amour de personne aucun sacrifice qui pl\u00fbt ou qui p\u00fbt plaire \u00e0\nDieu.\nMais voici la pauvret\u00e9 supr\u00eame, sublime, absolue. J\u00e9sus-Christ se\nd\u00e9pouilla de lui-m\u00eame, et le Tout-Puissant se montra pauvre. Il se\nmontra comme pauvre de puissance; il fit semblant d\u2019\u00eatre incapable. Il\nrev\u00eatit la mis\u00e8re et l\u2019enfance; hormis le p\u00e9ch\u00e9, il rev\u00eatit toute\ndouleur. Les courses, les pr\u00e9dications, les gu\u00e9risons, les visites, les\nopprobres, tout l\u2019accabla, et il fit connaissance avec la fatigue.\nNon seulement il donna sur lui puissance aux p\u00e9cheurs, mais les choses\ninanim\u00e9es et les \u00e9l\u00e9ments qu\u2019il avait cr\u00e9\u00e9s de sa main re\u00e7urent\npuissance de l\u2019affliger. Il jouait l\u2019impuissance, il ne r\u00e9sistait pas,\nil supportait \u00e0 cause de nous. Il donna aux \u00e9pines la puissance de\np\u00e9n\u00e9trer et de percer cruellement cette t\u00eate divine et trois fois\nredoutable. Il donna aux liens et aux cha\u00eenes le pouvoir de l\u2019attacher \u00e0\nla colonne; Celui qui en mourant fit trembler la terre, laissa quelqu\u2019un\nlui lier les mains. Oh! donnez-moi, fils de Dieu, la joie de vous voir\nfid\u00e8les \u00e0 lui; arrachez-vous les entrailles pour les verser dans cet\nab\u00eeme sans fond d\u2019humilit\u00e9 fid\u00e8le. Voici l\u2019Auteur de la Vie qui\ns\u2019an\u00e9antit pour toi et pour sa gloire; les cr\u00e9atures d\u00e9chirent leur\nCr\u00e9ateur, et l\u2019Incirconscrit est attach\u00e9 \u00e0 une colonne. Il donna \u00e0 un\nvoile la puissance de le voiler, lui, la vraie lumi\u00e8re illuminant toutes\nchoses. Il donne aux fouets de le battre; il donne aux clous de p\u00e9n\u00e9trer\net de percer ces pieds et ces mains qui avaient ouvert les yeux des\naveugles et les oreilles des sourds. Il donne \u00e0 la croix de le tenir,\nbless\u00e9, perc\u00e9, sanglant, nu, expos\u00e9 devant tous, et de lui infliger la\nplus cruelle des morts. Il donne \u00e0 la lance d\u2019entrer, de briser, de\np\u00e9n\u00e9trer ce flanc divin, ce c\u0153ur, ces entrailles; de r\u00e9pandre sur la\nterre le sang et l\u2019eau, sortis des profondeurs sacr\u00e9es de son c\u0153ur et de\nses entrailles. Les cr\u00e9atures devaient ob\u00e9ir au Cr\u00e9ateur, non au\np\u00e9cheur, qui abusait d\u2019elles. Mais que cette humilit\u00e9 tr\u00e8s profonde,\ninvincible et sans exemple, que cette humilit\u00e9 du Dieu de gloire \u00e9crase\net confonde l\u2019orgueil de notre n\u00e9ant. L\u2019Auteur de la vie s\u2019est soumis\naux choses inanim\u00e9es pour te rendre la vie, \u00e0 toi, mis\u00e9rable, qui \u00e9tais\ndevenu, dans la mort, insensible au divin. Homme qui ne sais rien, il\nt\u2019a aim\u00e9 au point de t\u2019offrir la perfection. La lance aurait d\u00fb se plier\net r\u00e9sister \u00e0 la cr\u00e9ature qui abusait d\u2019elle; elle e\u00fbt d\u00fb refuser\nd\u2019entrer et de percer son Cr\u00e9ateur. Les choses inanim\u00e9es auraient refus\u00e9\nd\u2019ob\u00e9ir \u00e0 l\u2019homme et de se tourner contre leur Dieu, si elles n\u2019avaient\nre\u00e7u puissance sur lui.\nIl a donn\u00e9 aux bourreaux, aux soldats, aux Juifs, \u00e0 Pilate, \u00e0 tous les\nm\u00e9chants la puissance de le juger, de l\u2019accuser, de le blasph\u00e9mer, de\nl\u2019insulter, de le frapper, de le moquer, de le tuer, lui qui pouvait\ntout emp\u00eacher d\u2019un mot, tout renverser d\u2019un geste et tout an\u00e9antir, ou\ndonner un ordre au plus petit parmi les Anges, les Puissances ou les\nVertus, pour tout pr\u00e9cipiter d\u2019un seul coup au fond de la mer. S\u2019il\nn\u2019e\u00fbt lui-m\u00eame donn\u00e9 puissance sur lui aux choses cr\u00e9\u00e9es, elles eussent\nrecul\u00e9 d\u2019horreur devant la Passion. Mais il s\u2019est soumis \u00e0 tout, et il a\ncach\u00e9 sa puissance, et il s\u2019est d\u00e9pouill\u00e9 aux yeux des hommes, pour\napprendre aux mortels la patience, pour racheter l\u2019homme, qui s\u2019\u00e9tait\nlui-m\u00eame d\u00e9pouill\u00e9 de toute sa royaut\u00e9, pour lui donner, par la gloire\nde la r\u00e9surrection, la qualit\u00e9 d\u2019impassible et d\u2019invincible.\nIl y a plus: pour d\u00e9livrer l\u2019homme du d\u00e9mon, il a donn\u00e9 puissance au\nd\u00e9mon de le tenter, de l\u2019entourer de ses membres, qui sont les m\u00e9chants,\nde le pers\u00e9cuter jusqu\u2019\u00e0 la mort. Le Dieu invincible par nature, l\u2019acte\npremier, l\u2019acte pur a fait \u00e0 toute cr\u00e9ature et \u00e0 toute douleur cette\nuniverselle soumission, pour confondre la d\u00e9licatesse de l\u2019homme\nmis\u00e9rable, qui ne refuse pas seulement la p\u00e9nitence et la douleur\nvolontaire, mais qui repousse de toutes ses forces la douleur impos\u00e9e,\net murmure contre Dieu.\nJ\u00e9sus-Christ s\u2019est impos\u00e9 une autre pauvret\u00e9. Il s\u2019est d\u00e9pouill\u00e9 de sa\nsagesse, de la sagesse qui est \u00e0 lui. On e\u00fbt dit quelqu\u2019un de vulgaire,\nle plus ignorant, le plus grossier des hommes. Il ne prit pas l\u2019attitude\nd\u2019un philosophe ou d\u2019un docteur, d\u2019un parleur, d\u2019un \u00e9crivain, d\u2019un\nsavant ou d\u2019un sage fameux; mais il se m\u00ealait aux hommes, en toute\nsimplicit\u00e9 et en toute douceur, montrant en m\u00eame temps la route de la\nv\u00e9rit\u00e9 par la vertu thaumaturgique. Lui, la sagesse du P\u00e8re, et le Dieu\ndes sciences, ma\u00eetre de l\u2019esprit proph\u00e9tique, et le soufflant o\u00f9 il\nveut, il e\u00fbt pu \u00e9clater le g\u00e9nie scientifique et philosophique, se\nmontrer et se glorifier; mais il dit la v\u00e9rit\u00e9 si simplement, qu\u2019il\npassait non seulement pour un homme vulgaire, mais pour un ali\u00e9n\u00e9 et un\nblasph\u00e9mateur. Faudra-t-il ensuite nous enfler de notre science,\nchercher \u00e0 passer pour des ma\u00eetres, mendier aupr\u00e8s des hommes un nom\ncreux et une gloire vide?\nIl s\u2019est d\u00e9pouill\u00e9 de lui-m\u00eame, en abdiquant jusqu\u2019\u00e0 la gloire d\u2019\u00eatre\nsaint, juste et innocent. Voici le myst\u00e8re des myst\u00e8res. Il suivit une\nvoie mystique tellement en dehors de l\u2019attente humaine, qu\u2019au lieu de\npasser pour le Saint des saints, il fut tenu pour un p\u00e9cheur, ami des\np\u00e9cheurs, pour un tra\u00eetre, un s\u00e9ducteur, un conspirateur, un ennemi\npublic, un blasph\u00e9mateur, condamn\u00e9 et ex\u00e9cut\u00e9 entre deux voleurs. Et\ncependant il pouvait faire notre salut.\nIl e\u00fbt pu incliner le monde, Lui, le Saint des saints, devant la gloire\nde sa saintet\u00e9; Lui, l\u2019Impeccable, qui portait les p\u00e9ch\u00e9s des peuples;\nLui, le Roi des vertus et le Dieu des saints, au lieu de garder le nom\nde Saint, il le donna \u00e0 Jean-Baptiste, son serviteur. Mais tant qu\u2019il le\nput sans blesser la V\u00e9rit\u00e9 et la doctrine, il se d\u00e9pouilla en apparence\nde la saintet\u00e9, pour confondre notre hypocrisie, \u00e0 nous mis\u00e9rables, qui\ncherchons les apparences sans avoir la r\u00e9alit\u00e9, qui, par mille chemins\nd\u00e9tourn\u00e9s, falsifiant les faits et les tournant \u00e0 notre avantage,\ncourons \u00e0 tort et \u00e0 travers apr\u00e8s la gloire qui n\u2019est pas \u00e0 nous.\nIl s\u2019est encore d\u00e9pouill\u00e9 de lui-m\u00eame, en se d\u00e9pouillant de l\u2019empire qui\nest \u00e0 lui. Lui, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, dont le\nr\u00e8gne n\u2019aura pas de fin, il v\u00e9cut au milieu des hommes comme esclave.\nEt, en effet, on l\u2019a vendu, il s\u2019est trouv\u00e9 des acheteurs. On lui a\noffert l\u2019empire. Il a refus\u00e9. Il a ob\u00e9i jusqu\u2019\u00e0 la mort \u00e0 de mauvais\nrois, payant le tribut, se soumettant aux jugements iniques. Et non\nseulement les rois le trouv\u00e8rent sans d\u00e9fense, mais leurs plus vils\nministres et sujets purent l\u2019accabler de coups et le coucher sur la\ncroix; et jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e2ge de trente ans c\u2019\u00e9taient sa m\u00e8re et son p\u00e8re\nputatif qui lui avaient donn\u00e9 leurs ordres. Parmi ses disciples, qu\u2019il\nchoisit rares et pauvres, au lieu de se conduire comme un ma\u00eetre, il\nd\u00e9clara qu\u2019il n\u2019\u00e9tait pas venu pour \u00eatre servi, mais pour servir; enfin\nil donna sa vie pour eux, pour les p\u00e9cheurs. Au milieu de ces pauvres\ndisciples, s\u2019il fut roi et ma\u00eetre, ce fut en fait de mis\u00e8re, dans la\nfaim, dans la soif, dans la douleur; il fut jaloux et prima les autres;\nambitieux de la derni\u00e8re place, il les servit \u00e0 table, et leur lava les\npieds. O immensit\u00e9 de notre folie! Apr\u00e8s avoir vu ce Dieu fait\ndomestique, nous aspirons, sans ordre et sans amour, \u00e0 de vaines\ngrandeurs et de vaines pr\u00e9sidences!\nAutre \u00e9tait ta sagesse, autre \u00e9tait ta sagesse, \u00f4 Christ Emmanuel! tu\nsavais combien terrible sera le destin des ma\u00eetres du monde, et que les\npuissants seront puissamment tortur\u00e9s (_Sap._, VI, 7), et que de leur\nvie, de leur autorit\u00e9, et des p\u00e9ch\u00e9s de leurs sujets, le compte le plus\nrigoureux sera exig\u00e9 rigoureusement. Oh! que ce livre vivant confonde\nnotre orgueil! Concevons donc enfin le d\u00e9sir de la derni\u00e8re place, pour\nl\u2019amour de Celui qui la choisit, et par piti\u00e9 pour nos amis, ne\nsupportons pas l\u2019ob\u00e9issance, mais d\u00e9sirons-la d\u2019un immense d\u00e9sir.\nLe Dieu \u00e0 qui tout appartient, pour nous donner l\u2019amour de la pauvret\u00e9,\nfut donc pauvre absolument, pauvre en fait, en esprit et en v\u00e9rit\u00e9,\n\u00e9crasant par sa pauvret\u00e9 les pens\u00e9es des cr\u00e9atures, et sa pauvret\u00e9\nvenait de son amour: c\u2019est pourquoi il fut mendiant. Pauvre d\u2019argent,\npauvre d\u2019amis, pauvre de puissance, de sagesse, et de r\u00e9putation, et de\ndignit\u00e9, pauvre de toutes choses, il pr\u00eacha la pauvret\u00e9, il annon\u00e7a\nqu\u2019elle jugerait le monde. Il condamna les riches; sa vie, sa parole,\nson exemple, tout enseigna le m\u00e9pris des richesses. Mais, \u00f4 mis\u00e8re! \u00f4\ndouleur! la pauvret\u00e9 d\u2019esprit est chass\u00e9e et rejet\u00e9e de partout, et,\npour comble d\u2019abomination, elle est en horreur \u00e0 ceux-l\u00e0 m\u00eames qui\nlisent le livre de la vie, qui pr\u00eachent et qui glorifient cette m\u00eame\npauvret\u00e9. En fait, en esprit, en v\u00e9rit\u00e9, elle est repouss\u00e9e et d\u00e9test\u00e9e.\nLe monde la hait; J\u00e9sus l\u2019aime; il l\u2019a choisie pour lui et les siens; il\nl\u2019a proclam\u00e9e bienheureuse. Mais o\u00f9 est aujourd\u2019hui l\u2019homme, o\u00f9 est la\nfemme, o\u00f9 est la cr\u00e9ature qui a adopt\u00e9, comme J\u00e9sus-Christ, cette\nglorieuse compagne? Bienheureux celui-l\u00e0! Mais moi! mais moi! nous\nsavons quel fut le partage du Fils de Dieu, notre Cr\u00e9ateur et\nR\u00e9dempteur, quant aux v\u00eatements, quant aux palais, quant aux festins,\nquant \u00e0 la famille, quant aux amis, quant aux honneurs rendus par la vie\net la science. Et cependant nous osons prendre le nom de chr\u00e9tiens, nous\nqui avons horreur de ressembler au Christ! En paroles nous louons la\npauvret\u00e9; mais nous d\u00e9testons en fait l\u2019\u00e9tat o\u00f9 a v\u00e9cu le Christ. O\nmis\u00e9rables! apr\u00e8s de telles le\u00e7ons, nous repoussons le salut! Errant\nloin de J\u00e9sus, nous courons apr\u00e8s des superfluit\u00e9s, qui, au dernier\nmoment, nous abandonnent, et alors nous restons seuls, seuls et vides.\nCar, au lieu de suivre la voie droite, nous avons d\u00e9vi\u00e9, et la honte\nnous attend.\nBienheureux, bienheureux en v\u00e9rit\u00e9, suivant la parole de Dieu;\nbienheureux pour le temps et pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9 celui qui, r\u00e9ellement et en\nv\u00e9rit\u00e9, en esprit et en fait, veut l\u2019universelle pauvret\u00e9. S\u2019il ne se\nd\u00e9pouille de toutes choses, dans le sens mat\u00e9riel; qu\u2019il se d\u00e9pouille en\nesprit; qu\u2019il se d\u00e9pouille dans son c\u0153ur. Voil\u00e0 la vraie beaut\u00e9; voil\u00e0\nla b\u00e9atitude; voil\u00e0 la clef du royaume des cieux!\nMais l\u2019autre, celui qui pr\u00eache et qui n\u2019agit pas, l\u2019homme des sermons\nsans pratique. Ah! le mis\u00e9rable, ah! le maudit! Il verra ce que c\u2019est\nque la mis\u00e8re \u00e9ternelle, l\u2019\u00e9ternelle inanition qu\u2019on a dans les enfers,\nl\u2019\u00e9ternelle faim, l\u2019\u00e9ternelle soif! Ni ami, ni fr\u00e8re, ni p\u00e8re, ni\nsecours, ni r\u00e9demption! Pas d\u2019issue pour sortir! pas un seul rem\u00e8de dans\ntoute la sagesse humaine! L\u2019\u00e9ternelle privation des biens qu\u2019on a\nd\u00e9sir\u00e9s contre l\u2019ordre, et l\u2019\u00e9ternelle torture dans tous les si\u00e8cles des\nsi\u00e8cles!\nSOIXANTI\u00c8ME CHAPITRE\nDEUXI\u00c8ME COMPAGNE DE J\u00c9SUS-CHRIST: L\u2019ABN\u00c9GATION\nLa seconde compagne que J\u00e9sus-Christ ne quitta pas pendant sa vie\nterrestre, ce fut la honte; il porta continuellement le poids de\nl\u2019opprobre volontaire et parfait. Il v\u00e9cut comme un esclave vendu et non\nrachet\u00e9, non pas seulement comme un esclave, mais comme un esclave\nm\u00e9chant et vicieux. Il fut charg\u00e9 d\u2019opprobres, de m\u00e9pris, de cha\u00eenes, de\ncoups, de soufflets, de meurtrissures, sans proc\u00e8s, sans d\u00e9fenseur,\ncomme un mis\u00e9rable qui ne vaut pas la peine d\u2019\u00eatre jug\u00e9, que l\u2019on\nenvoie, entour\u00e9 de voleurs, au plus honteux et au plus cruel supplice.\nSi quelque mortel songea \u00e0 l\u2019honorer, il \u00e9chappa toujours, soit par un\nmot, soit par un fait, et prit le fardeau de la honte, qu\u2019il choisissait\ntoujours, sans le m\u00e9riter jamais. Sans cause, sans pr\u00e9texte, sans\noccasion, des hommes, \u00e0 qui il n\u2019avait fait que du bien, poursuivirent\ngratuitement le Ma\u00eetre du monde de leurs moqueries et de leurs insultes.\nIls l\u2019ont pers\u00e9cut\u00e9 depuis le berceau; ils l\u2019ont jet\u00e9 sur une terre\nbarbare. Le voil\u00e0 qui grandit; alors on lui donne les noms de\nSamaritain, d\u2019idol\u00e2tre; on le prend pour un poss\u00e9d\u00e9, pour un gourmand,\npour un s\u00e9ducteur, un faux proph\u00e8te. Les hommes disent entre eux: \u00abVoil\u00e0\nce viveur, ce buveur; au lieu du proph\u00e8te, du juste, du thaumaturge,\nc\u2019est un mis\u00e9rable qui chasse les d\u00e9mons au nom du prince des d\u00e9mons.\u00bb\nOn le poussait vers les montagnes, vers les ab\u00eemes, dans l\u2019intention de\nle pr\u00e9cipiter; d\u2019autres prenaient des pierres pour le lapider. Tout cela\n\u00e9tait entrem\u00eal\u00e9 de cris contradictoires et furieux, de moqueries, de\nsourires, d\u2019injures, de complots: \u00abIl blasph\u00e8me\u00bb, disait-on. On t\u00e2chait\nde le faire mentir, de le prendre \u00e0 ses paroles comme un renard \u00e0 un\npi\u00e8ge; on le repoussait; toutes les portes se fermaient devant lui.\nEnfin, on le saisit comme un animal; on le tra\u00eene, charg\u00e9 de liens, de\ntribunaux en tribunaux; voici les soufflets, les crachats, le roseau, la\ncouronne d\u2019\u00e9pines; on s\u2019agenouille ironiquement; on lui frappe la t\u00eate,\non lui voile la face; on entasse les moqueries les unes sur les autres.\nVoici la flagellation. Comme des chiens qui ont faim, les hommes\ngrincent des dents, le condamnent, le r\u00e9prouvent comme un malfaiteur. On\nle conduit \u00e0 la Passion, et ses disciples l\u2019abandonnent. Un d\u2019entre eux\nle renie; l\u2019autre le trahit tous s\u2019enfuient; il reste seul et nu, au\nmilieu des multitudes. C\u2019\u00e9tait un jour de f\u00eate, et les hommes \u00e9taient\nrassembl\u00e9s. Comme un m\u00e9chant, nu entre deux voleurs, le voil\u00e0 crucifi\u00e9\njusqu\u2019\u00e0 ce que mort s\u2019ensuive. A l\u2019heure de la mort, des larmes et de\nl\u2019oraison fun\u00e8bre, en voici un qui raille: \u00abAh! c\u2019est donc toi qui\nd\u00e9truis le temple?\u00bb Un autre, sur un ton de m\u00e9pris: \u00abIl sauve les autres\net il ne peut se sauver lui-m\u00eame.\u00bb Un autre, quand la voix suppliante du\nmourant demandait un peu d\u2019eau, lui offre du fiel et du vinaigre. En\nvoici un qui, apr\u00e8s sa mort, lui perce le c\u0153ur d\u2019un coup de lance.\nDescendu de la croix, il resta couch\u00e9 sur la terre, nu et sans s\u00e9pulcre,\njusqu\u2019\u00e0 ce que quelqu\u2019un e\u00fbt obtenu pour lui la s\u00e9pulture. D\u2019autres lui\ncherchaient une autre querelle, divulguant ces paroles: \u00abNous nous\nsouvenons, disaient-ils, que ce s\u00e9ducteur, etc.\u00bb Les uns cachent la\nr\u00e9surrection, les autres la nient. Dans la vie, dans la mort, apr\u00e8s la\nmort, m\u00e9pris, ignominie, opprobre; il les voulut; il les porta, il\nchoisit cette route pour aller \u00e0 la r\u00e9surrection et nous entra\u00eener dans\nla gloire.\nAinsi le Fils de Dieu s\u2019est fait la forme, l\u2019exemplaire, le ma\u00eetre et le\ndocteur de cette science inconnue, qui est le m\u00e9pris de la gloire.\nAbsente, ne la recherchons pas. Pr\u00e9sente, ne nous pr\u00eatons pas \u00e0 elle;\ncar il n\u2019a jamais cherch\u00e9 sa gloire, mais la gloire de son P\u00e8re. Il a \u00e0\nce point repouss\u00e9 et m\u00e9pris\u00e9 les honneurs, qu\u2019il s\u2019est pr\u00e9cipit\u00e9 du haut\ndu ciel jusqu\u2019aux pieds de ses disciples; il s\u2019est an\u00e9anti jusqu\u2019\u00e0\nprendre la livr\u00e9e de l\u2019esclave; il a ob\u00e9i jusqu\u2019\u00e0 la mort, non pas \u00e0 une\nmort quelconque, mais \u00e0 une mort choisie, la plus honteuse et la plus\ncruelle, celle de la croix. O mis\u00e8re!\nQui donc aujourd\u2019hui choisirait la soci\u00e9t\u00e9 qu\u2019il a choisie? Qui donc\nfuirait l\u2019honneur et aimerait le m\u00e9pris, fils de la pauvret\u00e9, l\u2019humble\n\u00e9tat, l\u2019humble office, et tout ce qui est humble? Qui voudrait le n\u00e9ant\net le d\u00e9shonneur? Qui ne d\u00e9sire l\u2019estime et la louange pour le bien\nqu\u2019il a ou qu\u2019il fait, en action et en parole, ou qu\u2019il croit avoir et\nfaire? En v\u00e9rit\u00e9, chacun a d\u00e9vi\u00e9, et personne n\u2019est fid\u00e8le, personne,\npas une \u00e2me. Si quelqu\u2019un demeurait ferme, c\u2019est que celui-l\u00e0 serait un\nmembre vivant uni \u00e0 la t\u00eate du corps par un amour vivant. Il verrait\nJ\u00e9sus-Christ agir, et chercherait la ressemblance.\nIl y en a qui disent: \u00abJ\u2019aime et je veux aimer Dieu. Je ne demande pas\nque le monde m\u2019honore; mais je ne veux pas non plus qu\u2019il me m\u00e9prise,\nqu\u2019il me mette le pied sur la t\u00eate je ne veux pas \u00eatre confondu en sa\npr\u00e9sence.\u00bb Ceci indique \u00e9videmment peu de foi, peu de justice, peu\nd\u2019amour et beaucoup de ti\u00e9deur. Ou vous avez commis ce qui m\u00e9rite peine\net confusion, et nous en sommes l\u00e0 \u00e0 peu pr\u00e8s tous, ou vous ne l\u2019avez\npas commis. Dans le premier cas, si vous \u00eates p\u00e9nitent, et non pas\ninnocent, supportez avec patience et avec joie les cons\u00e9quences de vos\nactes publics ou secrets, acquiescez corps et \u00e2me: cette peine et cette\nconfusion satisfont \u00e0 Dieu et au prochain suivant l\u2019ordonnance de la\ndivine justice. Dans le second cas, si votre c\u0153ur est innocent comme vos\nmains, supportez le m\u00e9pris, avec la permission de Dieu, et\nr\u00e9jouissez-vous mille fois plus dans le second cas que dans le premier\ncas; toute votre confusion, toute votre douleur va devenir un poids de\ngr\u00e2ce, et avec la gr\u00e2ce cro\u00eetra la gloire. Cette acceptation de la\nhonte, subie et non m\u00e9rit\u00e9e, cette acceptation de la pauvret\u00e9 et des\nsouffrances support\u00e9es en vue de Dieu grandissent les \u00e2mes saintes.\nL\u2019exemple de J\u00e9sus-Christ, fuyant ce qu\u2019on recherche, et recherchant ce\nqu\u2019on fuit, montre la route de la grandeur. Sa seconde compagne lui fut\nfid\u00e8le comme la premi\u00e8re. Si nous voulons p\u00e9n\u00e9trer la vie du Christ Fils\nde Dieu dans son principe, son milieu et sa fin, nous trouvons un\nensemble qui s\u2019appelle l\u2019humilit\u00e9. Etre m\u00e9pris\u00e9, r\u00e9prouv\u00e9 du monde et\ndes amis du monde, tel fut son choix sur la terre.\nSOIXANTE ET UNI\u00c8ME CHAPITRE\nTROISI\u00c8ME COMPAGNE DE J\u00c9SUS-CHRIST: LA DOULEUR\nLa troisi\u00e8me compagne de J\u00e9sus-Christ, plus assidue, plus intime que les\ndeux autres, ce fut cette souveraine douleur qui, depuis l\u2019heure o\u00f9 son\n\u00e2me fut unie \u00e0 son corps, ne quitta plus le Fils de Dieu. Au premier\ninstant de l\u2019union hypostatique, cette \u00e2me fut remplie de la Sagesse\nsupr\u00eame. A la fois voyageur et compr\u00e9henseur, dans le sein de sa m\u00e8re,\nJ\u00e9sus commen\u00e7a \u00e0 sentir la souveraine douleur toutes les peines que son\n\u00e2me et son corps devaient porter pour nous, il les connut, il les vit,\nil les pesa, il les p\u00e9n\u00e9tra dans leur ensemble et dans leur d\u00e9tail.\nQuand la mort approcha, il entra en agonie. Sa science certaine de sa\nmort prochaine, envisag\u00e9e dans toutes ses horreurs, fit p\u00e9n\u00e9trer en lui\nla tristesse sans nom: il sua le sang, et la terre but cette sueur.\nAinsi l\u2019\u00e2me du Christ, pr\u00e9voyant la Passion dans le sein de sa m\u00e8re,\nconnut d\u00e9j\u00e0 l\u2019angoisse immense: cependant le corps n\u2019\u00e9tait pas encore\nassoci\u00e9 \u00e0 ses tortures.\nJ\u00e9sus-Christ voyait d\u2019avance les mouvements de ces langues inf\u00e2mes, et\nchacun des sons que produirait chacune d\u2019elles, tous ses supplices, sa\nmort, la honte et la douleur, toutes les tortures pour lesquelles il\nnaissait, pour lesquelles il entrait parmi nous, tout lui \u00e9tait pr\u00e9sent\nd\u2019une pr\u00e9sence proph\u00e9tique et incessante, avec toutes les circonstances\ndu temps marqu\u00e9, de l\u2019instrument employ\u00e9, et de la mesure indiqu\u00e9e. Il\nse voyait vendu, trahi, pris, reni\u00e9, abandonn\u00e9, li\u00e9, soufflet\u00e9, moqu\u00e9,\nfrapp\u00e9, accus\u00e9, blasph\u00e9m\u00e9, maudit, flagell\u00e9, jug\u00e9, r\u00e9prouv\u00e9, condamn\u00e9,\nconduit au Golgotha, comme un voleur d\u00e9pouill\u00e9, nu, crucifi\u00e9, mort,\nperc\u00e9 de la lance. O\u00f9 habitait-il, sinon dans la douleur? Il connaissait\nchaque coup de marteau, chaque coup de fouet, chaque trou, chaque clou,\nchaque larme, chaque goutte de sang: il avait compt\u00e9 d\u2019avance ses\nsoupirs, ses g\u00e9missements, ses plaintes et celles de sa m\u00e8re. Dans cette\nconsid\u00e9ration profonde et continuelle, comment la compagne de sa vie,\ncomment la douleur l\u2019aurait-elle abandonn\u00e9?\nOutre les douleurs de l\u2019avenir, senties proph\u00e9tiquement, celles du\npr\u00e9sent, furent innombrables. A l\u2019heure de sa naissance, il ne fut ni\nd\u00e9pos\u00e9 dans un bain, ni couch\u00e9 sur la plume, ni envelopp\u00e9 de fourrures.\nIl fut plac\u00e9 sur le foin, entre deux b\u00eates, dans une \u00e9table sans\ndouceur. Et lui, le plus tendre des nouveau-n\u00e9s, il commen\u00e7a \u00e0 subir, en\nouvrant les yeux, les rigueurs mat\u00e9rielles. Imm\u00e9diatement apr\u00e8s la\ncr\u00e8che, voici un long voyage entrepris par cet enfant, un vieillard,\npuis une femme, la plus douce des m\u00e8res, la plus d\u00e9licate des vierges.\nIl faut aller en Egypte \u00e0 travers ce d\u00e9sert immense, o\u00f9 les fils\nd\u2019Isra\u00ebl v\u00e9curent quarante ans sans moyens humains. Puis ce furent les\nvoyages au temple qu\u2019il faisait r\u00e9guli\u00e8rement, suivant l\u2019ordre \u00e9tabli.\nL\u2019enfant faisait la route \u00e0 pied, et la distance \u00e9tait bien grande.\nA l\u2019\u00e2ge d\u2019homme, aussit\u00f4t apr\u00e8s son bapt\u00eame, il entra au d\u00e9sert, o\u00f9 il\nsouffrit de la faim et de la soif, au point de donner au diable une\nesp\u00e9rance; car c\u2019est ici que se place la premi\u00e8re tentation. J\u00e9sus\nallait \u00e0 pied \u00e0 travers les campagnes, les villes, supportant la faim,\nla soif, la pluie, la chaleur, la froidure, la sueur, la fatigue, toutes\nles mis\u00e8res, et enfin la mort. Et, s\u2019il porta son fardeau, ce fut pour\nchasser Satan, pour le renverser, pour indiquer aux hommes la voie\nvraie, pour leur annoncer la p\u00e9nitence dans sa forme la plus humble,\npour les attirer \u00e0 sa suite, pour donner l\u2019exemple, pour montrer o\u00f9 est\nle bonheur et la gloire.\nQuant aux douleurs de la Passion, elles sont au-dessus des paroles de\nl\u2019homme et des soup\u00e7ons de son c\u0153ur. La douleur de J\u00e9sus fut multiple et\nineffable.\nParlons d\u2019abord de ses compassions. Sa compassion pour le genre humain,\nqu\u2019il aimait d\u2019un amour immense, le remplit d\u2019une douleur aigu\u00eb et\nd\u00e9chirante. Ce n\u2019\u00e9tait pas seulement une compassion g\u00e9n\u00e9rale pour\nl\u2019esp\u00e8ce humaine tomb\u00e9e et condamn\u00e9e; c\u2019\u00e9tait une compassion immense,\nparticuli\u00e8re \u00e0 chaque individu. Et il ne voyait pas seulement d\u2019une vue\ng\u00e9n\u00e9rale les p\u00e9ch\u00e9s de chaque individu; il mesurait exactement chaque\np\u00e9ch\u00e9 et chaque ch\u00e2timent, dans le pass\u00e9 et dans l\u2019avenir. Chaque homme\npass\u00e9, pr\u00e9sent ou futur, chaque p\u00e9ch\u00e9 de chacun de ces hommes, per\u00e7a\nd\u2019une douleur sans mesure Celui qui nous aimait avec une mis\u00e9ricorde et\nune compassion sans mesure. S\u2019il \u00e9tait un regard capable d\u2019entrer dans\nles d\u00e9tails innombrables des p\u00e9ch\u00e9s humains et des souffrances humaines,\nce regard-l\u00e0 verrait quelque chose de ce qu\u2019a souffert le Christ pour\nnous. Il aimait chacun de ses \u00e9lus d\u2019un amour ineffable. La profondeur\nde cet amour, mesur\u00e9 sur chacun d\u2019eux, rendit continuellement pr\u00e9sente \u00e0\nJ\u00e9sus toute offense et toute peine pass\u00e9e, pr\u00e9sente ou future, et telle\n\u00e9tait sa compassion pour chaque douleur qu\u2019il les prit toutes sur lui\ndans une douleur immense. Ce fut cette compassion, immense,\n\u00e9pouvantable, qui pr\u00e9cipita J\u00e9sus vers la croix, vers la mort, vers\nl\u2019ab\u00eeme des tortures. Il voulait nous racheter! Il voulait nous\nsoulager!\nUne des douleurs les plus oubli\u00e9es de J\u00e9sus-Christ fut sa compassion\npour lui-m\u00eame. Ses tortures innombrables, et l\u2019ineffable douleur dont il\nse voyait menac\u00e9, firent qu\u2019en se regardant lui-m\u00eame, il eut le c\u0153ur\nd\u00e9chir\u00e9. Voyant et consid\u00e9rant que la mission qu\u2019il tenait de son P\u00e8re\n\u00e9tait de porter le poids de tous les p\u00e9ch\u00e9s et de toutes les douleurs\ndes \u00e9lus, sentant que ces choses terribles \u00e9taient infaillibles,\ncertaines, immanquables, et qu\u2019il \u00e9tait d\u00e9vou\u00e9 corps et \u00e2me \u00e0 leur\n\u00e9treinte, il fut saisi, en se regardant, d\u2019une piti\u00e9 d\u00e9chirante.\nImaginez l\u2019\u00e9tat de l\u2019homme qui verrait d\u2019une vue proph\u00e9tique et\ninfaillible la plus inou\u00efe, la plus ineffable douleur s\u2019approcher de\nlui, avec la certitude d\u2019\u00eatre atteint, et qui aurait continuellement\ndevant les yeux les d\u00e9tails de toutes ses tortures: il aurait piti\u00e9 de\nlui-m\u00eame. Mais jusqu\u2019o\u00f9 grandirait cette piti\u00e9, si la douleur pr\u00e9vue et\nimminente \u00e9tait sans proportion, s\u2019il \u00e9tait dou\u00e9 d\u2019une intelligence et\nd\u2019une sensibilit\u00e9 effrayante, pour sonder d\u2019avance l\u2019ab\u00eeme de ses\ntortures, leur nature et leur qualit\u00e9? Ces suppositions se sont\nr\u00e9alis\u00e9es dans le Christ, et tout ce que je dis n\u2019est rien pr\u00e8s de la\nr\u00e9alit\u00e9 de ses angoisses. Si je descends, \u00e0 ces comparaisons, c\u2019est pour\nmettre quelque chose de son agonie \u00e0 la port\u00e9e de cette grossi\u00e8re\nintelligence humaine. Sa Passion fut toute sa vie dans sa m\u00e9moire. Mais\nvoici une des souffrances les plus inconnues de J\u00e9sus-Christ. Ce fut sa\ncompassion pour Dieu le P\u00e8re, pour le P\u00e8re des mis\u00e9ricordes. L\u2019amour de\nJ\u00e9sus pour le P\u00e8re, pour le Dieu de toute compassion, d\u00e9passe les\nconceptions de l\u2019homme. Voyant Dieu, l\u2019objet de son immense amour, \u00e0 ce\npoint bless\u00e9 de compassion pour nous qu\u2019il livr\u00e2t son Fils unique, son\nBien-Aim\u00e9 \u00e0 la mort, et qu\u2019il se f\u00fbt livr\u00e9 lui-m\u00eame, si cela e\u00fbt \u00e9t\u00e9\nconvenable, il fut saisi d\u2019une douleur immense, et eut piti\u00e9 de cette\npiti\u00e9. Pour inventer un rem\u00e8de, un soulagement au c\u0153ur de son P\u00e8re, il\ns\u2019humilia jusqu\u2019\u00e0 la mort et ob\u00e9it jusqu\u2019\u00e0 la croix. Mais la parole\nhumaine ne peut aborder les souffrances que j\u2019entrevois. Je vais parler\nsans esp\u00e9rance de me faire entendre. J\u2019affirme que la douleur du Christ\nfut chose ineffable. Ineffable, parce qu\u2019elle fut une concession, une\npermission, un don de la Sagesse divine. Une dispensation divine,\nant\u00e9rieure \u00e0 nos pens\u00e9es, sup\u00e9rieure \u00e0 nos paroles, lui dispensait la\ndouleur; et c\u2019\u00e9tait la douleur supr\u00eame. Plus la dispensation divine fut\nadmirable, plus la douleur qui en r\u00e9sulta fut per\u00e7ante et d\u00e9chirante.\nC\u2019est pourquoi aucun entendement cr\u00e9\u00e9 n\u2019a la capacit\u00e9 n\u00e9cessaire pour\nembrasser cette douleur. Cette dispensation divine fut le principe de\ntoutes les douleurs de J\u00e9sus-Christ. Elle est leur _alpha_ et elle est\nleur _om\u00e9ga_.\nEt s\u2019il est impossible \u00e0 l\u2019intelligence de concevoir l\u2019amour par lequel\nil nous racheta, il est \u00e9galement impossible de concevoir la douleur\ndont il souffrit. Impossible, car cette douleur \u00e9tait fille de la\nlumi\u00e8re. Elle provenait directement de la lumi\u00e8re donn\u00e9e au Christ, et\ncette lumi\u00e8re \u00e9tait ineffable. La divinit\u00e9 elle-m\u00eame, lumi\u00e8re ineffable,\nilluminait le Christ ineffablement, et, vivant en lui avec la\ndispensation dont je parle, le transformait en douleur au sein de la\nlumi\u00e8re divine. Cette douleur est un sanctuaire dont la parole\nn\u2019approche pas.\nJ\u00e9sus-Christ voyait, dans la lumi\u00e8re divine, l\u2019ineffable immensit\u00e9 de la\ndouleur qui faisait en lui des prodiges: douleur cach\u00e9e \u00e0 toute cr\u00e9ature\npar la vertu de l\u2019Ineffable. Car cette douleur, je veux dire cette\nlumi\u00e8re divine, eut pour principe et pour origine la dispensation de\nDieu.\nParmi les supr\u00eames douleurs fut la compassion de J\u00e9sus pour sa M\u00e8re, la\ntr\u00e8s douce Marie.\nIl l\u2019aima par-dessus toute cr\u00e9ature. C\u2019est d\u2019elle qu\u2019il avait pris sa\nchair virginale; et elle partageait, par-dessus toute cr\u00e9ature, les\ndouleurs de son Fils, car elle avait une capacit\u00e9 de c\u0153ur haute et\nprofonde, par-dessus toute cr\u00e9ature. J\u00e9sus-Christ avait une immense\ncompassion de cette immense compassion qui du c\u0153ur, du corps et de\nl\u2019\u00e2me, ne faisait qu\u2019une seule douleur immense. Sa M\u00e8re souffrait la\ndouleur supr\u00eame, et J\u00e9sus portait en lui la douleur de sa M\u00e8re, et cette\ndouleur \u00e9tait fond\u00e9e sur la dispensation divine.\nUne autre douleur fut l\u2019offense du P\u00e8re, objet de son immense amour.\nJ\u00e9sus voyait quel p\u00e9ch\u00e9 \u00e9tait sa mort, et ce que faisait l\u2019homme quand\nil crucifiait Dieu. Sa mort est le plus grand des crimes humains,\npass\u00e9s, pr\u00e9sents et futurs. L\u2019injure que sa mort faisait \u00e0 Dieu fut pour\nl\u2019\u00e2me de J\u00e9sus-Christ un oc\u00e9an de douleur. Perc\u00e9 de compassion pour le\nDieu blasph\u00e9m\u00e9, perc\u00e9 de compassion pour l\u2019homme d\u00e9icide, la douleur lui\narrache ce cri: \u00abMon P\u00e8re, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu\u2019ils\nfont!\u00bb\nA cause du crime sans nom, \u00e0 cause du d\u00e9icide, peut-\u00eatre Dieu le P\u00e8re\nallait damner le genre humain, si J\u00e9sus, comme s\u2019il e\u00fbt pour un instant\noubli\u00e9 toute autre douleur, n\u2019e\u00fbt cri\u00e9 et pleur\u00e9 dans la mort, pour nous\net vers Dieu.\nLa douleur de compassion pour ses ap\u00f4tres et disciples p\u00e9n\u00e9tra\nJ\u00e9sus-Christ. Les ap\u00f4tres, les disciples, les femmes qui l\u2019avaient\nsuivi, souffraient horriblement. J\u00e9sus, qui les aimait d\u2019un amour\nimmense, porta en lui la douleur des disciples dispers\u00e9s et pers\u00e9cut\u00e9s.\nOutre ces douleurs, le Christ en supporta mille autres de mille natures.\nJe pourrais compter quatre glaives et quatre fl\u00e8ches sur son corps\ncrucifi\u00e9.\nD\u2019abord la cruaut\u00e9 sc\u00e9l\u00e9rate de ces c\u0153urs endurcis. Ils \u00e9taient l\u00e0, tout\nle jour, obstin\u00e9s, studieux et diligents, inventant et machinant:\nc\u2019\u00e9tait \u00e0 qui trouverait la calomnie la plus noire ou le supplice le\nplus atroce pour exterminer le Sauveur, son nom et sa suite.\nLa malice et l\u2019abomination de cette col\u00e8re implacable que les bourreaux\nportaient incessamment en eux, chacune de leurs pens\u00e9es, de leurs\nintentions, de leurs iniquit\u00e9s int\u00e9rieures, \u00e9tait un poignard pointu qui\nper\u00e7ait l\u2019\u00e2me de J\u00e9sus.\nPuis la m\u00e9chancet\u00e9 et la duplicit\u00e9 des langues qui vocif\u00e9raient. Chacune\ndes accusations, des calomnies, des r\u00e9solutions injustes, des\nmal\u00e9dictions; chacun des blasph\u00e8mes, chacun des mensonges, chacun des\nfaux t\u00e9moignages, tomba sur lui, lui faisant une meurtrissure sp\u00e9ciale.\nEnfin l\u2019\u0153uvre barbare de sa Passion, o\u00f9 ils invent\u00e8rent des raffinements\nde cruaut\u00e9 qui \u00e9pouvantent au premier regard. Combien de tortures\ncompterait l\u2019\u0153il qui pourrait compter les violences qu\u2019il subit, les\nbrutalit\u00e9s, les soufflets, les cheveux, les poils de barbe tir\u00e9s, les\ncrachats, les coups de fouet! Par-dessus tout, les clous. Ils \u00e9taient\ntr\u00e8s gros, carr\u00e9s et si mal battus, qu\u2019ils pr\u00e9sentaient sur toutes leurs\nfaces mille petits \u00e9clats qui lui perc\u00e8rent les pieds, les mains qui le\nd\u00e9chir\u00e8rent, qui le tortur\u00e8rent avec des souffrances \u00e9pouvantables. Une\ndouleur au-dessus de toute douleur r\u00e9sulta de la forme de ces clous.\nQuand ses pieds et ses mains n\u2019eussent pas \u00e9t\u00e9 ainsi clou\u00e9s au bois, la\nPassion e\u00fbt encore \u00e9t\u00e9 effroyable. Mais les clous eux-m\u00eames n\u2019ont pas\nsatisfait les bourreaux. Ils tir\u00e8rent ses pieds et ses mains avec une\ntelle violence, qu\u2019ils disloqu\u00e8rent son corps, bris\u00e8rent ses nerfs, et\ncompt\u00e8rent ses os quand ils le couch\u00e8rent sur le bois dur, et le\ntendirent horriblement. Ce n\u2019est pas tout. Au lieu de laisser la croix\ncouch\u00e9e, ils la dress\u00e8rent, offrant la Victime nue au froid, au vent et\nau peuple. Le poids entra\u00eenant le corps, il \u00e9tait suspendu par les mains\net par les pieds, pour que la duret\u00e9 des clous f\u00fbt sentie plus\ncruellement; pour que les plaies, toujours renouvel\u00e9es, ouvrissent au\nsang des voies nouvelles; pour que la mort f\u00fbt parfaite en torture et\nles hommes en malice.\nPour nous manifester quelque chose de sa souffrance insondable, pour\nnous avertir qu\u2019il la supportait pour nous, et non pour lui, pour\napprendre \u00e0 nos entrailles une compassion inconnue, au point culminant\nde la douleur ineffable, il poussa le cri supr\u00eame: \u00abMon Dieu, mon Dieu,\nm\u2019avez-vous abandonn\u00e9?\u00bb Mais il cria pour nous; il cria pour nous dire\nqui avait plac\u00e9 le fardeau sur sa t\u00eate, et quelle compassion nous devons\n\u00e0 ses douleurs. Et ne croyez pas que ses douleurs aient commenc\u00e9 sur la\ncroix; depuis que son \u00e2me anima son corps, depuis l\u2019heure premi\u00e8re de\nl\u2019union hypostatique, la sagesse ineffable dont il \u00e9tait rempli disait \u00e0\nJ\u00e9sus tous les secrets du pr\u00e9sent et tous les secrets de l\u2019avenir.\nAussi, d\u00e8s cette heure, il vit venir \u00e0 lui la douleur au-dessus de toute\ndouleur, et il soutint le fardeau sans nom depuis l\u2019union de son \u00e2me et\nde son corps, jusqu\u2019\u00e0 leur s\u00e9paration; et c\u2019est ce qu\u2019il voulait dire\nquand il parlait pendant sa vie de la croix qu\u2019il portait d\u2019avance,\nqu\u2019il portait pour ses disciples, non pour lui-m\u00eame; et c\u2019est ce qu\u2019il\nvoulait dire quand il pronon\u00e7a cette parole terrible: \u00abMon \u00e2me est\ntriste jusqu\u2019\u00e0 la mort.\u00bb\nIl nous provoquait; il nous demandait notre compassion.\nCette douleur, comme toutes les douleurs, contracta une amertume\nparticuli\u00e8re qui venait de la noblesse immense de l\u2019\u00e2me bless\u00e9e. Plus\nl\u2019\u00e2me est sainte, douce et noble, plus cruelle, plus tendue \u00e9tait la\ndouleur; car cette \u00e2me, en raison de sa noblesse, \u00e9tait incroyablement\nsensible \u00e0 l\u2019injure et \u00e0 la souffrance. Et toutes ces tortures, qui\nprenaient leur source dans la dispensation ineffable de Dieu,\nrejaillirent de l\u2019\u00e2me de J\u00e9sus sur son corps, et nul ne peut savoir\nquelle \u00e9tait la d\u00e9licatesse et la sensibilit\u00e9 de ce corps. Aucun corps\nhumain form\u00e9 dans le sein d\u2019une femme ne fut plus noble. Aucun corps ne\nfut plus sensible et ne re\u00e7ut de la douleur une blessure plus cruelle.\nC\u2019est pourquoi il trouvait dans toute injure et dans tout affront une\nincroyable mati\u00e8re \u00e0 souffrance.\nAu milieu de ses horreurs, que faisait l\u2019Homme-Dieu, J\u00e9sus-Christ,\nSauveur du monde? Je n\u2019entends pas une menace, une mal\u00e9diction, une\nd\u00e9fense, une excuse, une vengeance. On lui crache \u00e0 la figure, il ne se\ncache pas la face; on lui \u00e9tend sur la croix les mains et les bras, il\nne les retire pas; on le cherche pour la mort, il ne se cache pas. Mais\nabsolument et de toute mani\u00e8re, il se livre \u00e0 la volont\u00e9 des hommes, et\nse sert de leur sc\u00e9l\u00e9ratesse pour les racheter malgr\u00e9 eux. Au moment du\ncrime, ineffable pens\u00e9e! la Victime donnait l\u2019exemple de la patience,\nenseignait aux bourreaux l\u2019\u00e9ternelle v\u00e9rit\u00e9, \u00e9levait pour eux au ciel\nses bras, ses cris et ses larmes. Et pour leur immense p\u00e9ch\u00e9, qui devait\ndamner le genre humain, il leur rendait un bien plus fort que ce p\u00e9ch\u00e9.\nTournant le crime contre lui-m\u00eame, il se servit, pour satisfaire\nl\u2019\u00e9ternelle justice, de leur p\u00e9ch\u00e9 \u00e9pouvantable. Il se servit de la mort\nqu\u2019ils lui infligeaient pour ouvrir le ciel \u00e0 ses bourreaux. Il\nr\u00e9concilia le monde avec Dieu; il nous fit rentrer en gr\u00e2ce, et au\nmoment o\u00f9 la cr\u00e9ature portait la main sur le Cr\u00e9ateur, il se servit de\nl\u2019attentat qu\u2019elle commettait pour restituer \u00e0 Dieu sa fille. O piti\u00e9, \u00f4\nmis\u00e9ricorde immenses! O bont\u00e9 sup\u00e9rieure \u00e0 toute bont\u00e9 con\u00e7ue! O\u00f9\nl\u2019iniquit\u00e9 avait surabond\u00e9, la gr\u00e2ce surabonda, et la gr\u00e2ce n\u2019a pas de\nlimite.\nEt puisque voil\u00e0 notre exemple, ne nous bornons pas \u00e0 ne pas nous\nvenger: rendons le bien pour le mal \u00e0 cause du R\u00e9dempteur. Si un\npatriarche, un proph\u00e8te, un ange, un saint, nous e\u00fbt offert ce mod\u00e8le,\nil serait d\u00e9j\u00e0 acceptable, mais puisque c\u2019est l\u2019\u00e9ternelle Sagesse,\nl\u2019infaillible v\u00e9rit\u00e9 \u00e0 qui l\u2019erreur est aussi impossible que le\nmensonge, la n\u00e9gligence serait d\u00e9plorable; c\u2019est la perfection qui est\ndemand\u00e9e.\nOn dit, on entend dire, on pr\u00eache toute la journ\u00e9e que le Fils de Dieu\nfut l\u2019homme de douleurs; que non content de supporter patiemment celles\nqui se pr\u00e9sentaient, il les cherchait, lui, l\u2019Innocent, il les trouvait,\nil les prenait, il les aimait, en paroles, en actes; il proclamait\nbienheureux ses imitateurs. Cette proclamation ne fut pas une parole\nvaine. Il porta dans son \u00e2me et dans son corps la souffrance\ninexplicable; ce fut par elle et gr\u00e2ce \u00e0 elle qu\u2019il d\u00e9clara entrer dans\nson royaume. Il affirma qu\u2019aucune autre route ne menait \u00e0 la vie\n\u00e9ternelle; et Dieu choisit la voie royale. Puisque c\u2019est lui qui l\u2019a\ntrac\u00e9e, l\u2019aveuglement est grand de ne pas suivre ce Guide infaillible,\nqui est Cr\u00e9ateur et R\u00e9dempteur.\nC\u2019est parce qu\u2019il savait la vertu cach\u00e9e des souffrances qu\u2019il les\nchoisit, fuyant les volupt\u00e9s, d\u00e9testant en paroles et en actes les\nplaisirs temporels o\u00f9 le ciel n\u2019entre pas. Avant ce choix de\nl\u2019Homme-Dieu (bien qu\u2019il e\u00fbt d\u00e9j\u00e0 depuis longtemps indiqu\u00e9 ses\npr\u00e9dilections par les Proph\u00e8tes), les amis de la volupt\u00e9 humaine avaient\ncependant une excuse. Mais depuis que le Fils de Dieu a fait son choix\nlui-m\u00eame, apr\u00e8s une telle v\u00e9rit\u00e9 si clairement montr\u00e9e, si hautement\npr\u00each\u00e9e et manifest\u00e9e au monde dans un si grand seigneur, quelqu\u2019un\ndoit-il h\u00e9siter encore! Quelque insens\u00e9 peut-\u00eatre, qui m\u00e9rite tout\nbl\u00e2me. Nous, mis\u00e9rables p\u00e9cheurs, dignes de toute condamnation, et de\ntoute confusion, non seulement nous ne demandons pas \u00e0 la p\u00e9nitence la\nsouffrance volontaire, mais les souffrances que Dieu nous envoie dans sa\ngrande mis\u00e9ricorde et sagesse, pour nous sauver et nous d\u00e9livrer du mal,\nles souffrances voulues ou permises par lui, nous les fuyons, nous les\nrepoussons, nous murmurons contre elles, nous nous armons de toutes nos\narmes pour les mettre en fuite et chercher le plaisir.\nNous sommes vraiment malheureux. Non seulement nous ne nous soucions pas\nde la souffrance, qui peut quelquefois rem\u00e9dier au p\u00e9ch\u00e9, mais nous la\nrefusons quand elle est offerte par le tr\u00e8s sage M\u00e9decin. Si, par la\ndisposition de Dieu, une l\u00e9g\u00e8re impression de froid ou de chaud se\nfaisait sentir, comme on cherche vite le feu, le double v\u00eatement, ou la\nfra\u00eecheur! Si quelque impression douloureuse est \u00e0 la t\u00eate ou \u00e0\nl\u2019estomac, que de cris, que de plaintes, que de soupirs, que de\nm\u00e9decins, que de rem\u00e8des, que de lits moelleux, que de choses d\u00e9licates,\nque de pri\u00e8res, que de v\u0153ux! Et ce que nous faisons pour ces\ninconv\u00e9nients qui, quelquefois, peuvent \u00eatre utiles, nous ne le faisons\njamais pour la r\u00e9mission de nos p\u00e9ch\u00e9s et pour le bien de nos \u00e2mes. Si\nencore, par la permission de Dieu, quelque homme nous fait un tort ou\nune injure, quel trouble, quelle agitation, quelle col\u00e8re, que de\nr\u00e9criminations, que d\u2019invectives, que de mal\u00e9dictions! Nous ha\u00efssons,\nnous saisissons avec avidit\u00e9, si elle s\u2019offre \u00e0 nous, la vengeance; nous\nrefusons violemment ce qui peut-\u00eatre \u00e9tait un rem\u00e8de administr\u00e9 par le\nM\u00e9decin c\u00e9leste.\nQue d\u2019efforts et de d\u00e9penses pour \u00e9chapper aux afflictions que Dieu\nenvoie! Et cependant elles sont sans doute plus salutaires et plus\nm\u00e9ritoires que les p\u00e9nitences volontaires; car Dieu sait mieux que nous\nde quoi notre \u00e2me a besoin pour \u00eatre lav\u00e9e et purifi\u00e9e. D\u2019ailleurs les\ndouleurs volontaires, les p\u00e9nitences choisies par l\u2019homme, laissent le\nchamp libre \u00e0 son amour-propre. Mais celles qui nous arrivent malgr\u00e9\nnous, quoique support\u00e9es avec patience et avec joie, semblent aux yeux\ndes hommes des n\u00e9cessit\u00e9s subies. Je vous engage donc, mes fils, \u00e0\nsupporter le froid, le chaud, mille petits accidents, mille\ninconv\u00e9nients physiques, sans cependant nuire \u00e0 la vie du corps. Ne\ncherchez de rem\u00e8des que quand ils sont n\u00e9cessaires. Mais il faut les\nchercher \u00e0 l\u2019instant o\u00f9 le mal physique serait un obstacle au bien de\nl\u2019\u00e2me.\nSi nous sommes pauvres d\u2019amis, supportons aussi cette indigence. Si, par\nla volont\u00e9 ou par la permission de Dieu, des oppressions, des\npers\u00e9cutions, des opprobres, des violences, des rapines se produisent,\nne les acceptons pas seulement avec patience, mais avec joie, comme un\nbien que nous aurions conquis. Mais, pauvres cr\u00e9atures, nous faisons\ntout le contraire, absolument tout le contraire: nous passons nos jours\net nos nuits \u00e0 inventer, \u00e0 m\u00e9diter, \u00e0 rechercher, \u00e0 conqu\u00e9rir de vaines\njoies et de vaines gloire. Telle n\u2019est pas la voie de J\u00e9sus-Christ. Et\ncomment cette malheureuse \u00e2me, qui ne recherche que les consolations de\nla vie mondaine, pourra-t-elle aller \u00e0 lui? L\u2019\u00e2me sage qui veut\npratiquer la sagesse, ne doit en v\u00e9rit\u00e9 chercher que la croix. Une \u00e2me\nqui aurait une \u00e9tincelle d\u2019amour voudrait suivre au Calvaire\nJ\u00e9sus-Christ.\nCe que je dis des consolations temporelles, je le dis des consolations\nspirituelles. Il s\u2019en trouve dans le service de Dieu, mais ce n\u2019est pas\nl\u00e0 qu\u2019il faut viser par-dessus tout. Marie, sur le Calvaire, voyant ce\nqu\u2019elle voyait, a-t-elle cherch\u00e9 le go\u00fbt de la suavit\u00e9 divine? Non; elle\na accept\u00e9 l\u2019angoisse, l\u2019amertume et la croix. Imitez-la; il y a un peu\nd\u2019amour, et souvent beaucoup de pr\u00e9somption, \u00e0 demander autre chose.\nL\u2019\u00e2me enrichie de douceur sensible, qui court \u00e0 Dieu pleine de joie, a\nmoins de m\u00e9rite que celle qui fait le m\u00eame service sans consolation,\ndans la douleur. La lumi\u00e8re qui sort de la vie de J\u00e9sus me montre, ce me\nsemble, que c\u2019est la douleur qui m\u00e8ne \u00e0 Dieu, et que l\u00e0 o\u00f9 a pass\u00e9 la\nt\u00eate, l\u00e0 doivent passer la main, le bras, le pied et tous les membres.\nPar la pauvret\u00e9 temporelle, l\u2019\u00e2me arrivera aux richesses \u00e9ternelles; par\nle m\u00e9pris, \u00e0 la gloire; par une l\u00e9g\u00e8re p\u00e9nitence, \u00e0 la possession du\nsouverain bien, \u00e0 la douceur infinie, \u00e0 la consolation sans limites.\nQu\u2019\u00e0 Dieu soit honneur et gloire dans les si\u00e8cles des si\u00e8cles. _Amen_.\nGloire soit au Dieu tout-puissant \u00e0 qui il a plu de nous tirer du n\u00e9ant\npour nous faire \u00e0 son image et ressemblance. Honneur, puissance et\ngloire soient au Dieu de mis\u00e9ricorde, en qui a triomph\u00e9 la bont\u00e9, et qui\na ouvert aux mis\u00e9rables, aux p\u00e9cheurs, aux condamn\u00e9s, les portes de son\nroyaume, sans exclure aucun de ceux qui ne veulent pas \u00eatre exclus. Mais\ngloire et honneur soient aussi au Dieu tr\u00e8s doux qui a voulu donner son\nroyaume, sa soci\u00e9t\u00e9, sa jouissance, aux pauvres, aux petits, aux\nm\u00e9pris\u00e9s. S\u2019il e\u00fbt fallu, pour poss\u00e9der son royaume, de l\u2019or, de\nl\u2019argent, des diamants, des ressources de toute esp\u00e8ce, comme la plupart\nd\u2019entre nous sont destitu\u00e9s de tous ces tr\u00e9sors, son royaume n\u2019e\u00fbt pas\n\u00e9t\u00e9 l\u2019h\u00e9ritage universel. Mais comme tout le monde peut pratiquer, au\nmoins dans le c\u0153ur, la pauvret\u00e9 et la p\u00e9nitence, l\u2019occasion est offerte\n\u00e0 tous de conqu\u00e9rir le royaume de Dieu. B\u00e9ni soit Dieu, qui n\u2019a pas mis\nson royaume au prix d\u2019une longue patience, mais qui a fait cette vie\ntr\u00e8s courte aupr\u00e8s de l\u2019\u00e9ternit\u00e9. Si pour l\u2019amour de Dieu et de son\nroyaume \u00e9ternel il fallait porter pendant mille milliers d\u2019ann\u00e9es la\nplus rude \u00e9preuve, il faudrait encore accepter avec joie et rendre gr\u00e2ce\nles mains jointes; mais il nous est accord\u00e9 et octroy\u00e9 par la\nmis\u00e9ricorde divine de ne supporter qu\u2019une lutte d\u2019un instant. En v\u00e9rit\u00e9,\nla vie ne dure rien. Gloire au Dieu b\u00e9ni qui a voulu promettre par sa\nparole, montrer par son exemple, et confirmer par la r\u00e9alit\u00e9 visible de\nsa chair pure ses voies et notre r\u00e9compense. Nous savons qu\u2019il est\npossible et n\u00e9cessaire d\u2019obtenir ce qu\u2019il a promis par la route d\u2019un\ncourt travail dont lui-m\u00eame a donn\u00e9 l\u2019exemple. Lui-m\u00eame n\u2019a voulu\nposs\u00e9der son propre royaume qu\u2019au prix des douleurs dont nous avons\nparl\u00e9.\nVenez donc, fils de Dieu, \u00e0 la croix de J\u00e9sus-Christ. Transformez-vous\nde toutes vos forces en lui. Voyez son amour, et l\u2019exemple qu\u2019il donne,\net sa mort, et notre r\u00e9demption. Car le signe qui marque les enfants de\nDieu est l\u2019amour de J\u00e9sus et l\u2019amour du prochain: voil\u00e0 la perfection.\nLe Christ nous a aim\u00e9s d\u2019un amour parfait; sans rien r\u00e9server de\nlui-m\u00eame, il s\u2019est livr\u00e9 tout entier. Il veut que ses enfants l\u00e9gitimes\ncorrespondent suivant leurs forces \u00e0 sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9. J\u2019entends la voix de\nce Dieu crucifi\u00e9. Il m\u2019ordonne, \u00f4 fils de Dieu, de vous conjurer sans me\nlasser jamais, et je vous conjure d\u2019\u00eatre fid\u00e8les comme il est fid\u00e8le, et\nd\u2019aimer vos fr\u00e8res d\u2019un amour sans d\u00e9faut, sans faiblesse et sans\ntrahison. Si vous \u00eates fid\u00e8les \u00e0 Dieu, vous serez fid\u00e8les aux hommes.\nQuant \u00e0 la puret\u00e9 et \u00e0 la fid\u00e9lit\u00e9 de l\u2019amour, l\u2019Homme-Dieu a fait ses\npreuves: voyez sa vie et sa Mort.\nMais parce que nous sommes infid\u00e8les, nous ne voyons ni la pauvret\u00e9 de\nsa naissance, ni les horreurs de sa mort, ni les duret\u00e9s de sa vie, ni\nles douceurs de sa doctrine. Parce que nous ne la contemplons pas avec\nles yeux du c\u0153ur, sa mort ne nous emp\u00eache de vivre ni au monde, ni au\np\u00e9ch\u00e9. Quel est l\u2019homme qui r\u00e9ponde \u00e0 cette fid\u00e9lit\u00e9 \u00e9ternelle et divine\npar un peu de r\u00e9ciprocit\u00e9? La Vie de J\u00e9sus est comme non avenue; nous la\njetons derri\u00e8re notre dos pour ne plus la voir. Venez donc, fils de la\nb\u00e9n\u00e9diction; regardez cette croix, regardez Celui qu\u2019elle porte, et\npleurez avec moi, car c\u2019est nous qui l\u2019avons tu\u00e9. Connaissez-vous\nquelqu\u2019un qui puisse compter nos crimes? Moi, je ne suis que p\u00e9ch\u00e9. Mais\nsi vous \u00eates innocents, pleurez comme moi, car ce n\u2019est pas par vos\npropres forces que vous avez gard\u00e9 la robe blanche; c\u2019est par la gr\u00e2ce\nde Dieu et la vertu de la croix. Pleurez donc, \u00f4 mes enfants, comme si\nvous me ressembliez. Plus vous avez re\u00e7u, plus vous devez rendre.\nVotre reconnaissance n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 parfaite. Votre vie n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 sans\ntache, votre puret\u00e9 n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 infinie; pleurez donc tous, et que tous\nles yeux de tous les c\u0153urs regardent la croix! C\u2019est dans la vue de la\ncroix que l\u2019\u00e2me trouve l\u2019ab\u00eeme de son n\u00e9ant. Et c\u2019est l\u2019oraison\ncontinuelle qui donne \u00e0 l\u2019homme la lumi\u00e8re, par laquelle on voit le\np\u00e9ch\u00e9. Par la lumi\u00e8re, vous recevrez la douleur et la contrition. Quand\nl\u2019\u00e2me, contemplant la croix, voit ses p\u00e9ch\u00e9s dans leur ensemble et dans\nleur d\u00e9tail, et sa victime expirante, l\u2019esprit de contrition s\u2019\u00e9meut en\nelle pour ch\u00e2tier et r\u00e9former sa vie.\nRegardez l\u2019exemplaire vivant, et que la forme de la divine perfection\ns\u2019imprime sur vous. Lisez le livre de vie, c\u2019est la vie et la mort de\nJ\u00e9sus qui conduit \u00e0 l\u2019ab\u00eeme de la lumi\u00e8re, de la douleur et de\nl\u2019humilit\u00e9. La vue de la croix ouvre la porte de l\u2019ab\u00eeme. L\u2019\u00e2me voit et\nconna\u00eet la multitude de ses p\u00e9ch\u00e9s, et comment elle y a employ\u00e9 tous les\nmembres de son corps; puis elle voit les entrailles de la mis\u00e9ricorde\ndivine qui s\u2019ouvrent ineffablement pour l\u2019engloutir dans leurs ab\u00eemes.\nPour les p\u00e9ch\u00e9s de chacun des membres de son corps, elle voit comment\nfut trait\u00e9 chacun des membres du Christ.\nVoyez la t\u00eate de l\u2019homme, et les p\u00e9ch\u00e9s dont elle est l\u2019occasion.\nComptez les recherches de la toilette, et comment nous nous d\u00e9shonorons\nla face pour plaire \u00e0 la cr\u00e9ature et pour d\u00e9plaire \u00e0 Dieu; comptez les\nvanit\u00e9s qui se d\u00e9ploient autour de la figure humaine.\nPuis voyez ce que J\u00e9sus-Christ a souffert dans sa t\u00eate. Au lieu de nos\nd\u00e9licatesses eff\u00e9min\u00e9es, de nos onguents et de nos raffinements, comptez\nles cheveux arrach\u00e9s, comptez les blessures faites par la couronne\nd\u2019\u00e9pines, comptez les coups de roseau, comptez les gouttes de sang.\nAinsi tous les membres de Dieu et tous les membres de l\u2019homme pourraient\ncompara\u00eetre en face les uns des autres, dans une vision, et \u00e0 chaque\nnouvelle apparition d\u2019un instrument nouveau de torture ou de plaisir,\nnous entendrions quelle plainte sortirait des l\u00e8vres de J\u00e9sus-Christ.\nApr\u00e8s la multitude des crimes, l\u2019homme voit leur gravit\u00e9. L\u2019\u00e2me, qui\nregarde la croix, mesure l\u2019\u00e9normit\u00e9 du crime \u00e0 l\u2019\u00e9normit\u00e9 de la\nr\u00e9demption. Tel est le p\u00e9ch\u00e9, que Dieu, pour le racheter, a pris sur ses\n\u00e9paules le poids qu\u2019on ne peut peser, la douleur au-dessus des paroles.\nLe livre de vie montre \u00e0 l\u2019\u00e2me comment le p\u00e9ch\u00e9 ne peut demeurer impuni.\nElle voit comment Dieu le P\u00e8re a pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 le supplice de son Fils \u00e0\nl\u2019impunit\u00e9 du crime humain. Elle voit cette bont\u00e9 infinie de Dieu, qui,\nnous voyant insolvable et toute cr\u00e9ature avec nous, a pay\u00e9 lui-m\u00eame\nnotre r\u00e9demption. Elle voit l\u2019infinie volont\u00e9 de sauver le monde, cette\nvolont\u00e9 qui r\u00e9side en Dieu; elle voit que la mort et une telle mort ne\nle fait pas reculer, tant il veut nous rendre l\u2019h\u00e9ritage perdu et sa\nsoci\u00e9t\u00e9 \u00e9ternelle.\nDans le m\u00eame miroir, l\u2019\u00e2me voit sa sagesse infinie. Sa justice et sa\nmis\u00e9ricorde se sont embrass\u00e9es dans l\u2019\u0153uvre de notre salut et de notre\nexaltation; mais le mode est ineffable. Le mode d\u00e9fie les pens\u00e9es de\ntoute cr\u00e9ature. Dieu a su nous exalter par sa mort, sans qu\u2019il en co\u00fbt\u00e2t\nrien \u00e0 l\u2019immensit\u00e9 de la nature divine. Le jour o\u00f9 l\u2019homme mangea le\nfruit d\u00e9fendu, le s\u00e9ducteur, homicide du genre humain, avait tromp\u00e9 par\nle bois. J\u00e9sus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, nous a sauv\u00e9s par le\nbois. Il a tourn\u00e9 contre Satan l\u2019instrument de son triomphe. Il a su\nd\u00e9truire la mort universelle par sa mort particuli\u00e8re, et tout vivifier\nquand l\u2019haleine lui manquait. Il a su par les tourments, les douleurs et\nle m\u00e9pris, pr\u00e9parer au genre humain les d\u00e9lices sans amertume et la\ngloire qui ne finira pas. Il a su par la mort de la croix, c\u2019est-\u00e0-dire\npar le proc\u00e9d\u00e9 le plus radicalement fou aux yeux des hommes, confondre\nla sagesse humaine, et manifester la sagesse divine. Quand j\u2019ai montr\u00e9\nles douleurs de J\u00e9sus, l\u2019humilit\u00e9, la mis\u00e9ricorde, le Roi de gloire\nportant la mort de l\u2019esclave, la r\u00e9demption, le ciel rouvert, l\u2019exemple,\nla sagesse, la force, la joie \u00e9ternelle, et tout le reste, ne croyez\npas, mes enfants, que je vous aie donn\u00e9 la moindre id\u00e9e de J\u00e9sus-Christ.\nLa v\u00e9rit\u00e9 est ineffable; pour lire \u00e0 haute voix le livre de vie, il\nfaudrait exprimer et r\u00e9v\u00e9ler l\u2019infini. J\u2019ai beaucoup r\u00e9p\u00e9t\u00e9, mais je\nn\u2019ai pas dit ce qui \u00e9chappe. Au regard du contemplateur, si la gr\u00e2ce se\nplace entre le Calvaire et l\u2019\u0153il qui regarde, toutes choses sont\nmanifest\u00e9es dans la croix, toutes choses, ai-je dit..., j\u2019ajoute\nmaintenant... et beaucoup d\u2019autres, mais elles sont ineffables.\nQu\u2019\u00e0 J\u00e9sus-Christ soit honneur et gloire dans les si\u00e8cles des si\u00e8cles.\n_Amen_.\nSOlXANTE-DEUXI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019ORAISON\nLa connaissance du Dieu \u00e9ternel et de l\u2019Homme-Dieu crucifi\u00e9, qui est\nabsolument n\u00e9cessaire \u00e0 la transformation spirituelle de l\u2019homme,\nsuppose la lecture assidue du livre de vie, du livre o\u00f9 sont \u00e9crites la\nvie et la mort de J\u00e9sus-Christ. Or cette lecture, pour \u00eatre\nintelligente, suppose une oraison d\u00e9vou\u00e9e, pure, humble, violente,\nprofonde et assidue. Je ne parle pas seulement de la pri\u00e8re vocale, je\nparle de la pri\u00e8re mentale, celle qui part du c\u0153ur et de toutes les\npuissances de l\u2019\u00e2me r\u00e9unies. Apr\u00e8s avoir parl\u00e9 du livre de vie, parlons\nde l\u2019oraison.\nL\u2019oraison est la force qui attire Dieu, et le sanctuaire o\u00f9 il se\ntrouve. Il y a trois sortes d\u2019oraisons au fond desquelles on rencontre\nle Seigneur: l\u2019oraison corporelle, l\u2019oraison vocale, l\u2019oraison\nsurnaturelle.\nL\u2019oraison corporelle suppose le concours de la voix et des membres; on\nparle, on articule, on fait le signe de la croix; les g\u00e9nuflexions ont\nleur place dans cette pri\u00e8re. Cette oraison, je ne l\u2019abandonne jamais.\nJ\u2019ai voulu autrefois la sacrifier enti\u00e8rement \u00e0 l\u2019oraison mentale. Mais\nquelquefois le sommeil et la paresse intervenaient, et je perdais\nl\u2019esprit de pri\u00e8re. C\u2019est pourquoi je ne n\u00e9glige plus l\u2019oraison\ncorporelle: elle est la route qui m\u00e8ne aux autres. Mais il faut la faire\navec recueillement. Si vous dites: _Notre P\u00e8re_, consid\u00e9rez ce que vous\ndites. N\u2019allez pas vous h\u00e2ter pour r\u00e9p\u00e9ter la pri\u00e8re un certain nombre\nde fois. Je vous prie seulement de ne pas imiter ces pauvres petites\nbonnes femmes qui croient avoir bien pri\u00e9, quand elles ont pri\u00e9\nlongtemps. On dirait qu\u2019elles ont un certain ouvrage \u00e0 faire, qui sera\npay\u00e9 suivant la longueur et la quantit\u00e9.\nIl y a oraison mentale quand la pens\u00e9e de Dieu poss\u00e8de tellement\nl\u2019esprit que l\u2019homme ne se souvient plus de rien en dehors de son\nSeigneur. Et si quelque pens\u00e9e qui ne soit pas la pens\u00e9e de Dieu entre\ndans l\u2019esprit, ce n\u2019est plus l\u2019oraison mentale. Cette oraison coupe la\nlangue, qui ne peut plus remuer. L\u2019esprit est tellement plein de Dieu,\nqu\u2019il n\u2019y a pas place en lui pour la pens\u00e9e des cr\u00e9atures.\nL\u2019oraison mentale m\u00e8ne \u00e0 l\u2019oraison surnaturelle. Il y a oraison\nsurnaturelle quand l\u2019\u00e2me, ravie au-dessus d\u2019elle-m\u00eame par la pens\u00e9e et\nla pl\u00e9nitude divine, est transport\u00e9e plus haut que sa nature, entre dans\nla compr\u00e9hension divine plus profond\u00e9ment que ne le comporte la nature\ndes choses, et trouve la lumi\u00e8re dans cette compr\u00e9hension. Mais les\nconnaissances qu\u2019elle puise aux sources, l\u2019\u00e2me ne peut pas les\nexpliquer, parce que tout ce qu\u2019elle voit et sent est sup\u00e9rieur \u00e0 sa\nnature.\nDans ces trois genres d\u2019oraison, l\u2019\u00e2me obtient une certaine connaissance\nd\u2019elle-m\u00eame et de Dieu. Elle aime dans la mesure o\u00f9 elle conna\u00eet; elle\nd\u00e9sire dans la mesure o\u00f9 elle aime; et le signe de l\u2019amour ce n\u2019est pas\nune transformation partielle, c\u2019est une transformation absolue.\nMais cette transformation n\u2019est pas continuelle. Aussi l\u2019\u00e2me s\u2019applique\ntout enti\u00e8re \u00e0 chercher une transformation nouvelle, et \u00e0 rentrer dans\nl\u2019union divine.\nLa Sagesse divine aime l\u2019ordre en toutes choses, parce qu\u2019elle porte en\nsoi l\u2019ordre absolu. Cette Sagesse ineffable a donn\u00e9 l\u2019oraison corporelle\npour marchepied de l\u2019oraison mentale, et l\u2019oraison mentale pour\nmarchepied de l\u2019oraison surnaturelle. Elle a voulu que chaque chose f\u00fbt\nfaite \u00e0 son heure, \u00e0 moins que dans l\u2019oraison mentale ou surnaturelle il\nne survienne une joie envahissante qui ferme les l\u00e8vres absolument.\nExcept\u00e9, bien entendu, le cas d\u2019une indisposition physique, il faut\nrendre \u00e0 Dieu ce qui est \u00e0 Dieu, dans toute la mesure des forces\nhumaines, et veiller autour du repos de l\u2019\u00e2me pour qu\u2019aucun souci\ntemporel n\u2019approche de sa paix divine.\nLa loi de l\u2019oraison c\u2019est l\u2019unit\u00e9. Il exige la totalit\u00e9 de l\u2019homme, et\nnon une partie de lui. L\u2019oraison demande le c\u0153ur tout entier; et si on\nlui donne une partie du c\u0153ur, on n\u2019obtient rien de lui. Le contraire\narrive dans les actes de la vie humaine; s\u2019il s\u2019agit de boire ou de\nmanger, ou d\u2019accomplir quoi que ce soit, il faut r\u00e9server son int\u00e9rieur.\nMais, dans l\u2019oraison, il faut donner tout son c\u0153ur, si l\u2019on veut go\u00fbter\nle fruit de cet arbre; car la tentation vient d\u2019une division du c\u0153ur.\nPriez et priez assid\u00fbment. Plus vous prierez, plus vous serez illumin\u00e9;\nplus profonde, plus \u00e9vidente, plus sublime sera votre contemplation du\nsouverain bien. Plus profonde et sublime sera la contemplation, plus\nardent sera l\u2019amour; plus ardent sera l\u2019amour, plus d\u00e9licieuse sera la\njoie, et plus immense la compr\u00e9hension. Alors vous sentirez augmenter en\nvous la capacit\u00e9 intime de comprendre, ensuite vous arriverez \u00e0 la\npl\u00e9nitude de la lumi\u00e8re, et vous recevrez les connaissances dont votre\nnature n\u2019\u00e9tait pas capable, les secrets au-dessus de vous.\nDe cette glorieuse oraison nous trouvons la science, l\u2019exemplaire et la\nforme en J\u00e9sus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, qui a enseign\u00e9 par la\nparole et enseign\u00e9 par le fait. Il nous a enseign\u00e9 la pri\u00e8re, quand il a\ndit aux disciples: \u00abVeillez et priez, de peur que vous n\u2019entriez en\ntentation.\u00bb\nDans mille endroits de l\u2019Evangile, il a recommand\u00e9 l\u2019oraison \u00e0 tous nos\nrespects. Il a montr\u00e9 qu\u2019elle \u00e9tait l\u2019aliment de son c\u0153ur. Elle nous est\nconseill\u00e9e par Celui qui nous aime sans mensonge, et qui nous souhaite\ntout bien. Pour enlever toute excuse \u00e0 qui refuse la gr\u00e2ce, ayant pos\u00e9\nsur notre pri\u00e8re la promesse de la toute-puissance: \u00abDemandez, et vous\nrecevrez\u00bb; il a voulu prier lui-m\u00eame pour nous attirer l\u00e0 o\u00f9 il est,\npour r\u00e9gler sur le sien notre amour.\nL\u2019Evang\u00e9liste nous dit qu\u2019au fort d\u2019une longue oraison, la sueur de sang\nsortit de son corps et coula sur la terre. Placez ce spectacle devant\nvos yeux: regardez l\u2019exemplaire de l\u2019oraison, et souvenez-vous qu\u2019il\npriait, non pour lui, mais pour vous: \u00abP\u00e8re, s\u2019il est possible, que ce\ncalice s\u2019\u00e9loigne de moi. Cependant que votre volont\u00e9 soit faite, et non\nla mienne.\u00bb Voyez et imitez la soumission de cette pri\u00e8re.\nIl a pri\u00e9 quand il a dit: \u00abP\u00e8re, je remets mon esprit entre vos mains.\u00bb\nEn un mot, son oraison dura autant que sa vie, qui fut pri\u00e8re, science,\net r\u00e9v\u00e9lation.\nPensez-vous que le Christ ait pri\u00e9 en vain? Pourquoi n\u00e9gligez-vous la\nchose sans laquelle tout est impossible? Puisque J\u00e9sus-Christ, vrai Dieu\net vrai homme, a pri\u00e9 pour vous donner l\u2019exemple, si vous voulez quelque\nchose de lui, priez, priez, priez, sinon rien. Si le vrai Dieu n\u2019a voulu\nrecevoir qu\u2019en demandant humblement, vous, mis\u00e9rable cr\u00e9ature,\nrecevrez-vous sans demander et sans demander \u00e0 genoux? Ainsi, priez.\nVous savez, cher enfant, que sans lumi\u00e8re et sans gr\u00e2ce le salut n\u2019est\npas possible. La lumi\u00e8re divine est le principe, le milieu, et le centre\nde toute perfection.\nVoulez-vous commencer la route? priez. Voulez-vous grandir? priez.\nVoulez-vous la montagne? priez. La perfection? priez. Voulez-vous monter\nplus haut que la lumi\u00e8re? priez. Voulez-vous la foi? priez. L\u2019esp\u00e9rance?\npriez. La Charit\u00e9? priez. L\u2019amour de la pauvret\u00e9? priez. L\u2019ob\u00e9issance?\npriez. La chastet\u00e9? priez. Une vertu quelconque? priez. Vous prierez de\ncette fa\u00e7on, si vous lisez le livre de vie, la vie de J\u00e9sus-Christ, qui\nfut pauvret\u00e9, douleur, opprobre et ob\u00e9issance. Apr\u00e8s les premiers pas et\nceux qui les suivront, les tribulations de la chair, du monde et du\nd\u00e9mon vous attaqueront. La pers\u00e9cution sera peut-\u00eatre horrible.\nVoulez-vous la victoire? priez.\nQuand l\u2019\u00e2me veut prier, il lui faut conqu\u00e9rir la puret\u00e9 pour elle et\npour le corps. Il faut qu\u2019elle approfondisse ses intentions, bonnes on\nmauvaises, qu\u2019elle descende au fond de ses pri\u00e8res, de ses je\u00fbnes et de\nses larmes pour les scruter dans leurs secrets; qu\u2019elle interroge ses\nbonnes \u0153uvres; qu\u2019elle consid\u00e8re ses n\u00e9gligences dans le service de\nDieu, ses irr\u00e9v\u00e9rences et ses absences. Qu\u2019elle entre dans la\ncontemplation profonde, attentive et humili\u00e9e de ses mis\u00e8res, qu\u2019elle\nconfesse son p\u00e9ch\u00e9, qu\u2019elle le reconnaisse; qu\u2019elle s\u2019ab\u00eeme dans le\nrepentir. Dans cette confession, dans ce brisement, elle trouvera la\npuret\u00e9. O mes enfants, allez \u00e0 la pri\u00e8re comme le publicain, et non pas\ncomme le pharisien.\nVoulez-vous recevoir le Saint-Esprit? priez. Les ap\u00f4tres priaient quand\nil est descendu.\nPriez et gardez-vous, et ne donnez pas prise \u00e0 l\u2019ennemi, qui est\ntoujours en observation. Vous ouvrez la place \u00e0 l\u2019ennemi, d\u00e8s que vous\ncessez de prier. Plus vous serez tent\u00e9, plus il faut pers\u00e9v\u00e9rer dans la\npri\u00e8re. La tentation vient quelquefois \u00e0 raison m\u00eame de la pri\u00e8re, tant\nles d\u00e9mons d\u00e9sirent l\u2019emp\u00eacher. Ne vous en souciez que pour redoubler!\nC\u2019est elle qui d\u00e9livre, c\u2019est elle qui illumine, n\u2019est elle qui purifie,\nc\u2019est elle qui unit \u00e0 Dieu. L\u2019oraison est la manifestation de Dieu et de\nl\u2019homme. Cette manifestation est l\u2019humilit\u00e9 parfaite, qui r\u00e9side dans la\nconnaissance de Dieu et de soi. L\u2019humilit\u00e9 profonde est la source d\u2019o\u00f9\nsort la gr\u00e2ce divine pour se verser dans l\u2019\u00e2me o\u00f9 elle veut entrer et\ngrandir. Suivez cet encha\u00eenement. Plus la gr\u00e2ce creuse l\u2019ab\u00eeme de\nl\u2019humilit\u00e9, plus elle grandit elle-m\u00eame, s\u2019\u00e9lan\u00e7ant du fond de cet\nab\u00eeme, d\u2019autant plus haute qu\u2019il est plus profond: plus la gr\u00e2ce\ngrandit, plus l\u2019\u00e2me creuse l\u2019ab\u00eeme de l\u2019humilit\u00e9, et elle s\u2019y couche\ncomme dans un lit, et elle s\u2019enfonce dans l\u2019oraison, et la lumi\u00e8re\ndivine grandit dans l\u2019\u00e2me, et la gr\u00e2ce creuse l\u2019ab\u00eeme, et la hauteur et\nla profondeur s\u2019enfantent l\u2019une l\u2019autre.\nTels sont les fruits du livre de vie.\nConna\u00eetre le tout de Dieu et le rien de l\u2019homme, telle est la\nperfection. Je viens de dire la route qui y m\u00e8ne. Repoussez donc, cher\nfils, toute paresse et n\u00e9gligence.\nJ\u2019ai encore un conseil \u00e0 vous donner. Si la gr\u00e2ce de la ferveur sensible\nvous est soustraite, soyez aussi assidu \u00e0 la pri\u00e8re et \u00e0 l\u2019action qu\u2019aux\njours des grandes ardeurs. Vos pri\u00e8res, vos soins, vos travaux, vos\n\u0153uvres sont tr\u00e8s agr\u00e9ables au Seigneur, quand son amour vous embrase.\nMais le sacrifice le plus parfait et le plus agr\u00e9able \u00e0 ses yeux, c\u2019est\nde suivre la m\u00eame route avec sa gr\u00e2ce, quand cette gr\u00e2ce n\u2019embrase plus.\nSi la gr\u00e2ce divine vous pousse \u00e0 la pri\u00e8re et \u00e0 l\u2019acte, suivez-la, tant\nque vous avez le feu. Mais si par votre faute, car c\u2019est ainsi que les\nsoustractions d\u2019amour arrivent le plus souvent; si, par votre faute, ou\npar quelque dessein plus grand de la mis\u00e9ricorde \u00e9ternelle qui vous\npr\u00e9pare \u00e0 quelque chose de sublime, l\u2019ardeur sensible vous est un moment\nretir\u00e9e, insistez dans la pri\u00e8re, dans la surveillance, insistez dans la\ncharit\u00e9; et si la tribulation, si la tentation surviennent avec leur\nforce purificatrice, continuez, continuez, ne vous rel\u00e2chez pas;\nr\u00e9sistez, combattez, triomphez, \u00e0 force d\u2019importunit\u00e9 et de violence:\nDieu vous rendra l\u2019ardeur de sa flamme; faites votre affaire, il fera la\nsienne. La pri\u00e8re violente qu\u2019on arrache de ses entrailles en les\nd\u00e9chirant, est tr\u00e8s puissante aupr\u00e8s de Dieu. Pers\u00e9v\u00e9rez dans la pri\u00e8re\net si vous commencez \u00e0 sentir Dieu plus pleinement que jamais, parce que\nvotre bouche vient d\u2019\u00eatre pr\u00e9par\u00e9e pour une saveur divine, faites le\nvide, faites le vide; laissez-lui toute la place: car une grande lumi\u00e8re\nva vous \u00eatre donn\u00e9e pour vous voir et pour le voir.\nNe vous livrez \u00e0 personne avant d\u2019avoir appris \u00e0 vous s\u00e9parer de tout le\nmonde.\nSurveillez vos ardeurs, \u00e9prouvez l\u2019esprit qui vous les donne. Prenez\ngarde de vous abandonner \u00e0 celui qui fait les ruines. Examinez d\u2019o\u00f9 part\nle feu, o\u00f9 il vous m\u00e8ne, o\u00f9 il vous m\u00e8nera. Comparez vos inspirations au\nlivre de vie; suivez-les tant qu\u2019il les autorise, non pas plus loin.\nD\u00e9fiez-vous des personnes \u00e0 l\u2019air d\u00e9vot qui n\u2019ont \u00e0 la bouche que\nparoles mielleuses. Promptes \u00e0 mettre en avant les communications\ndivines dont elles sont favoris\u00e9es, elles vous tendent un pi\u00e8ge pour\nvous attirer \u00e0 elles, et l\u2019esprit de malice est l\u00e0.\nD\u00e9fiez-vous, oh! d\u00e9fiez-vous des apparences de la saintet\u00e9; d\u00e9fiez-vous,\nd\u00e9fiez-vous des \u00e9talages de bonnes \u0153uvres. Prenez garde qu\u2019on ne vous\nentra\u00eene dans la voie indigne des apparences. Regardez, regardez encore;\n\u00e9prouvez toutes choses, comparez au livre de vie, et ne marchez que\nquand il le permet.\nD\u00e9fiez-vous de ceux qui pr\u00e9tendent avoir l\u2019esprit de libert\u00e9, mais dont\nla vie est la contradiction vivante du christianisme. Fondateur de la\nloi, J\u00e9sus-Christ s\u2019est soumis \u00e0 elle. Libre, il s\u2019est fait serviteur:\nses disciples ne doivent pas chercher la libert\u00e9 dans la licence qui\nbrise la loi divine.\nCette illusion est fr\u00e9quente. Soyez docile \u00e0 la loi, aux pr\u00e9ceptes, et\nne m\u00e9prisez pas les conseils. Il y a de grands chr\u00e9tiens qui font un\ncercle autour d\u2019eux, et un ordre sublime est inscrit dans ce cercle. Cet\nordre vient du Saint-Esprit, qui les fait vivre; qui les conduit par la\nmain. Il ne s\u2019agit pas pour eux de savoir si cette chose est permise ou\nd\u00e9fendue. Il y a telle chose permise en elle-m\u00eame dont le Saint-Esprit\nles \u00e9carte, parce qu\u2019elle n\u2019est pas comprise dans l\u2019ordre immense\ninscrit dans le cercle.\nSOIXANTE-TROISI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019HUMILIT\u00c9\nVaine est la pri\u00e8re sans l\u2019humilit\u00e9; apr\u00e8s la pri\u00e8re, l\u2019humilit\u00e9 est le\npremier besoin de l\u2019homme. Enfants b\u00e9nis du Seigneur, regardez dans le\nChrist crucifi\u00e9 le type de l\u2019humilit\u00e9, et que la forme de toute\nperfection se grave en vous. Voyez sa route, voyez sa doctrine; elle\nn\u2019est pas appuy\u00e9e sur de vaines paroles, mais fond\u00e9e sur des \u0153uvres et\nconfirm\u00e9e par des miracles. De toute la force de votre \u00e2me suivez Celui\nqui, \u00e9tant dans le sein du P\u00e8re, s\u2019est an\u00e9anti, a pris le r\u00f4le de\nserviteur, s\u2019est humili\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 la mort, et a ob\u00e9i jusqu\u2019\u00e0 la croix.\nIl a pos\u00e9 en lui le type supr\u00eame et l\u2019humilit\u00e9; c\u2019est l\u00e0 qu\u2019il a mis son\nc\u0153ur, et il nous a demand\u00e9 d\u2019attacher sur lui nos regards, quand il a\ndit: \u00abApprenez de moi que je suis doux et humble de c\u0153ur.\u00bb\nO mes enfants, regardez, voyez l\u2019importance, la n\u00e9cessit\u00e9 de cette\nchose, voyez sa racine, voyez ses fondements. Par une profonde et\nsavoureuse contemplation, descendez dans cet ab\u00eeme, et jetez vos regards\nvers cette sublimit\u00e9. Ecoutez bien. Il ne dit pas: \u00abApprenez l\u2019humilit\u00e9\ndes ap\u00f4tres; apprenez-la des anges.\u00bb Non. Il dit: \u00abApprenez-la de moi.\nMa majest\u00e9 seule est assez haute pour que mon humilit\u00e9 soit au fond de\nl\u2019ab\u00eeme.\u00bb\nIl ne dit pas: \u00abApprenez de moi \u00e0 je\u00fbner\u00bb, malgr\u00e9 l\u2019exemple des quarante\njours et des quarante nuits. Il ne dit pas: \u00abApprenez de moi le m\u00e9pris\ndu monde; apprenez de moi la pauvret\u00e9\u00bb, quoiqu\u2019il ait fait et conseill\u00e9\nces choses. Il ne dit pas; \u00abApprenez de moi comment j\u2019ai cr\u00e9\u00e9 le ciel.\u00bb\nIl ne dit pas: \u00abApprenez de moi \u00e0 faire des miracles\u00bb, quoiqu\u2019il en ait\nfait par sa puissance propre, et qu\u2019il ait ordonn\u00e9 aux disciples d\u2019en\nfaire en son nom. Il ne dit jamais: \u00abApprenez ceci de moi.\u00bb Il ne le dit\nque dans une occasion: \u00abApprenez l\u2019humilit\u00e9.\u00bb En d\u2019autres termes: \u00abSi je\nne suis pas en fait et en v\u00e9rit\u00e9 le type de l\u2019humilit\u00e9, regardez-moi\ncomme un menteur.\u00bb Et il revient sur ce sujet d\u2019une mani\u00e8re \u00e9tonnante,\npour forcer notre attention. Apr\u00e8s avoir lav\u00e9 de ses mains, de ses mains\n\u00e0 lui, les pieds de ses disciples \u00abSavez-vous, dit-il, ce que je viens\nde faire? Si moi, Ma\u00eetre et Seigneur, j\u2019ai lav\u00e9 vos pieds, faites\nsuivant ce mod\u00e8le: j\u2019ai donn\u00e9 l\u2019exemple pour qu\u2019il soit suivi. Je vous\nle dis en v\u00e9rit\u00e9, le serviteur n\u2019est pas plus grand que le ma\u00eetre. Vous\nserez bienheureux si, sachant ces choses, vous les accomplissez.\u00bb\nEn v\u00e9rit\u00e9, en v\u00e9rit\u00e9, le Sauveur du monde a pos\u00e9 la douceur et\nl\u2019humilit\u00e9 \u00e0 la base des vertus. Abstinence, je\u00fbne, aust\u00e9rit\u00e9, pauvret\u00e9\nint\u00e9rieure ou ext\u00e9rieure, bonnes \u0153uvres, miracles, tout n\u2019est rien sans\nl\u2019humilit\u00e9 du c\u0153ur. Mais toutes ces choses reprendront vie et recevront\nb\u00e9n\u00e9diction, si l\u2019humilit\u00e9 les soutient l\u2019humilit\u00e9 du c\u0153ur est la force\ng\u00e9n\u00e9ratrice des vertus, La tige et les branches ne proc\u00e8dent que de la\nracine. Parce que son prix est infini, parce qu\u2019elle est le fondement\nsur lequel s\u2019\u00e9l\u00e8ve toute perfection spirituelle, le Seigneur n\u2019a voulu\nconfier qu\u2019\u00e0 lui-m\u00eame le soin de nous dire: \u00abSoyez humbles.\u00bb Et la\nVierge Marie, parce que l\u2019humilit\u00e9 est la gardienne universelle, la\nVierge Marie, comme si elle e\u00fbt oubli\u00e9 toutes les autres vertus de son\n\u00e2me et de son corps, n\u2019a admir\u00e9 qu\u2019une chose en elle-m\u00eame, et n\u2019a donn\u00e9\nqu\u2019une raison \u00e0 l\u2019incarnation du Fils de Dieu en elle:\n\u00abParce qu\u2019il a regard\u00e9 l\u2019humilit\u00e9 de sa servante.\u00bb\nC\u2019est pour cela, et non pas pour autre chose, que s\u2019est \u00e9lev\u00e9 le cri des\ng\u00e9n\u00e9rations qui l\u2019ont proclam\u00e9e bienheureuse.\nO mes fils, c\u2019est dans la m\u00eame humilit\u00e9 qu\u2019il faut prendre substance et\nracine, comme des membres unis \u00e0 la t\u00eate, par une union naturelle et\nvraie, si vous d\u00e9sirez le repos de vos \u00e2mes. O mes enfants, o\u00f9 trouver\nle repos et la paix, sinon dans Celui qui est le repos et la paix\nsubstantiels? La condition de la paix est l\u2019humilit\u00e9. Sans l\u2019humilit\u00e9,\ntoute vertu, toute course vers Dieu, est vraiment un n\u00e9ant. Cette\nhumilit\u00e9 du c\u0153ur, que Dieu vous demande et vous enseigne, est une\nlumi\u00e8re merveilleuse et \u00e9clatante qui ouvre les yeux de l\u2019\u00e2me sur le\nn\u00e9ant de l\u2019homme et l\u2019immensit\u00e9 de Dieu. Plus vous conna\u00eetrez sa bont\u00e9\nimmense, plus vous conna\u00eetrez votre n\u00e9ant. Plus vous verrez votre n\u00e9ant\net votre d\u00e9nuement propre, plus s\u2019\u00e9l\u00e8vera dans votre \u00e2me la louange de\nl\u2019Ineffable; l\u2019humilit\u00e9 contemple la bont\u00e9 divine, elle fait couler de\nDieu les gr\u00e2ces qui font fleurir les vertus.\nLa premi\u00e8re d\u2019entre elles est l\u2019amour de Dieu et du prochain, et c\u2019est\nla lumi\u00e8re de l\u2019humilit\u00e9 qui donne naissance \u00e0 l\u2019amour. L\u2019\u00e2me voyant son\nn\u00e9ant, et Dieu pench\u00e9 sur ce n\u00e9ant, et les entrailles de Dieu \u00e9treignant\nce n\u00e9ant, l\u2019\u00e2me s\u2019enflamme, se transforme et adore. L\u2019\u00e2me transform\u00e9e\naime toute cr\u00e9ature comme Dieu aime toute cr\u00e9ature; car dans toute\ncr\u00e9ature c\u2019est Dieu qu\u2019elle voit, c\u2019est le nom de Dieu qu\u2019elle lit.\nAussi elle partage les joies et les douleurs du prochain. Les fautes des\nhommes n\u2019enflent pas l\u2019\u00e2me et ne l\u2019inclinent pas vers le m\u00e9pris; car la\nlumi\u00e8re qui l\u2019\u00e9claire lui montre qu\u2019elle est aussi coupable ou plus\ncoupable. Si elle est innocente, elle sait qu\u2019elle ne l\u2019est pas par\nelle-m\u00eame, qu\u2019elle a \u00e9t\u00e9 tenue par la main, fortifi\u00e9e, que la tentation\na \u00e9t\u00e9 diminu\u00e9e; et, au lieu de l\u2019enfler, les fautes des autres hommes\nl\u2019aident \u00e0 rentrer dans son propre ab\u00eeme, et l\u00e0, voyant ses d\u00e9fauts \u00e0 la\nclart\u00e9 de l\u2019ab\u00eeme, elle voit qu\u2019elle serait tomb\u00e9e avant tout autre dans\nle pr\u00e9cipice, sans la main qui la tenait. Elle sent aussi les maux que\nle prochain souffre dans son corps, et compatit comme l\u2019Ap\u00f4tre: \u00abQui est\nmalade, disait-il, sans que je le sois aussi?\u00bb\nComme la Charit\u00e9, la Foi, l\u2019Esp\u00e9rance et toutes les vertus, selon leur\nnature propre et leurs propri\u00e9t\u00e9s particuli\u00e8res, reposent sur\nl\u2019humilit\u00e9: il serait trop long d\u2019expliquer en d\u00e9tail toutes ces\nfiliations. L\u2019homme qui voit la faiblesse de sa pens\u00e9e, et comment le\nvide de Dieu est \u00e0 chaque instant dans son esprit, croit ce que la foi\nenseigne. L\u2019homme, voyant qu\u2019il ne peut rien par lui ni par personne,\nplace en Dieu toute son esp\u00e9rance. Mais l\u2019exp\u00e9rience vous parlera plus\nhaut que moi. Je n\u2019ai qu\u2019un mot \u00e0 vous dire: tenez-vous sur la base des\nchoses, debout, immobiles, fermes, fixes. Celui qui est fond\u00e9 en\nhumilit\u00e9 a sa conversation avec les anges, tr\u00e8s douce, tr\u00e8s pure et\npacifique. L\u2019homme humble a une action singuli\u00e8re sur le c\u0153ur des\nhommes, sur le c\u0153ur des \u00e9lus. Il est pos\u00e9 devant eux comme une lumi\u00e8re,\net sa douceur les tourne comme elle veut. Parce qu\u2019il est pacifi\u00e9 par la\npacification interne, nul malheur ne le trouble, et il dit avec\nl\u2019Ap\u00f4tre: \u00abQui pourra me s\u00e9parer de la charit\u00e9 de J\u00e9sus?\u00bb O mes enfants,\ncherchez, cherchez jusqu\u2019\u00e0 ce que vous ayez trouv\u00e9 le fondement sans\nlequel toute \u00e9dification est une ruine. Gardez-vous de la route qui\nn\u2019aboutit pas. Je vois la n\u00e9cessit\u00e9 de cette n\u00e9cessit\u00e9, parce que sans\nl\u2019humilit\u00e9 je vois de mes yeux ouverts le n\u00e9ant des vertus. Accomplissez\nle d\u00e9sir de l\u2019\u00e9ternel Roi, de J\u00e9sus-Christ Notre-Seigneur, qui vous\nsupplie, en vous serrant, d\u2019accepter de lui l\u2019humilit\u00e9. Approfondissez\nla profondeur; creusez le n\u00e9ant dans votre ab\u00eeme. Accomplissez le d\u00e9sir\nde l\u2019\u00e9ternelle V\u00e9rit\u00e9, de l\u2019\u00e9ternelle Sagesse, qui a cach\u00e9 l\u2019humilit\u00e9\naux sages du si\u00e8cle comme on cache un tr\u00e9sor, mais qui l\u2019a relev\u00e9e et\nlivr\u00e9e aux enfants.\nJe d\u00e9sire, je d\u00e9sire, j\u2019ai faim et soif, mes enfants; j\u2019ai faim et soif\nque vous vous ab\u00eemiez dans l\u2019ab\u00eeme, que vous vous engloutissiez dans la\nprofondeur de votre n\u00e9ant et dans la hauteur de l\u2019immensit\u00e9 divine. Si\ncela est, si vous \u00eates solides sur la base, vos l\u00e8vres et vos \u00e2mes ne\nseront plus promptes aux querelles. Semblables au Crucifi\u00e9, vous serez\ncomme des sourds qui n\u2019entendent pas, comme des muets qui ne peuvent\nplus remuer les l\u00e8vres. Vous serez les membres v\u00e9ridiques, les membres\nauthentiques du Seigneur, du Dieu de gloire. Lisez l\u2019Ecriture, vous\nverrez s\u2019il a jamais eu la moindre complaisance pour les mis\u00e9rables\nvanit\u00e9s, pour les rivalit\u00e9s qui s\u2019agitaient autour de lui.\nNul ne sait jusqu\u2019o\u00f9 va la bienfaisance de cette humilit\u00e9, qui remplit\nd\u2019elle-m\u00eame les \u00e2mes pacifiques, les vases d\u2019\u00e9lection o\u00f9 Dieu se\ncompla\u00eet; car la profondeur de leur paix int\u00e9rieure arme les humbles\ncontre le dehors. S\u2019ils entendent l\u2019injure les attaquer ou attaquer la\nv\u00e9rit\u00e9, ils ne peuvent se justifier que bri\u00e8vement et sans emphase. La\ncalomnie les trouve plut\u00f4t pr\u00eats \u00e0 avouer leur ignorance et \u00e0 se\nretirer, qu\u2019\u00e0 entrer en discussion: ils n\u2019ont pas cette complaisance.\nQuand je cherche la source du silence, je ne la trouve que dans le\ndouble ab\u00eeme, o\u00f9 l\u2019Immensit\u00e9 divine est en t\u00eate \u00e0 t\u00eate avec le n\u00e9ant de\nl\u2019homme. Et la lumi\u00e8re du double ab\u00eeme, cette lumi\u00e8re, c\u2019est l\u2019humilit\u00e9.\nHumilit\u00e9, lumi\u00e8re, silence, quelle route m\u00e8ne \u00e0 vous, sinon la route\nindiqu\u00e9e? C\u2019est la pri\u00e8re qui vous trouve, pri\u00e8re ardente, pure,\ncontinuelle, pri\u00e8re fille des entrailles. C\u2019est aussi le livre de vie,\nc\u2019est la croix qui, en nous montrant nos crimes, nous ouvre les portes\nde l\u2019humilit\u00e9. O chers enfants de mon \u00e2me, je vous le demande, et je me\nle demande \u00e0 moi-m\u00eame: soyons unis dans la m\u00eame sagesse, bien loin, bien\nloin de toute discorde. Oh! cette paix, cette paix, cette paix qui fait\nl\u2019unit\u00e9 entre les fr\u00e8res ennemis, je vous la souhaite ardemment. La\nforce que donne cette paix, c\u2019est l\u2019esprit d\u2019enfance. Quand vous le\nposs\u00e9derez, au lieu, de vous laisser enfler par la science ou par le\nsens naturel, des p\u00e9ch\u00e9s d\u2019autrui vos regards tomberont sur vos p\u00e9ch\u00e9s,\net si vous querellez quelqu\u2019un, ce quelqu\u2019un ce sera vous. L\u2019esprit\nd\u2019enfance ignore les questions de pr\u00e9s\u00e9ance; il ignore la lourdeur, la\npesanteur de l\u2019homme qui dispute.\nJe d\u00e9sire, \u00f4 mes enfants, que votre vie, m\u00eame dans le silence, soit un\nmiroir o\u00f9 les adversaires de la v\u00e9rit\u00e9 contemplent son image dans\nl\u2019esprit d\u2019enfance, dans l\u2019esprit de z\u00e8le, dans l\u2019esprit de compassion\ndiscr\u00e8te. O mes enfants, si j\u2019apprenais que vous n\u2019avez qu\u2019un c\u0153ur et\nqu\u2019une \u00e2me, et que l\u2019esprit d\u2019enfance est descendu sur vous, je serais\ntranquille sur votre vie et tranquille sur votre mort; car je vois dans\nla lumi\u00e8re vraie que sans unit\u00e9 vous ne pouvez pas plaire \u00e0 Dieu. O mes\nenfants, pardonnez-moi mon orgueil; c\u2019est donc moi qui ose engager les\nautres \u00e0 \u00eatre humbles! C\u2019est votre d\u00e9sir et votre amour qui m\u2019ont\ncontrainte \u00e0 parler.\nSOIXANTE-QUATRI\u00c8ME CHAPITRE\nLA CHARIT\u00c9\nL\u2019amour est la premi\u00e8re des vertus. Sans lui la pri\u00e8re ne vaut rien;\nsans lui elle est une pure vanit\u00e9 que Dieu rejette, et toute vertu est\nsans fruit. Sur l\u2019inutilit\u00e9 de la pri\u00e8re destitu\u00e9e d\u2019amour, lisez le\nlivre de vie, \u00e9coutez J\u00e9sus-Christ: \u00abSi au moment de d\u00e9poser votre\npr\u00e9sent sur l\u2019autel, etc.\u00bb Le don de l\u2019oraison ne vaut rien, s\u2019il n\u2019est\noffert dans le lien de la charit\u00e9. Et dans l\u2019Oraison dominicale\n\u00abPardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons, etc.\u00bb\nIl vous sera pardonn\u00e9 comme vous aurez pardonn\u00e9. Posez-vous donc dans\nl\u2019\u00e9tat de la plus intime, de la plus unitive charit\u00e9.\nSachez, mes enfants, que l\u2019amour est le centre o\u00f9 est contenu tout bien,\net le centre o\u00f9 est contenu tout mal. Il n\u2019y a rien sur la terre, ni\nchose, ni homme, ni d\u00e9mon, qui soit redoutable comme l\u2019amour, parce\nqu\u2019aucune puissance ne p\u00e9n\u00e8tre comme celle-l\u00e0 l\u2019\u00e2me, la pens\u00e9e, le c\u0153ur;\net si cette force n\u2019est pas r\u00e9gl\u00e9e, l\u2019\u00e2me se pr\u00e9cipite, comme quelque\nchose de l\u00e9ger, dans tous les pi\u00e8ges, et son amour est sa ruine. Je ne\nparle pas seulement de l\u2019amour absolument mauvais, dont l\u2019infernal\ndanger n\u2019\u00e9chappe \u00e0 personne, et que l\u2019\u00e9vidence elle-m\u00eame nous dit\nd\u2019\u00e9viter. Je parle de l\u2019amour de Dieu et de l\u2019amour du prochain. L\u2019amour\nde Dieu m\u2019est par-dessus tout suspect. S\u2019il n\u2019est arm\u00e9 de discernement,\nil va \u00e0 la mort ou \u00e0 l\u2019illusion; s\u2019il n\u2019est discret, il court \u00e0 une\ncatastrophe: ce qui commence sans ordre ne peut aboutir \u00e0 rien. Beaucoup\nse croient dans l\u2019amour, qui sont dans la haine de Dieu et dans l\u2019amiti\u00e9\nde ses ennemis. Celui qui aime Dieu uniquement pour \u00eatre pr\u00e9serv\u00e9 de\ntelle ou telle douleur accidentelle n\u2019est pas dans un ordre parfait; car\nil aime lui d\u2019abord, et Dieu ensuite, qui cependant doit \u00eatre aim\u00e9 avant\ntout et pour lui-m\u00eame. Il s\u2019est fait un Dieu de lui-m\u00eame, et n\u2019aime Dieu\nqu\u2019en vue de lui. Celui qui aime ainsi, aime les choses \u00e0 cause de\nlui-m\u00eame, ne cherchant en elles que le plaisir de son corps, dont il a\nfait un Dieu. Il aime ses parents, s\u2019ils rapportent honneur et profit;\nil aime dans les saints, non la saintet\u00e9, mais le secours qu\u2019il en\nesp\u00e8re pour lui-m\u00eame; il aime les aptitudes qui peuvent faire briller\ndevant quelqu\u2019un ses qualit\u00e9s ext\u00e9rieures; il aime la science pour la\nparade; il veut raisonner, et non pas aimer; il veut reprendre avec\norgueil, afin de passer pour quelque chose.\nIl y en a d\u2019autres qui croient aimer Dieu, et qui l\u2019aiment d\u2019un amour\ninfime et imparfait. Ils l\u2019aiment parce qu\u2019il dispose du pardon et du\nparadis, mais ils ne se soucient pas de lui-m\u00eame; ils l\u2019aiment\nuniquement pour qu\u2019il les garde du p\u00e9ch\u00e9 et de l\u2019enfer. D\u2019autres\nl\u2019aiment pour avoir des consolations et des douceurs spirituelles;\nd\u2019autres, pour \u00eatre aim\u00e9s de lui; d\u2019autres d\u00e9sirent la saintet\u00e9 de leurs\nparents et de leur amis \u00e0 cause de l\u2019honneur qui rejaillit sur eux;\nd\u2019autres, parmi les lettr\u00e9s, aiment Dieu pour recevoir le sens, la\nscience et l\u2019intelligence de l\u2019Ecriture; parmi les illettr\u00e9s, pour\nsavoir parler des choses de l\u2019esprit; mais ils ne songent ni \u00e0 la gloire\nde Dieu ni \u00e0 leur salut. Ils veulent qu\u2019on les aime et qu\u2019on les\nconsid\u00e8re; ils aiment la spiritualit\u00e9 afin de prendre place parmi ses\nh\u00e9ros, et de gagner le c\u0153ur de ses amis; ils ne songent qu\u2019au profit et\n\u00e0 la r\u00e9putation; ils aiment l\u2019ob\u00e9issance, la pauvret\u00e9, la patience,\nl\u2019humilit\u00e9 ext\u00e9rieure et toutes les vertus, afin de d\u00e9passer les autres,\nafin d\u2019\u00eatre les premiers; ils ressemblent \u00e0 Lucifer, qui fit tout ce\nqu\u2019il fit pour avoir la premi\u00e8re place. D\u2019autres, afin d\u2019\u00e9tendre partout\nla r\u00e9putation de leur saintet\u00e9, admirent la saintet\u00e9 de toutes les \u00e2mes,\nsaintes ou non, afin de para\u00eetre charitables envers tous, et absolument\nincapables d\u2019un jugement t\u00e9m\u00e9raire.\nIl y en a qui aiment l\u2019ami d\u00e9vot ou l\u2019amie d\u00e9vote d\u2019un amour spirituel,\nparfait et divin; mais cet amour tombe dans l\u2019exc\u00e8s et dans le d\u00e9faut\ns\u2019il n\u2019est arm\u00e9 d\u2019une profonde discr\u00e9tion. Il devient charnel, inutile\net nuisible; il perd son temps en conversations vaines; les c\u0153urs sont\ncoll\u00e9s l\u2019un contre l\u2019autre, et la sagesse n\u2019est pas entre eux. Cet amour\naugmente, il se procure ce qu\u2019il veut la pr\u00e9sence de la personne aim\u00e9e.\nLoin d\u2019elle il languit; pr\u00e8s d\u2019elle il augmente par une transformation\ndangereuse et une conformit\u00e9 de go\u00fbts qui n\u2019a pas sa source dans la\nv\u00e9rit\u00e9. Contre cet amour, l\u2019\u00e2me n\u2019a pas d\u2019arme: il grandit jusqu\u2019au\nd\u00e9sordre. Si la personne aim\u00e9e est bless\u00e9e de la m\u00eame fl\u00e8che, le danger\naugmente. Ici commence l\u2019\u00e9change des secrets. On s\u2019entretient\ncontinuellement de son amour; on se dit l\u2019un \u00e0 l\u2019autre: \u00abPersonne au\nmonde ne m\u2019est aussi cher; je te porte dans mon c\u0153ur.\u00bb Ils parlent ainsi\npour donner un corps \u00e0 leurs sentiments; car ils veulent les palper. Ces\ndeux \u00e2mes s\u2019appellent l\u2019une l\u2019autre; elles se d\u00e9sirent dans l\u2019int\u00e9r\u00eat de\nleur d\u00e9votion et de l\u2019avancement spirituel qu\u2019elles croient rencontrer\ndans leur union. Si quelque tentation na\u00eet de leur tendresse, la raison\nintervient et contredit; car elle n\u2019est pas encore suffoqu\u00e9e par\nl\u2019amour.\nMais voici que la tendresse augmente: un nuage passe sur la raison, une\ninfirmit\u00e9 passe sur l\u2019esprit. Alors arrive l\u2019attouchement. On n\u2019y voit\naucun danger. Que peut-il faire \u00e0 l\u2019\u00e2me? On se donne des permissions qui\nentra\u00eenent une d\u00e9ch\u00e9ance int\u00e9rieure, et la perfection souffre, la raison\nd\u00e9cline: l\u2019amour la serre \u00e0 la gorge, et l\u2019\u00e2me, comptant pour rien ce\nqui n\u2019est pas dangereux, l\u2019\u00e2me se dit: \u00abAllons toujours, je n\u2019ai pas de\nmauvaise intention; il n\u2019y a pas grand mal dans tout cela.\u00bb Le nombre\ndes choses permises va toujours en augmentant. Bient\u00f4t les deux volont\u00e9s\nn\u2019en font plus qu\u2019une et la raison n\u2019a plus la force d\u2019\u00e9lever la voix.\nChacun suit l\u2019autre, l\u00e0 o\u00f9 il va. Comme le d\u00e9sordre est intervenu, si\nune proposition mauvaise est faite, celui qui la re\u00e7oit n\u2019a plus la\nforce de dire: _Non_; et si la proposition ne lui est pas faite, c\u2019est\nlui qui la fait; car il sent qu\u2019elle est attendue, qu\u2019elle va plaire:\nl\u2019\u00e2me est arrach\u00e9e \u00e0 la pri\u00e8re, \u00e0 l\u2019aust\u00e9rit\u00e9, arrach\u00e9e \u00e0 son antique\nd\u00e9sert, arrach\u00e9e \u00e0 l\u2019antique habitude d\u2019\u00eatre forte sur elle-m\u00eame, et\nl\u2019amour, qui \u00e9tait divin, devient une passion entre deux mis\u00e9rables. Il\naugmente toujours; tout \u00e0 l\u2019heure la pr\u00e9sence et la parole de la\npersonne aim\u00e9e suffisaient, \u00e0 pr\u00e9sent elles ne suffisent plus. Voici que\nl\u2019une des deux victimes de cet amour toujours croissant veut absolument\nsavoir si l\u2019autre est bless\u00e9e au m\u00eame degr\u00e9 qu\u2019elle-m\u00eame et par la m\u00eame\nfl\u00e8che. Elle cherche \u00e0 en faire l\u2019\u00e9preuve, et si elle le peut, le danger\ndevient \u00e9norme pour les deux personnes. Quand le doute a disparu, quand\nchacune des deux passions est parfaitement s\u00fbre d\u2019\u00eatre partag\u00e9e, la\npr\u00e9sence et la parole ne leur donnant plus la satisfaction r\u00e9clam\u00e9e, les\ndeux cr\u00e9atures tombent dans l\u2019oisivet\u00e9, et de l\u00e0 dans toute d\u00e9pravation.\nVoil\u00e0 pourquoi l\u2019amour m\u2019est suspect par-dessus tout. Il contient tout\nmal. Donc prenez garde au serpent.\nJe suspecte l\u2019amour de Dieu, je suspecte l\u2019amour du prochain, car ce qui\n\u00e9tait bon peut devenir mauvais. L\u2019amour de Dieu devient mauvais sans\nl\u2019armure du discernement. L\u2019armure est donn\u00e9e \u00e0 l\u2019homme dans l\u2019acte\nsublime de la transformation. Or la transformation de l\u2019\u00e2me en Dieu a\ntrois modes d\u2019accomplissement.\nLa premi\u00e8re transformation unit l\u2019\u00e2me \u00e0 la volont\u00e9 de Dieu, la seconde\nl\u2019unit avec Dieu, la troisi\u00e8me en Dieu et Dieu en elle.\nLa premi\u00e8re transformation est une imitation de J\u00e9sus crucifi\u00e9, car la\ncroix est une manifestation de la volont\u00e9 divine.\nLa seconde transformation unit l\u2019\u00e2me avec Dieu. Son amour n\u2019est plus\nseulement alors un acte de sa volont\u00e9; car la source est ouverte, la\nsource des sentiments immenses, la source des immenses d\u00e9lices;\ncependant il y a encore place ici pour la parole et la pens\u00e9e.\nLa troisi\u00e8me transformation fond tellement l\u2019\u00e2me en Dieu et Dieu en\nelle, qu\u2019\u00e0 la hauteur immense o\u00f9 le myst\u00e8re s\u2019accomplit, les paroles\nmeurent avec les pens\u00e9es: celui-l\u00e0 sait ces choses qui les sent.\nLa premi\u00e8re transformation, quoiqu\u2019elle contienne la loi de l\u2019amour, est\ninsuffisante et laisse place \u00e0 l\u2019illusion.\nLa seconde transformation, si elle s\u2019accomplit bien, assure \u00e0 l\u2019amour sa\nvraie direction.\nLa troisi\u00e8me transformation habite les sommets o\u00f9 r\u00e9side le gouvernement\nde l\u2019amour.\nLa seconde et la troisi\u00e8me sont les dons de la gr\u00e2ce. La seconde, dans\nle domaine de l\u2019imperfection, la troisi\u00e8me, dans le domaine de la\nperfection, peuvent s\u2019appeler la sagesse. C\u2019est elle qui enseigne \u00e0\nl\u2019\u00e2me le gouvernement de l\u2019amour. C\u2019est elle qui r\u00e8gle dans l\u2019\u00e2me les\nmouvements du feu divin, lui assurant la dur\u00e9e, la pers\u00e9v\u00e9rance et le\nsecret. Elle interdit au visage et au corps toute indiscr\u00e9tion dans la\ntenue et dans le geste. C\u2019est elle qui enseigne \u00e0 l\u2019amour du prochain la\nmaturit\u00e9, r\u00e9glant les lois, la mesure et les heures de la\ncondescendance. C\u2019est l\u2019union divine qui fournit la sagesse, la\nmaturit\u00e9, la gravit\u00e9, la discr\u00e9tion savoureuse, et cette lumi\u00e8re\nr\u00e9v\u00e9latrice qui prot\u00e8ge l\u2019amour contre la pr\u00e9cipitation et l\u2019illusion.\nSi vous ne vous sentez pas en vous l\u2019infusion de cette sagesse,\nd\u00e9fiez-vous de vos entrailles au moment o\u00f9 elles vous emportent vers un\nami, ou vers une amie; la bonne intention qui vous a unis pour la\npri\u00e8re, en vue de Dieu, n\u2019est pas une garantie pour tous les p\u00e9rils.\nCelui-l\u00e0 seul peut s\u2019unir sans crainte qui a conquis la science et la\npuissance de se s\u00e9parer de tout, \u00e0 l\u2019instant, s\u2019il le veut.\nPour comprendre les lois de la sagesse appliqu\u00e9es au gouvernement de\nl\u2019amour, il faut conna\u00eetre les diff\u00e9rentes propri\u00e9t\u00e9s de celui-ci.\nAu commencement de l\u2019amour, l\u2019\u00e2me subit un attendrissement, puis une\nfaiblesse, ensuite la force.\nQuand l\u2019\u00e2me commence \u00e0 sentir le feu divin, il s\u2019\u00e9l\u00e8ve de son fond une\nclameur et une rumeur. C\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s ce qui arrive aux pierres dans\nla fournaise, quand on veut les r\u00e9duire en chaux. Au premier contact du\nfeu, elles crient; mais quand la r\u00e9duction est op\u00e9r\u00e9e, elles s\u2019apaisent\net se taisent. Ainsi l\u2019\u00e2me cherche au commencement les consolations\ndivines; \u00e0 leur d\u00e9faut, l\u2019\u00e2me s\u2019attendrit, crie contre Dieu, et se\nlamente: \u00abPourquoi me traitez-vous ainsi? Oh! pourquoi cette langueur?\netc.\u00bb L\u2019audace de l\u2019\u00e2me na\u00eet d\u2019une s\u00e9curit\u00e9 secr\u00e8te qu\u2019elle tire du Dieu\nqu\u2019elle accuse.\nDans cet \u00e9tat les consolations la contentent.\nDieu porte \u00e0 l\u2019\u00e2me un amour qui ressemble \u00e0 un amour cr\u00e9\u00e9; il lui\nprodigue, avec ses caresses, d\u2019\u00e9tonnantes et ineffables consolations que\nl\u2019\u00e2me ne doit pas demander avec importunit\u00e9. Ne les m\u00e9prisez pas, si\nDieu les donne; car elles sont votre nourriture, elles vous excitent \u00e0\nle poursuivre, et \u00e9cartent de vous l\u2019ennui. C\u2019est par elles que l\u2019\u00e2me\nest port\u00e9e vers la transformation, vers la recherche incessante du\nBien-Aim\u00e9; quelquefois aussi l\u2019amour cro\u00eet par leur absence, et commence\n\u00e0 chercher le Bien-Aim\u00e9 lui-m\u00eame. Si elle ne l\u2019a pas, elle sent sa\nfaiblesse, et ne se contentant plus des consolations, elle cherche la\nsubstance de Celui qui les donne, et plus elle s\u2019ab\u00eeme dans les joies\nqui viennent de lui, plus elle languit et g\u00e9mit dans son amour\ncroissant, parce que ce qu\u2019il lui faut, c\u2019est la pr\u00e9sence de Dieu\nlui-m\u00eame.\nMais quand l\u2019\u00e2me unie \u00e0 Dieu est \u00e9tablie sur la v\u00e9rit\u00e9, qui est son\nsi\u00e8ge, on n\u2019entend plus ni cris, ni plaintes, ni attendrissement, ni\naffaiblissement. L\u2019\u00e2me se sentant indigne de tout bien et de tout don,\net digne d\u2019un enfer plus affreux que celui qui existe, est \u00e9tablie dans\nune maturit\u00e9, dans une sagesse admirable, dans l\u2019ordre, dans la\nsolidit\u00e9, dans une force qui affronterait la mort par la vertu de\nl\u2019amour, et elle poss\u00e8de dans toute la pl\u00e9nitude dont elle est capable.\nC\u2019est Dieu lui-m\u00eame alors qui grandit l\u2019\u00e2me, pour la rendre capable de\nce qu\u2019il veut poser en elle.\nEt elle voit que Dieu seul est, et que tout n\u2019est rien, except\u00e9 en lui\net par lui.\nAlors, par comparaison, elle regarde comme rien les magnificences\nqu\u2019elle a d\u00e9pass\u00e9es, et toute cr\u00e9ature, et la mort, et la faiblesse, et\nl\u2019honneur, et le bl\u00e2me, et dans l\u2019\u00e9normit\u00e9 de sa paix supr\u00eame, perdant\nles d\u00e9sirs tels qu\u2019elle les avait, et son action propre, celle qu\u2019elle\nexer\u00e7ait, elle se tient fondue en Dieu.\nEt alors elle voit si profond\u00e9ment, dans la lumi\u00e8re divine, la majest\u00e9\nde l\u2019ordre, que rien ne la trouble plus, pas m\u00eame l\u2019absence de Dieu.\nEt, \u00e0 force d\u2019\u00eatre conforme \u00e0 lui, elle ne le cherche plus s\u2019il\ns\u2019absente; mais, contente de lui, elle remet entre ses mains l\u2019ordre\nuniversel.\nMais \u00e0 l\u2019instant o\u00f9 cesse la vision, qui n\u2019est pas habituellement\ncontinuelle, un d\u00e9sir de feu surgit au fond de l\u2019\u00e2me, et ce feu la\npousse \u00e0 faire sans peine les \u0153uvres de p\u00e9nitence, avec une puissance\nqu\u2019elle ne se connaissait pas: car cet \u00e9tat est plus sublime que tout ce\nqu\u2019elle a vu. Cet amour de feu est parfait, et pousse l\u2019\u00e2me \u00e0\nl\u2019imitation de J\u00e9sus crucifi\u00e9, qui est la perfection de la perfection.\nSa Passion a dur\u00e9 autant que sa vie. Elles ont commenc\u00e9, continu\u00e9 et\nfini ensemble. Il fut toujours sur la croix de douleur, de pauvret\u00e9, de\nm\u00e9pris, d\u2019ob\u00e9issance et de p\u00e9nitence. Et, parce que l\u2019amour veut\nressembler et plaire, celui qui aime l\u2019Homme-Dieu J\u00e9sus-Christ veut lui\nressembler et lui plaire, et s\u2019assimiler sa vie.\nPlus la perfection grandit, plus l\u2019\u00e2me veut suivre ses exemples et ses\npr\u00e9ceptes, et \u00e9viter entre elle et lui tout d\u00e9saccord. Et il faut\ncontinuer toujours, car l\u2019Homme-Dieu n\u2019a jamais quitt\u00e9 la croix de la\np\u00e9nitence. Sa mesure doit \u00eatre la v\u00f4tre: il vous demande toute votre\nvie. Quant \u00e0 la grandeur de votre p\u00e9nitence, c\u2019est la direction qui doit\nla d\u00e9terminer. La transformation de l\u2019\u00e2me en volont\u00e9 divine ne se prouve\npas par des paroles, mais par des actes et ressemblances.\nMais quand l\u2019\u00e2me transform\u00e9e en Dieu m\u00eame habite dans son sein, quand\nelle a atteint l\u2019union parfaite et la pl\u00e9nitude de la vision, alors elle\nse repose dans la paix qui passe tout sentiment. Puis quand l\u2019\u00e2me\nrevient \u00e0 elle-m\u00eame, elle fait un nouvel effort pour op\u00e9rer une nouvelle\ntransformation qui la ram\u00e8ne \u00e0 la volont\u00e9 divine, et celle-ci \u00e0 la\nvision.\nTant qu\u2019elle est dans les actes de p\u00e9nitence, dans le domaine crucifiant\nde la transformation volontaire, elle imite J\u00e9sus-Christ.\nLa vision dont j\u2019ai parl\u00e9 est la force qui dirige l\u2019amour de Dieu et du\nprochain. C\u2019est l\u00e0 que l\u2019\u00e2me voit l\u2019\u00eatre de Dieu, et comment toute\ncr\u00e9ature tire son \u00eatre de Celui qui est l\u2019Etre. Et elle voit que rien\nn\u2019existe qui ne tire de lui son existence. Introduite dans la vision,\nl\u2019\u00e2me puise \u00e0 la source vive une sagesse admirable, une science\nsup\u00e9rieure aux paroles, une gravit\u00e9 forte; elle arrache \u00e0 la vision son\nsecret; elle voit la perfection de tout ce qui vient de Dieu, et perd la\nfacult\u00e9 de contredire, parce qu\u2019elle voit dans le miroir sans mensonge\nla sagesse qui cr\u00e9a. Elle voit que le mal vient de la cr\u00e9ature, qui a\nd\u00e9truit ce qui \u00e9tait bien. Cette vision de l\u2019Essence tr\u00e8s haute excite\ndans l\u2019\u00e2me un amour de correspondance, et l\u2019Essence nous invite \u00e0 aimer\ntout ce qui tient d\u2019elle l\u2019existence, toute v\u00e9rit\u00e9, toute justice, toute\ncr\u00e9ature raisonnable ou irraisonnable pour l\u2019amour d\u2019elle-m\u00eame;\nl\u2019Essence nous pousse \u00e0 aimer tout ce qu\u2019elle aime, tout ce \u00e0 quoi elle\nordonne d\u2019\u00eatre. Avant tout, les cr\u00e9atures raisonnables, et, parmi\ncelles-ci, les bien-aim\u00e9es de l\u2019Essence. Et quand elle voit l\u2019Essence\ns\u2019incliner par amour vers les cr\u00e9atures, l\u2019\u00e2me imite ce mouvement,\ns\u2019inclinant comme elle s\u2019incline, dans la m\u00eame mesure et du m\u00eame c\u00f4t\u00e9.\nLes amis du P\u00e8re portent un signe, c\u2019est qu\u2019ils suivent son Fils unique.\nLes yeux de leur \u00e2me sont tendus vers le Bien-Aim\u00e9; ils sont en qu\u00eate de\nleur transformation; tout entiers et totalement ils veulent \u00eatre fondus\ndans la volont\u00e9 de Celui qu\u2019ils aiment, et c\u2019est le Fils unique du P\u00e8re.\nQuand l\u2019amour de l\u2019\u00e2me est une cr\u00e9ation de l\u2019Essence souveraine, quand\nil est n\u00e9 de cette contemplation, alors il sait monter vers l\u2019Essence\nd\u2019o\u00f9 il tire son origine. Il sait aussi descendre vers les cr\u00e9atures,\nrespectant toutes les harmonies, s\u2019inclinant plus ou moins suivant le\nmouvement r\u00e9gulateur que fait l\u2019Essence pour s\u2019incliner. D\u00e8s lors il ne\npeut plus passer la mesure, et tout amour devient suspect \u00e0 l\u2019\u00e2me, s\u2019il\nn\u2019est un don direct de Dieu. Quand l\u2019\u00e2me qui a vu l\u2019\u00eatre de Dieu poss\u00e8de\nau degr\u00e9 suffisant l\u2019amour de correspondance, elle devient forte jusqu\u2019\u00e0\nl\u2019immutabilit\u00e9. Rien, pas m\u00eame les visions d\u2019un autre genre ni les\nravissements, rien ne l\u2019\u00e9branle. A d\u00e9faut de la vision ineffable, une\nr\u00e9flexion profonde qui p\u00e8se l\u2019\u00eatre de Dieu, peut suffire et suffit pour\npurifier tout amour, et pour \u00e9mousser toute pointe mauvaise.\nQuant \u00e0 la vision ineffable, outre l\u2019amour cr\u00e9\u00e9 qu\u2019elle produit dans\nl\u2019\u00e2me, parce qu\u2019elle porte sur l\u2019Incr\u00e9\u00e9, elle laisse couler dans l\u2019homme\nun amour de m\u00eame nature. Totalement absorb\u00e9e par la vision, l\u2019\u00e2me ne\nsait comment r\u00e9pondre \u00e0 Celui qui vient en elle. Mais cet amour illustre\nfait ses op\u00e9rations.\nRemarquez ceci: Au moment o\u00f9 la vision fut donn\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e2me, l\u2019\u00e2me op\u00e9rait\net se recueillait dans un immense d\u00e9sir pour approfondir son union. Mais\nensuite c\u2019est l\u2019amour incr\u00e9\u00e9 qui agit dans l\u2019\u00e2me; c\u2019est lui qui la\npousse \u00e0 se retirer de toute cr\u00e9ature, pour augmenter l\u2019union intime.\nC\u2019est l\u2019amour incr\u00e9\u00e9 qu\u2019il fait lui-m\u00eame les op\u00e9rations de l\u2019amour. Or\nle principe des op\u00e9rations de cet amour est l\u2019illumination et le don\nd\u2019un d\u00e9sir nouveau.\nC\u2019est un certain amour fort et nouveau, que l\u2019\u00e2me serait incapable de se\ndonner. Or l\u2019amour incr\u00e9\u00e9 fait tout le bien qui se fait par nos mains.\nSans lui, nous sommes capables de tout mal. Tout bien vient de lui. La\nv\u00e9ritable humilit\u00e9 consiste \u00e0 voir en v\u00e9rit\u00e9 quel est l\u2019op\u00e9rateur du\nbien; quiconque \u00e0 cette vue poss\u00e8de l\u2019Esprit de v\u00e9rit\u00e9. L\u2019amour de Dieu\nn\u2019est jamais oisif. Il pousse \u00e0 suivre r\u00e9ellement la voie de la croix.\nCet amour offre la croix \u00e0 l\u2019\u00e2me; c\u2019est une p\u00e9nitence, longue, grave,\naust\u00e8re, mais sa mesure et sa forme doivent d\u00e9pendre toujours de\nl\u2019harmonie universelle. L\u2019ordre a sa commodit\u00e9, qu\u2019il faut suivre en\ntoutes choses. Cet amour v\u00e9ritable arr\u00eate toute esp\u00e8ce de d\u00e9sordre dans\nl\u2019attitude, dans le boire, dans le manger. Il exclut la vivacit\u00e9 vaine;\nau lieu de r\u00e9sister \u00e0 l\u2019ordre, il se fait un ordre l\u00e0 o\u00f9 il n\u2019en trouve\npas.\nEt quand l\u2019amour, pendant toute la vie de l\u2019homme, et dans la mesure de\nce qu\u2019il faut, aura port\u00e9 les fruits de l\u2019arbre de la croix, les fruits\nde p\u00e9nitence dans l\u2019aust\u00e9rit\u00e9, c\u2019est alors qu\u2019il commencera \u00e0 comprendre\nqu\u2019il est un serviteur inutile, un serviteur mauvais. Il verra deux\nparts: en Dieu tout amour, en lui toute haine, et cette vue l\u2019introduira\ndans une p\u00e9nitence \u00e0 laquelle il ne voudra pas que le corps reste\n\u00e9tranger. Que la p\u00e9nitence soit l\u00e9g\u00e8re, ou non, c\u2019est l\u2019amour incr\u00e9\u00e9 qui\nla fait, et il la diversifie immens\u00e9ment suivant les besoins de chaque\n\u00e2me. Que la p\u00e9nitence et la pens\u00e9e de la p\u00e9nitence ne soit jamais un\npoids pour vous; car c\u2019est Dieu qui op\u00e8re. Pour provoquer votre volont\u00e9\net obtenir votre consentement, J\u00e9sus-Christ a donn\u00e9 l\u2019exemple.\nCeux qui sont \u00e9lev\u00e9s \u00e0 la vision de l\u2019Essence incr\u00e9\u00e9e s\u2019ab\u00eement dans ce\nrepos immense, et, ayant puis\u00e9 le feu \u00e0 la source, sont pouss\u00e9s par lui\nvers de plus grandes entreprises; car leur flamme est renouvel\u00e9e.\nCeux qui n\u2019ont pas l\u2019esprit de v\u00e9rit\u00e9, s\u2019attribuant la gloire \u00e0\neux-m\u00eames, deviennent des idol\u00e2tres qui adorent leurs bonnes \u0153uvres.\nIls changent en idoles les dons de Dieu, leur lumi\u00e8re devient leur\nidole, leur science devient leur idole; ils changent en idole jusqu\u2019\u00e0\nleur prudence, qui leur \u00e9tait donn\u00e9e pour discerner. Car tout bien vient\nde l\u2019amour, de l\u2019amour incr\u00e9\u00e9, qui br\u00fble \u00e9ternellement, et ne s\u2019\u00e9teint\njamais au fond de lui-m\u00eame.\nQu\u2019\u00e0 Lui soit honneur et gloire dans les si\u00e8cles des si\u00e8cles. _Amen_!\nSOIXANTE-CINQUI\u00c8ME CHAPITRE\nLES VOIES DE L\u2019AMOUR\nLa route qui m\u00e8ne \u00e0 cet amour est la lecture du livre de vie, et il n\u2019y\nen a pas d\u2019autre. O mes enfants ch\u00e9ris, que notre amour soit parfait!\nQue notre transformation soit enti\u00e8re! car il est tout amour, cet\nHomme-Dieu, ce Dieu incr\u00e9\u00e9, ce Dieu incarn\u00e9; il nous aime tout entier,\nil veut que tout entier nous l\u2019aimions. Il veut que Lui, et nous par\nl\u2019amour, nous fassions _un_. J\u2019appelle enfants de l\u2019Esprit ceux qui, par\nla gr\u00e2ce de la charit\u00e9, vivent en Dieu, dans la perfection de l\u2019amour\ntransform\u00e9. Nous sommes tous fils de Dieu par la cr\u00e9ation, mais ceux-l\u00e0\nsont les vases de l\u2019\u00e9lection et les fils de l\u2019Esprit, en qui Dieu a pos\u00e9\nson amour, et dans lesquels il se repose, attir\u00e9 par sa propre\nressemblance. C\u2019est sa gr\u00e2ce et son amour qui a form\u00e9 son image dans\nl\u2019\u00e2me. J\u2019appelle parfait celui qui a transform\u00e9 sa vie en la\nressemblance de l\u2019Homme-Dieu.\nOr, sachez que Dieu, noble par nature, nous demande notre c\u0153ur tout\nentier et non la moiti\u00e9 de notre c\u0153ur; il le veut sans interm\u00e9diaire,\nsans partage, sans contestation. On dirait que Dieu fait la cour \u00e0 l\u2019\u00e2me\nhumaine. Si elle se donne toute, il prend tout; si elle se donne \u00e0\nmoiti\u00e9, il la re\u00e7oit \u00e0 moiti\u00e9; mais c\u2019est la premi\u00e8re de ces deux choses\nqui fait sa joie; car l\u2019amour parfait est un amour jaloux. L\u2019Epoux, dans\nson amour, ne peut souffrir chez l\u2019Epouse l\u2019ombre d\u2019un partage, ni en\npublic, ni en secret. Or, notre Dieu est un Dieu jaloux. Je sais, du\nreste, je sais parfaitement que s\u2019il existait un homme qui e\u00fbt go\u00fbt\u00e9\nl\u2019amour de J\u00e9sus crucifi\u00e9, de J\u00e9sus souverain bien, cet homme-l\u00e0 ne\ns\u2019arracherait pas seulement aux cr\u00e9atures, il s\u2019arracherait \u00e0 lui-m\u00eame\npour se donner plus absolument, et que toutes les puissances n\u2019en\nferaient plus qu\u2019une pour le transformer tout entier en Celui qui est\nnotre Sauveur et notre amour, J\u00e9sus-Christ, J\u00e9sus-Christ!\nSi l\u2019\u00e2me veut se d\u00e9gager et s\u2019\u00e9lever vers la perfection de l\u2019amour qui\nse donne tout entier, qui se consacre non pas seulement en vue de la\nr\u00e9compense temporelle ou \u00e9ternelle, mais aussi en vue de l\u2019\u00eatre de Dieu,\nqui est la Bont\u00e9 par essence, la Bont\u00e9 digne de l\u2019amour; l\u2019\u00e2me, dis-je,\ndoit marcher dans la voie droite, marcher dans la voie de l\u2019ordre, avec\nles pieds br\u00fblants de l\u2019amour.\nLe premier pas qu\u2019elle doit faire dans cette voie, c\u2019est de conna\u00eetre\nDieu en v\u00e9rit\u00e9, non pas par la surface, par le dehors, par la science\ndes livres. Il faut conna\u00eetre profond\u00e9ment. Car l\u2019homme aime, comme\nl\u2019homme conna\u00eet. Si notre connaissance est born\u00e9e, vague, superficielle,\nsi nous pensons \u00e0 Dieu, comme quelqu\u2019un qui s\u2019acquitte de sa fonction,\nnotre amour sera mis\u00e9rable. Relisez ce que j\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit sur ce sujet.\nMais l\u2019amour a des propri\u00e9t\u00e9s et des signes qui permettent de le\nreconna\u00eetre.\nPremi\u00e8re propri\u00e9t\u00e9. L\u2019amour transforme l\u2019un en l\u2019autre, quant \u00e0 la\nvolont\u00e9.\nOr, la volont\u00e9 du Christ est, ce me semble, la vie dont il a donn\u00e9\nl\u2019exemple, vie pleine de pauvret\u00e9, de m\u00e9pris, d\u2019ob\u00e9issance et de\ndouleur; l\u2019exercice de ces choses est un rempart contre le mal et contre\nla tentation.\nSeconde propri\u00e9t\u00e9. L\u2019amour transforme l\u2019un dans l\u2019autre, quant aux\nqualit\u00e9s constitutives de l\u2019Etre. Je n\u2019en citerai que trois: L\u2019amour\ns\u2019incline vers les cr\u00e9atures, suivant les lois de l\u2019universelle\nharmonie. L\u2019amour est humble et doux. L\u2019amour est immuable. Plus l\u2019\u00e2me\nest voisine de Dieu, plus elle est inaccessible au changement. La honte\nconsiste \u00e0 \u00eatre \u00e9branl\u00e9 par quelque chose de petit; c\u2019est l\u00e0 que nous\nsentons notre mis\u00e8re.\nLa troisi\u00e8me qualit\u00e9 de l\u2019amour est la transformation parfaite de l\u2019\u00e2me\nen Dieu. Alors elle est inaccessible aux tentations; car elle ne r\u00e9side\nplus en elle, mais en Lui.\nQuand nous revenons \u00e0 notre mis\u00e8re, d\u00e9fions-nous de toute cr\u00e9ature,\nd\u00e9fions-nous de nous-m\u00eames; je vous en supplie, restez en possession de\nvos \u00e2mes, ne vous donnez \u00e0 aucune cr\u00e9ature; mais gardez-vous pour Celui\nqui a dit \u00abVous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre c\u0153ur, de\ntout votre esprit, de toute votre \u00e2me et de toutes vos forces.\u00bb\nVoici quelques-uns des signes de l\u2019amour. D\u2019abord la soumission de la\nvolont\u00e9.\nEnsuite l\u2019exclusion absolue de toute amiti\u00e9 contraire; fall\u00fbt-il quitter\np\u00e8re, m\u00e8re, fr\u00e8re, s\u0153ur, et tout ce qui ferait obstacle \u00e0 la volont\u00e9 de\nl\u2019amour.\nPuis l\u2019amour porte en lui une force r\u00e9v\u00e9latrice des secrets qui oblige \u00e0\nmontrer le fond de soi; ce troisi\u00e8me signe me para\u00eet capital. Il est le\ncompl\u00e9ment n\u00e9cessaire des actes de l\u2019amour.\nEnfin l\u2019amour poss\u00e8de un d\u00e9sir d\u2019assimilation qui fait ch\u00e9rir la\npauvret\u00e9, si le Bien-Aim\u00e9 est pauvre; le m\u00e9pris, s\u2019il est m\u00e9pris\u00e9:\nl\u2019amour veut partager les douleurs. Il ne semble pas qu\u2019entre le riche\net le pauvre, entre l\u2019homme des douleurs et l\u2019homme des d\u00e9lices,\nl\u2019amiti\u00e9 puisse ne rien laisser \u00e0 d\u00e9sirer: la distance des conditions\nest en g\u00e9n\u00e9ral un obstacle au partage de la vie.\nOr, l\u2019amour n\u2019est pas seulement une force d\u2019assimilation, mais une force\nd\u2019unit\u00e9 qui fait partout des semblables.\nJ\u00e9sus-Christ, l\u2019\u00e9ternel amour, a r\u00e9uni ces signes. Il s\u2019est soumis \u00e0 la\nvolont\u00e9 de l\u2019homme, et Lui, qui d\u2019un signe e\u00fbt pu tout \u00e9craser, il a\nob\u00e9i jusqu\u2019\u00e0 la mort. Il a renonc\u00e9 \u00e0 sa m\u00e8re et \u00e0 sa chair, se livrant \u00e0\nla mort et les quittant sur la croix. Il nous a dit ses secrets: \u00abJe ne\nvous appellerai plus mes serviteurs; car le serviteur ne sait ce que\nfait son ma\u00eetre; je vous ai appel\u00e9s amis.\u00bb Il s\u2019est rendu semblable \u00e0\nl\u2019homme, la faute except\u00e9e. Il a \u00e9t\u00e9 vraiment homme et vraiment mortel.\nImitons-le pour ne pas faire injure \u00e0 l\u2019amour de ses entrailles.\nCherchons-le comme il nous a cherch\u00e9s. Imitons-le comme il nous a\nimit\u00e9s. Si un seul homme faisait toutes les p\u00e9nitences du monde r\u00e9uni,\nce serait trop peu pour reconna\u00eetre une seule goutte de la sueur du\nChrist, ou pour m\u00e9riter la moindre des joies du paradis, ou pour expier\nle moindre des p\u00e9ch\u00e9s mortels, ou pour offrir seulement \u00e0 Dieu la\nsatisfaction de la cr\u00e9ature. Aussi chacun devrait s\u2019efforcer de faire\np\u00e9nitence en secret, dans la mesure convenable, et de d\u00e9sirer ce qu\u2019il\nne peut pas faire, et m\u00eame de faire p\u00e9nitence publiquement, pourvu que\nce ne soit pas pour chercher les regards; car s\u2019abstenir du bien par\ncrainte d\u2019\u00eatre vu, c\u2019est ti\u00e9deur et l\u00e2chet\u00e9. Le Ma\u00eetre a donn\u00e9\nl\u2019exemple. Il a fait beaucoup de choses qui n\u2019ont \u00e9t\u00e9 ni \u00e9crites, ni\nconnues; mais il n\u2019a pas n\u00e9glig\u00e9 les actes publics par respect humain.\nSi la p\u00e9nitence nous para\u00eet dure, la patience ne pourrait-elle nous \u00eatre\nagr\u00e9able dans ces sortes d\u2019afflictions, qui de la part de Dieu, sont des\nsignes d\u2019amour? Ne pourrions-nous faire, de n\u00e9cessit\u00e9, vertu?\nCe que le P\u00e8re a donn\u00e9 au Fils, souvent le Fils le donne aux siens. Dieu\nle P\u00e8re a choisi pour son Fils la pauvret\u00e9 et la douleur, l\u2019angoisse du\ndedans, l\u2019angoisse du dehors, une amertume au-dessus des paroles et\nau-dessus des pens\u00e9es. C\u2019est pourquoi plusieurs re\u00e7oivent la tribulation\nnon pas seulement avec patience, mais avec joie, comme un signe d\u2019amiti\u00e9\net comme les arrhes d\u2019un h\u00e9ritage. Dans vos douleurs, contemplez celles\ndu Fils de Dieu, et cette vue sera votre rem\u00e8de. La tribulation produit\nquelquefois d\u2019excellents effets que nous ignorons. Quelquefois elle\ntourne l\u2019homme vers Dieu et le fait adh\u00e9rer \u00e0 lui. Quelquefois elle le\nfait grandir, semblable \u00e0 la pluie qui f\u00e9conde la terre. Quelquefois\nelle lui donne la force, la puret\u00e9 et la paix. Ce genre de tribulation\nest pr\u00e9cieux, sa valeur nous est inconnue, et je porte envie \u00e0 ceux qui\nl\u2019\u00e9prouvent. Si nous savions son prix, nous nous la disputerions: chacun\narracherait \u00e0 son voisin les moyens de se la procurer. Je souhaite que\nvous soyez toujours consol\u00e9s sous le fardeau de cette vie par Celui qui\nest la lumi\u00e8re et la joie des afflig\u00e9s. Qu\u2019\u00e0 Lui soit la gloire dans les\nsi\u00e8cles des si\u00e8cles. _Amen_.\nConnaissance de Dieu, connaissance de soi-m\u00eame, voil\u00e0 la perfection de\nl\u2019homme. Cette double vue produit gr\u00e2ce sur gr\u00e2ce, lumi\u00e8re sur lumi\u00e8re,\nvision sur vision. Plus grandira votre connaissance de Dieu, plus\ngrandira votre amour, et avec lui votre force d\u2019action. Votre pratique\nsera la preuve et la mesure de votre amour; ordinairement l\u2019amour\ncherche la ressemblance du Bien-Aim\u00e9 dans l\u2019action et la passion. Le\nChrist a support\u00e9 la pauvret\u00e9, le m\u00e9pris et la douleur. Le choix de la\nsagesse r\u00e9v\u00e8le la valeur des choses.\nSOIXANTE-SIXI\u00c8ME CHAPITRE\nLES DONS DE DIEU\nVoici quelques dons tr\u00e8s doux qui indiquent chez celui qui les poss\u00e8de\nla pl\u00e9nitude et la perfection de l\u2019amour consommateur. Ils peuvent\nservir de mesure \u00e0 l\u2019\u00e2me pour conna\u00eetre le point o\u00f9 elle est arriv\u00e9e\ndans la voie de la transformation.\nD\u2019abord l\u2019amour de la pauvret\u00e9, qui d\u00e9livre l\u2019\u00e2me des attaches de la\ncr\u00e9ature, de toute possession qui ne serait pas celle de J\u00e9sus-Christ,\nde toute esp\u00e9rance qui serait fond\u00e9e sur un autre. Cet amour ne doit pas\nseulement vivre dans le c\u0153ur, il doit se prouver par les actes.\nUn autre don, c\u2019est le d\u00e9sir d\u2019\u00eatre m\u00e9pris\u00e9 par toute cr\u00e9ature, et de ne\ntrouver de compassion nulle part, et de vivre dans le c\u0153ur de Dieu seul,\net de compter pour rien partout ailleurs.\nJe ne pourrai citer encore le d\u00e9sir d\u2019\u00eatre accabl\u00e9 et inond\u00e9 dans son\nc\u0153ur et dans son corps de toutes les douleurs de J\u00e9sus et de Marie, et\nque toute cr\u00e9ature vous les fasse subir sans rel\u00e2che.\nCelui qui n\u2019a pas ces trois d\u00e9sirs ne poss\u00e8de pas la ressemblance\nbienheureuse du Christ, car ils l\u2019ont accompagn\u00e9, sa m\u00e8re et lui, en\ntout temps et en tout acte.\nSi vous poss\u00e9dez ces trois dons, le quatri\u00e8me sera de vous en sentir\nindigne, d\u2019\u00eatre persuad\u00e9 que vous ne les avez pas par votre vertu\npropre, et plus vous les aurez, plus vous croirez qu\u2019ils vous manquent;\ncar celui-l\u00e0 perd l\u2019amour, qui se d\u00e9clare satisfait de ses dons.\nSachez donc que jamais vous n\u2019\u00eates arriv\u00e9; regardez-vous comme quelqu\u2019un\nqui va commencer, qui n\u2019a jusqu\u2019ici rien fait et rien re\u00e7u.\nPuis par une m\u00e9ditation incessante, par une oraison savoureuse, vous\nchercherez ces choses dans l\u2019int\u00e9rieur de J\u00e9sus-Christ, et vous crierez\nvers Dieu, lui demandant le manteau du nouvel Elie, et vous ne\nr\u00e9clamerez que la transformation parfaite de vous en lui, et vous vous\nplongerez dans cette joie des joies, dans la joie de votre vie\nterrestre, et vous gravirez l\u2019\u00e9chelle de la contemplation pour chercher\nla pl\u00e9nitude de J\u00e9sus, et vous y puiserez les surabondances infinies que\nsa vie ext\u00e9rieure n\u2019a pas manifest\u00e9es. Alors vous fuirez comme la peste\ntout ce qui vous s\u00e9parerait de votre amour. Toute affection charnelle ou\nspirituelle, toute chose hostile ou contraire que la terre vous\npr\u00e9sentera, vous fera le d\u00e9go\u00fbt et l\u2019horreur d\u2019un serpent sur lequel\nvous auriez pos\u00e9 le pied.\nEnfin, vous ne jugerez personne, et vous ne vous soustrairez au jugement\nde personne, vous regardant, suivant la parole de l\u2019Evangile, comme la\nderni\u00e8re des cr\u00e9atures et la plus indigne des dons de Dieu.\nCeux qui poss\u00e9deront ces choses de la vie pr\u00e9sente, dans le combat\nd\u2019aujourd\u2019hui, ceux-l\u00e0 poss\u00e9deront Dieu dans la patrie. Ceux \u00e0 qui Dieu\ndonne pour les transformer en lui la croix de J\u00e9sus dans la vie\npr\u00e9sente, seront transform\u00e9s plus tard en Dieu lui-m\u00eame. C\u2019est pourquoi\nl\u2019\u00e2me ne doit chercher en cette vie les consolations spirituelles que\npour soutenir sa faiblesse et r\u00e9chauffer sa froideur.\nSOIXANTE-SEPTI\u00c8ME CHAPITRE\nLE TR\u00c8S SAINT SACREMENT DE L\u2019AUTEL\nParlons un moment du sacrement de l\u2019amour, parlons de l\u2019Eucharistie.\nC\u2019est lui qui provoque dans l\u2019\u00e2me la pri\u00e8re ardente, c\u2019est lui qui\nr\u00e9veille la vertu d\u2019imp\u00e9tration, et la puissance d\u2019arracher \u00e0 Dieu.\nC\u2019est lui qui creuse l\u2019ab\u00eeme de l\u2019humilit\u00e9; c\u2019est lui qui allume les\nflammes de l\u2019amour. J\u2019ai non la pens\u00e9e vague, mais la certitude absolue,\nque si une \u00e2me voyait et contemplait quelqu\u2019une des splendeurs intimes\ndu sacrement de l\u2019autel, elle prendrait feu, car elle verrait l\u2019amour\ndivin. Il me semble que ceux qui offrent le sacrifice, ou qui y prennent\npart, devraient m\u00e9diter profond\u00e9ment sur la v\u00e9rit\u00e9 profonde du myst\u00e8re\ntrois fois saint, qu\u2019il ne faut pas marcher au pas de course dans cette\ncontemplation, mais demeurer immobile, fixe, enfonc\u00e9, absorb\u00e9, ab\u00eem\u00e9.\nQuoique les myst\u00e8res du sacrement soient absolument ineffables, je vais\nt\u00e2cher de pr\u00e9senter sept consid\u00e9rations qui doivent \u00eatre m\u00e9dit\u00e9es en\nd\u00e9tail et une \u00e0 une.\nCe myst\u00e8re est absolument nouveau, absolument admirable, absolument\nsup\u00e9rieur \u00e0 la raison. Il fut annonc\u00e9 d\u2019avance, comme nous le voyons\ndans l\u2019Ecriture; mais s\u2019il est ancien quant \u00e0 la figure, il est nouveau\nquant \u00e0 l\u2019accomplissement, quant \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9. Il est certain que par la\nvertu des paroles cons\u00e9cratrices, l\u2019Homme-Dieu changea le pain et le vin\nen son corps et en son sang; il est certain que le pr\u00eatre son ministre,\naccomplit \u00e0 l\u2019autel, en vertu du pouvoir qu\u2019il a re\u00e7u, le m\u00eame acte de\npuissance.\nQuand il prononce sur le pain et le vin les paroles de la cons\u00e9cration,\nces mati\u00e8res sont transubstanti\u00e9es dans le vrai corps et le vrai sang de\nl\u2019Homme-Dieu. Il reste la couleur du pain et du vin, leur saveur, leur\napparence, leurs accidents; mais ces accidents ne portent pas sur le\ncorps de J\u00e9sus-Christ, ils portent sur eux-m\u00eames, la puissance divine\nleur ayant donn\u00e9 des ordres sup\u00e9rieurs \u00e0 leur nature. La couleur est\ndonc ici en elle-m\u00eame, la saveur en elle-m\u00eame, la blancheur en\nelle-m\u00eame: chaque qualit\u00e9 d\u00e9tach\u00e9e de toute substance porte sur\nelle-m\u00eame. Voil\u00e0 en v\u00e9rit\u00e9 la grande innovation qu\u2019a faite le bras de la\nsagesse, arm\u00e9 de puissance et de bont\u00e9: le corps et le sang du Christ\npoursuit dans ses \u00e9lus, apr\u00e8s la communion, la grande nouveaut\u00e9, et\naccomplit l\u2019inconnu.\nOr, en face du sacrement, que nul ne s\u2019\u00e9tonne: avez-vous mesur\u00e9 la\ntoute-puissance? Sur tant d\u2019autels \u00e0 la fois, en de\u00e7\u00e0 et au del\u00e0 de la\nmer, ici et l\u00e0, ailleurs encore! Oh! que personne, mes enfants, n\u2019ait\nl\u2019audace de s\u2019\u00e9tonner, car il a dit lui-m\u00eame:\n\u00abJe vous suis incompr\u00e9hensible; je suis Dieu, j\u2019agis sans vous, et le\nmot impossible n\u2019a pas de sens pour moi. J\u2019aurais pu vous faire capables\nde comprendre; j\u2019ai mieux aim\u00e9 vous laisser le m\u00e9rite de la foi: croyez\net ne doutez pas.\u00bb\nSecondement, le sacrement est souverainement aimable, et plein de vertu\npour allumer le feu. Ni la crainte ni l\u2019int\u00e9r\u00eat ne l\u2019a institu\u00e9: il est\nl\u2019acte d\u2019une force dont je ne sais pas le nom, \u00e0 moins que ce ne soit un\namour sans mesure. J\u00e9sus-Christ l\u2019a institu\u00e9, parce que son amour\nd\u00e9passe les paroles. Comme ses entrailles criaient vers nous, il s\u2019est\njet\u00e9 l\u00e0 tout entier, tout entier et pour toujours, jusqu\u2019\u00e0 la\nconsommation des si\u00e8cles. Ce n\u2019est pas seulement en m\u00e9moire de sa mort\nqu\u2019il institua l\u2019Eucharistie; non, c\u2019est pour rester tout entier avec\nnous, tout entier et pour toujours.\nSi vous voulez p\u00e9n\u00e9trer dans cet ab\u00eeme et regarder devant vous, la\npremi\u00e8re condition est d\u2019avoir de bons yeux. Pressentant au moment de la\nC\u00e8ne la s\u00e9paration corporelle, vaincu par l\u2019amour qui veut unir, il\ns\u2019est substitu\u00e9 lui-m\u00eame, et a invent\u00e9 un mode inou\u00ef d\u2019unit\u00e9. O amour\ninextinguible! la pr\u00e9sence de la mort lui \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9sente, il voyait\nvenir sur lui l\u2019agonie in\u00e9narrable; c\u2019est alors qu\u2019il se donne \u00e0 nous,\nqu\u2019il invente un moyen de ne pas nous quitter; car ses d\u00e9lices sont\nd\u2019\u00eatre avec les enfants des hommes! Quelle cruaut\u00e9 faudrait-il pour\ncontempler profond\u00e9ment cet amour, et ne pas aimer soi-m\u00eame ce grand\nami, sur qui l\u2019oubli n\u2019eut prise ni dans la vie ni dans la mort, mais\nqui a voulu se donner tout entier, avec toute sa grandeur, pour faire\nl\u2019unit\u00e9? Je crois, en v\u00e9rit\u00e9, qu\u2019il n\u2019y a pas une \u00e2me au monde qui, si\nelle pesait cet amour, ne f\u00fbt pas attir\u00e9e et transform\u00e9e en lui.\nEn troisi\u00e8me lieu, ce sacrement renferme des myst\u00e8res de compassion: il\nprovoque l\u2019\u00e2me. J\u00e9sus-Christ l\u2019institua au milieu d\u2019une douleur mortelle\net ineffable: il allait quitter ses disciples, la Vierge, sa ch\u00e8re m\u00e8re.\nC\u2019\u00e9tait l\u2019instant supr\u00eame, l\u2019instant de la s\u00e9paration, et il voyait\ndevant lui tous ceux qui allaient l\u2019abandonner. Celui-ci allait le\ntrahir, celui-l\u00e0 le renier; il se donne \u00e0 l\u2019un et \u00e0 l\u2019autre. Ses fr\u00e8res\nlui pr\u00e9paraient des douleurs inou\u00efes, au milieu desquelles l\u2019attendait\nl\u2019abandon; il pressentait la mort avec ses horreurs, les coups, les\ninjures, la croix, les clous, etc.; il allait suer le sang apr\u00e8s la\nC\u00e8ne, suer le sang dans la pri\u00e8re, non pas quelques gouttes de sang,\nmais des ruisseaux qui allaient couler \u00e0 terre.\nEt cependant il n\u2019eut pas de repos qu\u2019il n\u2019e\u00fbt institu\u00e9 le myst\u00e8re qui\nle donne, et une des propri\u00e9t\u00e9s de ce myst\u00e8re, c\u2019est de renouveler\nmyst\u00e9rieusement la m\u00e9moire de la Passion et du sang vers\u00e9. \u00abToutes les\nfois que vous ferez ceci, dit-il, faites-le en m\u00e9moire de moi.\u00bb\nDites-moi si vous connaissez une \u00e2me qui puisse voir ces douleurs sans\nse transformer en elles: si elle existe, cette \u00e2me refuse la communion\ndu c\u0153ur.\nEn quatri\u00e8me lieu, ce sacrement est une montagne sans sommet; il a la\nvertu de creuser l\u2019ab\u00eeme d\u2019o\u00f9 l\u2019humilit\u00e9 lance au ciel l\u2019adoration la\nmoins indigne. Celui qui l\u2019a institu\u00e9, c\u2019est l\u2019Homme-Dieu, c\u2019est le\nSeigneur incr\u00e9\u00e9. L\u2019\u00e2me, dans sa contemplation, doit regarder \u00e0 la fois\nle sacrement dans la Personne qui l\u2019a institu\u00e9, et dans la substance\nqu\u2019il contient. Il contient le Dieu incr\u00e9\u00e9, invisible, omnipotent,\nomniscient, juste, tr\u00e8s haut et mis\u00e9ricordieux, cr\u00e9ateur du ciel et de\nla terre, des choses visibles et des choses invisibles: et voil\u00e0 le\nsommet de la montagne. Sur une de ses cr\u00eates interm\u00e9diaires, nous\nrencontrons l\u2019humanit\u00e9 de J\u00e9sus-Christ; humanit\u00e9, divinit\u00e9, deux\nnatures, une personne, union hypostatique! Quelquefois l\u2019\u00e2me, dans la\nvie pr\u00e9sente, re\u00e7oit de l\u2019humanit\u00e9 du Christ une joie plus intense que\nde sa divinit\u00e9, parce que l\u2019\u00e2me, moins disproportionn\u00e9e \u00e0 la premi\u00e8re\nchose qu\u2019\u00e0 la seconde, a plus de capacit\u00e9 pour jouir de celle-l\u00e0. L\u2019\u00e2me,\nqui est la forme du corps, jouit du Dieu incr\u00e9\u00e9 dans le Dieu fait homme.\nO J\u00e9sus-Christ cr\u00e9ateur! \u00f4 J\u00e9sus-Christ cr\u00e9ature! \u00f4 vrai Dieu et vrai\nhomme! \u00f4 vraie chair! \u00f4 vrai sang! \u00f4 vrais membres d\u2019un vrai corps! \u00f4\nunion ineffable! \u00f4 rencontres d\u2019immensit\u00e9s! \u00f4 Seigneur Adona\u00ef! je vais\nde votre humanit\u00e9 \u00e0 votre divinit\u00e9, de votre divinit\u00e9 \u00e0 votre humanit\u00e9;\nje vais et je reviens. L\u2019\u00e2me, dans sa contemplation, rencontre la\ndivinit\u00e9 ineffable, qui porte en soi les tr\u00e9sors de richesse et de\nscience. O tr\u00e9sors imp\u00e9rissables! \u00f4 divinit\u00e9! c\u2019est en toi que je puise\nles d\u00e9lices nourrissantes, et tout ce que je dis, et tout ce que je ne\npeux pas dire! Je vois l\u2019\u00e2me tr\u00e8s pr\u00e9cieuse de J\u00e9sus, avec toutes les\nvertus, tous les dons du Saint-Esprit, et l\u2019oblation tr\u00e8s sainte, tr\u00e8s\nsainte et sans tache. Je vois ce corps, le prix de notre r\u00e9demption; je\nvois le sang o\u00f9 je puise le salut et la vie, et puis je vois ce que je\nne peux pas dire. Voici vraiment, sous ces voiles, Celui qu\u2019adorent les\nDominations, devant qui tremblent les Esprits et les Puissances\nredoutables! Oh! si nos yeux s\u2019ouvraient comme leurs yeux, quels\nprodiges feraient en nous, aux approch\u00e9s du myst\u00e8re, le respect et\nl\u2019humilit\u00e9! O\u00f9 est-il, o\u00f9 est-il, celui qui pourrait garder son orgueil\ns\u2019il contemplait ce que je contemple, et n\u2019\u00eatre pas terrass\u00e9 dans son\nc\u0153ur et dans son corps?\nCinqui\u00e8mement, ce sacrement poss\u00e8de une vertu de sublimit\u00e9 qui \u00e9l\u00e8ve\nl\u2019\u00e2me vers les choses du ciel. La Trinit\u00e9 l\u2019a institu\u00e9 pour se rattacher\nce qu\u2019elle aime, pour arracher l\u2019\u00e2me \u00e0 elle-m\u00eame et l\u2019emporter \u00e0 Dieu,\npour l\u2019enlever aux cr\u00e9atures, pour l\u2019unir \u00e0 l\u2019Essence incr\u00e9\u00e9e, pour la\nfaire mourir aux choses du p\u00e9ch\u00e9 et vivre selon l\u2019Esprit dans la sph\u00e8re\ndes choses divines. Sa bont\u00e9 infinie et sainte l\u2019a institu\u00e9 pour unir,\npour incorporer Dieu \u00e0 l\u2019homme, l\u2019homme \u00e0 Dieu; pour que r\u00e9ciproquement\nl\u2019un et l\u2019autre se donnent l\u2019hospitalit\u00e9, pour qu\u2019ils se portent l\u2019un\nl\u2019autre, et que notre faiblesse ait ce qu\u2019il faut pour la gu\u00e9rir.\nSi vous suivez par le regard d\u2019une contemplation profonde ce mouvement\ndu Seigneur, qui s\u2019incline du haut des cieux et vient vous prendre par\nla main pour vous sauver de l\u2019ennemi terrestre, il vous sera difficile\nde ne pas \u00eatre entra\u00een\u00e9 par lui.\nEn sixi\u00e8me lieu, ce sacrement est d\u2019une valeur supr\u00eame: il est le don\ndes dons et la gr\u00e2ce des gr\u00e2ces. Quand le Dieu tout-puissant et \u00e9ternel\nvient \u00e0 nous avec toute la perfection de l\u2019humanit\u00e9 trois fois sainte de\nla divinit\u00e9, il ne vient pas les mains vides. Pourvu que vous ayez fait\nl\u2019\u00e9preuve que demande l\u2019Ap\u00f4tre, et que vous ne soyez pas dans\nl\u2019intention de p\u00e9cher, il vous fait remise des peines temporelles, vous\nfortifie contre les tentations, restreint la puissance de vos ennemis,\net augmente vos m\u00e9rites. C\u2019est pourquoi je vous recommande \u00e0 la fois,\ndans la r\u00e9ception du sacrement de l\u2019autel, la fr\u00e9quence et le respect.\nSaint Augustin dit quelque part, il est vrai: \u00abQuant \u00e0 la communion\nquotidienne, je ne la bl\u00e2me ni ne la loue\u00bb. Mais lui-m\u00eame dit ailleurs:\n\u00abVivez de fa\u00e7on \u00e0 communier tous les jours\u00bb. Quelle \u00e9tait donc sa pens\u00e9e\nquand il a dit la premi\u00e8re parole? Voyant que dans l\u2019Eglise les bons\nsont m\u00eal\u00e9s aux mauvais, il n\u2019a pas bl\u00e2m\u00e9 la communion quotidienne, dans\nla crainte d\u2019en \u00e9carter les bons, et s\u2019il a dit qu\u2019il ne la louait pas,\nc\u2019\u00e9tait uniquement dans la crainte d\u2019autoriser les mauvais.\nLes autres bienfaits du sacrement dignement re\u00e7u sont absolument\nau-dessus des paroles. Il est impossible de mesurer l\u2019oc\u00e9an de gr\u00e2ces\nqu\u2019apporte avec elle une seule communion, si l\u2019homme n\u2019oppose pas de\nr\u00e9sistance.\nEnfin, ce sacrement est le sacrement des louanges, digne d\u2019admiration au\ndel\u00e0 des mots et des pens\u00e9es. Toute bont\u00e9, toute beaut\u00e9, toute saintet\u00e9,\nsont en lui.\nIl renferme le souverain Bien incr\u00e9\u00e9 et le souverain Bien cr\u00e9\u00e9,\nl\u2019essence divine et l\u2019humanit\u00e9 de J\u00e9sus-Christ. Pourquoi la louange de\nla terre n\u2019est-elle pas comme celle des cieux, superbe, ininterrompue?\nLes anges chantent l\u2019\u00e9ternel _Sanctus_, et leur chant ne s\u2019arr\u00eate pas:\nles saints et les bienheureux voient et sentent le sacrement sublime.\nEnvelopp\u00e9s dans le sacrifice de louanges comme dans les plis d\u2019un\nmanteau de gloire, ils vivent dans l\u2019Essence infinie qui fait leur\nb\u00e9atitude. Toujours en pr\u00e9sence du souverain Bien, du Dieu incr\u00e9\u00e9 et du\nDieu incarn\u00e9, ils le reconnaissent et l\u2019adorent dans le sacrement de\nl\u2019autel. Ils re\u00e7oivent de notre sacrement une nouvelle douceur, une\nnouvelle joie, une nouvelle puissance d\u2019adorer, qui tient \u00e0\nl\u2019universelle harmonie, \u00e0 l\u2019universelle communion. Ils communient \u00e0 la\nfois \u00e0 la t\u00eate et aux membres du corps mystique. Ils voient, sentent et\nsavent que le myst\u00e8re tr\u00e8s haut est une des joies de J\u00e9sus-Christ, une\ndes manifestations de sa bont\u00e9, une des complaisances de son amour\nunitif.\nC\u2019est pourquoi les anges et les saints jouissent du myst\u00e8re qui leur\nouvre une source de louange; ils partagent la complaisance de\nJ\u00e9sus-Christ; ils jouissent de ses d\u00e9lices. Les bienheureux de l\u2019Eglise\ntriomphante voient avec des transports de joie les gr\u00e2ces qui coulent\nsur l\u2019Eglise militante par le canal du sacrement de l\u2019autel. Que le ciel\net la terre se r\u00e9pondent, que toute l\u00e8vre s\u2019ouvre pour la m\u00eame\nadoration!\nQuand l\u2019homme approche de l\u2019Eucharistie, je l\u2019engage \u00e0 se demander quel\nest celui qui approche, quel est Celui vers qui il approche, comment il\napproche, pourquoi il approche. Il approche d\u2019un Bien qui est le\nsouverain Bien et la cause de tout bien, le Bien unique, sans lequel\nrien ne participe \u00e0 sa bont\u00e9. C\u2019est le Bien suffisant et remplissant,\nqui rassasie de gr\u00e2ce et de gloire les saints et les esprits, les \u00e2mes\net les corps. Il s\u2019approche pour recevoir le Dieu incarn\u00e9, le souverain\nBien, qui, dans la cr\u00e9ature, rassasie, surpasse et glorifie; qui, en\ndehors des cr\u00e9atures, se d\u00e9ploie sans borne et sans mesure; souverain\nBien que la cr\u00e9ature ne peut ni conna\u00eetre ni poss\u00e9der que dans la mesure\no\u00f9 il se livre pour \u00eatre connu et poss\u00e9d\u00e9, et il se livre dans la mesure\nou chaque cr\u00e9ature est capable de lui.\nChaque cr\u00e9ature, suivant la quantit\u00e9 d\u2019\u00eatre qu\u2019elle a re\u00e7ue de l\u2019essence\ninfinie, est plus ou moins capable de Celui qui est l\u2019Etre et qui est la\nsource de l\u2019Etre, et qui est supersubstantiel. Il s\u2019approche du Bien,\nhors duquel il n\u2019y a pas de bien. O souverain Bien! \u00f4 Bien non\nconsid\u00e9r\u00e9, non connu, non aim\u00e9, trouv\u00e9 par ceux-l\u00e0 seuls qui donnent\ntout pour avoir tout! O mon Dieu! si l\u2019homme regarde la bouch\u00e9e de pain\nqu\u2019il va manger, comment fait-il pour ne pas consid\u00e9rer, dans le plus\nprofond recueillement de son \u00e2me et de son corps, cet Eternel, cet\nInfini, qui va devenir pour lui, suivant ses dispositions intimes, ou la\nmort, ou la vie? Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l\u2019homme, si\nvous ne buvez pas son sang, vous n\u2019aurez pas la vie en vous. Oh!\napprochez donc d\u2019un tel Bien et d\u2019une telle table avec un grand\ntremblement resplendissant d\u2019amour! Allez dans votre blancheur, allez\ndans votre splendeur; car vous allez au Dieu de toute beaut\u00e9, au Dieu de\ngloire, qui est la saintet\u00e9 par excellence, la f\u00e9licit\u00e9, la b\u00e9atitude et\nl\u2019altitude, la noblesse, l\u2019\u00e9ternelle joie de l\u2019amour sans mensonge:\nallez donner et recevoir l\u2019hospitalit\u00e9 trois fois sainte; allez, dans la\nblancheur de votre puret\u00e9, pour \u00eatre purifi\u00e9; allez dans la force de\nvotre vie, pour \u00eatre vivifi\u00e9; allez, dans l\u2019\u00e9clat de votre justice, pour\n\u00eatre justifi\u00e9; portez \u00e0 l\u2019autel l\u2019intimit\u00e9 de l\u2019union divine pour\nrecevoir l\u2019unit\u00e9 plus intime, pour \u00eatre incorpor\u00e9s \u00e0 Celui qui vous\nattend.\nO Dieu incr\u00e9\u00e9, et doucement incarn\u00e9, l\u2019homme a mang\u00e9 votre chair, il a\nbu votre sang: qu\u2019il ne fasse plus qu\u2019un avec vous dans les si\u00e8cles des\nsi\u00e8cles. _Amen_.\nSOIXANTE-HUITI\u00c8ME CHAPITRE\nL\u2019INCARNATION\nVoici la derni\u00e8re lettre que nous \u00e9crivit, avant sa maladie mortelle,\nnotre m\u00e8re Ang\u00e8le de Foligno; voici les derni\u00e8res lignes que sa main a\ntrac\u00e9es. Elle nous avait pr\u00e9venus elle-m\u00eame: \u00abMes enfants, avait dit\nnotre m\u00e8re, voici ma derni\u00e8re lettre.\u00bb Car elle connut longtemps\nd\u2019avance le bienheureux moment o\u00f9 elle, passerait du temps \u00e0 l\u2019\u00e9ternit\u00e9.\nA la nouvelle terrible qu\u2019Ang\u00e8le parlait pour la derni\u00e8re fois, celui\nqui tenait la plume pour avoir le courage d\u2019\u00e9crire, eut besoin d\u2019\u00eatre\nforc\u00e9 par elle.\nAvant de dicter, elle poussa un grand cri:\n\u00abO mon Dieu! faites-moi digne de conna\u00eetre quelque chose du myst\u00e8re de\nla hauteur, quelque chose de cette incarnation, que vous avez faite, de\ncette incarnation, principe et source du salut. O incarnation ineffable!\nc\u2019est elle qui apporte \u00e0 l\u2019homme, avec le rassasiement de l\u2019amour, la\ncertitude du salut. Cette charit\u00e9 est au-dessus des paroles; mais\nau-dessus d\u2019elle il n\u2019y a rien: le Verbe s\u2019est fait chair, afin de me\nfaire Dieu! O secret des entrailles de Dieu! Vous vous \u00eates an\u00e9anti et\nd\u00e9pouill\u00e9 pour faire de moi quelque chose; vous avez pris l\u2019habit du\ndernier des esclaves pour me donner le manteau d\u2019un roi et d\u2019un Dieu!\nEt, prenant la forme de l\u2019esclave, vous n\u2019avez rien diminu\u00e9 de votre\nsubstance, vous n\u2019avez fait tort de rien \u00e0 votre divinit\u00e9. Mais l\u2019ab\u00eeme\nde votre humilit\u00e9 m\u2019ouvre les entrailles et m\u2019arrache les cris: \u00abO\nincompr\u00e9hensible, fait compr\u00e9hensible \u00e0 cause de moi! O incr\u00e9\u00e9, vous\nvoil\u00e0 cr\u00e9\u00e9! O inaccessible aux esprits et aux corps, vous voil\u00e0, par un\nprodige de puissance, vous voil\u00e0 palpable aux pens\u00e9es et aux doigts! O\nSeigneur, touchez mes yeux, pour que je voie la profondeur et la hauteur\nde la charit\u00e9 que vous nous avez communiqu\u00e9e dans cette incarnation! O\nheureuse faute! non pas heureuse en elle-m\u00eame, mais par la vertu de la\nmis\u00e9ricorde divine. Heureuse faute qui a d\u00e9couvert les profondeurs\nsacr\u00e9es et cach\u00e9es des ab\u00eemes de l\u2019amour! En v\u00e9rit\u00e9 une charit\u00e9 plus\nhaute ne peut pas \u00eatre con\u00e7ue. O Tr\u00e8s-Haut, faites mon intelligence\ncapable de votre charit\u00e9 tr\u00e8s haute et ineffable!\n\u00abSeigneur, j\u2019aper\u00e7ois cinq myst\u00e8res. Agrandissez mon intelligence, car\nla capacit\u00e9 manque. Voici le myst\u00e8re de l\u2019Incarnation. Voici le myst\u00e8re\nde la science, de l\u2019exemple, de la p\u00e9nitence et de la douleur. Voici la\nmort terrible, soufferte pour nous! Voici la gloire de la R\u00e9surrection.\nVoici la sublimit\u00e9 de l\u2019Ascension. Incarnation! \u00f4 amour ineffable! amour\nsublime et transform\u00e9. Soyez b\u00e9ni, Seigneur, qui me faites comprendre\nque vous \u00eates n\u00e9 pour moi. Oh! quelle gloire, quelle gloire de voir et\nde sentir, comme je le crois, comme je le sens, que vous \u00eates n\u00e9 pour\nmoi! Sentir cela en v\u00e9rit\u00e9, voil\u00e0 la d\u00e9lectation, voil\u00e0 la joie des\njoies! La m\u00eame certitude que nous tirons de l\u2019Incarnation, nous la\ntirons aussi de la Nativit\u00e9, car il est n\u00e9 pour faire l\u2019\u0153uvre qui a\nd\u00e9termin\u00e9 son incarnation. O Admirable, que vos mis\u00e9ricordes sont\nmis\u00e9ricordieuses! Vous nous avez enseign\u00e9 l\u2019esprit de vie: car votre\npauvret\u00e9, vos douleurs, vos opprobres sont des documents, des le\u00e7ons et\ndes livres. Votre naissance, votre vie et votre mort parlent le m\u00eame\nlangage.\n\u00abLe myst\u00e8re de sa mort met devant nos yeux, avec notre r\u00e9demption, le\nbut de la naissance de J\u00e9sus; cinq consid\u00e9rations me frappent en ce\nmoment dans cette mort. D\u2019abord la d\u00e9claration et l\u2019accomplissement de\nnotre salut. Puis la force et le triomphe. Puis la manifestation de\nl\u2019amour divin dans sa pl\u00e9nitude et sa surabondance. Puis la v\u00e9rit\u00e9 tr\u00e8s\nhaute, tr\u00e8s cordiale et tr\u00e8s profonde dont il nous a rassasi\u00e9s; car nous\navons vu dans ce miroir sous quel aspect le P\u00e8re nous a pr\u00e9sent\u00e9 le\nFils. Enfin nous avons vu comment le Fils nous a manifest\u00e9 le P\u00e8re.\nCette manifestation fut l\u2019ob\u00e9issance qu\u2019il a gard\u00e9e jusqu\u2019\u00e0 la mort et\njusqu\u2019\u00e0 la mort de la croix; par elle il a r\u00e9pondu pour tout le genre\nhumain. O Dieu incr\u00e9\u00e9, faites-moi digne de conna\u00eetre la profondeur de\ncet amour et l\u2019ab\u00eeme de cette mis\u00e9ricorde Faites-moi digne de comprendre\ncette charit\u00e9 ineffable, dont la communication nous a \u00e9t\u00e9 faite quand le\nP\u00e8re nous a manifest\u00e9 J\u00e9sus-Christ comme son Fils, quand le Fils nous a\nmanifest\u00e9 son P\u00e8re comme notre P\u00e8re? O admirable amour! \u00e9ternelle joie\nde mon \u00e2me! O amour, c\u2019est en vous qu\u2019est toute saveur, toute suavit\u00e9,\ntoute d\u00e9lectation, et la contemplation qui arrache l\u2019\u00e2me au monde d\u2019en\nbas, qui lui donne le repos et la paix, la transporte plus haut\nqu\u2019elle-m\u00eame, et elle se dresse sur elle-m\u00eame.\n\u00abDans la r\u00e9surrection, j\u2019aper\u00e7ois deux points de vue: d\u2019abord la ferme\nesp\u00e9rance de la n\u00f4tre puis\u00e9e dans celle de J\u00e9sus-Christ. Puis la\nconnaissance de la r\u00e9surrection spirituelle, qui est donn\u00e9e par la\ngr\u00e2ce, quand d\u2019un infirme elle fait un fort, quand d\u2019un mort elle fait\nun vivant.\n\u00abMyst\u00e8re de la hauteur, in\u00e9narrable, inconnu et ineffable, perfection de\nla perfection! O Dieu \u00e9ternel, donnez-moi des yeux pour voir, pour voir,\npour sonder. La pl\u00e9nitude du salut est dans votre ascension, Seigneur.\nFaites-moi capable de l\u2019ab\u00eeme, pour que j\u2019y plonge et que je regarde! O\nJ\u00e9sus-Christ, c\u2019est par l\u2019ascension que vous nous avez mis en possession\nde votre P\u00e8re et du n\u00f4tre! Il faut une perp\u00e9tuelle oraison pour lire\ndans le livre des cinq myst\u00e8res. Charit\u00e9 de la cr\u00e9ation! charit\u00e9 de la\nr\u00e9demption! Seigneur, faites-moi capable de sonder la charit\u00e9 d\u2019en haut.\nO Incompr\u00e9hensible! donnez-moi l\u2019intelligence de l\u2019amour sans prix, de\nl\u2019amour inestimable, pour que je voie dans vos entrailles la flamme qui\nles d\u00e9vore! Car de toute \u00e9ternit\u00e9 vous avez appel\u00e9 le genre humain \u00e0 la\nvision de vous-m\u00eame. Et vous, \u00f4 Tr\u00e8s-Haut, vous avez daign\u00e9 d\u00e9sirer la\nvision de nous-m\u00eame. Oh! que je voie donc mon p\u00e9ch\u00e9! que j\u2019\u00e9vite donc\nles ch\u00e2timents \u00e9pouvantables dont vous avez menac\u00e9 ceux que le bienfait\nsans mesure et le myst\u00e8re sans parole trouvent ingrats sur la terre!\u00bb\nSOIXANTE-NEUVI\u00c8ME CHAPITRE\nPRI\u00c8RE\nEnsuite elle parla de sept dons, de sept bienfaits en particulier, et\nvoici en quels termes:\n\u00abO tr\u00e8s doux Seigneur, parmi la multitude innombrable de vos dons,\nfaites-moi capable d\u2019en comprendre sept. D\u2019abord la cr\u00e9ation\nmyst\u00e9rieuse. Puis l\u2019\u00e9lection admirable qui nous donne rendez-vous dans\nla gloire. Puis le don de J\u00e9sus-Christ, qui naquit et mourut pour nous\ndonner la vie. Puis le don tr\u00e8s haut de la raison. Car, au lieu de cr\u00e9er\nune femme, vous auriez pu cr\u00e9er une b\u00eate. Oraison admirable! c\u2019est par\nelle que je vous connais, par elle que je connais mes p\u00e9ch\u00e9s; par elle\nque, votre gr\u00e2ce aidant, je r\u00e9siste \u00e0 la tentation. O Incompr\u00e9hensible!\nvos mains ont fait un chef-d\u2019\u0153uvre. Vous nous avez cr\u00e9\u00e9s \u00e0 votre image\net ressemblance; puis vous nous avez rev\u00eatus de votre lumi\u00e8re, comme\nd\u2019un manteau. Puis vous nous avez donn\u00e9 l\u2019intelligence. Faites-moi\ncapable de comprendre la grandeur de cette intelligence, gr\u00e2ce \u00e0\nlaquelle mes l\u00e8vres peuvent vous appeler mon Dieu! Puis vous m\u2019avez\ndonn\u00e9 la sagesse. O Seigneur, faites-moi savourer cet amour qui m\u2019a\ndonn\u00e9 la sagesse, la sagesse, la joie des joies, par laquelle en v\u00e9rit\u00e9\nje go\u00fbte Dieu; je le sens, je le go\u00fbte. Le septi\u00e8me don est l\u2019amour. O\nEssence pure! Faites-moi comprendre l\u2019amour, puisque les anges n\u2019ont pas\nd\u2019autre bonheur que de voir Celui qu\u2019ils aiment et d\u2019aimer Celui qu\u2019ils\ncontemplent! O don qui est au-dessus de tout don, puisque l\u2019amour c\u2019est\nvous!\n\u00abO souverain Bien, qui nous avez fait capables de conna\u00eetre et d\u2019aimer\nl\u2019amour, tous ceux qui arrivent devant votre face sont jug\u00e9s d\u2019apr\u00e8s les\nlois de l\u2019amour. L\u2019amour est la seule puissance qui conduise les\ncontemplateurs \u00e0 la contemplation. O Admirable, que vos \u0153uvres sont\nadmirables dans vos enfants! O souverain Bien! Bont\u00e9 incompr\u00e9hensible et\ncharit\u00e9 tr\u00e8s ardente! O Divinit\u00e9, vous avez daign\u00e9 nous substantifier au\nmilieu de votre substance[8]!\n [8] Ceci se rapporte \u00e0 l\u2019Eucharistie. (_Note de l\u2019Editeur \u00e9crite en\n latin._)\n\u00abAu milieu de votre substance! Prodige des prodiges, admirable au-dessus\ndes prodiges! O myst\u00e8re des myst\u00e8res! Myst\u00e8re de la substance, \u00e0 votre\napproche, l\u2019entendement cr\u00e9\u00e9 tombe en d\u00e9faillance. Mais avec la gr\u00e2ce et\nla lumi\u00e8re divine, nous sentons ce que nous ne comprenons pas, _nous\ngo\u00fbtons la substance_, et elle est le gage de ceux qui vivent dans le\nd\u00e9sert, dans le d\u00e9sert en esprit, dans le d\u00e9sert en v\u00e9rit\u00e9, et tous les\nch\u0153urs des anges sont occup\u00e9s de cette merveille; et que tous les hommes\ndu d\u00e9sert soient occup\u00e9s de la m\u00eame occupation, que tous les hommes du\nd\u00e9sert contemplent la m\u00eame contemplation, et c\u2019est alors qu\u2019ils\ndeviendront v\u00e9ritablement les hommes du d\u00e9sert, et la main de la\npuissance les s\u00e9parera des cr\u00e9atures, et leur conversation est dans les\ncieux. Gloire \u00e0 Dieu. _Amen_.\u00bb\nSOIXANTE-DIXI\u00c8ME CHAPITRE ET DERNIER\nLE TESTAMENT ET LA MORT\nQuand notre m\u00e8re Ang\u00e8le se sentit pr\u00e8s de la mort, Ang\u00e8le qui, sur\nterre, v\u00e9cut loin de la terre, elle fit son testament, et enseigna pour\nla derni\u00e8re fois ses fils, et leur dit:\n\u00abMes chers enfants, je vous parle pour l\u2019amour de Dieu, suivant la\npromesse que j\u2019ai faite: je ne veux rien emporter avec moi, rien vous\ncacher, qui puisse vous \u00eatre utile. Car Dieu a dit \u00e0 l\u2019\u00e2me: \u00abTout ce qui\nest \u00e0 moi est \u00e0 toi\u00bb. Par quelle vertu peut-il se faire que tout ce qui\nest \u00e0 Lui soit \u00e0 nous; je vous le dis, en v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est la charit\u00e9 qui\nfait cela. Les paroles que je vais prononcer ne sont pas de moi, elles\nsont de Dieu.\n\u00abCar il a plu au Seigneur de me donner l\u2019amour et la sollicitude de tous\nses fils et de toutes ses filles, de tout ce qui respire sur le globe,\nen de\u00e7\u00e0 et au del\u00e0 de la mer. Je les ai gard\u00e9s comme j\u2019ai pu, et j\u2019ai\nsouffert pour eux les douleurs que personne ne sait. O mon Dieu, je les\nremets aujourd\u2019hui entre vos mains, vous suppliant par votre ineffable\ncharit\u00e9 de les pr\u00e9server de tout mal, et de les affermir dans tout bien,\ndans l\u2019amour de la pauvret\u00e9, du m\u00e9pris et de la douleur, de transformer\nleur vie en votre vie, et de les introduire dans la perfection dont vos\nparoles et vos actions nous ont donn\u00e9 le mod\u00e8le quand vous viviez dans\nla vie humaine.\n\u00abO mes fils ch\u00e9ris, \u00e9coutez la parole supr\u00eame, la parole et la pri\u00e8re de\nl\u2019adieu. Voici cette parole: \u00abMes enfants, soyez humbles! mes enfants,\nsoyez doux!\u00bb Je ne parle pas de l\u2019acte ext\u00e9rieur; je parle des\nprofondeurs du c\u0153ur; mes enfants, soyez doux dans le fond. Soyez en\nv\u00e9rit\u00e9 les disciples de Celui qui a dit: \u00abApprenez de moi que je suis\ndoux et humble de c\u0153ur.\u00bb Ne vous inqui\u00e9tez ni des honneurs ni des\ndignit\u00e9s. O mes enfants, soyez petits pour que le Christ vous exalte\ndans sa perfection et dans la v\u00f4tre. Soyez humbles, et que votre n\u00e9ant\nsoit immobile devant vos yeux. Les dignit\u00e9s qui enflent l\u2019\u00e2me sont\nvanit\u00e9s qu\u2019il faut maudire. Fuyez-les! car elles sont dangereuses; mais\n\u00e9coutez! \u00e9coutez! elles sont moins dangereuses que les vanit\u00e9s\nspirituelles. Montrer qu\u2019on sait parler de Dieu, comprendre l\u2019Ecriture,\naccomplir des prodiges, faire parade de son c\u0153ur ab\u00eem\u00e9 dans le divin,\nvoil\u00e0 vanit\u00e9 des vanit\u00e9s, et les vanit\u00e9s temporelles sont apr\u00e8s cette\nvanit\u00e9 supr\u00eame de petits d\u00e9fauts vite corrig\u00e9s. Oh! comptez-vous pour\nrien! O Rien inconnu! \u00f4 Rien inconnu! En v\u00e9rit\u00e9 l\u2019\u00e2me ne peut avoir une\nscience plus profonde ni une vision plus haute que de voir son Rien et\nde s\u2019y tenir.\n\u00abO mes enfants, efforcez-vous d\u2019avoir la charit\u00e9 sans laquelle le salut\nn\u2019est pas, ni le m\u00e9rite. O mes chers enfants, et mes p\u00e8res, et mes\nfr\u00e8res, aimez-vous les uns les autres! Voil\u00e0 la condition de l\u2019h\u00e9ritage\npromis; et que votre amour ne soit pas born\u00e9 \u00e0 vous, qu\u2019il embrasse\ntoutes les nations. Je vous le dis, mon \u00e2me a plus re\u00e7u de Dieu, quand\nj\u2019ai pleur\u00e9 et souffert pour les p\u00e9ch\u00e9s des autres plus que pour les\nmiens. Le monde rirait, si je disais que j\u2019ai pleur\u00e9 les p\u00e9ch\u00e9s des\nautres plus que les miens, car cela n\u2019est pas naturel. Mais la charit\u00e9\nn\u2019est pas n\u00e9e du monde. O mes enfants, aimez et ne jugez pas; et si vous\nvoyez un homme p\u00e9cher mortellement, ayez horreur du p\u00e9ch\u00e9, mais ne jugez\npas l\u2019homme, et ne m\u00e9prisez personne; car vous ne savez pas les\njugements de Dieu. Beaucoup semblent damn\u00e9s qui sont sauv\u00e9s devant Dieu.\nBeaucoup semblent sauv\u00e9s qui sont damn\u00e9s devant Dieu. Je puis vous dire\nque, parmi ceux que vous m\u00e9prisez, il en est \u00e0 qui je crois que Dieu\ntendra la main.\n\u00abJe ne vous laisse pas d\u2019autre testament: Aimez-vous les uns les autres,\net que votre humilit\u00e9 soit profonde. Je vous laisse tout ce que je\nposs\u00e8de, tout ce que je tiens de J\u00e9sus-Christ, la pauvret\u00e9, l\u2019opprobre\net la douleur, en un mot la vie de l\u2019Homme-Dieu. Ceux qui accepteront\nmon h\u00e9ritage seront mes enfants; car ce sont les enfants de Dieu, et la\nvie \u00e9ternelle les attend.\u00bb\nElle fit silence, puis imposa la main sur chaque t\u00eate, et dit: \u00abSoyez\nb\u00e9nis, mes enfants, par le Seigneur et par moi. Soyez b\u00e9nis, vous qui\n\u00eates pr\u00e9sents, soyez b\u00e9nis, vous qui \u00eates absents. Suivant l\u2019ordre du\nSeigneur, je donne aux pr\u00e9sents et aux absents ma b\u00e9n\u00e9diction pour\nl\u2019\u00e9ternit\u00e9, et que J\u00e9sus-Christ vous la donne en m\u00eame temps; soyez b\u00e9nis\npar la main qui a \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9e sur la croix.\u00bb\nAng\u00e8le, bris\u00e9e par la mort qui venait, et plus profond\u00e9ment absorb\u00e9e\nqu\u2019\u00e0 l\u2019ordinaire dans l\u2019ab\u00eeme sans fond de la Divinit\u00e9, ne pronon\u00e7a que\nquelques paroles interrompues et rares. Ces paroles, nous qui \u00e9tions l\u00e0,\nnous avons essay\u00e9 de les recueillir. Les voici \u00e0 peu pr\u00e8s.\nElle mourut vers le temps de No\u00ebl, vers la derni\u00e8re heure: \u00abLe Verbe\ns\u2019est fait chair\u00bb, dit-elle. Puis apr\u00e8s un long silence, comme une\npersonne qui revient d\u2019un long voyage:\n\u00abOh! toute cr\u00e9ature est en d\u00e9faut, l\u2019intelligence des anges ne suffit\npas.\u00bb\nQuelqu\u2019un lui demanda: \u00abPourquoi toute cr\u00e9ature est-elle en d\u00e9faut?\nPourquoi l\u2019intelligence des anges ne suffit-elle pas?\u00bb\nAng\u00e8le r\u00e9pondit: \u00abPour comprendre.\u00bb\nEt puis plus tard: \u00abOh! en v\u00e9rit\u00e9, voici mon Dieu qui fait ce qu\u2019il a\ndit. J\u00e9sus-Christ me pr\u00e9sente au P\u00e8re.\u00bb Un instant auparavant elle\nvenait de dire: \u00abVous savez que pendant la temp\u00eate J\u00e9sus-Christ \u00e9tait\ndans le navire? En v\u00e9rit\u00e9, il est ainsi dans l\u2019\u00e2me quand il permet les\ntentations, quand il semble dormir. Et il ne met fin aux tentations et\naux temp\u00eates que quand tout l\u2019homme est broy\u00e9. Telle est sa conduite\nvis-\u00e0-vis de ses enfants v\u00e9ritables.\u00bb\nPuis dans un autre moment:\n\u00abO mes enfants, je vous dirais quelques paroles, si j\u2019\u00e9tais certaine de\nn\u2019\u00eatre pas tromp\u00e9e.\u00bb\nElle pensait \u00e0 la certitude actuelle de sa mort, et craignait de la voir\nencore retarder. Ang\u00e8le d\u00e9sirait.\nElle ajouta:\n\u00abJe vous parle, mes enfants, uniquement pour vous engager \u00e0 poursuivre\nce que je n\u2019ai pas poursuivi.\u00bb\nEt un instant apr\u00e8s:\n\u00abMon \u00e2me a \u00e9t\u00e9 lav\u00e9e et purifi\u00e9e dans le sang du Christ, qui \u00e9tait chaud\ncomme au moment de sa mort. Et il fut dit \u00e0 mon \u00e2me:\n\u00abVoici le purificateur.\u00bb Et mon \u00e2me r\u00e9pondit: \u00abO mon Dieu, serai-je\ntromp\u00e9e?\u00bb Et il me r\u00e9pondit: \u00abNon.\u00bb\nPuis elle ajouta:\n\u00abJ\u00e9sus-Christ, Fils de Dieu, m\u2019a pr\u00e9sent\u00e9e au P\u00e8re, et j\u2019ai entendu ces\nparoles:\n\u00abO mon \u00e9pouse et mon amour! O celle que j\u2019ai aim\u00e9e en v\u00e9rit\u00e9, je ne veux\npas que tu viennes \u00e0 moi charg\u00e9e de douleurs, mais par\u00e9e de la joie\nin\u00e9narrable. Que la reine rev\u00eate le manteau royal, puisque voici le jour\nde ses noces!\u00bb\n\u00abEt on me montra un manteau, semblable au cadeau de noces, gage d\u2019un\nlong et grand amour; il n\u2019\u00e9tait ni de pourpre ni d\u2019\u00e9carlate, mais de\nlumi\u00e8re et capable de v\u00eatir une \u00e2me.\n\u00abEt alors Dieu me montra son Verbe, de sorte que maintenant je sais ce\nque c\u2019est que le Verbe, je sais ce que c\u2019est que de prof\u00e9rer le Verbe,\nle Verbe qui voulut \u00eatre incarn\u00e9 pour moi. Et le Verbe passa par moi, me\ntoucha, m\u2019embrassa et me dit: \u00abVenez, ma bien-aim\u00e9e, que je n\u2019ai pas\naim\u00e9e d\u2019un amour trompeur. Venez: car dans la joie tous les saints vous\nattendent.\u00bb\n\u00abEt il ajouta: \u00abJe ne vous confierai ni aux anges, ni aux saints; je\nviendrai en personne, et je vous enl\u00e8verai moi-m\u00eame. Vous \u00eates telle\nqu\u2019il faut pour para\u00eetre devant la Majest\u00e9.\u00bb\nLa veille de sa mort, elle disait \u00e0 chaque instant: \u00abP\u00e8re, je remets mon\n\u00e2me et mon esprit dans vos mains.\u00bb\nUne fois elle ajouta:\n\u00abJe viens d\u2019entendre cette r\u00e9ponse: \u00abCe qui fut imprim\u00e9 pendant ta vie\nsur ton c\u0153ur, il est impossible que tu ne poss\u00e8des pas cela dans ta\nmort.\u00bb\n--Et nous! Vous voulez donc, m\u00e8re, partir et nous quitter?\u00bb\nMais elle:\n\u00abJe vous l\u2019ai cach\u00e9; mais je ne vous le cache plus, mes enfants, je vais\nmourir.\u00bb\nLe m\u00eame jour toute douleur cessa. Les souffrances, depuis quelques\njours, \u00e9taient nombreuses et horribles.\nMais le corps entra dans un repos profond, et l\u2019\u00e2me dans un oc\u00e9an de\nd\u00e9lices, et Ang\u00e8le semblait go\u00fbter d\u2019avance la joie promise.\nQuelqu\u2019un lui demanda s\u2019il en \u00e9tait ainsi:\n\u00abOui\u00bb, r\u00e9pondit-elle.\nDans cette paix du corps, dans cette joie de l\u2019esprit, Ang\u00e8le demeura le\nsamedi soir, entour\u00e9e des fr\u00e8res, qui lui montraient l\u2019office du jour.\nCe jour-l\u00e0 m\u00eame, octave de la f\u00eate des saints innocents, \u00e0 la derni\u00e8re\nheure de la soir\u00e9e, comme quelqu\u2019un qui s\u2019endort d\u2019un sommeil l\u00e9ger,\nAng\u00e8le, notre m\u00e8re, s\u2019endormit dans la paix.\nD\u00e9gag\u00e9e des liens de la chair, son \u00e2me tr\u00e8s pure, absorb\u00e9e dans l\u2019ab\u00eeme\nde la Divinit\u00e9 insondable, re\u00e7ut des mains de son Epoux, pour r\u00e9gner\n\u00e9ternellement avec lui, la robe d\u2019innocence et d\u2019immortalit\u00e9.\nPar la vertu de la croix, par les m\u00e9rites de la Vierge, par\nl\u2019intercession de notre m\u00e8re Ang\u00e8le, que le Seigneur J\u00e9sus-Christ nous\nconduise l\u00e0 o\u00f9 elle est. _Amen_.\nLa servante de J\u00e9sus-Christ, Ang\u00e8le de Foligno, sauv\u00e9e du naufrage de ce\nmonde, s\u2019envola vers les joies c\u00e9lestes, depuis longtemps promises \u00e0 ses\nd\u00e9sirs, l\u2019an 1309 de l\u2019\u00e8re chr\u00e9tienne, dans les premiers jours de\njanvier, sous le pontificat du pape Cl\u00e9ment V.\nEjus corpus Fulginei in Ecclesi\u00e2 sancti Francisci Patrum Minorum\nhonorifice tumulatum, ibique miraculis coruscans, summ\u00e2 fidelium\nreligione colitur.\nORAISON\nDeus, dulcedo cordium et lumen Beatorum, qui B. Angelam famulam tuam\nmir\u00e2 rerum c\u0153lestium contemplatione recreasti; concede ut, ipsius mentis\net intercessione, ita te cognoscamus in terris, ut in revelatione\nsempitern\u00e6 glori\u00e6 tuae gaudere mereamur in c\u0153lis.\n(_Extrait du _Br\u00e9viaire romain_ \u00e0 l\u2019usage des Fr\u00e8res Mineurs._)\nFIN\nAPPENDICE DES VISIONS ET INSTRUCTIONS DE LA BIENHEUREUSE ANG\u00c8LE DE\nFOLIGNO\nRencontre de Sainte Ang\u00e8le de Foligno et d\u2019Ubertin de Casale\nUbertin de Casale, dans un essai autobiographique, sorte de pr\u00e9face \u00e0\nson _Arbor vit\u00e6_[9], a signal\u00e9 le r\u00f4le de sainte Ang\u00e8le de Foligno pr\u00e8s\nde lui. Il la rencontra dans la vingt-cinqui\u00e8me ann\u00e9e de sa vie\nreligieuse, c\u2019est-\u00e0-dire en 1298, comme il ressort de la discussion des\ndates, donn\u00e9e par le P. Fr\u00e9d\u00e9gand Callaey[10], dont nous reproduisons ou\nr\u00e9sumons les renseignements.\n [9] _Arbor vit\u00e6 crucifix\u00e6 Jesu_. Prologue. I. Venise 1485.\n [10] _L\u2019Id\u00e9alisme franciscain spirituel au XIVe si\u00e8cle. Etude sur\n Ubertin de Casale par Fr\u00e9d\u00e9gand Callaey O. M. Cap._ Universit\u00e9 de\n Louvain, 1911, Recueil de travaux publi\u00e9s par les membres des\n conf\u00e9rences d\u2019histoire et de philologie, 28e fascicule. (XXVIII, 280\n pp., prix 5 fr.)\nUbertin entra dans l\u2019ordre des Mineurs en 1273, et rev\u00eatit sans doute la\nbure franciscaine dans un couvent de la custodie de Montferrat, ou tout\nau moins de la province de G\u00eanes dont relevait Casale. Les contemporains\nl\u2019appellent plusieurs fois Ubertin de G\u00eanes. Pendant quatorze ann\u00e9es,\nnous raconte-t-il, il se livra avec ferveur \u00e0 la vie spirituelle et\ntendit \u00e0 la perfection, malgr\u00e9 les tentations de l\u2019esprit malin, et de\nla vaine science.\nEnvoy\u00e9 par ses sup\u00e9rieurs \u00e0 Florence pour y continuer ses \u00e9tudes vers\n1285, il visita en p\u00e8lerin les sanctuaires de Rome, puis il s\u2019achemina\nvers l\u2019Ombrie. Dans ses relations avec Jean de Parme \u00e0 Greccio, l\u2019ancien\ng\u00e9n\u00e9ral de l\u2019ordre le pr\u00e9vint contre le rel\u00e2chement, l\u2019initia aux\nproph\u00e9ties qui avaient cours, et lui fit entrevoir la r\u00e9novation\nspirituelle de la chr\u00e9tient\u00e9. Il vit aussi, \u00e0 Cortone, Marguerite la\nSainte p\u00e9nitente, dont le fils \u00e9tait l\u00e0 au couvent des Franciscains.\nPendant quatre ann\u00e9es \u00e0 Florence il se livra \u00e0 des \u00e9tudes et au\nminist\u00e8re. Ses directeurs d\u2019\u00e2me y achev\u00e8rent \u00abl\u2019\u0153uvre commenc\u00e9e dans les\nclo\u00eetres de G\u00eanes, serres chaudes de la vie mystique, continu\u00e9e \u00e0\nl\u2019ermitage de Greccio et \u00e0 Cortone, aux pieds de l\u2019aust\u00e8re patriarche\nJoachimite, et de la Madeleine de Toscane\u00bb (p. 11).\nCes \u00e2mes, en qui bouillonnait l\u2019esprit du Christ, nous dit-il, \u00e9taient\nle bienheureux Pierre de Sienne, un tertiaire, marchand de peignes, le\npettinagno, dont Dante a lou\u00e9 les \u00ab_sante orazioni_\u00bb au 13e chant du\nPurgatoire;--la pieuse vierge C\u00e9cile;--et plus encore Pierre de Jean\nOlivi, qui, vers, 1287, arrivait de Montpellier comme lecteur, mais\naussi \u00abv\u00e9n\u00e9r\u00e9 comme un confesseur de la foi par ses partisans. Sa\nsaintet\u00e9 et son savoir th\u00e9ologique en faisaient l\u2019oracle des\nFranciscains spirituels.\u00bb\nIl ne semble pas sans vraisemblance d\u2019affirmer que Dante, alors \u00e2g\u00e9 de\n22 \u00e0 24 ans, connut Ubertin: ses pr\u00e9dications le signalaient, ils\navaient un ami commun, _Pier Pettinagno_, et l\u2019arriv\u00e9e d\u2019un ma\u00eetre en\nth\u00e9ologie tel qu\u2019Olivi faisait du couvent de Santa-Croce un centre\nintellectuel tr\u00e8s appr\u00e9ci\u00e9.\nUbertin quitta Florence en 1289 pour se rendre \u00e0 Paris et s\u2019y pr\u00e9parer\nau professorat. L\u00e0, semble-t-il, s\u2019il faut en croire les reproches amers\nqu\u2019il s\u2019adresse, sa conduite ne fut pas toujours exemplaire, et il abusa\nde sa situation privil\u00e9gi\u00e9e pour se rel\u00e2cher de sa ferveur. Mais il est\nimpossible de d\u00e9terminer \u00e0 quel point il se laissa entra\u00eener aux abus,\nque Jacopone de Todi a poursuivis de sa verve railleuse. Alvarez Pelayo\npousse au noir jusqu\u2019\u00e0 dire que certains ma\u00eetres, par leur n\u00e9gligence\ndes r\u00e8gles et de la pauvret\u00e9, deviennent les premiers destructeurs de\nl\u2019ordre: \u00ab_Nam veraciter aliqui magistri et lectores primi et pr\u00e6cipui\nregul\u00e6 pr\u00e6varicatores et ordinis destructores._\u00bb[11]\n [11] Alvarus Pelajius. _De Planctu Ecclesi\u00e6_. liv. II, art. 66 (cit\u00e9\n dans Callaey, p. 18).\nIl ne fallut rien de moins \u00e0 en croire Ubertin, qu\u2019une apparition\nterrifiante du Christ courrouc\u00e9 pour le faire rentrer en lui-m\u00eame. Mais\nil re\u00e7ut aussi la gr\u00e2ce de rencontrer la bienheureuse Ang\u00e8le qui le\nremit sur le bon chemin; et on sent \u00e0 le lire toute la reconnaissance du\nconverti:\n\u00abDieu me l\u2019a fait conna\u00eetre d\u2019une fa\u00e7on merveilleuse que je passe sous\nsilence. Il lui r\u00e9v\u00e9la les plus secrets replis de mon c\u0153ur; pas de\ndoute, ce fut Lui qui me parla par sa bouche. Elle me restitua au\ncentuple les dons de jadis, que ma m\u00e9chancet\u00e9 m\u2019avait fait perdre, \u00e0 ce\npoint que d\u00e8s lors je ne fus plus le m\u00eame homme qu\u2019auparavant. Mon\nesprit fut renouvel\u00e9 au contact des splendeurs de la v\u00e9rit\u00e9 qu\u2019elle\nm\u2019exposa; ma ti\u00e9deur d\u2019\u00e2me, mon infirmit\u00e9 corporelle disparurent. Tout\nhomme au jugement sain qui m\u2019avait connu avant ma rencontre avec la\nbienheureuse, ne pouvait douter que l\u2019esprit du Christ ne f\u00fbt \u00e0 nouveau\nengendr\u00e9 en moi. Que les d\u00e9tracteurs qui s\u2019en prennent \u00e0 la vie\nirr\u00e9prochable de cette \u00e2me tr\u00e8s sainte qu\u2019est Ang\u00e8le et mettent en doute\nles conversions multiples op\u00e9r\u00e9es par sa parole et ses exemples le\nveuillent ou non, Dieu l\u2019a constitu\u00e9e m\u00e8re de belle dilection, de\ncrainte salutaire, de grandeur d\u2019\u00e2me et de haute esp\u00e9rance \u00e0 l\u2019\u00e9gard\nd\u2019une multitude de fils spirituels. Tous les biens leur sont venus avec\nelle; sa main a r\u00e9pandu abondamment sur eux le tr\u00e9sor de la vertu, m\u00eame\nsur ses nombreux enfants qui menaient d\u2019abord une vie d\u00e9r\u00e9gl\u00e9e[12]\u00bb.\n [12] _Arbor Vit\u00e6_, 1, cit\u00e9 Callaey, p. 20.\nLes Bollandistes qui citent dans leurs _Acta Sanctorum_ l\u2019\u00e9loge d\u2019Ang\u00e8le\nfait par Ubertin (le 4 janvier, p. 234. Anvers 1643), soulignent ce\ngrand t\u00e9moignage rendu \u00e0 la bienheureuse par le premier \u00e9crivain qui\nl\u2019ait c\u00e9l\u00e9br\u00e9e. _Magnum sancti et a Deo illuminati scriptoris de Angela\ntestimonium._\nApr\u00e8s avoir rappel\u00e9 ces termes enthousiastes du converti, au souvenir\nd\u2019un bon ange qui l\u2019arracha aux jouissances \u00e9go\u00efstes d\u2019une vie\nimmortifi\u00e9e, le r\u00e9cent historien d\u2019Ubertin de Casale constate les effets\ndurables de cette intervention: \u00abIl faut bien croire, \u00e9crit-il, que la\nveuve de Foligno exer\u00e7a sur lui un ascendant consid\u00e9rable: car le\nchangement de vie op\u00e9r\u00e9 en lui semble avoir \u00e9t\u00e9 s\u00e9rieux. D\u00e9sormais il\ns\u2019oriente _d\u00e9finitivement_ vers le rigorisme des Franciscains\nspirituels. Sans doute ses regards se tenaient dirig\u00e9s vers ce\nmouvement, ses pr\u00e9f\u00e9rences allaient \u00e0 lui d\u00e8s ses premi\u00e8res ann\u00e9es de\nprofession religieuse. Mais il l\u2019a perdu de vue quelquefois, emport\u00e9 par\nles distractions au milieu desquelles il a v\u00e9cu assez longtemps. Durant,\nses ann\u00e9es d\u2019\u00e9tudes \u00e0 Florence et son s\u00e9jour \u00e0 Paris, le parti de la\ncommunaut\u00e9 n\u2019eut qu\u2019\u00e0 se f\u00e9liciter de lui. Au concile de Vienne, Ubertin\nt\u00e9moigna qu\u2019il fut choy\u00e9 par lui aussi longtemps qu\u2019il ne le contredit\npas.\nSeulement une voix, persistante comme le remords, vient l\u2019arracher \u00e0\nplusieurs reprises aux douceurs de la vie mitig\u00e9e. A chaque chute une\nmain secourable se tend vers lui, le rel\u00e8ve et lui montre l\u2019id\u00e9al\nobscurci par la poussi\u00e8re du chemin. Fait touchant, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du ma\u00eetre\nspirituel qui enrichit son intelligence de la science surnaturelle, il\nrencontre toujours une femme pieuse qui scrute son c\u0153ur et le p\u00e9trit de\nses mains de f\u00e9e. A peine sorti de l\u2019ermitage de Greccio, il s\u2019achemina\nvers la cellule de Marguerite de Cortone. A Florence la clairvoyante\nC\u00e9cile compl\u00e8te l\u2019\u0153uvre de r\u00e9novation accomplie en lui par Pierre\nPettinagno et Pierre de Jean Olivi. A son retour de Paris, \u00e0 peine\nrevenu de la frayeur que lui a caus\u00e9e son terrible r\u00eave, la bienheureuse\nAng\u00e8le est l\u00e0 qui le r\u00e9conforte avec une tendresse toute maternelle, et\nl\u2019affermit, pour de bon cette fois, dans la voie \u00e9troite de la\nspiritualit\u00e9 franciscaine. Car d\u00e8s maintenant son plan de vie est\nd\u00e9finitivement trac\u00e9: Ubertin est acquis tout entier au groupe rigoriste\nqui se r\u00e9clame des premiers compagnons de saint Fran\u00e7ois, et compte\nparmi ses membres les plus illustres Jean de Parme, Olivi, et Conrad\nd\u2019Offida. C\u2019est d\u2019eux qu\u2019il s\u2019inspire d\u00e9sormais. Mais son temp\u00e9rament\nfougueux, qui ne s\u2019accommode que des extr\u00eames, le poussera bien souvent\n\u00e0 exag\u00e9rer leurs tendances.\u00bb (p. 22).\nBref, en 1298, \u00e0 son retour de Paris, la carri\u00e8re d\u2019Ubertin, alors \u00e2g\u00e9\nde 39 ans, est d\u00e9finitivement trac\u00e9e. Apr\u00e8s bien des tergiversations son\nparti est pris; \u00ables \u00e9carts dont il s\u2019est rendu coupable durant son long\ns\u00e9jour dans la ville universitaire, semblent lui avoir inspir\u00e9 un\nprofond d\u00e9go\u00fbt de la vie mitig\u00e9e. _A la voix d\u2019Ang\u00e8le de Foligno, il\ns\u2019\u00e9lance avec toute l\u2019imp\u00e9tuosit\u00e9 de son caract\u00e8re sur les traces de\nsaint Fran\u00e7ois et de ses premiers compagnons._\u00bb (p. 25).\nLes lecteurs du P. Callaey pourront le suivre dans sa carri\u00e8re. Qu\u2019il\nnous suffise d\u2019avoir rappel\u00e9, par des r\u00e9sum\u00e9s ou des citations, ces\nindications qui compl\u00e8tent les prologues du fr\u00e8re Arnaud et les\nr\u00e9v\u00e9lations personnelles de la bienheureuse.\nJules PACHEU.\nTABLE\n Avertissement de la 6e \u00e9dition, par Georges Goyau 5\n Pr\u00e9face du traducteur Ernest Hello 8\n Deuxi\u00e8me prologue du fr\u00e8re Arnaud 24\n Ier Pas.--Ang\u00e8le prend connaissance de ses p\u00e9ch\u00e9s 37\n IVe Pas.--Consid\u00e9ration de la Mis\u00e9ricorde 39\n Ve Pas.--Connaissance profonde d\u2019elle-m\u00eame 39\n VIe Pas.--Elle se reconna\u00eet coupable envers toutes les cr\u00e9atures 40\n VIIIe Pas.--Connaissance de J\u00e9sus-Christ 41\n XIVe Pas.--Agrandissement de la connaissance 46\n XIXe Chapitre.--Tentations et Douleurs 53\n XXXIIIe Chap.--L\u2019Amour vrai et l\u2019Amour menteur 128\n XXXIVe Chap.--La Croix et la B\u00e9n\u00e9diction 132\n XXXVe Chap.--Les voies de la D\u00e9livrance 136\n XLIVe Chap.--La pri\u00e8re \u00e0 la Sainte Vierge 162\n LVIIe Chap.--Connaissance de Dieu et de soi 207\n LIXe Chap.--Premi\u00e8re Compagne de J\u00e9sus-Christ.--La Pauvret\u00e9 228\n LXe Chap.--Deuxi\u00e8me Compagne de J\u00e9sus-Christ--L\u2019Abn\u00e9gation 233\n LXIe Chap.--Troisi\u00e8me Compagne de J\u00e9sus-Christ.--La Douleur 239\n LXVIIe Chap.--Le Tr\u00e8s Saint Sacrement de l\u2019autel 310\n Appendice: Rencontre d\u2019Ang\u00e8le de Foligno et d\u2019Ubertin de\nMAYENNE IMPRIMERIE FLOCH", "source_dataset": "gutenberg", "source_dataset_detailed": "gutenberg - Le livre des visions et instructions de la bienheureuse Ang\u00e8le\n"} +] \ No newline at end of file